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12- 28/01/1986 - 3

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Gilles Deleuze / Foucault - Le Pouvoir cours 12 - 28/01/1986 - 3Transcription : Annabelle Dufourcq (avec l’aide du College of Liberal Arts, Purdue University)

43 mn 51 sec

En d’autres termes, je disais : dans la théorie des équations, dans la théorie des équations analytiques, vous trouvez la distinction de deux domaines. Premier domaine : la répartition des termes, des points singuliers dans un champ de vecteurs, ça correspond à ma première opération, et deuxièmement la courbe intégrale, l’allure de la courbe intégrale, dite « intégrale », courbe d’intégration, qui passe au voisinage des singularités et les mathématiciens nous disent bien : l’un est inséparable de l’autre, mais les deux n’ont pas du tout la même réalité mathématique. C’est exactement ça. Voyez : je distingue toujours le micro-domaine « répartition de singularités » « rapports de forces d’une singularité à l’autre », « rapports de pouvoir », c’est la répartition des singularités dans un champ de vecteurs et, d’autre part, l’intégration, c’est-à-dire l’allure de la courbe qui passe au voisinage de ces singularités et qui va constituer, elle, un énoncé, et c’est ça, c’est ça le chemin de l’intégration. Je reprends, donc, il devrait devenir clair en quoi les rapports de forces ou de pouvoir se stratifient dans la mesure où ils s’intègrent. Où ils s’intègrent et ils s’intègrent dans des formes. Les formes sociales sont les intégrants des rapports de pouvoir. Ils s’intègrent dans des formes sociales. Les formes sociales, ce sont les intégrations de la microphysique, c’est le passage de la microphysique aux institutions stables cad à une macro-physique du champ social. Si vous comprenez ça, on a presque résolu notre problème, à savoir : comment le pouvoir prend-il forme, comment le pouvoir se stratifie-t-il ? Comment passe-t-on des rapports de pouvoir aux formations stratifiées ?

Question : inaudible :

Deleuze : ah, ça... vous me devancez. Moi je crois qu’on peut le dire, mais que c’est pas facile. On peut le dire. Alors : est-ce que Foucault le pensait ? Là, ça me paraît très frappant, on verra les textes, avec ce qu’il y a d’ambigu, de difficile dans les textes de Foucault. Pendant longtemps Foucault non seulement ne l’a pas cru, mais ne le voulait pas, parce que, pour lui, il voulait de l’espace partout, c’était simplement deux types d’espaces. Peut-être que, à la fin, il aurait dit [oui ?]. Et donc votre question est très complexe. D’où je reviens... comprenez qu’on n’a pas cessé de traiter « pouvoir-savoir ». Les formes stratifiées, c’est ça l’objet du savoir. Le savoir, c’est quoi ? Toute forme stratifiée est savoir. La famille est un savoir, l’école est un savoir, l’usine est un savoir. L’usine c’est le savoir travailler. L’école c’est le savoir apprendre. La famille c’est le savoir élever. C’est des catégories de savoir : élever, instruire, faire travailler... voilà des savoirs comme pratiques, des pratiques de savoir. Les rapports de pouvoir s’intègrent dans des formes stratifiées. C’est ces formes stratifiées et intégrantes qui constituent des savoirs. D’où : pas de pouvoir sans savoir et pas de savoir sans pouvoir, pourquoi ? Pas de savoir sans pouvoir parce que le savoir est l’intégration d’autre chose que lui. Tout savoir intègre des rapports de forces ou de pouvoir. Donc pas de savoir sans pouvoir : il n’aurait rien à intégrer. Or le savoir, c’est la forme d’intégration. Mais, inversement : pas de pouvoir sans savoir, pourquoi ? Cette fois-ci, ça n’a pas le même sens, mais ça vaut autant. Pas de pouvoir sans savoir parce qu’indépendamment du savoir, c’est-à-dire des formes stratifiées qui l’intègrent, le pouvoir serait évanescent, fluent, en perpétuel déséquilibre, indéterminable, perpétuellement changeant, inassignable. Et il faut les formes stratifiées du savoir pour les localiser, l’attribuer, le fixer, le transmettre etc. Et dans un texte qui me paraît important, j’ai déjà dit que dans le livre intitulé Michel Foucault par Hubert Dreyfus et Paul Rabinow, il y avait deux textes de Foucault, il y en a un qui nous intéresse particulièrement, un texte de Foucault qui nous intéresse particulièrement, où Foucault nous dit précisément, euh... voilà. Il distingue cinq aspects, de quoi ? On va voir, d’après le contexte, c’est évidemment cinq aspects de l’actualisation des rapports de forces. Et je commence par le deuxième, vous me direz : pourquoi ? Parce que je veux garder le premier pour la fin. Le deuxième il nous dit : voilà, il faut considérer le type d’objectif. Le type d’objectif. Type d’objectif poursuivi par ceux qui agissent sur l’action des autres. Vous vous rappelez ce que c’était que l’action sur l’action ? L’action sur l’action, c’est le rapport de pouvoir, le rapport de la force avec la force. Le rapport de la force avec la force, c’est pas l’effet de l’action sur un objet, c’est le rapport d’une action avec une action. C’est l’action sur l’action, je ne reviens pas là-dessus. Et bien il faut considérer le type d’objectif poursuivi par ceux qui agissent sur l’action des autres. Et Foucault donne une liste : est-ce le maintien de privilèges, l’accumulation de profits, la mise en œuvre d’une autorité statutaire, l’exercice d’une fonction ou d’un métier ? Donc, premier facteur : le type d’objectif. Deuxième facteur : la modalité instrumentale. Donc, si vous voulez, premier facteur : le type d’objectif poursuivi par le pourvoir, deuxième facteur : la modalité instrumentale du pouvoir et Foucault donne la liste, une liste tout à fait ouverte : selon que le pouvoir est exercé par la menace des armes, par les effets de la parole, à travers des disparités économiques, par des mécanismes plus ou moins complexes de contrôle, ou bien même en faisant intervenir des techniques, des outils, on peut allonger la liste, donc modalité instrumentale, c’est le second caractère. Troisième caractère : les formes d’institutionnalisation, ça, on l’a développé, je passe. Quatrième caractère : les degrés de rationalisation. Degrés de rationalisation. Type d’objectif, modalité instrumentale, forme d’institutionnalisation, degrés de rationalisation, qu’est-ce que c’est ? C’est les facteurs de l’intégration. Ce qui veut dire quoi ? Ce qui veut dire : les rapports de forces ou les rapports de pouvoir, vous vous rappelez, ils expriment des actions sur des actions, mais ils ne considèrent ni la finalité..., ni la finalité ni la substance même sur laquelle ils portent. En effet, vous vous rappelez que les rapports de pouvoir, tels qu’ils sont présentés par un diagramme, nous présentent des matières non formées et des fonctions non formalisées. Ça veut dire quoi ? Là aussi il faut que vous vous rappeliez. Je ne dis pas quelle est la substance et je ne dis pas quelle est la finalité. Le rapport de pouvoir, c’est, on l’a vu, imposer une tâche quelconque à une multiplicité restreinte quelconque, voilà un pur rapport de pouvoir. Alors ça n’empêche pas de pouvoir varier, uniquement en fonction de coordonnées spatio-temporelles, à savoir : imposer une tâche quelconque à une multiplicité restreinte, ça peut être par rangement, sériation, mise en rang, mise en série des éléments de la multiplicité. Mise en rang, mise en série composition etc. etc. On a vu qu’il y avait une grande variété. Et vous voyez que j’indique des variables d’espace-temps, je n’indique aucune substance précise, multiplicité quelconque et je n’indique aucune finalité précise : imposer une tâche, mais pourquoi ? Dans quel but ? Imposer une tâche quelconque à une multiplicité quelconque, voilà le rapport de forces, ce rapport de forces, même à ce niveau d’abstraction, je vous le rappelle se subdivise, puisque « imposer une tâche quelconque », encore une fois, ça veut dire : ranger, mais je ne dis pas ce que je range ni dans quel but. Ça veut dire mettre en série, sérier, je ne dis pas ce que je série. Voilà, bon. Là-dessus : intégration de ce rapport de pouvoir ou de ces rapports de pouvoir, de ces rapports de forces, et bien l’intégration va nous dire et seule l’intégration nous dira quelle est la substance, quelle est la finalité, quelle est la substance de l’action, quelle est la finalité de l’action, quels sont les moyens de l’action... tout ça, ça n’apparaît qu’avec l’intégration. Exemple : l’école est une institution, elle intègre des rapports de forces, dès lors je peux dire : il ne s’agit plus d’une multiplicité quelconque, il s’agit de la multiplicité des élèves, l’élève substance formée, matière formée. Et, la porte à côté, c’est plus une école, c’est une usine. Ah bon : une usine c’est une autre matière formée, c’est une autre substance formées. C’est plus l’élève, c’est le travailleur. Et la porte à côté, c’est la prison, autre substance formée, ça n’est plus un élève ni un travailleur, c’est un délinquant. Ce sont des matières formées. Tandis que, vous voyez le rapport de pouvoir considérait la matière non-formée, une multiplicité quelconque telle qu’on lui imposait une tâche. Donc c’est au niveau des intégrants que j’arrive à distinguer les matières formées. En effet le rapport de pouvoir ne pouvait pas les distinguer puisqu’il ne considère que la matière non-formée. Donc il ne pouvait faire ces distinctions qu’en fonction de l’espace et du temps et non pas en fonction de qualités. Et de même le rapport de pouvoir ne pouvait pas déterminer les fins que les forces allaient servir car les forces ne poursuivent de fin que par rapport aux grandes formes qui les intègrent et au niveau des grandes formes qui les intègrent. La fonction formalisée ou finalisée ce sera : non plus imposer une tâche que à une multiplicité quelconque, mais ce sera : instruire pour l’école, faire travailler pour l’usine, soigner pour l’hôpital et tout ça constituera des savoirs. Or vous comprenez pourquoi, finalement, on ne peut pas finalement parler de pouvoir sans parler de savoir, ni parler de savoir sans parler du pouvoir ; c’est que l’intégration est un processus insensible et continu, qui est là depuis le début, c’est uniquement par abstraction qu’on peut distinguer les rapports de pouvoir et des relations de savoirs, simplement c’est une abstraction nécessaire, mais le concret me présente toujours des mixtes de pouvoir et de savoir. Le concret ne peut jamais me présenter que des rapports de pouvoir déjà engagés dans des formes stratifiées c’est-à-dire déjà pris dans des formes finalisées, dans des matières formées. Donc le pouvoir ne cesse pas de s’intégrer dans du savoir, les stratégies de forces ne cessent pas de s’intégrer dans des formes stratifiées. Vous comprenez ? Bon, si vous avez compris ça, vous devez en même temps comme bondir, quoi. Vous devez bondir ! En disant : mais, euh... ça ne va pas... ça ne va pas ! Ou, du moins, il manque une moitié. Car, si vous vous rappelez le moins du monde ce qu’on a fait précédemment : bien sûr le savoir c’était une forme stratifiée, une formation stratifiée, mais notre problème c’était que c’était une forme stratifiée pas seulement : c’était deux formes stratifiées : le visible et l’énonçable, voir et parler. S’il est vrai que les rapports de pouvoir expliquent les formes stratifiées en ce sens que les formes stratifiées sont l’intégration des rapports de pouvoir, comment expliquer que les formes stratifiées soient traversées par cette fissure qui sépare le visible et l’énonçable ? C’est de ça que j’annonçais l’explication. Or autant vous pouvez m’accorder que j’ai bien expliqué que les rapports de pouvoir s’intégraient dans des formes stratifiées en général, autant vous devez me refuser d’avoir le moins du monde expliqué pourquoi ces formes stratifiées ont deux pôles : voir et parler, le visible et l’énonçable, pourquoi elles sont nécessairement traversées par cette disjonction, par cette fissure ? Et comment les rapports de pouvoir peuvent rendre compte et de la fissure entre voir et parler et du fait que, malgré la fissure, voir et parler soient mis en rapport par les rapports de pouvoir ? Il faut que les rapports de pouvoir expliquent pourquoi les formations stratifiées d’une part sont traversées par une fissure qui établit entre les deux parties un non-rapport et que, en même temps, il m’explique que, malgré ce non-rapport entre les deux parties du savoir, voir et parler, que, malgré ce non-rapport, le rapport de pouvoir est capable d’expliquer que ces deux parties sans rapport soient quand même en rapport. Vous voyez : si je n’ai pas expliqué ça, ben, ça rate. Vous comprenez ?

En d’autres termes, j’en suis là : il faut que l’actualisation, il faut que, s’il est vrai que les rapports de forces s’actualisent dans les formations stratifiées, il faut que je trouve le moyen de montrer que l’intégration n’est qu’un aspect de l’actualisation, qu’il y a un autre aspect et que cet autre aspect de l’actualisation va rendre compte et de la fissure qui traverse les formations stratifiées et de la mise en rapport des deux parties malgré la fissure ou par-dessus la fissure. Il faut que le problème, là, il faut que ce soit lumineux. Est-ce lumineux ? Si ce n’est pas lumineux je recommence parce que sinon ça n’a aucun sens pour la recherche suivante. Il me faut autre chose. Il me faut autre chose que l’intégration. Je dois dire : oui les rapports de pouvoir s’actualisent par intégration mais par autre chose aussi. Il faut qu’il y ait une autre opération que l’intégration. Et c’est cette autre opération, encore une fois, qui doit rendre compte des deux moitiés des formations stratifiées, c’est-à-dire qui doit rendre compte à la fois et de l’irréductibilité des deux formes de savoir et du fait que, malgré l’irréductibilité, il y a quand même rapport, que malgré l’irréductibilité formelle, il y a quand même rapport. Je suis prêt à recommencer s’il y a une difficulté, parce que c’est même plus drôle s’il y en a qui ne comprennent pas ce point, c’est comme si, ensuite, vous ne pouvez plus rien comprendre. Donc il faut que tout le monde comprenne bien cela. Ça y est ? C’est bien ? Il n’y a pas de problème ? Euh. Mais vous comprenez comment ça marche ? On s’est engagé à rendre compte de ceci, alors on va être forcé ou bien de dire : non il n’y a pas de réponse au problème que nous laisse Foucault ou bien il faut en trouver, une réponse. (coupure) C’est là que ça devient délicat. Aïe.

Comtesse : il y a malgré tout un élément différentiel du rapport de force. Cet élément différentiel du rapport de force, il a un nom : c’est la volonté. Alors la question, elle est double à partir de là. Est-ce que le fait de dire l’élément différentiel du rapport de force qui porte sur des matières non formées ça soit la volonté, est-ce que c’est un nom arbitraire, est-ce qu’il y a un arbitraire de cette dénomination-là ? [ ?] Deuxièmement, est-ce que la volonté de savoir est la même volonté que cet élément différentiel ?

Deleuze : Ouais. Moi je répondrai ceci : c’est que le rapport différentiel de la force avec la force peut s’appeler « volonté ». Il peut s’appeler..., ça veut dire quoi ? C’est une référence à Nietzsche qui réserve le mot « volonté » pour désigner cet élément différentiel par lequel la force se rapporte à la force. Est-ce que ça apparaît chez Foucault ? A ma connaissance : non. Il n’emploie pas le mot « volonté » sauf, comme tu l’as dit très bien, « volonté de savoir », ce qui est assez curieux parce que dans le livre intitulé la volonté de savoir, il s’agit de quoi en fait ? Il ne s’agit plus du savoir dont Foucault s’est occupé dans les livres précédents, il s’agit du pouvoir. Pourquoi est-ce qu’il appelle ça « volonté de savoir » ? C’est assez paradoxal à mon avis, c’est parce que, on l’a vu, il étudie non seulement les caractères du pouvoir, rapport de la force avec la force, mais la manière dont les rapports de forces s’intègrent dans des formes de savoir. Alors, qu’il ait parlé de « volonté est de savoir » à cet égard c’est déjà très intéressant. Quant à la question : si l’on appelait « volonté » déjà le rapport différentiel de la force, c’est-à-dire l’élément différentiel par lequel la force se rapporte à la force, si on l’appelait « volonté » est-ce que c’est la même chose que la volonté de savoir, ce qui est ta question ? Je dirais : non. Ou bien : c’est la même volonté, l’une prise dans l’ensemble des rapports diffus qu’elle trace entre les forces, l’autre prise déjà au niveau de sa propre actualisation. C’est-à-dire : il ne faudrait pas dire que c’est deux volontés, il faut dire que c’est deux états du pouvoir très différents. Enfin voilà comment je vois les choses.

Alors là-dessus, vous voyez, je résume ce problème parce que c’est là où il faut que vous soyez très vigilants. [Il écrit au tableau] Je fais un tout petit dessin... Dire : en gros nous en sommes là, ce qu’on a montré jusqu’à maintenant, c’est que les rapports de pouvoir s’actualisaient dans des formes stratifiées qui sont des formes de savoir. Ça, donnerait à la rigueur, si j’en reste là, le schéma suivant. La multiplicité diffuse des rapports de pouvoir avec ses singularités entre lesquelles il y a des rapports de forces, les singularités étant des affects, des affects de forces... Et puis [ ?] mon gros bloc stratifié qui pénètre déjà là-dedans... Vous voyez : tout ça est un processus continu. Et je dirais : là, les rapports de pouvoir, en petit nuage en haut, s’actualisent dans le bloc stratifié du savoir. Voilà. Si j’en reste à l’analyse précédente, je ne peux pas dire autre chose. Mais, en fait, j’ai un tout autre problème. Et j’avais annoncé, depuis le début que, ce problème, on verrait ce qu’on verrait, il faudrait bien le résoudre. Mon problème, il vient de ceci, c’est qu’en fait je n’ai pas un bloc stratifié, j’en ai deux. Donc mon vrai schéma, il est cassé. Heureusement d’ailleurs, on le verra plus tard. Et s’il n’était pas cassé, ça irait très mal. Il est cassé, il est traversé par une grande fissure centrale. Vous me direz : fissure centrale... ben oui, c’est l’archéologie. Archéologie du savoir. Et, d’un côté, il y a la formation stratifiée du visible, de l’autre côté la formation stratifiée de l’énonçable. Il y a le bloc du voir et le bloc du parler. Donc il faut que dans l’actualisation, quand je dis « les rapports de forces s’actualisent », il ne suffit pas que je dise : ils s’intègrent dans le bloc stratifié du savoir, il faut... je suis condamné à devoir montrer que leur actualisation - aux rapports de forces - doit rendre compte, à la fois, premièrement de la fissure entre les deux blocs et du fait que, malgré la fissure, malgré le non-rapport des deux blocs l’un avec l’autre, il y a quand même un rapport de l’un à l’autre. Vous voyez ? C’est ça cette tâche. D’accord ? Alors, voilà, et ben là-dessus, on est, on est comme un peu perdu.

Heureusement Foucault nous donne une indication très précieuse. Je prends deux textes. Euh, Volonté de savoir p.124, Foucault nous dit : « les relations de pouvoir sont les conditions internes de différenciation ». « Les relations de pouvoir sont les conditions internes de différenciation ». Je reviens à mon texte in Dreyfus et Rabinow page 316 : les cinq critères d’intégration, les cinq critères d’actualisation dont j’ai cité quatre... et j’avais laissé de côté le premier. Le premier est ainsi énoncé par Foucault : « le système des différenciations qui permet d’agir sur l’action des autres : différences juridiques ou traditionnelles, différences économiques ou dans l’appropriation des richesses, différences de place dans les processus de production, différences linguistiques ou culturelles, différences dans le savoir-faire et les compétences etc. Toute relation de pouvoir met en œuvre des différenciations qui sont pour elle à la fois des conditions et des effets. Toute relation de pouvoir... Je dis : s’il y a une solution, c’est dans cette voie-là. En un sens, je pourrais ajouter : je ne peux pas dire plus. Qu’est-ce que ce serait ? L’idée c’est que l’actualisation n’opère pas seulement par intégration, elle opère par différenciation. Bon. Vous me direz : mais dans les exemples, là, il n’est pas question de voir et de parler ? Non, il n’est pas question de voir et de parler, parce que Foucault est à ce moment-là engouffré dans un tout autre problème. Alors c’est à nous, lecteurs, c’est à vous, je le dis, de voir si ça vous convient, on est bien forcé de proposer une interprétation en se fondant... Je n’ai pour me fonder, encore une fois que deux choses : est-ce que le problème tel qu’on l’a défini vous paraît un vrai problème pour la pensée de Foucault ? Je veux dire : est-ce qu’il y a bien une question de la dualité voir-parler ou pas ? Ceux parmi vous qui pensent, à la lecture de Foucault, que j’ai posé un problème qui n’est pas essentiel pour Foucault, ceux-là ils ne peuvent même pas participer au problème. Peut-être qu’ils ont raison : à ce moment-là je me suis trompé. Bon. Ou j’ai durci la pensée de Foucault dans une direction qui n’était pas la sienne. Ceux, au contraire... et là, à mon avis, il n’y a pas de réponse, il n’y a pas quelqu’un qui a raison ou... c’est question de lecture.

Si vous m’accordez que la grande division voir-parler est fondamentale dans la pensée de Foucault, à ce moment-là le problème se pose. Est-ce qu’il est explicitement résolu par Foucault ? Je dis : non. Parce que, quand Foucault arrive aux rapports de pouvoir, il ne s’occupe plus guère de la grande dualité voir- parler. Ce n’est pas son affaire. Il a tellement d’autres choses à faire ! Nous, lecteurs, est-ce qu’on peut faire le raccord ? Je dis : il y a un raccord à faire. Il semble qu’il nous donne tous les moyens lorsqu’il nous dit : attention l’actualisation ne procède pas seulement par intégration, elle implique aussi une différenciation. Qu’est-ce que ça veut dire ? C’est que, en effet, la ferme distinction - par ferme j’entends « stable », « reproductible » - la ferme distinction, les fermes distinctions commencent au niveau de l’actualisation. Les rapports de forces, ils sont transitoires, mobiles, diffus, évanescents, réversibles etc. C’est en s’actualisant qu’ils prennent une fixité, une orientation, une irréversibilité. En d’autres termes, les grandes différenciations gouvernant-gouverné, bien plus homme-femme - c’est-à-dire : il y en aura plein - n’apparaissent qu’avec l’intégration. La sexualité sans sexe ignore les formes. Les rapports de pouvoir, les rapports de forces ignorent les formes. La différenciation des formes ne peut naître qu’avec les formes elles-mêmes, c’est-à-dire avec l’actualisation. Donc la sexualité sans sexe ignore la différence formelle homme-femme. Elle ne connaît que les différences polaires, que les pôles. Elle ne connaît ni personne ni chose, elle ne connaît que des forces. Donc la ferme distinction gouvernant-gouverné, homme-femme et bien d’autres encore n’apparaît qu’avec les processus d’intégration. En d’autres termes, les processus d’intégration ont comme envers des processus de différenciation. Pourquoi ? La réponse est simple. Je vous le disais dès le début, ce qui est important dans le mot virtuel c’est que c’est pas la même chose que le mot possible. Du possible on peut dire qu’il des réalise, quand il se réalise. Le virtuel ne se réalise pas, lui, parce qu’il est déjà réel, mais le virtuel s’actualise. Ce dont le virtuel manque ce n’est pas de réalité, c’est d’actualité.

Donc je dis : le réel s’actualise. Mais qu’est-ce que veut dire « s’actualiser » pour un virtuel ? Là j’invoque beaucoup, au besoin, d’autres philosophes. Tous les philosophes qui ont attaché de l’importance à l’idée de virtualité en l’opposant au possible, en disant : le virtuel, c’est pas un possible, c’est autre chose, nous ont dit : le virtuel c’est ce qui s’actualise et faites attention « s’actualiser » ça veut dire « se différencier ». « S’actualiser » ça veut dire non seulement « se différencier »... Pourquoi ? Parce que s’actualiser pour un virtuel c’est nécessairement s’actualiser en créant des voies divergentes. Les voies d’actualisation sont des différenciations. Pourquoi ? Parce que l’idée d’actualisation d’un virtuel, elle a une origine biologique. Un potentiel qui s’actualise, c’est quoi ? L’actualisation d’un potentiel ou d’un virtuel biologique ? C’est une différenciation. Comment s’actualise l’œuf ? Par différenciation, par différenciation du potentiel, c’est lorsque des zones différenciées... Et ce sera ça les divisions de l’œuf, un œuf fécondé entre dans un mécanisme qu’on appelle un mécanisme de division. Un œuf a deux pôle... vous savez, là, il faudrait tout reprendre au niveau de l’embryologie, enfin je dis le minimum. Il y a un pôle animal et un pôle végétal. Ça, ce serait le potentiel de l’œuf, le virtuel de l’œuf, rapport de forces entre les deux pôles. Et lorsque l’œuf fécondé se développe c’est-à-dire s’actualise, il va s’actualiser dans un embryon. Quelles sont les premières démarches de l’œuf fécondé ? Des processus de division, processus de division qui vont organiser la différenciation. S’actualiser pour un virtuel c’est toujours se différencier en, au minimum, deux voies. Différencier ça veut dire, en effet, tracer deux chemins. Et puis, chacun des deux chemins, vous aurez une mécanique de division... [il écrit au tableau] [ ?] Mécanisme de différenciation, chaque branche se divise à son tour, chaque branche etc. Vous voyez ? C’est clair, là, ce dessin ? Je l’encadre. Bon. Voilà. C’est se différencier. Là, je ne dépasse pas la lettre du texte de Foucault. L’actualisation implique une différenciation. Là-dessus, bon. Différenciations : elles sont multiples. J’ai pris deux cas : les rapports de forces dans un champ social ne s’actualisent pas sans se différencier suivant deux voies divergentes gouvernant-gouvernés, suivant deux autres voies divergentes homme-femme et puis bien d’autres voies divergentes encore. Bien. Et bien supposons qu’il y ait une différenciation particulièrement importante. Ce serait la différenciation voir-parler. À ce moment-là, j’ai ma solution. Pour le moment elle est complètement arbitraire. Mais j’aurai ma solution. Je dirai : de même et à plus forte raison que la virtualité des rapports de forces s’actualisent en créant les différenciations gouvernant-gouverné, homme-femme, elle s’actualise en créant la différenciation fondamentale, principale, voir-parler. Ce serait la première grande différenciation qui conditionnerait toutes les autres. Alors ça irait à ce moment-là. Vous voyez : pourquoi ça irait ? Parce que du coup je répondrais à mes deux questions. Pourquoi y a-t-il une division au niveau de la formation stratifiée entre voir et parler ? La réponse ce serait : ben évidemment, il y a une division, puisque les rapports de forces ne peuvent s’actualiser qu’en la créant cette division. Et d’autre part, malgré la division des deux formes stratifiées, forme du voir et forme du parler, il y a évidemment un rapport malgré leur non-rapport, puisqu’en effet les rapports de forces s’actualisent des deux côtés. Donc ça irait très bien. Ça n’empêche pas que tout ce que je viens de dire semble complètement arbitraire ; Pourquoi est-ce qu’il y aurait une différenciation principale passant par voir et parler ? Je comprends à la rigueur quand on me dit : les rapports de forces ne s’actualisent que par voie de différenciation, c’est-à-dire en créant les voies divergentes le long desquelles le virtuel s’intègre, s’actualise, si bien qu’il y aura deux intégrations. Intégration du côté du voir, intégration du côté du parler. Si je dis : oui toute actualisation est une différenciation, il suffit par exemple de penser à un auteur comme Bergson : l’élan vital c’est un potentiel, l’élan vital c’est un potentiel, il s’actualise en créant des chemins divergents. Qu’est-ce que nous disait Bergson ? Une chose très belle, très très simple. Il nous disait... Je fais un nouveau schéma pour que vous compreniez [ ?]. Voilà : vous avez le potentiel, élan vital. Il n’a jamais dit que ça existait comme ça, c’est un pur virtuel. Bien. Comment définir ce potentiel biologique, ce potentiel de la vie ? Vous allez voir : il le définit absolument comme un rapport de forces, Bergson. Il dit : ce potentiel, on va le définir comme ceci... ou cette virtualité on va la définir comme ceci : deux choses à la fois, qui sont des rapports de forces ; emmagasiner de l’énergie, ah... emmagasiner de l’énergie, faire détonner un explosif. C’est des rapports de forces ça. Emmagasiner de l’énergie, faire détonner un explosif. Pour Bergson, c’est ça la vie, un point c’est tout. C’est le potentiel biologique. C’est une pure virtualité.

L’élan vital s’actualise : ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu’il va s’incarner dans des formes vivantes, l’élan vital est sans forme, lui, c’est un élan, c’est-à-dire une force, si vous voulez. Donc ça marche très bien. C’est un élan, c’est une force. Euh. Qu’est-ce que je disais ? Oui, mais c’est même... bon. Deux rapports de forces qui définissent la virtualité. Là-dessus, quand cette virtualité s’actualise, elle s’actualise en créant une grande différenciation, une grande divergence. S’actualiser, c’est se différencier. Et qu’est-ce que ça va donner ? Tout se passe comme si le virtuel était trop riche. Donc il ne peut pas s’actualiser en un bloc.

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