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10- 14/01/1986 - 4

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Deleuze / Foucault - Le Pouvoir cours 10 - 14/01/1986 - 4 Foucault - Le Pouvoir. Transcription : Annabelle Dufourcq (avec l’aide du College of Liberal Arts, Purdue University) 31 minutes 46 sec

On est passé par des listes d’exemples, dont le premier exemple, on l’a emprunté à l’entretien de Foucault : induire, susciter etc. C’était des exemples un peu comme ça, pas situés.

Deuxième série d’exemples plus sérieux, là c’était défini en fonction de l’espace-temps : répartir dans l’espace, ordonner le temps, composer l’espace-temps. Et vous voyez que c’était correct, c’est bien des définitions de catégories de pouvoir, pourquoi ? Puisque je ne tenais pas compte des formes, ni au niveau des matières... je ne tenais pas compte des matières formées, ni des fonctions formalisées. Je ne tenais compte que des forces et de l’espace-temps.

Je disais : ranger, mais pourquoi ranger ? Sérier, pourquoi sérier ? Et où ? Etait-ce dans l’école ou dans l’atelier ? Je ne le disais pas, c’était donc bien... ça faisait partie du diagramme. Et puis, quand j’essayais de donner une définition encore plus générale, je disais : imposer une tâche quelconque à une multiplicité quelconque. Vous comprenez, la difficulté est celle-ci : c’est qu’il faut quand même que mon diagramme soit varié. Or comment concilier la variété et l’abstraction ? Puisque c’est une physique de l’action abstraite, comment peut-elle être variée ? La réponse, elle est relativement simple : la variation ne peut venir d’aucune forme, donc, la variation ne peut venir que de l’espace et du temps. C’est la manière dont l’action abstraite sera dans un espace-temps abstrait qui pourra varier les figures du diagramme. Si bien que je conçois que, dans un diagramme, il y a toujours plusieurs figures, c’est-à-dire plusieurs rapports de forces. Hein. Plusieurs rapports de forces. C’est pour ça que "Volonté de savoir" opère un progrès important,quant à ce problème de détail, sur "Surveiller et punir", car "Surveiller et punir", à mon avis, n’étudiait qu’un seul type d’action abstraite : imposer une tâche quelconque à une multiplicité humaine quelconque, dans quel espace-temps ? Dans un espace-temps limité. Dans un espace-temps bien déterminé, dans un espace-temps fermé. Ce qui impliquait que la multiplicité soit peu nombreuse. Tout ça, je restais dans l’abstrait, donc je pouvais compléter : imposer une tâche quelconque à une multiplicité humaine quelconque à condition que ce soit dans un espace-temps fermé et pour une multiplicité peu nombreuse. C’était ça ma catégorie de pouvoir.

Vous vous rappelez peut-être, on l’a vu dans le premier trimestre, que "Volonté de savoir" introduit une deuxième action abstraite : gérer la vie dans une multiplicité nombreuse et un espace ouvert. Et, en effet, c’est un autre type d’action abstraite. Or "Surveiller et punir" ne considère pas cet autre type d’action abstraite, c’est "Volonté de savoir" qui l’ajoute au premier. Et Foucault nous dira, en effet,
-  il y a une anatomie politique, premier aspect,
-  mais il y a aussi une biopolitique : gérer la vie dans des multiplicités nombreuses et des espaces ouverts. Et les sociétés disciplinaires se définissent... ou, du moins, le pouvoir dans les sociétés disciplinaires - c’est-à-dire, selon Foucault, nos sociétés depuis en gros le milieu du XVIIIème - le pouvoir dans les sociétés disciplinaires se définit par ces deux..., j’appellerai ça, je pourrais appeler ça : des traits diagrammatiques..., par ces deux traits diagrammatiques :
-  imposer une tâche quelconque à une multiplicité peu nombreuse dans un espace-temps fermé,
-  gérer la vie dans une multiplicité nombreuse et un espace ouvert, contrôler la vie, biopolitique des populations. Dans un cas, la multiplicité, c’est le nombre de ceux qui sont réunis dans un espace fermé ; dans l’autre cas, c’est une population qui se distribue dans un espace ouvert ou dans un grand espace en tout cas. Voilà, je dirais : c’est par-là que se définit le diagramme qu’on pourra appeler « diagramme disciplinaire », diagramme de pouvoir des sociétés disciplinaires.

En effet c’est deux manières d’être à l’espace-temps très différentes l’une de l’autre. Ce serait très intéressant de chercher quelles sont les différences entre les deux espace-temps, l’espace ouvert des multiplicités nombreuses...- pourquoi ? - et l’espace fermé des multiplicités peu nombreuses. Ce serait très intéressant parce qu’on pourrait donner des sens précis aux mots que Foucault semblait employer vaguement. « Rendre probable » - lorsque Foucault donne ça comme exemple d’un rapport de forces - rendre probable, la biopolitique ne cesse de rendre probable, elle prétend rendre probables des augmentations de natalité, par exemple ; elle prétend surveiller, c’est une gestion. La biopolitique implique une gestion des phénomènes probabilitaires, les naissances, les morts etc. les mariages. Rendre probable, par exemple, rendre probable une augmentation de mariage, c’est donner des primes au mariage. Hein ? Voilà. Car nos gouvernants, dans leur sagesse, vont jusque là. Non, pas dans leur sagesse... euh... enfin... délicat, ça. Bon. Voilà. Dans un cas on pourrait... enfin, peu importe. On pourrait faire une étude comparée des deux espaces, l’espace de multiplicités nombreuses et l’espace de multiplicités peu nombreuses. A mon avis, c’est deux espaces qui diffèrent en nature. C’est deux espace-temps qui diffèrent en nature. Je pense à une distinction de Boulez que Foucault connaissait bien.

Donc, ça, c’est une parenthèse. Il distingue pour la musique un espace qu’il appelle l’espace strié, et un espace qu’il appelle l’espace lisse. L’espace strié, il dit, c’est un espace tel qu’il faut compter pour l’occuper. Il faut compter pour l’occuper. C’est un espace qui se définit par grandeur et mesure. En musique, c’est quoi ? C’est la pulsion, qui est une unité de base, et c’est le tempo, qui est un certain nombre d’unités. Vous voyez, la pulsion, le tempo définissent un espace strié. L’espace strié, son occupation est affaire de vitesse ou de lenteur. L’espace strié est parcouru par des vitesses et lenteurs. Il y a toujours un indice de vitesse en espace strié. Très important pour la musique.

L’espace lisse, c’est pas ça, c’est un espace ouvert qui n’a pas d’unité de mesure, pas de tempo, pas de pulsion. Boulez l’appellera un espace-temps non pulsé. Il n’y a pas d’indice de vitesse, il n’y a pas de mesure. Il y a un indice d’occupation. C’est pas qu’il n’y ait pas de nombre. Il y a un nombre, il y a des nombres en espace lisse, c’est ça qui est très important, mais, en espace strié, le nombre..., il y a des nombres et les nombres sont subordonnés à des mesures. En espace lisse, au contraire, c’està- dire les nombres mesurent des grandeurs, ils mesurent des longueurs. En espace lisse, musicalement, vous avez ça dans la musique moderne, vous avez plein d’espaces lisses. Messiaen fait des espaces lisses. C’est un espace dans lequel se répartissent des phénomènes probabilitaires. Vous voyez, c’est un indice de densité ou rareté. C’est pas un indice de vitesse. C’est, dit Boulez, un indice d’occupation, pas un indice de vitesse. L’espace lisse est plus ou moins occupé, mais, de toute manière, il est occupé sans compter, c’est-à-dire sans mesure. Le nombre, là, est le nombre qui mesure la probabilité des événements surgissant dans l’espace-temps, c’est un espace probabilitaire. Bon.

C’est l’espace - je reviens à Foucault - c’est l’espace de la biopolitique. Je dirais que l’espace ouvert, c’est un espace de type espace lisse. C’est un espace qui comporte des degrés de densité et de rareté, densité de population, densité de mariage, densité et rareté de mariage etc. C’est un espace qui se définit par des indices de densité ou de rareté, très différent de l’autre qui est un espace mesurable qui se définit par des indices de vitesse. Vous voyez, je dirais :
-  dans un cas vous avez l’espace strié des multiplicités peu nombreuses avec espace-temps bien déterminé, espace-temps strié,
-  dans l’autre cas vous avez : espace-temps lisse pour multiplicités nombreuses qui se répartissent en lui. Dans un cas vous répartissez de l’espace à des éléments donnés. Dans l’autre cas vous répartissez des éléments dans un espace ouvert. Il y aurait tout un jeu de nature entre les deux types d’espace. Bon, mais... ce serait dire : c’est deux traits diagrammatiques différents. Mais alors : nouvelle petite difficulté, mais on va arrêter parce que... Mais là ce n’est plus que des petites, des petites difficultés de rien du tout. Très souvent on a l’impression que Foucault, très souvent... d’une part il n’emploie le mot « diagramme » qu’une fois, euh... mais enfin c’est comme ça, et puis voilà. Euh... d’autre part il y a la chose partout, il me semble, mais on a l’impression que ce statut des rapports de pouvoir ou des rapports de forces, tels que le diagramme les exprime, on a l’impression que ce statut est réservé à nos sociétés modernes, à savoir sociétés disciplinaires.

-  Donc la question c’est : est-ce que ce renvoi à un diagramme de pouvoir est spécial pour nos sociétés modernes ou bien est-ce qu’il convient à toute société ? Nos sociétés de discipline se sont formées à la fois à partir de et contre les sociétés, Comtesse le rappelait très bien, les sociétés que Foucault appelait « de souveraineté ». Eh ben, de deux choses l’une. Ou bien, dans les sociétés de souveraineté, il faut dire qu’il n’y a pas de diagramme parce que le souverain y supplée, ou bien il faut dire que, dans les sociétés de souveraineté, il y a parfaitement un diagramme, un diagramme différent du diagramme disciplinaire, qu’il y a un diagramme de souveraineté. Là, il faut choisir, une fois dit que Foucault ne nous donne pas de réponse et ne pose pas ce problème. Nous, nous n’avons pas beaucoup d’hésitation, nous pouvons dire : évidemment toute formation sociale renvoie à un diagramme de pouvoir. Simplement, c’est pas le même et ça n’a rien d’étonnant puisqu’un des caractères fondamentaux du diagramme, c’est son caractère fluent, fluctuant. Le diagramme est toujours instable. Par définition les rapports de forces sont instables, il n’y a jamais d’équilibre des rapports de forces. Ce qui est en équilibre, ce sont les strates. Les strates, oui, sont en équilibre. Les rapports de forces, la stratégie n’est jamais en équilibre. Le diagramme est fondamentalement instable, c’est donc évident que le diagramme n’est pas réservé à nos sociétés. Simplement le diagramme ne cesse de traverser des mutations. Le diagramme est fondamentalement mutant et Foucault le suggérera vraiment en toutes lettres à plusieurs reprises, en parlant d’un lieu de mutation ; on verra ça, on verra ça plus tard.

J’indique jusque que, en effet, le diagramme sera complètement différent. Quel sera le diagramme des sociétés de souveraineté ? Cherchons, là, pour aller très vite, à l’opposé de point par point. On a vu que le premier trait diagrammatique de la discipline, c’est quoi ?
-  Construire une force productive plus grande que les forces composantes, c’est-à-dire combiner les forces, composer les forces ; ça c’est un diagramme de discipline : diviser le travail pour augmenter le rendement, par exemple. Et ben, diagramme de souveraineté : ce ne sera plus ça.
-  Action sur l’action, quelle est l’action sur l’action dans une formation de souveraineté ? C’est prélever. Une force qui prélève sur une autre force, c’est une action sur l’action, non moins que dans le cas de la discipline, mais, ça, c’est une action de souveraineté, une économie de prélèvement, un diagramme de prélèvement et non plus de composition des forces. Une force qui prélève sur d’autres forces, ça, c’est le diagramme de souveraineté. Elle va prélever, par exemple, sur le produit au niveau des impôts, elle va prélever sur la production au niveau des corvées. Partout du prélèvement. Au lieu de la composition. Ce serait le premier trait diagrammatique des sociétés de souveraineté, du diagramme de souveraineté. Autre trait : il ne s’agit pas de gérer la vie, ce qui était l’autre trait de la discipline, il s’agit de décider de la mort. Une force qui décide de la mort, au lieu de contrôler la vie - là aussi ça implique un espace-temps complètement différent - ça, c’est aussi un trait diagrammatique des sociétés de souveraineté.

Deuxième remarque, donc, j’avance dans ma réponse : oui, les sociétés de souveraineté renvoient elles aussi à un diagramme. Le diagramme n’est pas du tout propre aux sociétés de discipline. Deuxième remarque : le diagramme est si peu stable que, finalement, il est en perpétuelle mutation, il est en état de transformation perpétuelle. C’est pour ça qu’il n’est jamais, qu’il ne peut pas être réservé à une formation. Presque, il faudrait dire : il est toujours intermédiaire entre deux formations. Le diagramme, il est toujours intermédiaire, il est toujours instable, donc intermédiaire entre deux formations sociales. C’est par là qu’il est non-stratifié. Il est toujours inter-stratique. Entre deux strates. Foucault en donne explicitement un exemple, dans "Surveiller et punir", page 219, Napoléon. Il y a un diagramme napoléonien. Le diagramme napoléonien est typiquement intermédiaire entre la vieille souveraineté et la discipline naissante. C’est un diagramme qui est à la fois de souveraineté et de discipline. Bien plus, c’est Napoléon qui invente le diagramme disciplinaire. Vous verrez cette page, très intéressante.

Troisième petite remarque, hein. Ça c’est des exercices, c’est des exercices de rêverie.... Est-ce que, aujourd’hui, on est encore sous un diagramme disciplinaire ? Est-ce qu’on peut dire, par exemple, que, suivant les tenants du postmoderne, est-ce qu’on peut dire que - ça reviendrait à dire que l’informatique et les disciplines connexes ont changé, nous font passer, représentent une mutation du diagramme et nous font passer dans un autre type de société qui n’est déjà plus disciplinaire, bien qu’il soit non moins cruel et non moins dur, mais que les rapports de forces ne passent plus par le diagramme disciplinaire. Réfléchissez bien... ça ne me paraît pas très très intéressant, mais, enfin, c’est pour dire, comme ça. Bon, il faudrait voir, si les méthodes actuelles de contrôle empruntent encore le vieux modèle de discipline ou bien empruntent de tout nouveaux modèles et quels nouveaux modèles ?

Et puis, dernière remarque, également insignifiante. On s’était risqué dans l’autre sens, nous, la dernière fois, si vous vous rappelez et je regroupe ça ici. A savoir : il y a bien un diagramme correspondant aux sociétés dites primitives. Là aussi problème qui n’est absolument pas abordé par Foucault, mais j’essayais de dire, la dernière fois, si vous considérez ce qu’on appelle les sociétés primitives, il y a bien un diagramme qui est irréductible à une structure molaire. Il y a un diagramme moléculaire qui est quoi ? Qui est constitué par les rapports de forces dans ces sociétés, et, les rapports de forces, c’est le réseau des alliances qui ne se laisse pas... dans la mesure où ce réseau d’alliances forme bien une microphysique des sociétés primitives, dans la mesure où il ne se laisse pas déduire des lignées de filiation. Les alliances entre deux lignées de filiation ne se laissent pas déduire de ces lignées mêmes, mobilisent une dimension différente, une dimension transversale par opposition... par distinction avec les verticales de filiation. Et je peux dire qu’un réseau d’alliances dans les sociétés primitives constitue vraiment la microstructure, si vous voulez, ou plutôt la stratégie de ces sociétés. Tandis que leurs lignes de filiation constituent leur structure de parenté. Mais vous ne déduirez jamais de la structure de parenté les réseaux d’alliance. Or est-ce un hasard si les rapports de forces passent par le réseau des alliances ?

Voilà, alors on a un ensemble... J’ajoute... ah oui, dernier point... Des diagrammes, à la limite il faudrait dire, moi je crois, si c’est pas un contresens sur la pensée de Foucault, il y en a autant que vous voulez. Tout dépend où vous faites passer les strates. De toute manière il y a des diagrammes dès qu’il y a une stratégie nouvelle. Et, je prends un exemple, dans des entretiens, surtout à la fin de sa vie, Foucault insiste sur ce qu’il appelle l’importance du pouvoir pastoral, en nous disant : c’est un pouvoir très curieux parce que c’est un pouvoir qui a été inventé. Donc là aussi il y a... c’est un rapport de forces, mais inventé, un nouveau rapport de forces qui apparaît avec l’église catholique. Le pouvoir pastoral. « Nous les pasteurs ! ». Le modèle serait platonicien, ce ne serait pas la première fois que le christianisme aurait emprunté à Platon, le grand texte de Platon sur le pouvoir et la pastorale, c’est Le politique. Quand le politique est confronté à celui qui paît ou fait paître les brebis, le troupeau. Paître un troupeau : ah... ben voilà un trait diagrammatique. Paître un troupeau quelconque, que ce soient des vaches, des moutons ou des hommes : c’est un beau diagramme ça. Et ben voilà qu’on nous dit : hommes, vous êtes un troupeau, vous êtes le troupeau du bon Dieu, donc exerce sur vous un pouvoir naturel le berger du troupeau, c’est-à-dire l’homme de Dieu ou le prêtre. A la question de Nietzsche « quel nouveau pouvoir invente le prêtre ? », Foucault répond : il invente le pouvoir pastoral. Réponse que Nietzsche n’avait pas prévue. Nietzsche, lui, il donne une autre réponse. Le prêtre inventerait cette chose extraordinaire : le pouvoir pastoral. Qu’est-ce qu’il y a d’extraordinaire dans le pouvoir pastoral ? Mais pensez-y. Troupeau, troupeau... d’accord. Mais c’est un pouvoir individualisant. Qu’est-ce que c’est que le propre du berger ? Il ne compte pas, lui. L’homme qui compte c’est l’homme des espaces striés. Il faudra attendre le XVIIIème siècle pour que le pouvoir passe par le calcul et la mesure. Non, le berger, il ne compte pas. Mais qu’est-ce qu’il fait ? N’empêche que son appréciation quantitative du troupeau lui permet d’individualiser ses sujets. Et, si dans le troupeau des chèvres, hein, la Biquette manque, il le verra du premier coup d’oeil. Et si la vache Blanchette manque au troupeau des vaches, il le verra du premier coup d’oeil et il dira : le renard l’a mangée. En d’autres termes le pouvoir pastoral est un pouvoir qui s’exerce sur une multiplicité assimilée à un troupeau... Vous voyez, c’est un trait diagrammatique très très original, ça ne se ramène ni aux multiplicités peu nombreuses de tout à l’heure, ni aux multiplicités nombreuses de tout à l’heure, c’est encore autre chose. ...assimilée à un troupeau, troupeau à l’intérieur duquel le pouvoir produit des individualisations, c’est-à-dire c’est un pouvoir du détail. A savoir que la Blanchette est soit bien peignée, .. un pouvoir du détail, du soin, du soin quotidien. Mais rendez-vous compte qu’à la même époque le souverain, le souverain il s’en fout complètement du soin quotidien. Le soin quotidien de ses sujets : tu parles ! Qu’est-ce que ça peut lui faire. Ce qu’il demande, c’est du prélèvement. Il demande juste que ses sujets soient en assez bonne santé pour qu’il y ait quelque chose à prélever. Mais qu’ils soient bien peignés, qu’ils aient les ongles coupés, tout ça il s’en fout le souverain. Mais le pasteur, pas du tout. Il faut que dans son appréciation individuelle de chaque membre... individualisante de chaque membre du troupeau, il faut que la corne de la vache ne lui rendre pas dans l’oeil, il faut la limer à temps. Car c’est une image abominable hein. Mais qu’est-ce que vous voulez que la vache fasse, elle n’a qu’à attendre, elle n’a qu’à attendre la mort la plus horrible. Si le pasteur n’arrive pas à... ne lime pas la corne. Ou bien combien, combien, combien de moutons sont morts de ne pouvoir se relever puisque ces bêtes stupides ne savent pas se remettre debout ! Donc, si vous voulez tuer un mouton, vous arrivez à pas de loup, à la lettre « de loup », derrière, vous lui faites peur, il vacille, ce crétin se retrouve sur le dos et vous savez qu’il est incapable de se remettre debout. Donc il crève si le pasteur, si le pasteur n’arrive pas, il crève de faim, quoi, il restera là jusqu’à mourir, si le pasteur n’arrive pas pour le remettre debout. Les autres moutons, eux, ne s’occupent pas du premier mouton et n’essaient pas de le remettre debout. Même les agneaux. Bon. Et bien tout ça vous voyez ce que c’est qu’un pasteur. « Je m’occuperai de toi dans le troupeau jusqu’au moindre détail ». Quel pouvoir terrifiant, celui du prêtre. Terrifiant oui. C’est un type de pouvoir très nouveau. Le souverain ne se proposait pas cela, encore une fois, le prêtre se le propose. Le pouvoir pastoral d’église. Et il faudra, dès lors, que j’examine ma conscience et chaque détail de ma conscience pour le rapporter à mon pasteur et dire : « tu vois je suis ta brebis » et il me dira : « oui, oui, mais tu es une bonne brebis » ou « une pas bonne brebis ». Euh je dirai : « je ne suis une pas bonne brebis ». Il me dira : « ça ne fait rien puisque la porte du troupeau est ouverte, mais tu ne vas pas continuer à être une mauvaise brebis » etc... Un pouvoir étonnant, le pouvoir pastoral.

Or la merveille, c’est lorsque Foucault montrera qu’une des grandes originalités diagrammatiques du pouvoir pastoral c’est donc l’individualisation des sujets, un pouvoir qui individualise et voilà qu’il faudra attendre le pouvoir "disciplinaire" des sociétés, des sociétés laïques pour qu’elles empruntent à l’Eglise pastorale ce projet diabolique : individualiser les citoyens. Et à ce moment-là un des aspects du pouvoir pastoral deviendra la chose du pouvoir d’Etat et le pouvoir d’Etat se proposera d’individualiser ses citoyens. Sous quelle forme ? Sous la forme des disciplines. Les disciplines doivent porter sur le détail, les écoliers en savent quelque chose. Bon alors tout ceci pour dire - là je conclus juste, au point où on en est - oui, moi je crois qu’à la question il faut répondre :
-  oui, toute formation sociale renvoie à un diagramme pour une raison simple... ou à plusieurs diagrammes pour la raison simple, c’est que tous les diagrammes sont instables et fluents tandis que les formations sociales sont en équilibre relatif et il n’y a pas de société qui ne renvoie à une microphysique du pouvoir. Donc il y a partout des diagrammes entre les strates.

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