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10- 14/01/1986 - 1

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Foucault - Le Pouvoir. Année universitaire 1985-1986. Cours de Gilles Deleuze du 14/1/1986 - 1 Transcription : Annabelle Dufourcq (avec l’aide du College of Liberal Arts, Purdue University) 46 minutes 26

Alors au point où nous en sommes George Comtesse souhaite faire une intervention. Donc, qu’il la fasse puisque je suppose qu’elle sera adaptée à peu près au point où nous en sommes et je continuerai après. Voilà.

George Comtesse : (difficilement audible). [ ??] à partir d’un fragment d’un texte de Foucault qui est le texte de [ ??] la préface du livre sur la panoptique de Bentham [ ??] qui s’appelle L’oeil du pouvoir et il m’a semblé que dans cette préface [ ???] ça rejoignait les trois problème qui ont été posés ici, c’est-à-dire le problème du rapport du pouvoir au principe de visibilité, [ ???] deuxièmement le rapport du pouvoir à la violence et, troisièmement, [ ???] rapport du pouvoir à la question de la multiplicité qui a été abordée ici à partir de la distinction, de la différenciation entre trois dualismes, dualisme strict, dualisme provisoire et dualisme préparatoire aux [ ???]. [ ???] Concernant le premier point, c’est-à-dire le rapport du pouvoir à la visibilité, ce qui est intéressant c’est que [ ???] parle de la visibilité dans l’ancien régime, c’est-à-dire de ce qu’il appellera après [ ???] le pouvoir de la souveraineté comme pouvoir d’interdiction par différence d’avec [ ???] le pouvoir de normalisation. Mais justement, dans l’ancien régime, c’est pas le pouvoir qui importe d’abord. Ce n’est pas le pouvoir qui, en quelque sorte, est directement en rapport avec la visibilité. Et pourquoi ? Parce qu’il y a une puissance antérieure au pouvoir, qui est la puissance de [ ???], la puissance de Dieu, [ ???] une puissance de lumière qui se transmettait au pouvoir de souveraineté et qui fondait alors ce que Foucault appelle dans cette préface, le principe de visibilité [ ???] de souveraineté. C’est donc la lumière qui assurait la visibilité du corps du roi, du pouvoir de souveraineté et ? le château, le palais, l’église devenaient des monuments de visibilité, des manifestations de visibilité. Sans, donc, la puissance éclatante de la lumière, de la vie lumineuse, sans la lumière, pas de visibilité, pas de reflet, de manifestation de visibilité. La puissance de vie c’était l’identité de la lumière et de la parole comme fondement du principe de visibilité. Il y a de la lumière. Cette affirmation qu’il y a de la lumière est une affirmation de l’Ancien Régime, c’est l’affirmation de la vie de Dieu qui supposait, comme toute affirmation de vie, une différence, il n’y a pas d’affirmation de vie sans différence et [ ???] une différence sacrée entre la lumière, la parole claire et la nuit, le langage obscur. Et justement, et voilà la transformation et c’est ça le noeud de la préface de Foucault. Dès le XVIIIème siècle, le problème qui se pose n’est plus tout à fait, justement, celui d’un centre de visibilité - royale par exemple - un centre de visibilité comme rayonnement d’une puissance de lumière et qui se diffuserait [ ???] partout dans l’espace du royaume comme un espace naturel, un sol et [ ???] avec certaines frontières. Ce que l’on veut, c’est que la puissance lumineuse rayonne partout, que la visibilité puisse s’étendre à toute la société au lieu de se concentrer dans un centre. Ce que l’on veut, c’est donc une visibilité élargie générale, étendue, aussi [ ???], dès avant la Révolution française, se manifeste une haine, une méfiance critique pour le château, pour le couvent, pour l’hôpital, pour la maison forte. Et cette haine est la même chose que la peur. La peur de quoi ? La peur de ce que Foucault appelle l’espace sombre, c’est-à-dire la peur des espaces nocturnes ou ce qu’il appelle encore les fragments de nuit. Ce qui fait peur, c’est, dit Foucault, l’obscurité et le silence des espaces qui constituent autant d’obstacles au rayonnement de la lumière, à l’entière visibilité des gens, des choses, des vérités. On a peur des espaces sombres, des chambres noires, [ ???] obscurité et le silence. Aussi deux directions à partir de là : la critique n’est pas simplement une critique, elle peut littéralement dissoudre, supprimer, éliminer tous les espaces sombres car, dans ces espaces, en eux, circule justement l’insupportable, c’est-à-dire le langage de l’obscurité, le langage du silence, du mal, un langage qui s’écarte de la parole lumineuse qui demeure, malgré tout, le modèle. Dans ces espaces, et Foucault donne cinq ou six exemples, les tyrans et les prêtres ourdissent leurs sombres complots, l’arbitraire politique [ ???], les superstitions religieuses se renforcent, les illusions de l’ignorance se confirment et se développent, les écoles du vice et du crime s’élargissent, les corps s’abiment, les épidémies se propagent. Le siècle des Lumières veut donc dissoudre les espaces sombres qui le hantent, c’està- dire que l’on veut à tout prix, non seulement éliminer les espaces sombres, mais surtout, surtout, on veut effacer les zones d’ombres, les zones d’opacité de l’homme, on veut rendre l’homme aussi transparent que la société. On veut rendre, comme on dit, l’homme et la société à leur visibilité transparente ou à leur transparence essentielle. On veut donc un homme sans zone obscure, une société sans espace sombre. Les espaces sombres de la société actualisent les zones d’ombre, d’opacité de l’homme, intensifient l’obscurité silencieuse d’une puissance de nuit en tant que pouvoir de faire le mal. Et c’est le deuxième point, le rapport entre [ ??] et la violence. Il ne faut pas en effet que la différence de l’identité de la parole et de la lumière s’annule pour laisser revenir la puissance du mal comme puissance d’une violence mobile. Il ne faut pas que la différence de vie s’annule pour laisser revenir le silence du temps [ ???] de l’éternité. C’est pour conjurer le rapport entre violence et pouvoir, c’est pour conjurer le moment de la violence, la violence mobile que le pouvoir s’exerce. Le pouvoir n’est pas la violence, mais parce qu’il ne cesse de la conjurer, de la contenir, de la retenir, de l’empêcher, de l’inhiber, de la freiner de briser à tout prix le mouvement de sa force. Et, pour empêcher le mouvement de sa force, [ ???] de la violence d’abord immobile et qui se parle, qui trouve son langage dans l’espace sombre justement, pour empêcher le mouvement de la force comme force du temps, se prépare dans l’espace sombre, la voix du contrôle de l’ordre donné [ ???] et d’abord inefficace. Il faut d’abord et avant tout, et avant la voix du contrôle, il faut avant cette voix imposer le regard de la surveillance, le regard de la surveillance qui va donc résorber l’opacité de l’homme, restituer sa visibilité ou sa transparence, c’est-à-dire couper la force du temps de son mouvement [ ???] maîtriser la force en inhibant son mouvement. C’est pourquoi Bentham [ ???] Bentham écrit qu’être mis, placé sous le regard de la surveillance, c’est perdre la puissance de faire le mal et presque, dit-il, la pensée de le vouloir. Lien essentiel entre regard de la surveillance et inhibition du mouvement de la force. Le pouvoir du regard est ce qui empêche le mouvement de la force, ce qui maîtrise ou domine la force, ce qui la convertit en une intention dont on espère l’épuisement, en une volonté qui s’épuise et qui pourra peut-être aller jusqu’à la bonne volonté de l’être rationnel. C’est par cet effet de pouvoir que la visibilité s’assure. Ou encore : par la visibilité le pouvoir s’assure de son effet. L’obsession de Bentham, comme dit Foucault, son obsession, c’est donc un regard omniregardant et c’est à partir de cette obsession de Bentham, à partir de cette obsession, qu’il rumine la visibilité. Il pense une visibilité, comme dit Foucault, organisée entièrement autour d’un regard dominateur des surveillants. Ce n’est donc plus la voix de la domination et pas encore la voix du contrôle, c’est le regard dominateur de la surveillance provisoirement disjoint de la voix du contrôle. [ ???]. Le regard dominateur de la surveillance qui [ ???] produire une visibilité nouvelle, une visibilité de la conjuration de la violence [ ???], une visibilité d’inhibition du mouvement de la force, une visibilité que l’on pourrait appeler une visibilité d’immobilisation, cette obsession du regard précède et institue l’invention du dispositif panoptique comme technologie de pouvoir. L’obsession du regard de conjuration, va susciter son effectuation technologique, va passer dans le dispositif ou le procédé optique et c’est par ce dispositif que le regard qui précède le panoptique va, à ce moment-là, s’inscrire dans l’espace social, que l’institution va, à ce moment-là, devenir ce que Foucault appelle l’effet et le support d’un nouveau type de regard. Le dispositif panoptique c’est donc la réponse technologique au problème du pouvoir omniregardant, au problème du pouvoir qui surveille l’immobilisation du mouvement de la force. C’est un dispositif, comme dit Foucault, d’assujettissement par [ ?mise ??] en lumière, un dispositif [ ?de rapport ??] de la visibilité et de la lumière, un dispositif qui constitue donc le foyer d’exercice du pouvoir qui est en même temps le lieu d’enregistrement d’un savoir. Troisième point : rapport entre pouvoir et multiplicité. Toute le stratégie du dispositif panoptique devient, à ce moment-là, la stratégie de ce que Foucault appelle le regard centralisé, c’est-à-dire le regard du surveillant de la tour centrale, ce regard qui veut l’entière visibilité des corps, des individus, [ ???], des activités. Et, justement, cette stratégie est une stratégie d’immobilisation de la force [ ???], c’est par le dispositif optique d’exercice du pouvoir que la puissance de violence mobile est conjurée. C’est pourquoi [ couper ???] le mouvement de sa force, immobiliser, c’est aussi isoler les individus, les séparer les uns des autres, les sérialiser. Le dispositif optique de conjuration immobilise et sépare les individus. Le principe du regard de la surveillance qui assure une surveillance, comme dit Foucault, à la fois globale et individualisante, est donc, maintenant, non plus le principe de la visibilité comme le principe du pouvoir de souveraineté classique, mais avec un nouveau pouvoir [ ???] et [ ???] une nouvelle technologie du pouvoir, ça devient donc le principe de ce nouveau pouvoir ça devient donc, comme dit Foucault, le principe de visibilité isolante. On sort donc de l’espace sombre [ ???] effrayant, on passe dans un espace clos, isolé, séparé et dans cet espace clos, c’est-à-dire dans cette cellule où on enferme un condamné, un fou, un malade, un ouvrier, un écolier, la lumière revient à travers, justement, la visibilité isolant, sérielle, nouvelle. Chacun, isolé des autres, séparé d’eux, sans contact avec eux, redevient visible par le regard de la surveillance. Et la hantise, à ce moment-là, la hantise de ce regard centralisé, du pouvoir, ce n’est pas du tout de s’ouvrir à une multiplicité, pas du tout, c’est au contraire - et, ça, c’est un point essentiel - de concentrer la multiplicité dans l’exercice même du pouvoir. C’est pourquoi il fallait, comme dit Foucault, à la fin du XVIIIème siècle [ ???] effets de pouvoir circulent jusqu’aux activités quotidiennes, jusqu’aux corps et jusqu’aux individus, il fallait, comme il dit, que le pouvoir, et je terminerai là-dessus, que le pouvoir, même avec une multiplicité d’hommes à régir, soit aussi efficace que s’il s’exerçait sur un seul homme.

Deleuze : parfait, parfait. En effet tu as dégagé, là, une différence dans les régimes de visibilité du XVIIème et du XVIIIème. C’est compliqué cette histoire parce qu’il faudra voir, en effet, on l’a pas fait, ça, encore, il faudrait voir au niveau de la peinture, parce que... Si vous voulez il faut maintenir, en tout cas le principe qu’on a vu déjà, au niveau des énoncés. Je veux dire : il ne faut surtout pas réintroduire un principe de progrès, de perfectionnement, une époque n’en perfectionne pas une autre, je veux dire il n’y a pas de régime de visibilité qui soit meilleur qu’un autre, hein. Faut pas croire... là je... certains d’entre vous auraient pu comprendre que, par exemple, au XVIIIème siècle, les ombres sont chassées, c’est pas ce que voulait dire, évidemment, [ ???] une répartition d’ombres et de lumières..., le statut de l’ombre dans chaque formation historique est évidemment différent. C’est des régimes qualitatifs de visibilité tout à fait différents. Alors, ce qui est très important, si vous voulez, au point où nous en sommes, c’est, il me semble, l’idée que le pouvoir, c’est bien ce qui va faire voir et faire parler. Comme si les rapports de pouvoir nous convoquaient à voir et à parler. Mais, eux-mêmes, les rapports de pouvoir rapports de pouvoir, on va voir en quel sens, ils sont muets et aveugles. C’est très curieux. Alors qu’est-ce que ça veut dire, ça : ils font voir et ils font parler bien que, en euxmêmes, si le en eux-mêmes a un sens, ils soient muets et aveugles ? Euh... Mais, enfin, ça venait très bien cette intervention. Alors, en effet, où est-ce que nous en étions ?

C’était notre première séance, la dernière fois, sur ce nouvel élément qui n’était plus l’élément du savoir mais l’élément du pouvoir. Et, j’ai commencé une partie, que j’avais presque achevée, qu’on pourrait intituler : les questions de principe. Isoler, là, des questions de principe, c’est déjà arbitraire, mais c’est pour la clarté et, ces questions de principe, cette discussion autour des principes, comprenez bien, il s’agit moins de principes explicites que vous trouveriez dans telle ou telle théorie du pouvoir. Il s’agit plutôt de postulats implicites qui parcourent, selon Foucault, qui parcourent l’ensemble des théories du pouvoir, aussi bien les théories bourgeoises du pouvoir que la théorie marxiste. Si bien qu’il ne faut pas les prendre comme des thèses, ces principes, il faut les prendre plutôt comme des postulats que Foucault éprouve le besoin de mettre en question. Des postulats implicites qui sont sous-jacents à la plupart des théories du pouvoir. Et ces postulats que Foucault prend à partie, on en a vu cinq, la dernière fois. C’était donc le postulat de la propriété selon lequel le pouvoir appartiendrait à une classe, par exemple, ou à un équivalent de classe, mettons : à une classe. Estce que c’est marxiste ? Non, c’est pas marxiste, il y a longtemps qu’un marxiste, [ ???], a montré que cette conception du pouvoir comme propriété d’une classe apparaît typiquement dans les conceptions bourgeoises du pouvoir et notamment chez Guizot au XIXème siècle. La classe bourgeoise comme propriétaire d’un pouvoir de droit. Bon, c’est donc pas spécialement marxiste.

-  Deuxième postulat... Le premier c’est donc, encore une fois, le pouvoir comme propriété d’une classe ou, par exemple, d’une classe. Deuxième postulat, le postulat de la Localisation, le pouvoir localisé dans l’appareil d’Etat. Le troisième postulat c’est postulat de la subordination : le pouvoir subordonné à un mode de production comme infrastructure. Quatrième postulat : postulat de l’essence ou de l’attribut ; le pouvoir serait l’attribut des dominants, par opposition aux dominés. Cinquième postulat, postulat de la modalité, le pouvoir agirait par violence ou par idéologie. Et il nous restait un dernier postulat dont je disais qu’il était très important parce que, sans doute, c’est un des points les plus originaux de Foucault au niveau de cette discussion des principes. C’est que, si vous réfléchissez sur les cinq postulats dénoncés, sur quoi porte la dénonciation ? Sur quoi porte la dénonciation ? C’est que, pour comprendre ce qu’est le pouvoir, il ne faut pas partir, il ne faut pas se donner d’abord, ce qu’on pourrait appeler de grosses entités. Ou, si vous préférez, employons un mot plus technique, des entités molaires. Pourquoi j’introduis, là, les entités molaires ? Précisément parce que je me soucie de commenter « microphysique » du pouvoir. Foucault nous annonce une microphysique du pouvoir. Ou, si vous préférez, mettons, une conception moléculaire du pouvoir. Je dis donc, tout naturellement, qu’il y a dans une telle conception une dénonciation des grandes entités molaires que la plupart des théories se donnent toutes faites dans leur conception du pouvoir. Et, si l’on en reste à des entités molaires, il va de soi que l’on pense le pouvoir en termes d’opposition. Les grandes entités s’organisent selon des oppositions molaires. Ces oppositions ce sera quoi ? Dans tous les sens, si vous reprenez nos postulats, infrastructures-suprastructures, dominants-dominés, opposition de classes etc.

Qu’est ce que veut faire Foucault ? Il va de soi qu’une microphysique prétend dépasser les oppositions molaires vers quoi ? Vers des complémentarités moléculaires. Seulement ça va nous..., ça va nous poser un problème. Vous comprenez, c’est ça le point difficile. Je veux dire le point auquel il faut faire attention dès maintenant. En d’autres termes il s’agit de passer d’une dimension macroscopique à une dimension, en gros, microscopique. Il s’agit de passer du macro au micro. « Microphysique » du pouvoir. Or quelle est la différence entre le macro et le micro ? Evidemment, s’il s’agit d’une simple miniaturisation, ça n’a aucun intérêt. S’il s’agit de dire qu’il faut penser en petit ce que nous avions l’habitude de penser en grand, aucun intérêt. S’il s’agit de nous dire que dans l’Etat, il y a mille petits Etats : pas d’intérêt. Il faut donc que le passage du macro au micro ne soit pas une miniaturisation. Voyez : Volonté de savoir page 132, où Foucault dit très hâtivement, très vite... euh... oui 132, il dit : oui, le micro, c’est pas une différence de taille. Donc, c’est une différence de nature. Prenez la proposition macrophysique suivante : le pouvoir appartient à des dominants et s’exerce sur des dominés. On l’a vu, c’est une proposition macrophysique. Prenez la proposition microphysique : le pouvoir est un rapport qui passe par les dominés non moins que par les dominants. Je dis, pour que vous compreniez bien le problème, que, dans les deux propositions, dominant et dominé ne peuvent pas avoir le même sens. Même si j’emploie le même mot, les termes ont changé quand je passe du macro au micro, quand je passe de la macrophysique à la microphysique, sinon ça n’aurait pas de sens. D’où l’importance... Euh... vous comprenez ça ? C’est très obscur pour le moment, enfin peut-être parce que c’est très abstrait. Euh... parce que c’est une tâche pour nous. Il faudra surtout qu’on ne se laisse pas prendre au piège d’une simple miniaturisation, vous comprenez, il ne s’agit pas simplement d’essaimer. Il ne s’agit pas, encore une fois, de multiplier des petits états, il faut vraiment qu’il y ait différence de nature entre le domaine microphysique et le domaine macrophysique. Et c’est ce qu’on voit particulièrement, alors, au niveau du dernier postulat que j’avais laissé de côté la dernière fois, qui était le postulat de la légalité.

Car, dans la plupart des théories du pouvoir, le pouvoir est pensé en fonction de la loi, de la loi comme instance molaire. Et, dès lors, l’opposition molaire correspondante, c’est : loi-illégalité. De même qu’il y a une opposition molaire dominant-dominé, il y a une opposition molaire, une grosse opposition, un rapport d’exclusion loi-illégalité. Et, que nous pensions le pouvoir à partir de la loi, c’est sans doute le signe que la loi est une excellente notion molaire pour penser le pouvoir. Depuis quand ? Selon Foucault, ce serait même l’acte fondamental de la monarchie. Bizarrement, c’est pas la république, la république ne fera que confirmer. C’est la monarchie qui introduit la forme de la loi. Comment ? Dans sa réaction contre la féodalité. Le roi va s’élever et va être autre chose qu’un suzerain dans la mesure où il se réclame du droit et de la loi comme forme du droit. Si bien que la république, avec la révolution de 89, pourra reprocher au roi et à la monarchie de ne pas avoir accompli ce programme de la loi, mais maintiendra l’idée de la loi et de l’état de droit. L’idée de l’état de droit est monarchique avant d’être républicaine et, à cet égard, la république enchaîne avec la monarchie. Il appartient à la monarchie européenne, au XVIIème siècle, puis à la république de penser le pouvoir en termes de loi et de fonder la notion d’un état de droit. Dès lors la loi comme instance molaire est définie au niveau d’une macrophysique, d’une macrophysique comme ce qui supprime ou ce qui interdit l’illégalité. Opposition loi - illégalité. Qu’est-ce que c’est pour Foucault « faire une microphysique du pouvoir » ? Comme toujours, c’est découvrir quelque chose là-dessous, à savoir sous l’instance macroscopique et l’opposition molaire, il va falloir découvrir quelque chose, qui sera quoi ? Un rapport différentiel ou, si vous préférez, une complémentarité moléculaire. Or il va de soi que, lorsque je passe de l’opposition molaire à la complémentarité moléculaire, lorsque je passe de la macro-entité au rapport différentiel, ce ne sera pas les mêmes termes même si c’est les mêmes mots. C’est la condition sous laquelle une microphysique réussit ou ne réussit pas. Eviter la miniaturisation. Qu’est-ce qu’il va substituer à la grosse opposition loi-illégalité ? Il va substituer une complémentarité typiquement moléculaire loi... Et, comme s’il pressentait le danger, à savoir qu’il emploie le même mot en deux sens, tantôt au niveau macro, tantôt au niveau micro, il va introduire, là, explicitement un autre nom : non plus illégalité, mais illégalisme. Il va dire que, à l’opposition, à la grosse opposition loiillégalité, il faut substituer une fine complémentarité, une micro-complémentarité loi-illégalisme. Et l’illégalisme, concept très nouveau il me semble, fait l’objet d’un chapitre de Surveiller et punir, chapitre très intéressant qui consiste à nous dire quoi ? Ben que, précisément, au niveau microphysique, on voit bien que la loi ne s’oppose pas à l’illégalité. Loin de s’opposer à l’illégalité, elle est comme une résultante des illégalismes. Comprenez que c’est bien là où il fait de la microphysique, parce que, si je dis « la loi, c’est la résultante des illégalismes dans une formation sociale », on a tout de suite envie de me dire, de m’objecter : « mais, ça ne veut rien dire ! L’illégalisme, même si on emploie ce mot bizarre, illégalisme plutôt qu’illégalité, l’illégalisme suppose déjà la loi. Comment la loi serait-elle la résultante de quelque chose qui la suppose ? ». Et ben non. C’est vrai que l’illégalité suppose déjà la loi au niveau macrophysique.

Au niveau microphysique, pas du tout. Pourquoi ? Qu’est-ce qu’il veut dire ? Ben, il veut dire que l’illégalisme n’est pas un accident par rapport à la loi. L’illégalisme, c’est pas du tout un accident. Si la loi était faite pour interdire, ce serait quand même curieux qu’elle échoue à ce point-là. C’est une remarque toute simple : ben oui, c’est vrai, si la loi était faite pour interdire, quand même, ça laisserait rêveur, cette histoire qui ne serait que l’histoire éternelle de son échec. Ça nous donne une idée que, peut-être, après tout, la loi elle n’est pas exactement faite pour interdire. Et pourtant, macrophysiquement, elle est bien faite pour interdire, mais, dans le micro, est-ce qu’elle est faite pour interdire ? Alors, vous voyez : si je dis « dans le macro, elle est faite pour interdire, mais, dans le micro, elle est pas faite pour interdire, mais pour autre chose », c’est pas tout à fait la même loi. Il faut que j’aie changé de terme en changeant de domaine. Ce qui revient à dire quoi ? C’est, c’est... Continuons l’analogie avec la physique, c’est évident qu’un corpuscule, ou même une molécule, c’est pas un corps miniaturisé. C’est un autre monde, c’est un autre élément. Vous n’avez pas les mêmes éléments, vous n’avez pas les mêmes types de termes en microphysique et en macrophysique. Si vous concevez l’atome comme une petite chose ou comme une chose en petit, c’est la seule manière de ne pas comprendre l’atome. Alors, peut-être que, en effet, la loi, elle n’est pas spécialement faite pour interdire. Elle serait faite pour quoi ? Elle ne serait pas faite pour empêcher tel ou tel comportement. S’il s’agissait d’empêcher les crimes, les vols, les escroqueries... Ben, je crois qu’il faudrait chercher d’autres moyens. La loi n’a jamais rien empêché. Alors, elle est pas faite... Supposons qu’elle soit pas faite pour empêcher, elle serait faite pour quoi ? Pour différencier les manières de la tourner. D’une certaine manière, vous pouvez dire : tout le monde le sait, ce que vous apprend Foucault. Oui, oui. Que la loi soit inséparable de la manière de la tourner, que la loi, même avec une grande complaisance, nous indique les manières de la tourner, tout le monde le sait. Dès qu’on a des affaires, on va voir un avocat pour apprendre les manières de tourner la loi. Et les manières de tourner la loi, elles ne sont pas hors-la-loi, elles sont dans la loi. Prenez les lois sur les sociétés commerciales. C’est formidable. Qu’est-ce que ça veut dire « nous parler de la loi » ?

La loi, en effet, c’est une fiction, mais une bonne fiction, c’est peut-être une fiction qui renvoie précisément au régime monarchique et républicain. Qui renvoie d’abord au régime monarchique et, à plus forte raison, au régime républicain qui va dégager la pure forme de la loi. Et, ça vous le dira avec le Contrat social de Rousseau : la loi va du tout à tous. Or, chacun sait que c’est pas comme ça. Chacun sait qu’il n’y a pas la loi, il y a les lois. Et il y a toujours une loi qui me donne la possibilité de tourner une autre loi. La multiplicité des lois est en même temps la manière dont, loin d’empêcher un comportement, elle dit dans quelles conditions un comportement est permis. Si vous êtes une société : comment ne pas payer vos dettes. Pour savoir comment ne pas payer vos dettes, la loi étant de payer ses dettes, pour savoir comment ne pas payer vos dettes si vous êtes une société, c’est l’enfance de l’art, un des moyens les plus simples étant de vous mettre en liquidation judiciaire. Alors, il y a tout un système de lois et, dans la pluralité des lois, est compris quoi ? On voit très bien qu’il s’agit beaucoup moins d’interdire une action... « Tu ne tueras pas », ah oui, mais il y a la légitime défense. La légitime défense me dit à quelles conditions je peux légalement tuer. Bon. Tout ça ce sont de grosses évidences, personne ne s’en était... tout le monde le sait. Personne ne s’en était servi comme Foucault s’en sert. Je veux dire : c’est toujours comme ça les idées philosophiques. Elles s’appuient sur de grosses évidences pour en tirer quelque chose d’improbable ou d’inattendu...

Je vous en supplie : vous ne fumez pas hein. Aujourd’hui vous ne fumez pas, vous sortez si vous avez envie de fumer, et vous revenez quand vous... Euh. Parce que... Oui.

Donc il s’agit de différencier les manières de la tourner, la loi ; et vous ne pourrez pas définir la loi sauf au niveau microscopique, au niveau microphysique, au niveau micrologique... sauf comme une gestion des illégalismes, une répartition des illégalismes dans un champ social et, comme dit Foucault, il y a des illégalismes qui sont tolérés, tolérés comme quoi ? Comme compensation pour les classes dominées. Il y a des illégalismes qui sont permis comme privilège de la place dominante. Il y a toute une échelle d’illégalismes. Chacun sait que ce qui est interdit par la loi est toléré. Est toléré quoi ? Simplement toléré dans telles, telles, telles conditions et à l’ombre d’une autre loi. Si bien que c’est en fonction des illégalismes qui caractérisent un champ social que la loi pourra être définie. A savoir ce change radicalement d’un champ social à un autre, c’est les illégalismes et la répartition des illégalismes. La loi, ce n’est que cette répartition même. Qu’est-ce qui explique, par exemple, l’opposition radicale de la Vendée à la révolution française ? C’est pas simplement que la Vendée est beaucoup plus, est plus réactionnaire, plus pieuse que d’autres régions de la France, c’est pas simplement ça, c’est que le droit monarchique faisait bénéficier les paysans, et notamment les paysans de l’ouest, d’un certain nombre de privilèges, d’un certain nombre d’exceptions à la loi que la révolution ne peut plus leur consentir. C’est-à-dire : ce qui était illégalisme toléré par la monarchie cesse d’être tolérable par la république. Bon. Et Foucault montre très bien comment du XVIIème au XVIIIème siècle, c’est la nature des illégalismes qui change. Dès lors, la loi changera comme répartition des illégalismes en illégalismes défendus, tolérés, admis etc. En effet la montée des nouveaux illégalismes vient de quoi ? Changement dans la nature des crimes, à savoir de plus en plus de crimes contre la propriété, montée d’un prolétariat urbain et politisation avant et pendant la révolution. Ça va définir toutes sortes de nouveaux illégalismes et un nouveau type de...

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