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13- 25/02/1986 - 1

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Gilles Deleuze / Foucault - Le Pouvoir cours 13 - 25/02/1986 - 1

Transcription : Annabelle Dufourcq (avec l’aide du College of Liberal Arts, Purdue University)

41 : 59

...Il y a un bien longtemps. Si bien que est nécessaire une récapitulation sur les rapports pouvoir - savoir selon Foucault, rapports, vous vous rappelez, qui s’organisent comme deux axes : l’axe du savoir, l’axe du pouvoir. Bien, comment est-ce que nous pouvons récapituler les rapports pouvoir - savoir ? Il est bien entendu que, dans l’expérience, nous nous trouvons toujours devant des mixtes pouvoir - savoir. Et ça n’empêche en rien que l’analyse philosophique a tout droit de dégager deux axes hétérogènes : un axe du savoir et un axe du pouvoir, étant dit que l’expérience concrète nous présente toujours des mixtes. C’est exactement comme si je mettais le pouvoir en ordonnée et le savoir en abscisse. Et bien... et tout ce qu’on a vu dans ce qui précédait c’était : comment Foucault avait commencé par étudier les formes du savoir sur l’axe correspondant et c’est facile, dans la liste de ses livres, d’assigner : jusqu’à Surveiller et punir. Non pas que le pouvoir soit ignoré, mais il est simplement posé implicitement, supposé. On a vu qu’il a déjà besoin implicitement d’une certaine conception des foyers de pouvoir, que, dès la théorie de l’énoncé, il ne peut pas former les corpus d’énoncés sans référence à des foyers de pouvoir. Tout ça on l’a vu, mais reste que l’axe de pouvoir, jusqu’à Surveiller et punir, n’est pas traité pour lui-même ni considéré explicitement. C’est Surveiller et punir qui marque la première coupure dans l’œuvre de Foucault et qui va passer de l’axe du savoir à l’axe de pouvoir. Ceci dit, donc, dans notre récapitulation qui doit conclure cette étude sur l’axe de pouvoir...Nous avions commencé au premier trimestre par l’étude de l’axe du savoir, donc on avait suivi le chemin chronologique de l’œuvre de Foucault et puis, donc, on avait abordé l’axe de pouvoir. Dans la récapitulation nécessaire je crois qu’il faut d’abord poser qu’entre le pouvoir et le savoir, entre les deux axes, il y a différence de nature. Il y a différence de nature. Je rappelle quels sont les grands points, comment s’organise cette différence de nature. Eh bien,
-  premier aspect : le pouvoir mobilise essentiellement des points ou des affects. Points de domination ou, si vous préférez, ça revient au même, les affects étant ponctuels, affects qui renvoient aux deux aspects du pouvoir : pouvoir d’affecter, pouvoir d’être affecté. On a vu, en effet, que, le pouvoir, c’était les rapports de forces et que la force se présentait à la fois comme pouvoir d’affecter d’autres forces et comme pouvoir d’être affecté par d’autres forces. Donc ces affects sont des points singuliers. Le pouvoir, dès lors, se présente comme une répartition, comme une distribution de points singuliers qui sont des points de domination. Je ne reviens pas là-dessus puisqu’il s’agit d’une récapitulation, c’est vous qui me direz si c’est nécessaire de revenir sur certains aspects. Tandis que le savoir mobilise non pas des points et des répartitions de points, il mobilise des formes et il organise des formes. Le pouvoir est informel, le savoir est organisation de formes, le savoir est fondamentalement formel et formalisateur. Il y a des formes du savoir tandis qu’il n’y a que des points de pouvoir, ce que Foucault dit très bien dans La volonté de savoir : le pouvoir va d’un point à un autre.

-  Deuxième aspect : le pouvoir consiste en rapports de forces (au pluriel) et on a vu que la force n’existait qu’au pluriel, la force se dit au pluriel. Pourquoi ? Parce que la force est inséparable de son rapport avec d’autres forces. La force est le nom générique, le nom abstrait d’une multiplicité. Tandis que - et vous vous rappelez que, lorsque je dis « le pouvoir est rapport de forces » cela veut dire que la force dominée n’appartient pas moins au pouvoir que la force dominante ou, si vous préférez, le pouvoir d’être affecté n’est pas moins constitutif du pouvoir que le pouvoir d’affecter - tandis que le savoir est relation de formes, on ne confondra pas un rapport de forces et une relation de forme. On a vu quelles étaient ces formes, les grandes formes du savoir, les deux formes fondamentales du savoir : voir et parler, le visible et l’énonçable. Il y a une forme de l’énonçable, il y a une forme du visible. La forme de l’énonçable c’est le langage tel que le conçoit Foucault, la forme du visible c’est la lumière telle que Foucault la conçoit.

-  Troisième aspect : le pouvoir, je vous rappelle toujours que lorsque l’on distingue pouvoir et savoir il s’agit d’une abstraction puisque, encore une fois, le concret ne me présente que des mixtes ; et bien, du point de vue de l’abstraction, je suis en droit de dire en troisième lieu que le pouvoir concerne des matières non formées et des fonctions non-formalisées, tandis que le savoir porte et implique des matières formées et des fonctions formalisées et finalisées. C’est ça, sans doute, le point le plus important. C’est par là que vous pouvez distinguer ce que je vous proposais d’appeler des catégories de pouvoir dans leur différence avec des catégories de savoir. Je vous rappelle : qu’est-ce que c’est pour Foucault des catégories de pouvoir ? Il nous le dit très bien, par exemple, dans les sociétés dites de souveraineté, catégories de pouvoir ce sera : prélever sur une activité quelconque - c’est le « quelconque » qui est essentiel - l’opération du souverain c’est prélever sur une activité quelconque et décider de la mort. Le Souverain décide de la mort en général. Que ce soit la mort à la guerre, que ce soit la mort du condamné, que ce soit une mort quelconque, un prélèvement quelconque. C’est lorsque vous pouvez élever une catégorie au coefficient du quelconque que vous tenez une catégorie de pouvoir. Dans les sociétés disciplinaires, c’est-à-dire dans les sociétés modernes, je vous rappelle, qu’est-ce que c’est une catégorie de pouvoir ? Et bien il nous dit : imposer une tâche quelconque à une multiplicité restreinte quelconque. Imposer une tâche quelconque, c’est ça la discipline. La discipline comme pouvoir, il y a discipline comme pouvoir dès que vous imposez une tâche quelconque à une multiplicité peu nombreuse. Voilà une première catégorie de pouvoir dans les sociétés disciplinaires. Et enfin, lorsque le pouvoir gère la vie. Vous voyez que les sociétés disciplinaires se distinguent des sociétés de souveraineté puisque, au lieu de prélever sur une activité quelconque, vous imposez une tâche à une multiplicité peu nombreuse et puisque, au lieu de décider de la mort, vous gérez, le pouvoir gère la vie dans une multiplicité nombreuse. Vous ne dites pas : c’est une catégorie de pouvoir, précisément parce que vous n’avez pas à dire de qui il s’agit ni de quoi, quelle activité [ ?] ; imposer une tâche à une multiplicité peu nombreuse quelconque, à une multiplicité quelconque à condition qu’elle soit peu nombreuse. Gérer la vie relativement à une multiplicité quelconque à condition qu’elle soit nombreuse. C’est les deux aspects du pouvoir disciplinaire. Je dis donc : le pouvoir concerne et brasse des matières non-formées - multiplicités quelconques - et des fonctions non-formalisées - imposer une tâche quelconque.

Qu’est-ce que ce seront les catégories de savoir, au contraire ? Les catégories de savoir concernent, je dis, des matières formées et des fonctions formalisées. Ce sera par exemple : éduquer, un savoir éduquer, punir, un savoir punir, faire travailler, un savoir faire travailler. Ce sera toutes les manières formalisées d’imposer des tâches précises, des tâches qualifiées à une multiplicité déterminée. Ce qui sera châtié, ce seront les prisonniers ; ce qui sera éduqué, ce sera les enfants, et tout ça sans doute est subsumé par la catégorie de pouvoir « imposer une tâche quelconque à une multiplicité restreinte quelconque », mais, au niveau des catégories de savoir, éduquer, châtier, faire travailler etc., ne sont évidemment pas la même chose. Donc je peux dire, là on comprend peut-être mieux pourquoi le concret ne me présente par définition que des mixtes de pouvoir et de savoir car jamais l’expérience ne me livre une chose aussi étrange que « imposer une tâche quelconque à une multiplicité restreinte quelconque ». Dans l’expérience toutes les multiplicités sont qualifiées, c’est ceci ou cela, c’est des écoliers, des prisonniers, des ouvriers, des soldats, c’est ceci ou cela. C’est-à-dire c’est toujours du qualifié et la tâche elle-même, la tâche imposée est toujours déterminée, à savoir : il s’agit d’éduquer, il s’agit de châtier, il s’agit de faire travailler etc. C’est pour cela que Foucault nous dit, par exemple les catégories de pouvoir sont du type « inciter, susciter euh... etc. », c’est-à-dire elles ne disent pas la qualité de ce à quoi elles s’appliquent et elles ne disent pas la forme dans laquelle elles entrent, puisque, dès qu’elles entrent dans une forme, elles constituent des savoirs. Je crois que c’est ce point qui est le plus important pour évaluer la différence entre euh..., entre le pouvoir et le savoir. Je dirai encore autre aspect : et tous ces aspects s’enchaînent. Le pouvoir est constitutif d’une microphysique, le savoir est constitutif d’une macrophysique. C’est même pour ça que le pouvoir n’a pas de forme, que le pouvoir, par définition, va d’un point à un autre. C’est un ensemble de rapports infinitésimaux, un ensemble de rapports fluents, évanescents. C’est le savoir qui leur donne une stabilité. Et enfin le pouvoir est l’objet d’une stratégie, le savoir et l’objet d’une stratification. Le savoir est l’objet d’une stratification étant dit que la stratégie c’est le maniement ou la distribution d’une matière non-stratifiée. Evidemment, tout ça, ça suppose tout ce qu’on a fait précédemment, mais je suis prêt à revenir, si vous l’estimez nécessaire, sur tel ou tel point. Au point que, si j’essaie de donner une approximation très générale, je dirai : oui, le savoir est affaire d’archives, l’archive étant audiovisuelle, c’est-à-dire archive du voir et archive de l’énoncé, archive du visible à chaque époque, archive de l’énonçable à chaque époque. Le savoir est affaire d’archive, le pouvoir n’est pas affaire d’archive. Le pouvoir est affaire d’une cartographie, d’une cartographie mouvante, une carte stratégique, toujours remaniable, toujours fluente. Si bien que les deux mots de Foucault pourraient être ceux-ci, au point où nous en sommes : jusqu’à Surveiller et punir je suis un archiviste, avec Surveiller et punir et La volonté de savoir, je suis un cartographe. La carte stratégique elle est millimétrique. La carte millimétrique du pouvoir est d’une autre nature que les archives du savoir. Et aux archives, il faut superposer aux archives de strates ; aux archives de formations stratifiées, il faut superposer les cartes stratégiques, les cartes millimétriques qui énoncent les rapports de forces ou rapports de pouvoir à une époque, les rapports de forces ou de pouvoir qui correspondent à telle ou telle formation stratifiée. Il y a des rapports de forces qui correspondent à chaque formation stratifiée, mais les deux diffèrent en nature comme le pouvoir et le savoir diffèrent en nature. Ça diffère en nature, ça n’empêche pas que l’expérience concrète ne me donne jamais que des mixtes de l’un et de l’autre.
-  Voilà donc le premier aspect : il y a différence de nature entre le pouvoir et le savoir, il faudrait que ce soit très très clair ce point.
-  Mais deuxième, deuxième aspect : qu’il y ait différence de nature n’empêche pas qu’il y ait nécessairement présupposition réciproque entre les deux. Il y a présupposition réciproque, c’est-à-dire l’un suppose l’autre et l’autre suppose l’un, mais évidemment de deux manières différentes.
-  Première manière : le savoir est fondamentalement formel, c’est-à-dire qu’il est organisation de formes, et de deux formes, forme du voir, forme du parler, variables au niveau de chaque formation, c’est-à-dire au niveau de chaque époque historique. Reste que, sans les rapports de pouvoirs, sans les rapports de forces, le savoir n’aurait rien à actualiser, ses formes seraient des formes vides. C’est en ce sens qu’il présuppose le pouvoir. Mais inversement : sans les formes du savoir, le pouvoir resterait ponctuel, fluent, évanouissant, instable et ne pourrait ni se conserver ni se reproduire.

-  Troisième et dernier aspect : non seulement il y a différence de nature entre pouvoir et savoir, non seulement il y a présupposition réciproque entre les deux, mais il y a primat du pouvoir sur le savoir. En quel sens y a-t-il primat ? C’est, ou plutôt ce sont les rapports de forces ou de pouvoir - je vous rappelle qu’il faut écrire toujours « rapport de forces » « forces » au pluriel, ou « rapport de pouvoir » au singulier - le rapport de pouvoir c’est le rapport des forces. Et bien c’est le pouvoir, ce sont les rapports de forces ou de pouvoir qui sont cause. Cause quoi ? Je dirai : cause immanente, c’est eux qui sont cause immanente de quoi ? Des formes, des formations historiques, des formations historiques qui constituent les savoirs. Si bien que je peux dire : le pouvoir implique nécessairement le savoir, mais le savoir suppose nécessairement le pouvoir.

Question d’un étudiant : le pouvoir implique ou explique le savoir ?

Deleuze : les deux. Les deux, je veux dire impliquer et expliquer ne se sont jamais opposés. Impliquer, à la lettre, c’est envelopper ; expliquer, c’est développer. Il va de soi que ce qui enveloppe développe. On peut dire, en effet, que le savoir enveloppe les rapports de forces ou de pouvoir et, aussi bien qu’il les développe. Je veux dire : ne pensez pas que impliquer et expliquer soient dans des rapports de contrariété. C’est des rapports de complémentarité. Si je dis : B implique A, je veux dire aussi que B explique A. Le contraire de impliquer et expliquer... impliquer et expliquer sont un ensemble, hein, et le terme qui serait contraire à impliquer et expliquer ce serait compliquer. Alors je peux dire en effet : le rapport de forces complique le savoir. C’est-à-dire : il le comprend. Ce qui s’oppose à impliquer et expliquer c’est comprendre, c’est-à-dire compliquer. D’où je peux répondre au moins, à l’issue de cette récapitulation, je peux répondre à deux questions que deux d’entre vous m’ont posées. La première c’était ceci : en admettant que le pouvoir soit d’une certaine manière cause du savoir, ou, si vous préférez, que les rapports de forces ou de pouvoirs soient cause immanente des formes du savoir, est-ce que ce n’est pas restaurer une espèce d’unité ? On a vu précédemment en quel sens Foucault, à mon avis, faisait une théorie des multiplicités où l’unité disparaissait au profit d’un nouveau statut du multiple. Un statut des multiplicités qui pouvait être pensé sans référence à quelque chose fonctionnant comme une unité. Comment penser le multiple à l’état pur ? Alors, de ce point de vue, si vous m’avez suivi dans..., précédemment, ce serait très important que l’idée d’une cause immanente ne restaure pas une espèce d’unité. Je pense que nous avons la réponse à cette question : est-ce qu’il y a restauration d’une unité à partir du moment où ce qui joue le rôle de cause immanente n’existe que dans un état de dispersion radicale c’est-à-dire sous forme des rapports de forces, la force étant irréductible à une unité quelconque, puisque la force n’existe que dans la multiplicité qui rapporte la force à la force sous la forme d’un pouvoir d’affecter d’autres forces ou d’un pouvoir d’être affecté par d’autres forces. La force présente une irréductible multiplicité et ne peut être pensée qu’au multiple donc il n’y a aucune, aucune restauration d’unité. La deuxième question qui m’était posée c’était : s’il y a différence de nature entre pouvoir et savoir, est-ce qu’on ne va pas être renvoyé à l’infini ? La question voulait dire ceci. Il faudrait que vous vous rappeliez nos acquis quand on avait analysé le domaine du savoir. On avait rencontré le fait même d’une différence de nature entre les deux formes de savoir : le voir et l’énoncé, le visible et l’énonçable. Et on était tombé sur le problème suivant : comment peut-il y avoir mise en accord du visible et de l’énonçable alors qu’ils sont hétérogènes et diffèrent en nature au point qu’on ne voit jamais ce qu’on dit et qu’on ne dit jamais ce qu’on voit ? Donc c’est la différence de nature entre les deux formes du savoir qui nous forçait à sortir du savoir pour trouver une raison ou une cause d’après laquelle, malgré la différence de nature entre les deux formes du savoir, ces deux formes étaient co-adaptables. Et on la trouvait au niveau des rapports de pouvoir. C’est les rapports de pouvoir qui expliquent que les deux formes du savoir sont co-adaptables. Pourquoi ? Parce que les rapports de pouvoir sont informels et ne sont pas soumis aux conditions des deux formes du savoir. Donc ils peuvent rendre compte de la coadaptation d’une forme à une autre. Mais alors, la question était celle-ci : s’il y a une différence de nature entre pouvoir et savoir, est-ce que nous ne sommes pas à nouveau renvoyés à une troisième, à une nouvelle cause qui rendrait compte de la coadaptation ? Non. On n’est pas renvoyés à une nouvelle cause, à une cause de la cause, à condition de comprendre comment la cause immanente agit, c’est-à-dire en quel sens les rapports de pouvoir ou les rapports de forces sont bien cause immanente des formes du savoir. Et bien, en quel sens ? Si j’essaie de prendre une formule très générale, je dirai que les formes du savoir actualisent les rapports de forces ou de pouvoir. En d’autres termes l’effet actualise sa cause et même l’effet c’est ce qui actualise. En quel sens ? En effet on l’a vu les rapports de forces par eux-mêmes d’après l’analyse de Foucault resteraient complètement fluents, instables, évanouissants, s’ils ne s’actualisaient dans leurs effets, leurs effets étant une forme stable. Donc je dirai : l’effet actualise la cause immanente et, en effet, une cause immanente c’est une cause inséparable de son effet, c’est-à-dire c’est une cause qui reste entièrement virtuelle si on la sépare de son effet ; en premier lieu, mais alors en quoi consiste l’actualisation ? Je vous rappelle, c’est des choses, là, qu’on a vues plus récemment : l’actualisation selon Foucault c’est pas facile, mais à bien regarder les textes il me semblait que l’actualisation des rapports de forces ou de pouvoir consiste en deux opérations, deux opérations simultanées. D’une part l’effet actualise en tant qu’il intègre. L’actualisation est une intégration. Je dirais : le savoir intègre les rapports de forces, les formes intègrent les rapports de forces. C’est ce que Foucault nous dit, il me semble, dans Volonté de savoir, p. 122-124. Lorsqu’il dit que, dans les formes, les rapports de forces constituent alors une ligne de force générale qui traverse les affrontements locaux et les relie, ils procèdent sur eux... en retour les formes vont procéder à des redistributions, à des alignements à des homogénéisations, à des aménagements, à des mises en convergences. En d’autres termes les formes alignent, homogénéisent, intègrent les rapports de forces ou de pouvoir. Je vous rappelle que, concrètement, on a suivi une analyse très précise, on a essayé de dégager une analyse très précise où on pouvait invoquer les mathématiques pour dire : ben oui, c’est très simple, vous voyez en mathématiques - et même s’il n’y a pas besoin d’en savoir... de savoir... il suffit de comprendre, c’est pas difficile - en mathématiques, dans la théorie des fonctions, on distingue deux éléments comme différant en nature. On distingue la répartition des singularités, des points singuliers, les points singuliers... ce que vous voulez : des points d’inversion, des points de rebroussement, des nœuds, des foyers... vous distinguez une répartition des singularités, ça c’est une chose, et vous en distinguez l’allure de la courbe qui est précisément dite « courbe intégrale », courbe intégrale, courbe d’intégration, la courbe intégrale qui passe au voisinage des singularités. [ ?] Or la répartition des singularités dans un champ de vecteurs, ça c’est ce qu’on appellera - non plus en mathématiques, chez Foucault - c’est ce qu’on appellera l’émission des singularités correspondant à des rapports de forces, répartition de singularités dans un champ de vecteurs ; mais en est tout à fait différent ou plutôt est d’une autre nature mathématique, l’allure de la courbe intégrale qui passe au voisinage des points singuliers et qui opère une intégration. Alors là on voit très bien ce qui [ ?] en quoi l’effet intègre la cause immanente, les rapports de forces, c’est une répartition des singularités, mais l’effet intègre, c’est-à-dire les formes du savoir vont tracer les courbes qui passent au voisinage des singularités de pouvoir. C’est très clair ça.

Deuxième aspect dans l’autre texte de Foucault : l’intégration. Vous voyez, l’intégration, on pourra la définir de beaucoup de façons. Je dis : intégrer c’est aligner, homogénéiser, etc. Je dis aussi bien : intégrer c’est tracer la courbe qui passe au voisinage des singularités. Les singularités étant les points de pouvoir. La courbe qui passe au voisinage constituant les formes de savoir. Je dirai aussi, avec Foucault, intégrer c’est institutionnaliser. Les institutions sont inséparables des formes de savoir, c’est institutionnaliser, finaliser, vous vous rappelez en effet que, on vient de le rappeler, les rapports de forces ou de pouvoir ne considèrent que des fonctions non-formalisées et non-finalisées, lorsque vous assignez une finalité, vous êtes déjà dans le domaine du savoir. Imposer une tâche quelconque à une multiplicité quelconque, c’est une catégorie de pouvoir, mais, éduquer, ça c’est une fonction formalisée et finalisée. Faire travailler aussi. Châtier aussi. Donc intégrer c’est institutionnaliser, c’est finaliser, c’est technologiser, dit Foucault, et c’est rationaliser. En effet ce sont les 4 grandes espèces, il me semble, sous lesquelles les fonctions reçoivent une forme et une finalité. En même temps je voudrais presque, ça me paraît nécessaire de faire cette récapitulation et ça me paraît très abstrait, mais enfin, il faudrait que vous vous rappeliez un peu ce qu’on a fait avant, enfin on verra... Voilà, c’est ça l’aspect intégration. Je dirais : l’effet intègre la cause, c’est-à-dire les grandes formes de savoir intègrent les rapports de forces et de pouvoir, les rapports informels de forces ou de pouvoir, il leur donne une forme. Mais, mais, mais, mais... ça ne me suffit pas. Il faut bien, aussi et encore, qu’actualiser ne soit pas seulement intégrer. Il faut aussi que actualiser soit différencier. L’effet n’intègre pas la cause immanente c’est-à-dire les rapports fluctuants, les rapports de forces fluctuants pour le stabiliser, l’effet n’intègre pas les rapports de forces fluctuants qui constituent la cause immanente sans, en même temps, introduire une différenciation. S’actualiser c’est toujours s’actualiser suivant des voies divergentes, comme si l’ensemble de la cause ne pouvait pas être actualisé d’un coup, il doit être actualisé au moins dans deux directions divergentes et je vous disais : l’idée même que s’actualiser c’est se différencier, par exemple, c’est une idée qui a été fondamentalement et très... si bien développée par Bergson, que l’actualisation implique forcément un processus de différenciation - je ne reviens pas là-dessus. Euh... mais il faudrait que vous gardiez en souvenir les exemples concrets. Et, en effet, chez Foucault, vous voyez de l’actualisation des rapports de forces implique toujours de grandes différenciations ; c’est au niveau de l’actualisation des rapports de forces, c’est-à-dire la manière dont les rapports de forces s’incarnent dans les grandes formes, dans les grandes formations stratifiées, c’est à ce niveau qu’apparaissent les grandes différenciations, différenciations des sexes... - Vous vous rappelez le thème de Foucault, sinon, au niveau des rapports... au niveau des rapports ponctuels, la sexualité est sans sexe. La différence des sexes, la différenciation de sexes, elle apparaît au niveau de l’intégration de la sexualité. Euh... différenciation sexuelle, différenciation politique, différenciation sociale des classes etc. Tout ça apparaît au niveau des formations stratifiées. C’est que les rapports de forces ne peuvent pas s’actualiser sans suivre des voies d’actualisation divergentes. S’actualiser c’est créer la différenciation des voies d’après lesquelles l’actualisation se fait. Or, pour nous c’est essentiel car il n’y a que ça qui nous permette de répondre, encore une fois, à la question sur laquelle on était resté au niveau du savoir. Vous avez, encore une fois, une forme du visible et une forme de l’énonçable et il y a béance entre les deux. Je ne dis pas ce que je vois, je ne vois pas ce que je dis. Toute l’analyse de Foucault arrivait à ce résultat. Il n’y a pas un accord du voir et du parler, il y a bataille entre les deux et tout le thème d’une bataille entre ce que je vois et ce que je dis était développé par Foucault d’une manière magistrale. Bien, mais même... on en était là quand on étudiait le savoir : comment même peut-on parler, peut-il parler de bataille ? Puisque « bataille » entre voir et parler implique au moins qu’il y ait un minimum de rapport, mais au point où nous avait conduit son analyse, il n’y a pas de rapport. D’une part je vois, d’autre part je dis. Mais je ne vois pas ce que je dis et je ne dis pas ce que je vois. Bon, alors il semblerait qu’on se trouve devant, comme Blanchot disait, un non-rapport du voir et du parler et on avait terminé notre analyse du savoir en disant : bon, comment expliquer qu’il y ait coadaptation entre voir et parler ? Puisque toute l’analyse du savoir conclut à un non-rapport entre les deux ? Et c’est maintenant qu’on est en mesure de répondre.

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La voix de Gilles Deleuze en ligne
L’association Siècle Deleuzien