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9- 07/01/1986 - 4

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Gilles Deleuze / Foucault - Le Pouvoir cours du 9 - 07/01/1986 - 4 Foucault - Le Pouvoir. Année universitaire 1985-1986. Transcription : Annabelle Dufourcq (avec l’aide du College of Liberal Arts, Purdue University) 43:49

...parce que dans tous les sociétés que je connais, et ben, dans toutes les sociétés primitives, leur grand souci, c’est que ce qui se passe n’ait pas l’air d’un échange. Ça, c’est son premier thème : il faut que ça n’ait pas l’air d’un échange et quand on leur parle d’échange, ils ne sont pas contents du tout. Par exemple, pour eux, une femme elle n’est pas échangée, jamais. Une femme, elle est ou donnée ou volée ou, parfois, les deux à la fois. Il faut que ce soit du vol ou du don. Mais l’échange, ça, c’est pas... C’est du don ou du contre-don, c’est du don qui oblige etc. tout le thème bien connu que Leach reprend à sa manière. Et vous allez voir ce qu’il va en tirer. Voilà son premier point : ce que Lévi-Strauss, d’une certaine manière, avait reconnu en disant : l’échange est inconscient. Et la force de Leach c’est de dire : mais pourquoi il est inconscient, l’échange ? Pourquoi est-ce qu’ils tiennent tellement... Si c’était de l’échange, pourquoi est-ce qu’ils tiendraient tellement à le cacher ? C’est bizarre, ça, il n’y a pas de honte à échanger. Alors Lévi-Strauss serait forcé de dire : c’est parce que, s’ils reconnaissaient que c’était de l’échange, ils comprendraient du coup que le cycle est fermé et ils ne veulent pas que le cycle soit fermé. Leach dit : mais, s’ils ne veulent pas que le cycle soit fermé, c’est peut-être parce qu’il n’est pas fermé, en d’autres termes parce qu’il n’y a pas de structure. Bon, ça devient intéressant. Et pourquoi le cycle ne serait pas fermé ? C’est que toute l’hypothèse de Lévi-Strauss suppose que les relations d’alliance se déduisent d’une ligne de filiation et découlent des lignes de filiation. Il y a d’abord les lignes de filiation et puis elles échangent quelque chose. Elles échangent des femmes, elles échangent des produits, elles échangent des titres, des emblèmes. L’échange se fait entre deux lignes filiatives. Bon. Est-ce que l’alliance est un échange ? Oui, l’alliance est un échange s’il se passe entre lignes filiatives, entre lignages. Et jamais une société primitive n’a fonctionné sur base de lignage. Les lignages, personne n’y croit. Je schématise un peu, là. Jamais, jamais ils ont fonctionné comme ça, dit Leach. Ils fonctionnent tout autrement. Ils fonctionnent, en effet, par alliances. Mais les alliances ne sont nullement des échanges parce que les alliances ne présupposent pas les grandes lignes de filiations, elles se font autrement et ailleurs. Les alliances ne se laissent pas déduire des lignes de filiation. Les alliances sont autonomes. Et, en effet, elles sont, à la lettre, magouillées, manipulées par des groupes que Leach appelle des groupes locaux, les groupes locaux de Leach, par opposition aux groupes de filiation. Et les groupes locaux ne recouvrent pas les groupes de filiation et ce sont les groupes locaux qui organisent les mariages. Ce sont les groupes locaux qui décident des dons et des contre-dons, en d’autres termes qu’est-ce qu’il faut comprendre ? Ce que beaucoup d’ethnologues avaient dit, mais c’est Leach qui fait le... qui rassemble l’ensemble. Les alliances sont l’affaire d’une pratique. Il y a un ethnologue qui dira et qui emploiera le mot très curieux, il dira : ce n’est pas une structure, c’est un procédé. C’est affaire de pratique, d’un procédé. Disons [à peine ?] une stratégie. Une société stratégise avant de se structurer. Et Leach pose sa grande question : la position d’un individu dans le champ social, est-ce qu’elle est due à ce qu’il appartient aux lignages de son père ou bien aux lignages de sa mère, ou bien aux deux lignages, ou bien - ce qui est tout à fait différent - est-ce que sa position vient de ce que son père et sa mère sont alliés ? Elle est très bonne la question, parce que si vous lisez avec soin les "Structures élémentaires de la parenté", vous verrez que Lévi-Strauss est pour la première réponse, si vous lisez avec soin Leach, vous verrez que Leach est pour la seconde réponse. La position de l’individu dans le champ social vient de ce que ses parent sont alliés et pas du tout de ce qu’il participe aux lignages du père, de la mère ou des deux.

En d’autres termes quel est le thème perpétuel de Leach ? C’est : les grands lignages forment une structure verticale. C’est incontestable. Ça, Lévi-Strauss est imbattable sur ce point et il a donné le statut de cette structure verticale d’une manière définitive. Mais le réseau des alliances ne se déduit pas de cette structure verticale. Le réseau des alliances, et, là, je cite Leach par coeur, le réseau des alliances est un réseau latéral. En d’autres termes : transversal. Perpendiculaire, dit Leach, à la structure, à la structure filiative, irréductible à cette structure, organisé par de petits groupes locaux et constituant non pas du tout un échange en cycle fermé, mais en perpétuelle déséquilibre, c’est-à-dire constituant un microsystème physique en perpétuelle instabilité. Et, en effet, les alliances sont constamment rompues au profit d’autres alliances etc. C’est au niveau des alliances que vous trouvez la microphysique du pouvoir. Et je dirais, dans les sociétés primitives, quel est le rapport de forces ? Le rapport de forces passe par le réseau d’alliances irréductible à la structure, irréductible à la structure filiative. Bien plus il y a une telle opposition entre les deux, il y a une telle évidence que le réseau des alliances ne se déduit pas et met toujours en question les structures filiatives, au point que les structures filiatives seront remaniées d’après le réseau des alliances à tel ou tel moment. Il y aura un effet et, finalement, les lignes, les lignes de filiation ne feront que traduire toujours l’état du réseau des alliances. Il y a une microphysique de l’alliance qui travaille sous la macrophysique de la filiation.
-  En d’autres termes, il y a les séries sous la structure.

Voyez comment Foucault pourra, alors, lui qui n’a rien à voir avec cet exemple, comment Foucault pourra opposer la stratégie et la structure. Dire : mais un champ social ne se définit pas par une structure, il se définit par l’ensemble de ses stratégies. Dans une société primitive, les réseaux d’alliance sont vraiment, oui, sont vraiment les rapports de forces. Et vous voyez que ça peut comporter la violence, mais que ça ne l’implique pas nécessairement. Rapport de forces c’est tout à fait autre chose. Si je te donne quelque chose c’est un rapport de forces. On le sait bien, même dans notre société. Si je te donne quelque chose c’est tout le système du don contre-don, mais un rapport de forces, ce serait idiot de la mesurer à la violence. Si je te fais un cadeau, hein... vous voyez. Je te fais un cadeau, toi tu dis : ouh la la, qu’est-ce qu’il va me demander ensuite ? Tu dis : non non non, j’en veux pas tu es trop gentil, tu es trop. Tu dis : si si si, j’y tiens. Mais quel rapport de forces ! J’y colle dans la main, j’y fous dans la poche : si ! Garde-le ! Garde-le ! - Non j’en veux pas ! C’est un rapport de forces fantastique, il n’y a pas de violence. Enfin il n’y a pas de violence apparente. C’est ça les rapports de force. Si les rapports de force c’était un coup de poing dans la gueule, mais ce serait... le monde serait tellement clair ! Mais, c’est pas ça du tout ! Vous comprenez, un homme et une femme, si les rapports de force c’étaient simplement le moment où ils disent des choses dures, où ils se tapent dessus... mais le monde serait un enchantement ! Mais les rapports de force c’est dégoutant, parce que, justement, c’est... c’est du type... euh... Je fais ça, ah tu me demandes de faire ça ? Mais oui, mais oui. Je fais ça, je le fais oui oui ! Alors l’autre est empoisonné. Ça t’embête pas trop ? oh non, non non... ça c’est un rapport de forces... saleté, vraie saloperie. C’est ça, faire quelque chose tout en montrant bien qu’on est malheureux de le faire, on le fait pour l’autre. Et là, tu dis « oh, c’est rien ! ». Et on se met à tousser, « oh j’ai pris froid ! » euh... « oh non c’est pas ta faute du tout ! ». Tout ça qui fait notre vie quotidienne, tous ces chantages, tous ces chantages dégoutants, euh... dont on a parfois un peu honte après, mais on se dit... c’est, c’est, c’est ça les rapports de forces. Alors vive le moment où ça éclate en coups de poing ! On se dit : il va peut-être en sortir quelque chose, euh... sinon... ben c’est comme ça les rapports de forces. Alors les sociétés ça marche comme ça, ça stratégise, on a une stratégie. Une scène de ménage c’est une incroyable stratégie, c’est une....

Alors, là, vive Tarde ! Vive la microsociologie de Tarde vous comprenez. Parce que faire de la sociologie, précisément, c’est ça, c’est saisir les rapports de forces et c’est pas du tout faire de la psychologie. Alors tout ce que je veux dire c’est que : vous voyez en quel sens Foucault peut dire - et j’avais pris cet exemple des sociétés primitives, encore une fois, qui ne correspond à rien chez lui - parce qu’il pourra nous dire, Foucault, que, dans les sociétés modernes, c’est pas autrement. Là aussi, euh, le réseau des alliances déborde infiniment les grandes instances du type Etat etc. Si vous prenez ce qu’on appellera une famille importante, si vous prenez le réseau de ses alliances, vous voyez comment ça déborde les institutions, euh... les rapports de forces, ça déborde... euh... Prenez... vous comprenez, il faut se servir des événements récents, qu’est-ce qu’il y a de plus étonnant et joyeux que l’affaire Boutboul ? Euh... C’est une merveille, l’affaire Boutboul. C’est une merveille, qu’est-ce que vous voyez ? Là vous pouvez faire votre réseau transversal : femme jockey, bon je la mets là, femme jockey. Un mari avocat, avocat mais mêlé aux courses, alors je fais ma ligne, là, transversale. Bon. Mari assassiné. Bon, là-dessus, une belle-mère, avocate, bizarre, radiée, une avocate radiée. Ahh, elle est en rapports avec les... - du coup le réseau tend une branche qui va à l’infini - avec les missions des jésuites. Ce sont des jésuites, qu’est-ce qu’ils font là-dedans ? C’est eux qui ont fait radier la... Alors est-ce que... l’avocat est mort, alors c’est qui ? Est-ce que c’est la belle-mère qui a tué l’avocat ou est-ce que c’est le jésuite vu que la bellemère, elle dit que les jésuites sont de terribles assassins... Bon : une bouillie. Les agencements sociaux, c’est des bouillies. Et ça stratégise de tous les côtés. Les déclarations de la belle-mère, de Madame Boutboul, c’est des déclarations de haute stratégie, c’est évident. Euh... tout le monde stratégise et puis alors on nous montre ça à la télé. C’est vraiment la variété à l’état pur, c’est.... Ah ! J’oubliais le père mort dans son coin ! Alors pourquoi qu’il était mort ? Il dit, alors il fait sa stratégie, il dit : « Oh, c’est parce que j’étais séparé de ma femme, alors il ne fallait pas que la petite ait trop de chagrin ! ». C’est très bizarre.

Claire Parnet : « il a fait une déclaration encore plus bizarre, il a dit : à 45 ans on n’est pas maître de ses actes comme à 73 ans, alors on sait pas à quel âge ça commence ! »

Deleuze : ah oui, c’est bien aussi. C’est pour ne pas faire de peine à la petite qu’il s’est fait passer pour mort au lieu de se faire passer pour séparé de sa femme, c’est très intéressant ! C’est une haute stratégie, ça. Bon c’est comme ça que marche un champ social, une société. C’est bien. Bon. Tout ceci pour conclure : une société, ben oui, c’est stratégique. Dès lors, comprenez, la conséquence est vraiment très grande : le pouvoir n’est la propriété de personne, en revanche il est l’exercice de tout le monde. C’est ça que veut dire « stratégie » ; Le principe stratégique. Et on a vu et on commence à comprendre comment la stratégie s’oppose à la structure, mais, plus finement et plus profondément, s’oppose aux strates.

-  Deuxième principe. Localisation. C’est-à-dire, c’est le second postulat d’énoncé, à savoir la tendance à localiser le pouvoir dans un appareil. Et, là, Foucault, en a évidemment aux thèses, à la même époque, d’Althusser, qui, dans un texte très beau, montrait ou essayait de montrer que même les pouvoirs privés n’avaient qu’une apparente dispersion et fonctionnaient comme des appareils d’Etat spéciaux. Foucault, c’est l’antithèse, à la lettre, là. Là je ne pose pas la question de - qu’est-ce qui amène cette différence entre Althusser et Foucault ? - parce qu’il faudrait remonter à la manière dont Althusser posait le problème pour son compte. Mais je veux juste retenir le point de vue de Foucault, à savoir que même les pouvoirs publics ont une origine, ont des procédés, ont des exercices, c’est-à-dire tout ce qui fait l’essentiel du pouvoir, que l’Etat, sans doute, contrôle ou couvre, mais qu’il ne constitue pas. Vous voyez en quel sens c’est l’anti- Althusser, Althusser disant : même les appareils, même les pouvoirs privés sont des appareils d’Etat spéciaux. Foucault dit : même l’appareil d’Etat ne fait que gérer des procédés de pouvoir qui viennent d’ailleurs. Et, en effet, vous avez deviné pourquoi : si l’appareil d’Etat est un élément constituant des grands ensembles, s’il forme des grands ensembles, l’appareil d’Etat, ben, par définition, il suppose les rapports de pouvoir, il n’explique pas les rapports de pouvoir. Il suppose les rapports de forces qui viennent d’ailleurs. Là où Foucault est très fort, c’est que, évidemment, il a des exemples très concrets. Il dit : prenez un rouage de l’appareil d’Etat comme la police. Et ben, c’est évident. Un rouage de l’appareil d’Etat comme la police... Il se donnerait tout trop facile s’il prenait des institutions plus ambiguës. Mais, si quelque chose appartient, semble appartenir à l’Etat et faire partie de l’appareil d’Etat, c’est la police. Tous ceux qui définissent l’Etat par le monopole de la force l’entendent ainsi. Ben il dit : ben non. Si l’on considère concrètement les techniques policières, on voit que les procédés du pouvoir de la police sont par nature, non pas par exception, mais constamment et toujours et même à l’origine, sont couverts par l’État, réutilisés par l’Etat, mais l’Etat n’en est absolument pas l’origine. La police a ses techniques de pouvoir, la police a ses procédés de pouvoir. Vous me direz : mais alors, oui, mais la police, ça veut dire quoi ? Ben il y a des foyers de police qui se révèlent déjà au niveau des communes sans appareil d’Etat. Vous me direz : oui, mais il y a la commune, il y a toujours un autre pouvoir. Non, pas forcément. Pas forcément. Et, de toute manière, même quand il y a un autre pouvoir, la police se mesure à son indépendance par rapport aux autres foyers de pouvoir. Elle est elle-même foyer de pouvoir autonome, elle l’a toujours été, c’est comme ça qu’elle prétend fonctionner. Alors l’État, en effet, peut globaliser le pouvoir de police ou peut s’approprier des pouvoirs de police. Les pouvoirs de police ne viennent pas de l’Etat. De la même manière il montrera pourquoi. Parce que, les pouvoirs de police, c’est des pouvoirs disciplinaires et que les disciplines ont toujours précédé le moment où l’Etat se les appropriait. L’Etat s’approprie les disciplines, il n’est pas à l’origine des disciplines. Les disciplines de l’école, les disciplines de l’armée, les disciplines privées, les disciplines de l’Eglise etc. ont toujours précédé l’Etat. Les techniques disciplinaires sont récupérées par l’Etat. Elles ne trouvent pas dans l’Etat leur origine.

Et, Foucault, dans "Surveiller et punir", montrera la même chose surtout à propos de la prison. On l’a vu, la prison ne fait pas partie de l’horizon du droit pénal, elle est irréductible au pouvoir juridique, elle est relativement indépendante du pouvoir juridique, elle a son pouvoir à elle, pouvoir de la prison et pouvoir dans la prison. Pouvoir dans la prison où le juge et le droit n’ont rien à faire, ce que Foucault appellera un « supplément disciplinaire », dans cette technique disciplinaire, et l’Etat couvre la prison plus que la prison n’est un rouage de l’appareil d’Etat. En d’autres termes, vous voyez, là, le pouvoir ne se laisse pas localiser dans un appareil. Il faut faire attention au mot « local » parce que Foucault l’emploiera en deux sens. Il n’y a pas contradiction entre les deux types de phrases de Foucault suivants : le pouvoir ne se laisse pas localiser, c’est-à dire il est diffus, ça veut dire ça, le pouvoir ne se laisse pas localiser, il est diffus, c’est-à-dire il essaime dans tout le champ social et, l’autre type de phrases de Foucault : le pouvoir consiste toujours en foyers locaux, l’affirmation du caractère local du pouvoir, qui signifie, cette fois le pouvoir n’est jamais global. Et les deux sont parfaitement cohérents. Il ne se laisse pas localiser parce qu’il est diffus, en revanche il est toujours local puisque, le global, c’est les grands ensembles et que le pouvoir, les rapports de pouvoir travaillent sous les grands ensembles.

-  Troisième postulat dénoncé par Foucault : postulat de la subordination. C’est le postulat d’après lequel le pouvoir serait subordonné à un mode de production comme infrastructure. C’est-à-dire : il y aurait des rapports de production qui définiraient une infrastructure et le pouvoir, qui serait seulement politique, exprimerait cette infrastructure quelle que soit la complexité de cette expression. L’idée de Foucault est très simple, c’est que vous ne pouvez pas parler de rapports de production sans y mettre déjà et sans les entrelacer avec des rapports de pouvoir. Donc les rapports de pouvoir ne découlent évidemment pas des rapports de production, parce qu’il n’y a pas de rapports de production définissables indépendamment de l’entrelacement qu’ils ont avec les rapports de pouvoir. Et, en effet, revenons à un exemple, chez les primitifs, dans nos sociétés primitives. Ben les rapports de production, inséparables strictement des relations d’alliance, des rapports d’alliance, du réseau transversal dont on vient de parler, puisque c’est ce réseau transversal des alliances qui va déterminer qui travaille pour qui, quels sont les membres de telle filiation qui travaillent avec quels membres de telle autre filiation. C’est tout simple. Donc : refus de toute subordination des rapports de pouvoir vis-à-vis de relations dites économiques ou de relations [ ???] quelle qu’elles soient.

-  Quatrième postulat. Postulat de l’essence ou de l’attribut. Le pouvoir aurait une essence et serait un attribut et, en tant qu’attribut, il qualifierait ceux qui le possèdent, les dominants, en les distinguant de ceux sur lesquels il s’exerce : les dominés. C’est ça le postulat de l’essence ou de l’attribut. La réponse de Foucault - là aussi on s’y attend, maintenant je peux aller vite - c’est que le pouvoir n’a pas d’essence, il fonctionnel opératoire. Il n’a ni essence, ni intériorité. Et pourquoi ? Il n’est pas attribut, il est rapport et c’est parce qu’il est rapport qu’il n’est pas attribut. En d’autres termes, la relation de pouvoir, c’est l’ensemble des rapports de force dans un champ social et, dès lors, le pouvoir ne passe pas moins par les forces dominées que par les dominantes. Le pouvoir ne passe pas moins... là il va falloir juste réfléchir un petit peu à ce qu’il veut dire. Le pouvoir ne passe pas moins par les forces dominées que par les forces dominantes. Vous voyez : ce n’est pas un attribut qui distingue le dominant et le dominé, c’est un rapport qui rapporte le dominant au dominé et le dominé au dominant. Voilà le texte de Volonté de savoir ou de Surveiller et punir, je ne sais plus : « le pouvoir investit les dominés, il passe par eux et à travers eux, il prend appui sur eux, tout comme eux-mêmes, dans leur lutte contre lui, prennent appui à leur tour sur les prises qu’il exerce sur eux ». Et, peut-être, là, un des exemples les plus précis, tout à l’heure j’invoquais la prison pour le postulat précédent, maintenant un des exemples les plus précis analysés par Foucault, c’est l’exemple des lettres de cachet. Dont je vous avais déjà dit un mot. Et les lettres de cachet - qui sont une institution propre vraiment à la monarchie française, hein, je crois, d’après Foucault il n’y a pas d’équivalent à la même époque - semblent typiques pour indiquer une transcendance du pouvoir. Et on les présente souvent comme étant l’expression du pur arbitraire du roi, indépendamment de toute procédure d’enquête, le roi décide l’emprisonnement, l’internement de quelqu’un et, sans doute, ça a été vrai de quelques cas, c’està- dire dans le cas, notamment, de grands seigneurs. Mais, la technique de la lettre de cachet, c’est complètement différent, je le disais. Et la technique de la lettre de cachet, qu’est-ce qu’elle montre ? Que le vrai processus de la lettre de cachet, c’est ceci : un membre de la famille, un voisin, un collègue, collègue de bureau, n’importe quoi, envoie une demande et dit : « untel il est complètement tapé, complètement fou, il faut l’enfermer. Euh, mettez-le en prison. Monseigneur, mettez-le en prison ». Là-dessus il y a enquête. En d’autres termes c’est pas l’arbitraire du roi, c’est la manière dont les dominés participent à l’arbitraire du roi. Le pouvoir passe par les dominés autant que par les dominants. La lettre de cachet est fondamentalement réclamée par les familles, les voisins pour toute créature qui trouble un petit peu, c’est-à-dire contre laquelle on ne peut pas déchaîner une procédure judiciaire. Il faut que ce soit le petit trouble, à la manière de Tarde, c’est un microtrouble. Si c’était un grand trouble, s’il avait commis un délit, la procédure normale serait utilisée. La procédure « lettre de cachet », elle est faite pour la microphysique du délit, pour les délits, les petits délits qui ne sont pas sanctionnables du point de vue du droit et Foucault donne un exemple de lettre de cachet, très émouvant d’ailleurs, la lettre de..., la supplique envoyée par..., comment qu’elle s’appelle, ah... ah ben je me suis trompé. Ah non, je ne me suis pas trompé. [ ???] j’ai perdu... ah ! La femme de Nicolas Bienfait. Madame bienfait qui, au XVIIème siècle... Voilà : « Je prends la liberté de représenter très humblement à Monseigneur que ledit Nicolas Bienfait, cocher de remise, est un homme fort débauché qui me tue de coups, qui la tue de coups et qui vend tout, ayant déjà fait mourir ses deux femmes dont, la première, il lui a tué son enfant dans le corps. La seconde, après lui avoir vendu et mangé par ses mauvais traitements... » je ne comprends pas, peu importe « ...l’a fait mourir en langueur jusqu’à vouloir l’étrangler la veille de sa mort ». Il n’y a rien de condamnable par la loi, [ ???] elle peut rien faire la dame. « La troisième il lui veut lui manger le coeur sur le grill, sans bien d’autres meurtres qu’il a fait. Monseigneur je me jette aux pieds de votre grandeur pour implorer votre miséricorde, j’espère de votre bonté que vous me rendrez justice car ma vie étant risquée à tout moment, je ne cesserai de prier le Seigneur pour la conservation de votre santé ». Or, je vous disais, aujourd’hui, qu’est-ce qui se passe quand on fait un placement volontaire ? Une femme se fait massacrer par son mari, qu’est-ce qu’elle peut faire ? Et ben, elle demande une lettre de cachet, c’est-à-dire elle demande que le type soit interné [ ???]. Elle demande que le type soit interné, il y a une enquête, la police vient voir la concierge, la lettre de cachet [ ???] et puis il est interné si l’enquête de police... Il y a un psychiatre [ ???] tout ça. Bien. Le pouvoir passe. Le pouvoir est en rapport de force [ ?], passe par les dominants, par les dominés, non moins que par les dominants. C’est le postulat, ça, donc, d’énonciation du postulat de l’attribut : le pouvoir n’est pas attribut, il est rapport.

-  Cinquième postulat. Postulat de la modalité. C’est que, dans beaucoup de théories classiques, on fait comme si le pouvoir avait deux modalités : ou bien, ou bien. Ou bien il procède par violence et c’est la répression, ou bien il procède par idéologie. Répressif ou idéologique. Répressif ou idéologique. Répression ou idéologie, on sent bien que c’est une alternative très pauvre, parce que, ce que Foucault ne cesse de montrer, c’est que le pouvoir peut agir sur les âmes et sur les corps, mais, même quand il agit sur les âmes, il agit autrement que par idéologie. Et même quand il agit sur les corps, il agit autrement que par violence et répression. S’il fallait attendre que le pouvoir soit répressif, vous savez hein... il y a longtemps qu’il n’y aurait plus de pouvoir, il procède tout autrement. Il est répressif en dernière instance, oui, quand il ne peut pas faire autrement, mais sinon il se passe très bien d’être répressif. Il a des moyens plus subtils qui ne sont ni l’idéologie, ni la répression. Pourquoi ? Voilà le point peut-être le plus essentiel, mais, là, il faudra revenir sur lui, je le donne actuellement, je l’indique, je l’introduis très vite. Le rapport de force, c’est pas la violence. Pourquoi c’est pas la violence ? C’est que le rapport de forces, comprenez déjà, c’est le rapport de la force avec la force. Ce qui est très important, parce que si je dis : la force est essentielle dans le rapport, ça veut dire qu’il y a une raison dans la notion de force pour que la force ne soit jamais toute seule, que la force fasse toujours partie d’une multiplicité, il appartient à la force d’être en rapport avec une autre force. Dès lors toute force est rapport de forces. Il n’y a pas une force, il y a des rapports de forces. Qu’est-ce que c’est que la violence ? Est-ce que c’est un rapport de forces ? Non. La violence n’est pas un rapport de forces. C’est-à-dire la violence n’est pas le rapport d’une force avec une autre force. Qu’est-ce que c’est la violence ? La violence, c’est le rapport de la force avec un être ou un objet. Et, ça, c’est fondamental, évidemment, dans l’analyse de Foucault qui n’insiste même pas là-dessus tellement, pour lui, ça va de soi, mais, enfin, il faut bien le dégager. C’est... et oui, la violence, quand je subis une violence, c’est pas ma force qui subit une violence, c’est mon corps qui est peut-être le siège d’une force, la mienne, mais qu’est-ce qui est détruit par la force ? C’est pas une autre force, une autre force elle est pas détruite par la force, qu’est-ce que ça veut dire qu’une force en détruit une autre ? Une force est bien incapable de détruire une autre force. En revanche une force peut très bien détruire un corps, ça oui, un être ou une chose. La force d’une bombe détruit une ville comme corps ou un vivant comme corps. La violence exprime le rapport d’une force avec une chose, un objet ou un être. Qu’est-ce qu’on appelle un rapport de forces ? C’est le rapport d’une force avec une force. Qu’est-ce que le rapport d’une force avec une force ? Foucault dira, dans un entretien - alors qu’il ne développe pas, ça, dans ses livres - dans un entretien, il dira, le rapport d’une force avec une force, c’est une action sur une action. C’est pas une action sur un corps, c’est une action sur une action, la seconde action étant réelle ou possible. La force est une action sur une action réelle ou possible. C’est très précieux [ ???] revenir là-dessus. Une action sur une action, c’est pas une violence, jamais la violence n’a agi sur une action, la violence s’exerce sur le support d’une action, sur le sujet d’une action. Une violence n’agit pas sur une action. Qu’est-ce que c’est une action sur une action ? Il donne des exemples. C’est un entretien qui est reproduit dans, le livre de Dreyfus et Rabinow sur Foucault chez Gallimard. Qu’est-ce que c’est... ? Il donne des exemples très insolites pour nous, mais justement ce sera pour nous l’occasion de chercher. Il dit : les rapports de forces, c’est du type non pas du tout « faire violence » ou « réprimer », c’est du type : inciter, susciter, combiner. Ça a l’air de rien, mais, là, on aura à chercher. Vous voyez ce qu’il veut dire à première vue : oui une force ne fait pas violence à une autre force, mais une force peut inciter une autre force. Une force peut combiner d’autres forces. Ça, oui, ça c’est des rapports de forces.

Donc les rapports de forces sont du type, non pas du tout « faire violence », mais du type : inciter, susciter, combiner. On laisse ça, c’est trop obscur pour nous quand on n’a pas encore les moyens de commenter ça. On les aura bientôt, hein. Alors on laisse de côté ça. Et je me dis : dans "Surveiller et punir", qu’est-ce que c’est les rapports de forces qu’il étudie ? Si vous prenez l’ensemble de "Surveiller et punir", j’essaie de faire la liste. Dans "Surveiller et punir", je dirais : les rapports de forces, c’est quoi ? C’est organiser dans l’espace, à savoir du type... « mettre en rang » à l’école. Mettre en rang à l’école, c’est-à"dire ranger, enfermer, quadriller, sérier. Faire une série, c’est pas la même chose que mettre en rang. Sérier c’est, par exemple faire une liste pour la composition : premier, deuxième, troisième. Voilà. En d’autres termes voilà un premier aspect : répartir dans l’espace. Les fonctions dont Foucault nous parle dans "Surveiller et puni"r, premier grand titre de fonction : répartir dans l’espace, enfermer, quadriller, ranger, sérier.

Deuxième grand type de fonction : ordonner dans le temps. C’est subdiviser le temps lui-même, heure, demi-heure, minute, seconde, programmer l’acte, programmer un acte, décomposer un geste. Ça, c’est des fonctions d’ordonnance dans le temps, non plus de répartition dans l’espace. Vous me direz : où ça se passe ? Ben, l’endroit où ça se passe de toute évidence c’est les ateliers, les premières usines. La décomposition du geste, le travail mécanique. C’est une fonction d’ordonnance dans le temps. Et ben, c’est... euh... il y a peut-être une violence sous-jacente intense, il n’y a pas des coups de fouet, on n’a pas formé les ouvriers avec des coups de fouet, en un sens ça a été pire.

Troisième grande fonction : composer dans l’espace-temps. Vous voyez : répartir dans l’espace, ordonner dans le temps, composer dans l’espace-temps. Et, cette fois-ci, composer dans l’espace-temps c’est quoi ? C’est produire un effet utile supérieur à la somme des forces élémentaires. Produire un effet dit « utile » supérieur à la somme des forces, des forces composantes. Voilà. C’est ça les rapports de forces, c’est pas répression et idéologie. Et, ça se ré-enchaîne avec Volonté de savoir, vous vous rappelez tout notre thème, dans la Volonté de savoir qu’est-ce qu’il y avait ? Si on en reste aux mots et aux phrases, on peut toujours croire que la sexualité a été réprimée. Mais, si l’on sait lire, si l’on sait dégager les énoncés de l’époque, on s’aperçoit que, au contraire, la sexualité a été perpétuellement sollicitée, conviée à s’exprimer et à parler. A quelle condition ? Précisément à condition de se laisser répartir dans l’espace, de se laisser ordonner dans le temps et de se laisser composer dans l’espace-temps. C’est ce que Foucault traduira en disant en gros : les sociétés modernes ne procèdent pas par idéologie ou répression, elles procèdent par normalisation. Qu’estce que normaliser ? Normaliser, c’est le rapport de forces par excellence, à savoir c’est répartir dans l’espace, ordonner dans le temps, composer dans l’espace-temps. Voilà donc la dénonciation du cinquième postulat. Enfin il y aurait un sixième postulat dénoncé par Foucault, c’est le postulat de la légalité. Le lien que la plupart des théories font entre l’État et la loi. Et, comme là c’est plus compliqué que les précédents, nous gardons pour la prochaine fois. C’est le dernier.

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