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12- 28/01/1986 - 2

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Gilles Deleuze / Foucault - Le Pouvoir cours 12 - 28/01/1986 - 2Transcription : Annabelle Dufourcq (avec l’aide du College of Liberal Arts, Purdue University)

46 minutes 40 secondes

Et ceux à qui s’adressait l’énoncé étaient des variables de l’énoncé lui-même. Il va de soi que si je dis « je décrète la mobilisation générale », je suis fou. Je suis fou, parce que seul le président de la République a le pouvoir de dire « je décrète la mobilisation générale ». « Je décrète la mobilisation générale » est un énoncé qui a pour variable intérieure le président de la république qui est seul habilité, si bien que si moi je dis « je décrète la mobilisation générale », c’est une proposition vide qui n’entraîne aucune conséquence, sauf celle de me faire enfermer si je me ballade sur les boulevards en hurlant « je décrète la mobilisation générale ». Donc, en ce sens, je dis que le fait que les énoncés où ce qui est dit ne soit dit qu’à certains destinataires n’est pas du tout une limitation de l’énoncé, ça renvoie à des variables intérieures à l’énoncé parfaitement déterminables. A qui ceci s’adresse-t-il ? C’est une variable intérieure de l’énoncé selon Foucault. Bon. Alors, bien, on en finit avec cette longue parenthèse. Mais, encore une fois je voudrais que vous n’oubliez pas parce que ça se trouvera à la fin de... pour la fin de notre recherche on aura à revenir sur ces points quand on abordera la question « qu’est-ce que c’est qu’une nouvelle subjectivité ? ». Alors là-dessus...

Question Comtesse... il y a au moins une chose que tous les partis politiques, sans aucune exception, tous les syndicats sans aucune exception cachent actuellement à tout le monde c’est que le chômage est un problème [ ??] et que la technologie nouvelle va produire de nouveaux travailleurs et augmenter le nombre de travailleurs. C’est la chose la plus masquée par tous les syndicats et tous les partis politiques actuellement.

Deleuze : J’ai peur Comtesse que tu ne fasses le coup de « je décrète la mobilisation générale », rire. Peut-être, je veux bien.

Comtesse : ce qu’on ne dit pas c’est que presque tous les travailleurs vont être complètement éliminés dans les années prochaines et en l’an 2000 il ne restera que à peu près 10% de travailleurs qui travailleront encore avec l’informatique et la bureautique et en général la technologie nouvelle. Ce que personne ne dit actuellement c’est ce que deviendront justement tous les gens qui ne travailleront plus...

Deleuze : ça, parce qu’ils ne savent pas... Quand tu dis : personne ne le dis, écoute, tu exagères, hein,

Comtesse : ....Edmond Maire a déclaré que les technologies allaient produire - baratin absolu

Deleuze : ben tu vois, tu le dis. Alors, écoute, moi je vais te dire, je vais te répéter un discours que tout le monde entend, par exemple, dans la bouche de Raymond Barre. Le discours de Raymond Barre depuis le temps où il était, déjà à la fin de son moment de premier ministre, mais à plus forte raison, maintenant, le discours a pris de plus en plus d’ampleur. Ça consiste à nous dire : vous savez, l’idée d’un statut, d’une garantie statutaire du travail est une chose qui renvoyait à un certain moment du capitalisme et Barre rajoute : « moi qui ne fais pas de démagogie, je vous dis : le statut, la garantie statutaire du travail est une chose appelée de plus en plus à être remaniée et mise en question et il faudra concevoir de donner de plus en plus d’importance : au travail premièrement partiel, deuxièmement intérimaire, troisièmement à toutes les formes de travail sans statut et il y aura une flexibilité de l’emploi qui fera que la notion même de statut qui garantit, sera une notion pour certains privilégiés et ces privilégiés auront intérêt à fermer leur gueule parce qu’ils seront de moins en moins nombreux. Accordes-moi Comtesse que c’est le discours de Raymond Barre, que je n’ajoute rien. On ne peut pas demander à quelqu’un de mieux dire tout. Alors, quand tu fais cette découverte importante, moi je crois que tu n’es pas le seul. On peut juste dire que Raymond Barre prend les devants, c’est-à-dire qu’il nous prépare, oui, ah ben tout le monde comprend très bien ce qu’il veut dire. Il veut dire : les syndicats... hein, les syndicats, arrêtez de faire chier parce que vous militez pour un travail garanti par un statut or vous êtes déjà démodés, vous êtes déjà démodés dans le capitalisme actuel. Et là je rejoins mes thèmes : s’il y a eu une réinterprétation importante du marxisme en Italie, c’est pourquoi ? C’est parce que, de tous les pays européens, avant 68 même, l’Italie était précurseur. Elle était précurseur avec et parce qu’un très vaste secteur de marché noir était intégré à son économie bien avant la crise actuelle. La crise italienne... ce qui a fait que l’Italie a été très importante dans toute cette histoire que j’essaie de retracer, c’est que un très vaste secteur... était vraiment, faisait partie de son économie et que, déjà, les formes de travail partiel, de travail intérimaire s’affirmaient en Italie bien avant qu’elles n’apparaissent dans les pays européens et ça a été, je crois, c’est ce secteur, ce secteur très curieux dans l’économie italienne, dont l’économie italienne avait besoin pour des raisons propres à l’Italie avant que ça ne passe dans les autres pays d’Europe. Euh, c’est ça qui a fait que, en Italie, il y avait tous les ferments pour une espèce d’agitation ou d’autonomie, vous comprenez, pour la découverte d’un nouveau secteur d’autonomie. Bon. Enfin on retrouvera tout ça. Et bien nous revenons à notre problème...

Oh la la On revient à notre problème et, notre problème, c’est quoi ? Si vous vous rappelez... Alors revenez à notre problème, c’est donc : on a défini ces rapports de pouvoir selon Foucault et notre question c’était : bon, ils sont fluents, ils sont ponctuels, multi-ponctuels, ils sont diffus etc. etc. et bien : comment vont-ils se fixer ? Comment vont-ils se fixer ces rapports de pouvoir extraordinairement mobiles, extraordinairement diffus ? Comment vont-ils se fixer, se globaliser ? Ce qui revient à dire : eux qui n’ont pas de forme, comment vont-ils prendre forme ? En effet le pouvoir va d’un point à un point, il va de tout point à tout point, mais en lui-même il est informel, le rapport de pouvoir est informel. Et bien, comment va-t-il prendre forme, c’est-à-dire comment va-t-il se fixer et se stabiliser ? Ou bien : il est stratégique, mais comment va-t-il se stratifier ? Ou bien comment va-t-il s’actualiser, puisque les rapports de pouvoir en eux-mêmes émergent, s’évanouissent... ?

Donc, à la limite, ce sont des virtuels. Comment vont-ils s’actualiser ? Cela revient au même. Comment vont-ils prendre forme ? Comment vont-ils se stratifier ? Comment vont-ils s’actualiser ? C’est donc le passage, on en était là, la dernière fois, c’est le passage du moléculaire au molaire. Et la première réponse de Foucault c’est : et bien oui, les rapports de pouvoir sont informels, mais ils s’intègrent dans des formes. Les formes, les grandes formes sociales sont des intégrations des rapports de pouvoir multiples. En d’autres termes, la première réponse de Foucault - et j’insiste là-dessus : ce n’est que la première réponse, on verra pourquoi - la première réponse de Foucault consiste à nous dire : l’actualisation c’est une intégration. C’est une intégration. Les rapports de pouvoir sont des rapports, si l’on peut dire, moléculaires, de micro-rapports, qui s’intègrent dans des formes globales, intégration globale. Et ces formes sociales d’intégration, c’est ça qu’on appelle des institutions. D’où le renversement opéré par Foucault ce n’est pas l’institution qui explique le pouvoir, c’est le pouvoir qui explique l’institution dans la mesure où les rapports de pouvoir s’intègrent dans des institutions. Dès lors, quel est le rôle de l’institution ? Ce n’est pas du tout de produire du pouvoir, c’est de donner au pouvoir le moyen de se reproduire. Dans l’institution le pouvoir se reproduit, c’est-à-dire il se stratifie, il devient stable et fixe. C’est donc un passage du micro au macro, d’après ce qu’on a vu, ou du moléculaire au molaire. Et j’invoquais, parce que ça me semblait particulièrement intéressant et surtout très beau dans le texte de Foucault, j’invoquais la fin de La volonté de savoir où Foucault invoque ce qu’il appelle une sexualité sans sexe. Une sexualité sans sexe, je disais, eh ben c’est ça, une sexualité moléculaire. Si j’essaie de définir la sexualité comme ensemble de rapports de pouvoir, comme ensemble de rapports de forces, au pluriel, je dirais : c’est la sexualité moléculaire. Et on en était là et je me prenais les pieds, la dernière fois, parce que, euh... alors je ne me retrouvais plus dans ma combinatoire. Je disais : ben oui, on va s’aider, pour essayer de comprendre, hein, on va prendre des risques qu’est-ce que ça veut dire une sexualité sans sexe, une sexualité moléculaire, les amours moléculaires. Alors nous avons des amours moléculaires ? Oui, sûrement on a des amours moléculaires, mais qu’est-ce que c’est ? Ce qu’on voit, c’est des amours globales, mais, les amours moléculaires, elles sont peut-être nécessairement inconscientes. Comme je vois en gros qui j’aime, mais ce que j’aime dans qui j’aime, ça c’est déjà plus obscur, c’est du moléculaire « ce que j’aime dans qui j’aime ». Qui j’aime : ça c’est du molaire. C’est une personne et une personne c’est une instance molaire. Mais qu’est-ce que j’aime en elle ? Ce geste minuscule ? Ce geste minuscule ? Ah bon, c’est ça que j’aime, tiens ! Peut-être, peut-être que c’est autre chose, mais vous voyez que ce n’est pas le même domaine. Des micro-amours. Dans nos amours molaires, il y a toujours du moléculaire. Une petite mèche, hein, cette petite mèche ! En d’autres termes, c’est toujours des traits, c’est pas des formes. Les formes ça fait partie de l’amour molaire : ah, elle est belle ! Comme elle est belle ! Elle a le nez grec ! Bon, ça c’est des formes. Mais les traits dynamiques... ah, oh, quand elle... quand elle euh... [rires] ah je ne suis pas en forme... quand elle rejette ses cheveux en arrière c’est formidable, ça c’est pas une forme, ça c’est moléculaire. Ou bien : oh, quelle manière elle a de hausser les épaules ! Ah bon, tiens... Et l’autre il voit rien, il dit : ah bon, elle hausse les épaules ? Ça, ce sont nos amours moléculaires. Et je disais : bon, ben aidons-nous de tout ce que nous pouvons pour comprendre cette sexualité sans sexe. Et je disais : il me paraît évident que - il ne le dit pas, mais tant pis - c’est évident qu’il pense à Proust, car Proust est vraiment celui qui a fait un tableau des amours moléculaires et que, sinon on ne peut pas comprendre Proust, alors c’est parfait comme ça on risque de comprendre et Proust et Foucault : c’est plus qu’on en demande. Et je disais : voyez ce qu’il fait, Proust, et c’est avant tout dans Sodome et Gomorrhe. Et je partais avec mes... voilà... Ma combinatoire, pour arriver au seuil... si on s’enfonce dans les amours moléculaires, là, ça va être terrible. Mais si on s’en tient au seuil, hein, au seuil moléculaire [ ?]. Si je prends des instances molaires, j’ai : homme et femme. Mais, enfin, pour me réserver le droit, ou plutôt pour réserver un droit à toutes les anomalies, je dois dédoubler puisque le rapport amoureux peut être : homme- homme, femme-femme autant que homme-femme. Donc j’ai deux hommes : H1 et H2, j’ai deux femmes, F1 et F2. Et puis, le seuil moléculaire, c’est tout simple, c’est que, là, si je dis : j’en reste à une macro-sexualité, ça revient à dire : et bien oui, il y a centralisation sous la forme de tel ou tel sexe, homme-homme, femme-femme. Comment je passe au seuil moléculaire ? Je supprime la centralisation. Vous voyez, en même temps que vous me suivez, il faut que vous vous disiez que ce qui nous intéresse au niveau du problème où on est actuellement, c’est le chemin inverse : comment la centralisation naît ? Moi je suis forcé de prendre dans l’autre sens. Et bien chacun a les deux sexes à la fois. Vous direz : alors, c’est encore des sexes ? Non, appelons ça des pôles. Chacun a les deux pôles. En effet il n’a qu’un seul sexe, mais il a deux pôles. Pôle homme et pôle femme. H1, l’homme, a deux pôles, petit h et petit f. H2 a deux pôles, petit h et petit f. Foucault a deux pôles, petit f, petit h. J’obtiens le sexe global de quelqu’un en vertu du pôle prévalent. Et encore, il faut d’autres opérations, mais peu importe, il ne faut pas trop compliquer. Alors la dernière fois je cherchais les combinaisons possibles et, je ne sais pas ce qu’il me prenait, j’en voulais sept, je ne sais pas pourquoi. C’est évidemment pas sept. D’ailleurs j’ai oublié la règle. Ce n’est pas difficile : avec 4 termes dont chacun est divisé en deux, euh, je ne me souviens plus de la règle, toute simple euh... si bien que j’ai dû refaire empiriquement. Or c’est bien évident que, si je pars d’un terme, j’aurai 4 rapports, si je prends le second j’en aurai 3, si je prends le troisième j’aurai 2 rapports et si je prends le dernier je n’aurai plus qu’un rapport puisque les autres sont couverts. Euh. C’est bien que j’ai 4 et 3 : 7, et 2 : 9, 10, j’ai 10 rapports possibles qui vont être les rapports de force ou les rapports de pouvoir dans la micro-sexualité, alors j’ai bien fait ma liste, cette fois-ci. Je donne... parce que je ne vais pas recommencer, ça nous prendrait une demi-heure. Euh... je pars de H1h, j’aurai : H1h en rapport avec H2h (un). En rapport avec H2f (deux). En rapport avec F1f. Et en rapport avec F1h. Voilà mes quatre rapports. Il n’y a pas lieu de dire F2f et F2h puisque c’est la même chose du point de vue de H1h. D’accord, quatre rapports. Hein ? Avec H2h, H2f, F1f F1h. Bon, quatre rapports. Quatre micro-rapports. Je passe à Foucault, F1f. Cette fois j’ai trois rapports, forcément puisqu’il y en aurait quatre en droit, mais il y en a un qui est pris par ma série précédente. Donc je ne peux en avoir que trois. Donc F1f sera en rapport avec H1f, F2f, F2h. Quant au rapport F1f-H1H, il est pris dans la série précédente. Donc je n’en ai que 3. Ça m’en fait 7. 4+3, 7. Si je prends maintenant H1f, pour la même raison j’en aurai plus que 2 puisque, en droit il y aura 4 rapports, mais l’un sera pris dans la série H1h, et l’autre sera pris dans la série F1f. Donc pour H1f j’aurais : H2f et F1h. C’est des exercices pratiques, c’est un cours de sexologie. Je ne vois pas quel usage vous pouvez en faire, mais... on ne sait pas (rires). Et enfin, si je prends F1h, je n’ai plus qu’un seul rapport avec F2h. Donc j’ai 10 rapports, 10 rapports moléculaires. C’est ça qui définit la série des amours moléculaires. D’où les textes extraordinaires de Proust dans Sodome et Gomorrhe où il dit : mais vous savez « homosexualité » ça veut pas dire grand-chose, parce qu’un homme peut trouver avec une femme les plaisirs qu’il attend d’un autre homme. En effet prenez la combinaison H1h en rapport avec F1h. Et ben oui. A ce niveau il y a une sexualité moléculaire qui n’est plus ni homosexuelle ni hétérosexuelle. Il y a une multiplicité de rapports. Il y a une multiplicité de rapports. C’est une micro-sexualité. Bien. Je demande, si vous m’accordez ça, cette micro-sexualité, je demande... et vous voyez notre jonction avec le problème de Foucault, comment s’intègre-t-elle, cette micro-sexualité ? Elle s’intègre de deux façons. De deux façons. Je dirais : il y a une intégration... mettons, comme ça... elle s’intègre d’abord verticalement en deux séries homosexuelles. Série homosexuelle... Il y a un appareil qui va éclater hein ? Il bourdonne... c’est pas normal... je ne sais pas lequel c’est... ça va sauter.... Euh. C’est la série H H, la série H H est globalement homosexuelle mâle. Et puis vous avez une autre série homosexuelle F F. Or, parmi mes dix combinaisons, ces deux séries s’appuient sur six combinaisons. Six sur les dix. En effet trois pour H H, trois pour F F. Et puis j’ai une autre intégration, une intégration que je dirais cette fois-ci horizontale. Cette fois-ci c’est les quatre séries subsistantes, les séries qui s’intègrent dans les amours hétérosexuelles. C’est-à-dire dans la série H F. Bien. En quoi ça concerne Proust ? Ça concerne Proust parce que je vous disais : si vous prenez le schéma des amours dans Sodome et Gomorrhe, peut-être est-ce que vous comprendrez dès lors le cheminement de Proust. Il y a quelques homosexuels notoires dans A La Recherche du temps perdu et puis il y a des amours hétérosexuelles, par exemple : le narrateur et Albertine, le narrateur et Gilberte. Il part, c’est ça qui fait toute la conception [ ??], il part d’une espèce d’ensemble, ensemble constitué par les amours hétérosexuelles. Et puis, de ces amours hétérosexuelles, il dégage avec angoisse et horreur deux séries homosexuelles. Le narrateur aime Gilberte et puis il aime Albertine. Il va s’apercevoir que, sûrement, sûrement, sûrement, Albertine est coupable, elle a aimé et elle aimera d’autres femmes. Il extrait d’un amour hétérosexuel une série homosexuelle. Et de l’autre côté, c’est la même extraction. Charlus, série homosexuelle. Comme Albertine renvoie en secret à d’autres femmes, Charlus renvoie en secret à d’autres hommes. Et vous vous rappelez que l’idée que Charlus est homosexuel, si évidente qu’elle soit, n’est que découverte peu à peu par le narrateur de la Recherche, il ne se le donne pas : Charlus est bizarre, il a l’air d’un fou, et c’est bien plus tard que le narrateur comprend : ah, le secret de Charlus, c’était cela. Quitte à s’apercevoir que le secret de Charlus n’est pas [ ??] cette homosexualité... enfin peu importe. Donc, il extrait de l’ensemble des amours hétérosexuelles deux séries homosexuelles, et, là, [ ?] de Proust sur la faute, la culpabilité, culpabilité originelle des amours a priori coupables, coupables a priori. Coupables a priori, pourquoi ? Parce qu’Albertine renvoie nécessairement à d’autres femmes. C’est l’abominable prophétie : chaque sexe mourra de son côté, les sexes sont séparés. Et je disais, simplement, c’est une faute du lecteur, une faute inexcusable, tout à fait inexcusable, de s’en tenir à ça. C’est notre goût du tragique, je le disais la dernière fois, il faut toujours que... alors que pour les grands auteurs, généralement, le tragique c’est toujours un mauvais moment à passer et il nous faut aborder à des rivages beaucoup plus joyeux. On se dit : ah ben oui, ce que Proust appelle la race maudite - en fait il y a deux races maudites, la race de Sodome et la race de Gomorrhe, la race de l’homosexualité masculine, la race de l’homosexualité féminine - et, vous voyez, l’ensemble des amours hétérosexuelles se décompose suivant ces deux séries maudites. Mais, mais, mais... je vous disais : Proust, il n’en reste pas là. La culpabilité, encore une fois, il en fait son affaire. Il en fait son affaire, sous quelle forme ? Il s’aperçoit que ces deux séries, c’est pas le dernier mot de la sexualité et que ces deux séries [ baignent ?] dans une espèce d’ensemble, de multiplicité d’une tout autre nature que l’ensemble des amours hétérosexuelles dont on était parti, à savoir : dans une sorte de sexualité moléculaire où il n’y a plus de sexe à proprement parler mais où il y a des pôles, où il n’y a plus deux séries, mais 10 rapports d’un pôle à un autre, c’est-à-dire d’un point à un autre. 10 rapports d’un point à un autre. Où, là, ce ne sont plus les deux formes homme et femme qui sont en rapport, soit pour s’unir, soit pour se séparer, mais où toutes sortes de rapports se tendent entre des points, le point h et le point f qui est aussi bien contenu dans la grande forme H que dans la grande forme F. Et que, là, vous avez 10 rapports qui constituent la sexualité moléculaire. Bien. Alors, je dis... [ ?] je passe à Foucault. La sexualité sans sexe c’est cette sexualité polaire, c’est l’ensemble des 10 rapports qu’on vient de voir, c’est ça la multiplicité moléculaire, l’ensemble des rapports de forces ou de pouvoir qui définissent une sexualité moléculaire. Là-dessus, question.., mais vous voyez : c’est comme un virtuel, avec chaque fois la question la plus simple, la question la plus simple de la sexualité moléculaire c’est, non pas, par exemple, un homme aime une femme, mais, un homme aimant une femme, quel pôle de lui-même est en rapport avec quel pôle de la femme ? Est-ce mon pôle masculin qui est en rapport avec le pôle masculin de la femme ? Ou bien avec le pôle féminin ? Ou inversement mon pôle féminin qui est en rapport avec... C’est-à-dire 4 rapports. 4 rapports rien que pour moi, 4 rapports pour l’autre. Ça se complique et je demande alors : cette sexualité moléculaire, qui est tellement virtuelle, diffuse, impossible à localiser, comment est-ce qu’elle s’actualise ? Comment est-ce qu’elle produit quelque chose de stable ? Un amour stable et fixe ? Un amour institué, un amour institutionnel ? Et bien précisément, je dirais que les deux séries homosexuelles sont des intégrations, sont de premières intégrations de la sexualité moléculaire, mais que les amours hétérosexuelles sont comme une seconde intégration. Je dis ça parce que ça me sert, beaucoup, euh, en mathématiques, dans la théorie de l’intégrale, on distingue les intégrations dites locales et les intégrations globales. Je dirais : les deux séries homosexuelles sont les intégrations locales de la sexualité moléculaire et les amours hétérosexuelles sont l’intégration globale des amours moléculaires. La sexualité sans sexe s’intègre dans le sexe, soit sous la forme des deux sexes séparés, structure bisexuelle, soit sous la forme du sexe comme grand signifiant. Le sexe n’est pas la sexualité, c’est l’intégrant de la sexualité. Voilà ce que voudrait dire : sexualité sans sexe. Ça doit vous rappeler quelque chose : quand on parlait des postulats, tout à fait au début de cette analyse de la notion de pouvoir, je disais : pour Foucault, vous comprenez, la loi c’est quoi ? La loi, elle ne s’oppose pas à l’illégalité, la loi elle ne peut pas être pensée en dehors de sa corrélation avec les illégalismes, ce que Foucault appelle les « illégalismes ». C’est exactement la même chose, je crois que c’est le même raisonnement qu’on retrouve là, à savoir : la loi c’est une intégration, la loi c’est une intégration de l’ensemble des illégalismes qui ont cours dans un champ social. Si bien que, peut-être, prend un peu plus de consistance l’idée simple suivante : les rapports de forces ou de pouvoir s’actualisent par intégration, ils s’intègrent dans des institutions et c’est comme cela qu’ils prennent une stabilité et une fixité qu’ils n’ont pas par eux-mêmes. Si bien que, je reprends les institutions, famille, école... dans leur ordre presque chronologique, dans l’ordre chronologique de notre passage par elles, famille, école, armée, usine, prison, pour finir sa vie. Bon, si on suit cet ordre exemplaire, vous voyez : je dirais que chacune de ces institutions est une intégration d’un ensemble de rapports de forces. Ce sont, je dirais, des intégrations locales. Et l’État c’est quoi ? L’Etat, dans nos sociétés, sans doute dans la mesure où il tend lui-même à sommer un nombre plus ou moins grand d’intégrations locales, par exemple dans la mesure où il se charge de l’école, ou d’une grande partie de l’école, dans la mesure où il s’approprie les prisons, je dirais que l’Etat c’est le modèle même d’une intégration globale et continue. Si bien que pour toute institution je demanderai autour de quelle instance molaire l’intégration se fait. Quelle est l’instance molaire qui produit l’intégration des rapports moléculaires ? Et je dirais, ben par exemple, pour la famille, l’instance molaire, ça a longtemps été le père. Pour la sexualité l’instance molaire c’est le sexe. Pour le droit l’instance molaire, pour la justice l’instance molaire, pour l’institution justice, l’instance molaire c’est la loi. Pour l’instance politique, l’instance molaire c’est le Souverain. Et on ne s’étonnera pas qu’entre toutes ces instances molaires il y ait des échos : le Souverain est-il un père ? Le sexe est celui du père. Le souverain etc. enfin bon.... La loi... rapport du sexe et de la loi... Tout ça quoi... tout ça. Bien. D’où, peut-être est-ce que vous comprenez mieux, à ce moment-là, le texte suivant de La volonté de savoir. « Il faut supposer... » je lis lentement parce que, là, ça doit être limpide, maintenant.... « Il faut supposer que les rapports de forces multiples, les rapports de forces multiples qui se forment et jouent dans les appareils de production, les familles, les groupes restreints, les institutions forment alors une ligne de force générale qui traverse les affrontements de forces et les relie ». En d’autres termes l’intégration des rapports de pouvoir, dans des instances molaires va produire quoi ? Un alignement des forces, une homogénéisation des forces, une mise en série des forces, c’est tout ça que va faire l’intégration. L’intégration des rapports de forces va produire un alignement, une homogénéisation, une sériation des forces. D’où on peut comprendre, on peut revenir à quelque chose sur quoi on a passé tellement de temps si vous vous rappelez. Mon histoire de azert et de la courbe... Je reprends très vite : A Z E R T, azert qu’est-ce que c’est ? C’est une émission de points, de singularités, A Z E R T. C’est 5 lettres. Les lettres ce sont les points de l’alphabet. Je dis : c’est 5 singularités. C’est cinq termes singuliers, cinq termes singuliers prélevés sur l’alphabet. Voilà, c’est ça azert, c’est une émission de singularités. Ce que je peux dire, je pourrais les définir phonologiquement, vous voyez, bon, ce sont des hauteurs, des caractéristiques, d’après leur son phonétique... [Il écrit au tableau]. Bon, supposons, là : 1, 2, 3, 4, 5, voilà une combinaison de singularités quelconque. Entre ces points il n’y a jamais que des rapports de forces qui expriment des rapports de pouvoirs. Ça veut dire quoi au niveau des lettres ? On l’a vu, c’est des rapports de fréquence de groupement, ça c’est des rapports de forces entre lettres. Même entre lettres, il y a des rapports de forces. Bien plus : non seulement entre les lettres, mais entre les lettres et les doigts. [ ?] Alors, bon, c’est tout. Ça c’est le niveau moléculaire. J’énonce « azert ». Énoncé. C’est un énoncé à partir du moment où j’énonce : l’ordre des lettres....

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La voix de Gilles Deleuze en ligne
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