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8- 17/12/1985 - 3

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Deleuze/Foucault cours 8 du 17/12/1985 - 3(1) Sur Foucault Les formations historiques 
Année universitaire 1985-1986. Cours du 17 Décembre 1985 Gilles Deleuze (partie 3/4) 
 Transcription : Annabelle Dufourcq 
(avec l’aide du College of Liberal Arts, Purdue University)

46 minutes 31 secondes

... des pseudo-mathématiques. Encore que, je pense que, pour la philosophie, le fait que les mathématiques comportent, dans ses chapitres les plus importants, une théorie mathématique des singularités est un des grands croisements des mathématiques et de la philosophie. Et cela de tout temps. Cela me paraît impossible de comprendre un philosophe comme Leibniz sans tenir compte de la double appartenance philosophique et mathématique de la notion de singularité, des points singuliers. Vous comprenez, toutes les philosophies qui ont réagi contre l’universel n’ont jamais pu le faire qu’au nom des singularités et les singularités déjà comprises au sens mathématique, et on verra l’importance pour Foucault, de mener le plus loin possible une critique de l’universel. Bon, bien, bien, bien... Alors euh. Voilà. Il va y avoir toutes sortes de problèmes pratiques, parce que, vous voyez, la méthode - L’archéologie du savoir est un livre de méthode - dès lors, si je le résume en disant : et ben oui, il s’agit de construire les intégrales, les courbes intégrales au voisinage des singularités, euh, maintenant je pense que vous comprenez que ça veut pas dire que Foucault fait des mathématiques. Car cette méthode il va l’appliquer directement à de tout autres domaines. Et il aura le droit, puisqu’il aura dégagé les conditions sous lesquelles cette méthode ne se cantonne pas dans les mathématiques. Alors, prenons un exemple. Un exemple... quoi ? Un exemple cette fois-ci social, car j’ai bien précisé que, les rapports de forces, il n’y a pas de raison de les maintenir, de les cantonner dans un champ social ; encore une fois, entre des lettres de l’alphabet il y a des rapports de forces. Et ben prenons cette fois-ci un exemple emprunté à un champ social. Est-ce qu’il y a des singularités dans un champ social ? Evidemment il y a des singularités dans un champ social. Qu’est-ce que c’est des singularités dans un champ social ? Est-ce qu’il y a des singularités dans un champ esthétique ? Oui, il y en a. il y en a plein dans un champ esthétique. Finalement, est-ce que c’est pas une définition de la pensée ? Penser c’est émettre des singularités. Si c’était une définition de la pensée, on comprendrait mieux « Un coup de dés... » de Mallarmé, on comprendrait mieux l’appel de Nietzsche au jeu de dés. Penser c’est émettre un coup de dés. Les singularités, c’est quoi ? C’est des points sur les faces du dé qui sort. Les faces sortantes du dé. Alors est-ce que ça veut dire qu’on peut penser n’importe quoi ? Rien du tout. Justement, ça veut dire qu’on peut pas penser n’importe quoi, car il faut que les singularités que j’émets forment de belles courbes intégrales et je ne sais pas d’avance... il y a toujours des risques. Une pensée débile... la pensée débilo, j’émets des coups de dés, mais... rien n’en sort. C’est le mauvais joueur. Je dirais... Penser c’est émettre un coup de dés, ça veut dire, encore une fois, ben oui, que le hasard lui-même est un rapport de forces, rapport de forces entre les points sur les faces du dé et que qu’est-ce qui en sort ? Ben peut-être que, les intégrales de la philosophie, c’est des concepts mais qu’un concept c’est pas un universel, c’est une intégrale de singularités. Alors il y aurait des singularités noétiques, des singularités de pensée... ? Oui, il y aurait des singularités noétiques et, faire de la philosophie, ce serait des coups de dés. Bon, bien. Donc il y aura un champ philosophique avec des singularités. Et c’est avec ça que je fabriquerais des concepts. Ou bien que je fabriquerais rien du tout. Bon. Mais, alors, revenons au champ social. Voilà, je lance, je fais une petite constellation. Alors, bien sûr, je suis forcé d’avoir l’air, mais c’est un air seulement, de me contredire. Puisque je vais les nommer, ces singularités, sinon on comprendrait plus rien. Je suis bien forcé de les nommer, donc, déjà, de préjuger des intégrales qui vont les unir. Mais vous corrigez de vous-mêmes. Je vais faire une petite constellation... Oh non. Vous voyez, je le fais comme ça, hein. Je lance..., j’émets une singularité. Je l’appelle « confession ». Je dis : c’est un point de confession. Voilà, c’est une singularité, ça, un point de confession. J’émets un autre, là, un peu plus haut... un point de sacrement. En bas, j’émets, troisième, un point de culpabilité... Euh.... A gauche, à droite, j’en émets un dernier, j’en peux plus : un point de mémorisation. Voilà, ça m’en fait 4, 5. Je peux définir des rapports de forces. Je peux définir des rapports de forces entre ces points, dans un champ de vecteurs. Un premier : mon point de confession est pris typiquement dans un rapport de forces prêtre-usager, confesseur- confessé. C’est un rapport de forces au sens large : ça ne veut pas dire que le confesseur me donne une gifle hein ? Un rapport de forces, on a vu que c’était pas ça. Notamment, les lignes d’attraction sont des rapports de forces. Les attractions sont typiquement des exercices de force. Sacrement..., bon, tout ça... Sacrement, faute, mémorisation... Vous comprenez que je peux faire passer une courbe au voisinage de tous ces points. Je le fais par hypothèse. Je me dis : oh, ben oui, il y a quand même quelque chose à voir. La courbe me dit quoi ? L’intégrale qui va passer au voisinage de chacun de ces points. Et ben, je pars comme ça de « point de confession » et puis je trace une ligne vers « point de sacrement ». En effet, il faut que je me sois confessé pour communier, pour recevoir la communion. Ça fait, ça... c’est plus le rapport de force de chaque point dans le champ de vecteurs, c’est une courbe intégrale qui passe du voisinage du premier point au voisinage du second. Sacrement et confession : je peux tendre deux lignes régulières qui tendent vers la faute. Le sacrement est une manière de rachat de la faute primordiale. La confession est la déclaration des fautes secondes. Bon, là aussi, si ce que je dis est faux, vous corrigez de vous-mêmes, ça ne change rien. Mémorisation : l’examen de conscience qui précède la confession. Bon, je peux pousser mon intégrale, ma ligne que je peux appeler « d’intégration » ou « d’actualisation » des points singuliers. Je peux la pousser... Je peux la pousser jusqu’à quand ? Jusqu’où ? C’est très variable. Premier cas : je la pousse jusqu’à ce que je pourrais appeler une courbe spéciale, c’est ça, qui fixerait la fin de la série. Je dirais : une série est finie si je peux assigner, relativement à cette assignation, si je peux assigner parmi et dans l’ensemble des courbes intégrales qui l’actualisent, si je peux assigner ce que les mathématiciens - c’est des mots très commodes - appelleraient une « enveloppante ». Mettons : une courbe qui enveloppe toutes les autres. L’enveloppante : c’est joli tous ces termes, c’est..., c’est très joli, l’enveloppante des singularités. C’est bien. Et, simplement, est-ce qu’il y a une telle enveloppante ? Il y a des cas où il n’y a pas d’enveloppante. C’est comme en mathématiques, je suppose. Il y a des cas où il n’y a pas d’enveloppante. Il y a des cas où il y en a. A la fin de sa vie Foucault s’intéressait de plus en plus à ce qu’il appelait « le pouvoir pastoral ». Et le livre non publié, Les aveux de la chair, je crois, analyse la formation de ce pouvoir d’église, pouvoir pastoral. C’est une vieille idée qu’on trouve chez Platon, à savoir : paître comme étant le modèle du gouvernement. Paître un troupeau, c’est tout le thème du Politique chez Platon... Qu’est-ce que le bon gouvernant ? C’est le pasteur d’un troupeau. Ça a l’air de rien, mais c’est un problème politique fondamental : le pouvoir est-il pastoral ? Il va de soi que, dans sa reprise du platonisme, le christianisme va tirer parti de l’idée d’un pouvoir pastoral, avec les Pères de l’Eglise, et va l’orienter dans des voies qui seront évidemment très loin de Platon, puisque ce sont des voies chrétiennes. Et le pouvoir pastoral, ce sera avant tout un pouvoir d’un type nouveau, que le pouvoir d’Etat ne remplit absolument pas à l’époque, qui, peut-être, va préfigurer les Etats futurs, à savoir..., et qu’on pourrait définir comme ceci : un rapport de force (pouvoir pastoral) qui se présentera comment ? Contrôle de la quotidienneté. Contrôle de la vie quotidienne. Gestion de la vie quotidienne. Le pasteur du troupeau... La multiplicité humaine, la communauté humaine assimilée à un troupeau, tel que le pasteur doit s’occuper du détail quotidien de l’existence de chaque membre du troupeau. Voilà un type de pouvoir qui n’a aucun équivalent. Le pouvoir pastoral, qui est absolument différent du pouvoir royal. Le roi ne s’occupe absolument pas de la quotidienneté de ses sujets. Le pasteur s’occupe de la quotidienneté de son troupeau et de ce qui se passe dans la tête du troupeau. Le roi s’en tape complètement de ce qui se passe dans la tête des gens. Bon, je dirais : là, avec le schéma pastoral, vous avez comme une englobante, une enveloppante. Est-ce que je peux dire : la série se termine donc, elle est close, elle est close par le schéma pastoral ? Oui, oui, d’un certain point de vue. Est-ce qu’elle ne peut pas être prolongée ? Il est probable que, à partir d’un certain moment, que Foucault assignerait fin XVIIIème début XIXème, le pouvoir d’Etat prend modèle sur le pouvoir pastoral de l’Eglise. C’est-à-dire qu’une des prétentions fondamentales du pouvoir d’église d’individualiser ceux sur qui il porte, individualiser ses sujets, et, par là-même, pouvoir les saisir dans leur vie quotidienne, et bien le pourvoir d’Etat va en faire son propre objet avec de tout autres moyens. Il y aura donc une espèce de relais où le pouvoir pastoral sera, quitte à des changements très importants, pris en relais par le pouvoir d’Etat. Le pouvoir d’Etat exige, se met à exiger l’individualisation de ses sujets. Bien. A ce moment-là, je peux dire, sous cette condition, que ma série se prolonge au-delà du pouvoir pastoral. Il y aura convergence entre la série pastoralisée et la série étatisée. Entre la série d’Eglise et la série d’Etat. Bon. On se contente de ça. Ça revient à dire quoi ? Quelle serait la méthode, méthode d’analyse du champ social ? La méthode d’analyse du champ social, c’est : fixer les singularités présentes dans ce champ en tant qu’elles entrent dans des rapports de forces constitutifs du champ de vecteurs. Donc : fixer les singularités constitutives de tel champ social, c’est-à-dire qui entrent dans les rapports de forces correspondant à ce champ social. Deuxième point : construire les formes institutionnelles, c’est-à-dire les courbes intégrales, qui actualisent ces rapports de forces. Le sacrement, le confessionnal, le pouvoir d’Eglise en tant qu’institution... bien. Dans la mesure où les rapports de force et les singularités s’actualisent, sont considérés comme actualisés dans ces courbes intégrales, dans ces institutions, elles constituent de véritables savoirs. Tout un savoir qui va se développer au niveau du confessionnal comme casuistique, au niveau des sacrements, au niveau des Pères de l’Eglise, au niveau de ce qu’on pourra appeler « le savoir pastoral » en général. Et, dans la mesure où les singularités avec leurs rapports de forces s’incarnent dans ces courbes, surgissent des énoncés. Nous retrouvons notre solution. Je cherche quels sont les énoncés de sexualité au XIXème siècle. On n’a plus qu’à reprendre, mais je crois qu’on a fait un grand pas en avant qui rend maintenant beaucoup plus clair. Je cherche à constituer un corpus des phrases concernant la sexualité, des mots qui disent la sexualité à telle époque. Comment je constitue mon corpus ? Je cherche les singularités comme foyers de pouvoirs. Foyer est un mauvais mot : il y a des centres de pouvoir, il y a des nœuds de pouvoir, il y a des colles de pouvoir, il y a tout ce que vous voulez... C’est des singularités. J’assigne mes singularités, ce sont des foyers de pouvoir. Je fais passer mes courbes. Ces courbes, ce sont les formes d’énoncés. Ce sont les formes d’énoncés qui portent en elles-mêmes un savoir. Troisième question. Donc vous voyez les deux aspects de la méthode sérielle. Premièrement... je recommence : assigner les singularités et les rapports de forces où elles sont prises. Ça c’est le problème du pouvoir. Deuxième aspect : construire les courbes intégrales, c’est-à-dire les intégrations institutionnelles qui produisent des énoncés. Ça c’est l’aspect : savoir. Je construis mes séries. Deuxième aspect. Troisième aspect : quand est-ce qu’une série se termine ? Réponse variable. Tout dépend à quel niveau. Encore une fois, il y a toute une série qui se termine avec le pouvoir pastoral, mais qui, d’un autre point de vue, converge avec le pouvoir d’Etat. Vous pouvez faire passer la coupure, suivant votre but, vous pouvez faire passer la coupure à tel endroit ou plus loin. Parfois la durée sera courte, toute série étant spatiotemporelle, vous avez des séries à courte durée, vous pouvez construire aussi des séries à longue durée. Remarquez, là, problème pour Foucault, mais pour l’avenir : Foucault a toujours préféré des séries à courte durée. Si vous prenez tous ses livres, sauf les livres de la fin, vous voyez qu’il étudie les courtes durées et qu’il déteste... parce qu’il a peur que la longue durée ramène l’histoire universelle. Donc, au maximum, c’est des séries sur deux siècles. Histoire de la folie ; Surveiller et punir c’est même une série sur 50 ans. C’est des séries courtes. Sauf et, ça, on retrouvera ce problème, sauf avec L’usage des plaisirs où, là, éclate la conversion de Foucault à la longue série. A la longue durée. Il s’agit de faire l’histoire de quelque chose qui commence avec les Grecs. C’est tout à fait insolite une aussi longue durée. Des Grecs à nous, en passant par les Pères de l’Eglise. L’histoire de la sexualité se réclame, à partir du second tome d’une longue durée. Qu’est-ce qui a pu se passer ? S’il faut partir de quelque chose de très très précis pour comprendre... Foucault [ ???] poser la question : en quoi y a-t-il eu changement chez Foucault entre La volonté de savoir et L’usage des plaisirs ? Je crois qu’une bonne manière, parce que c’est un détail concret, c’est de se demander : qu’est-ce qui a pu convertir Foucault au maniement d’une grand série, d’une longue série. Donc, ça, c’est comme le troisième aspect : quand est-ce qu’une série finit ? Et, là, on voit très bien ce que Foucault doit aux historiens de son temps. On voit très bien ce qu’il doit à Braudel, puisque Braudel a toujours manié les séries, constitué les séries historiques et, bien plus, a distingué les séries d’après la longueur de la durée sur laquelle elles s’étalent et toute la conception de l’histoire de Braudel, vous le savez - peut-être que j’en parlerai plus précisément euh... plus loin, plus tard - c’est distinguer trois sortes de durée : les durées courtes, les durées moyennes et les longues durées qui coexistent les unes avec les autres. Chez Foucault, on aura à se demander quelle est la distribution des durées par rapport aux séries. Tout ça, ça fait beaucoup de problèmes, hein. J’ai donc donné un exemple. Mon exemple c’est : à propos de la sexualité, comment les foyers de pouvoir se localisent dans des singularités, dans des rapports de forces qui vont s’actualiser dans des processus d’intégration, ces processus d’intégration étant constitutifs de savoirs ? Bon, ça, c’est le thème général de Foucault. je prends deux exemples. Deux autres exemples que Foucault résume dans L’archéologie du savoir. L’exemple de la psychiatrie (233-234). Euh... il nous dit : « ce qui l’a rendue possible... » (la psychiatrie), « ce qui l’a rendue possible à l’époque où elle est apparue, ce qui a déterminé ce grand changement dans l’économie des concepts, c’est tout un jeu de rapports.... » Faites bien attention, vous allez voir que les termes de ces rapports ne sont pas des savoirs. « ...c’est tout un jeu de rapports entre... ». Là je recommence mon émission de singularités. « ...entre l’hospitalisation (1), l’internement (2), les conditions et les procédures de l’exclusion sociale (3).. » C’est pas la même chose que l’internement : les procédures d’exclusion. « ...les règles de la jurisprudence (4), les normes du travail industriel (5)... Bref tout un ensemble qui caractérise pour cette pratique discursive la formation de ses énoncés ». On peut pas mieux dire : c’est la constellation des foyers de pouvoir, c’est-à-dire la constellation des singularités, qui va rendre possible le tracé des courbes constitutif de savoir. Bien. C’est exactement... il faudrait dire, là, un champ social émet un coup de dés. Vous me direz : ah bon, il émet un coup de dés, un champ social, mais, enfin, ça part pas de zéro ? Non, ça part pas de zéro. Sans doute que le coup de dés de chaque champ social est déterminé partiellement par l’état des forces du champ précédent. Qu’est-ce que c’est ? Je dis ça parce qu’on reverra peut-être ça plus tard, je le dis maintenant pour ceux qui étaient là l’année dernière, c’est exactement ce qu’on appelle une succession d’événements semi-dépendants, ou ce qu’on appelle une chaîne de Markov. Des ré-enchaînements successifs. A chaque fois il y a tirage au sort, mais d’après les données du précédent tirage au sort déjà tiré. Une succession de tirages au sort qui dépendent partiellement les uns des autres. Bon, ça constitue une chaîne de Markov. On peut concevoir les mutations sociales sous forme d’une chaîne de Markov. Même analyse de Foucault pour l’anatomie pathologique. C’est un savoir, l’anatomie pathologique, c’est un savoir qui se forme au XIXème, au début du XIXème, à la fin du XVIIIème et qui se constitue et, auparavant, il y a quoi ? De même on peut se demander : qu’est-ce qu’il y avait avant la psychiatrie ? Il y a pas psychiatrie, il y avait autre chose. C’est toute une redistribution du champ précédent qui rendra la psychiatrie possible. Un nouveau tirage. Avant l’anatomie pathologique, il y a quoi ? Il y a la clinique. Il y a la clinique qui est la conquête du XVIIIème. Il faudra toute une redistribution des foyers cliniques pour que l’anatomie pathologique comme savoir soit possible. Pages 213-214, il nous dit ceci, qui a été démontré en beaucoup plus long dans Naissance de la clinique. Euh. Je vais pas trouver... Voilà : l’anatomie pathologique va découvrir un nouveau champ, un nouvel objet qui va être objet de savoir et qui est le tissu. Le tissu ben c’est... le tissu, c’est une grande découvert pour la biologie, pour la médecine... Bien. Euh. Là, se forme, autour du tissu, et en prenant comme objet le tissu, se forme l’anatomie pathologique. Mais « les champs préalables sont constitués par la masse de la population administrativement encadrée »... vous me direz : quel rapport avec les tissus ? Ben, si, La naissance de la clinique montre très bien quel rapport il y a entre la découverte des tissus et des données de ce type... « ... la masse de la population administrativement encadrée et surveillée, jaugée selon certaines normes de vie et de santé »... Vous comprenez, c’est des rapports de pouvoir tout ça... « ....analysée selon des formes d’enregistrement documentaire et statistique. Ils sont constitués aussi par les grandes armées populaires de l’époque révolutionnaire et napoléonienne. Ils sont constitués encore par les institutions d’assistance hospitalière qui ont été définies, à la fin du XVIIIème et au début du XIXème... » etc. etc. Vous voyez qu’à chaque fois Foucault va procéder en faisant sa constellation de singularités, s’interroger sur les rapports de forces qui vectorisent ces singularités et puis construire ces séries qui sont constitutives des savoirs. Bien. Je peux résumer en très gros en disant : et ben... Seulement, si vous m’avez suivi, on n’a fait que la moitié. On n’a fait que la moitié, parce que : qu’est-ce que je viens de montrer ? Ben oui, les courbes - je peux dire maintenant les courbes-énoncés, avec un petit trait d’union, hein, je dirais : tout énoncé est une courbe-énoncé - et je dirais : les courbes-énoncés actualisent des rapports de forces ou des rapports de pouvoir entre singularités. Actualisent, incarnent etc. On ne sait pas encore quel mot employer, on le verra seulement plus tard. Ouais. Ça va ? Mais, je dis, j’ai fait que la moitié de notre tâche. Seulement on est si fatigué que ça va aller vite, l’autre moitié. Car, vous vous rappelez, le savoir a deux formes irréductibles. Production d’énoncés et production de lumière. Le savoir, il est lumière non moins que langage. Le savoir, il entrelace la lumière et le langage et, bien plus, on se demandait comment il pouvait le faire puisque la forme-lumière et la forme-langage n’ont rien à voir l’une avec l’autre et sont irréductibles. On en était là, à ce problème cruel, puisque, la dernière fois, tout nous avait ramené à ceci : si vous restez dans la dimension du savoir, vous ne comprendrez jamais comment les deux formes peuvent s’entrelacer. Or vous voyez bien qu’on a la solution. On a tout maintenant. C’est bien. Mais, à un moment, on est trop fatigué pour en être heureux, comme toujours. L’autre côté, je ne peux pas m’en tirer sans dire la même chose. De l’autre côté, il faut bien aussi que, pour leur compte, les luminosités intègrent des points singuliers pris dans des rapports de pouvoir, pris dans des rapports de forces. En d’autres termes : de même que les énoncés sont des courbes, les visibilités sont des tableaux. Et pourtant, il y a quelque chose qui m’ennuie, c’est que Foucault emploie le mot « tableau », qu’il emploie très souvent, en un sens beaucoup plus général qui convient aussi bien aux courbes qu’aux visibilités. Ça fait rien. Ça fait rien. Si l’on essaie de réserver un sens particulier du mot « tableau », il faudra dire : ben oui, les visibilités, elles, elles intègrent les points singuliers dans des tableaux et non pas dans des courbes-énoncés. Dans des tableaux-visibilités. Les visibilités sont des tableaux non moins que... C’est pour ça que les visibilités, c’est jamais des choses. Chez Foucault on l’a vu la dernière fois notamment à propos de Raymond Roussel, la visibilité, c’est l’étiquette de la bouteille d’eau d’Evian, c’est le papier à en-tête du grand hôtel. La visibilité, c’est toujours un tableau. Pourquoi ? Parce que la visibilité, c’est un être de lumière avant d’être un être solide. Et ben, la lumière, tout comme l’énoncé, est une intégration des singularités, des points singuliers. Et vous ne pouvez définir une lumière que... et le chemin d’une lumière que comme allant d’une singularité à une autre, c’est-à-dire il y a des séries lumineuses comme il y a des séries verbales. Sur ce point, je voulais commenter de près, mais on n’en peut plus. Sur ce point, je vous renvoie à deux sortes de texte. La fameuse description du tableau de Vélasquez, Les Ménines, que je vous demande de lire du point de vue suivant - je ne dis pas que ce soit le seul point de vue pour lire ce texte, c’est un point de vue possible - du point de vue suivant : comment les lignes de lumière, chez Vélasquez, et de quelle manière, unissent et passent au voisinage de singularités ? Qu’est-ce que ce sera, les singularités du tableau de Vélasquez ? Vous verrez qu’elles ne se réduisent pas, elles sont multiples, elles suivent le trajet même de la lumière, la manière dont le trajet de la lumière se courbe, a des sommets, c’est-à-dire elle passe par des singularités qui distribuent les reflets, les éclats etc. Et tout culmine dans le rapport de forces de deux singularités magistrales, de deux singularités dominantes : le peintre et son modèle, le roi. Je ne dis pas que tout se réduit à ça, au contraire, il y a tout un développement d’un champ pictural extrêmement varié, peuplé de singularités, mais il y a des dominantes dans les singularités. Les deux dominantes c’est : le peintre et son modèle, le regard du peintre qui voit, sans que l’on voie ce qu’il voit, et le regard du roi, qui voit sans être vu. Je dirais que c’est le rapport de ces deux singularités, rapport de forces, du peintre et du roi... On peut poser la question : qui est le plus fort, de ces deux forces ? La force du peintre et la force du roi. Tout dépend du point de vue. En tout cas, c’est ça qui marquera la clôture du tableau. Ce sera ça, l’enveloppante du tableau : le tête à tête du peintre et du roi, mais ce tête à tête passe par la distribution de l’infante, du chien, du bouffon etc. etc. Et vous avez la lumière du tableau qui est l’intégration de toutes ces singularités sur un mode, sur un certain mode qui est le mode de Vélasquez. Vous pouvez concevoir d’autres modes. Si vous vous reportez au livre sur Raymond Roussel, autour de la page 150, avant et après cette page 150, on l’a vu, je l’ai commenté la dernière fois, c’est le grand passage de Foucault qui analyse les visibilités chez Roussel. Là, vous avez un régime de visibilité d’un tout autre type évidemment que celui de Vélasquez et qui procède cette fois-ci par... de proche en proche. Comment, décrivant la bouteille d’eau minérale, l’étiquette de la bouteille d’eau minérale, Roussel procède par une espèce de construction locale qui va de proche en proche, où il nous dit constamment : à droite on voit ceci, un peu dans le fond on voit cela etc. tout comme, dit Foucault, comme si on passait d’une niche à une autre niche, comme si on enfilait une succession de loges et c’est cette succession de petites loges qui va constituer le cheminement de la lumière, un tout autre régime de la lumière. Si vous vouliez faire des exercices pratiques autour de ce qu’on fait là [ ???], on le fera peut-être plus tard, vous prendriez des régimes de peinture et vous vous demanderiez en quoi ce sont des régimes de lumière différents et quel type de singularités, quel rapport de forces ces régimes de lumières... Car, après tout, il y a des rapports de forces, tout comme je disais tout à l’heure, vous savez il y a des rapports de forces entre les lettres de l’alphabet. En ce sens on peut parler d’une politique de la langue : oui, dès le niveau, il y a des rapports de forces entre les lettres de l’alphabet. De même il y a des rapports de forces entre les couleurs. Rapports de forces entre les couleurs... c’est même..., rapports de forces entre les couleurs... les couleurs... vous pouvez les concevoir comme singularités unies par des rapports de forces dans un champ de vecteurs. Et, si vous considérez un traité des couleurs, quel qu’il soit, vous ne pouvez pas définir des choses comme le froid et le chaud, par exemple au niveau de la couleur, sans faire intervenir des forces. S’il y a quelqu’un qui l’a montré de manière définitive, c’est Kandinsky, qui ne peut faire une présentation des couleurs qu’en fonction des forces affectées à chacune, en tant que les forces affectées à chacune déterminent déjà le rapport entre deux couleurs et le tableau ce sera l’intégration de tel et tel rapports de forces entre couleurs. C’est pourquoi la peinture de Kandinsky est très mal dite « abstraite ». Alors. Je peux dire que... bon... on l’a, notre solution. Vous vous rappelez, notre solution : mais comment est-ce que les deux formes peuvent s’entrelacer ? Comment les deux formes du savoir, le visible et l’énonçable, peuvent-elles s’entrelacer alors qu’elles n’ont rien de commun ? Notre réponse était : et ben, oui, elles ne peuvent s’entrelacer qu’à partir d’une instance qui est dans une autre dimension. Maintenant on l’a. On l’a, l’instance qui est dans une autre dimension et qui explique l’entrelacement des deux formes du savoir, c’est : la distribution des singularités et des rapports de forces entre singularités, c’est ce que j’appellerais une dimension informelle, la dimension informelle des rapports de forces par opposition à la dimension formée des rapports de formes, des relations de formes. Encore faut-il que l’on finisse par comprendre ce que veut dire : « les rapports de forces sont informels ». Il nous reste beaucoup à faire, parce que « les rapports de forces sont informels », c’est un mystère. Mais surtout, vous voyez bien que, lorsque Foucault emploie le mot « rapports de forces », il ne veut jamais, mais jamais, dire « exercice d’une violence ». Alors qu’est-ce qu’il veut dire, puisque le rapport de force est informel et ne consiste pas dans une violence, c’est-à-dire dans une destruction de forme ? Ça, ce sera notre objet dès la rentrée. Tout ce que je peux dire pour terminer, ben c’est tout simple. Qu’est-ce qu’il y a de commun ou quel est, sans doute, le point commun le plus profond entre Foucault et Blanchot ? Je dirais le point commun le plus profond c’est d’avoir établi, mais de deux manières très différentes, d’avoir établi un ensemble de liens intimes entre les trois notions suivantes : le neutre ou le « on », d’une part ; d’autre part, le singulier ; d’autre part, le multiple. Le neutre, ou le « on », s’oppose à la personne. Le singulier s’oppose à l’universel. Le multiple s’oppose à l’un et au même. Les trois notions sont...

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 6- 26/11/1985 - 1


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 7- 10/12/1985 - 1


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 8- 17/12/1985 - 1


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La voix de Gilles Deleuze en ligne
L’association Siècle Deleuzien