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17- 05/05/81 - 2

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Gilles Deleuze Peinture cours du 05/05/81 - 2 transcription : Guy Nicolas

Deleuze : «  L’âge et code.... D’où alors la réaction en effet de ces peintres qui semblent emprunter la troisième position, c’est à dire cette espèce de voie tempérée, moyenne, mais qui est évidement n’est tempérée et moyenne encore une fois de manière tout à fait verbale.

-  Qu’est ce que c’est ces peintres ? Prenons un terme ... des termes par exemple j’emprunte à Lyotard une terminologie qui me paraît très juste et très... Lorsque Lyotard oppose ce qu’il appelle le "figural" au "figuratif" - ce n’est pas une peinture figurative en effet parce qu’il n’y a pas de peinture figurative, encore une fois, c’est une peinture "figurale". C’est à dire là je donne au diagramme toute sa portée, mais j’empêche - c’est à dire je veux surtout pas que ce soit un code - et en même temps, j’empêche qu’il déborde sur tout le tableau, qu’il brouille le tableau. C’est à dire je me sers du diagramme pour produire le pur "figural" ou la figure.

Bon comprenez que là, je vais avoir des rapports mains/œil tout à fait nouveaux, encore. Ce ne sera plus la main qui s’oppose à l’œil ou qui s’impose à l’œil comme dans l’expressionnisme, en très gros. Ce ne sera plus l’œil qui réduit tellement la main, que la main n’a plus qu’un doigt. Ce sera quoi ? Ce sera une tension main/œil de telle manière que le diagramme manuel, fasse surgir quoi ? La réponse est forcée puisque ce n’est pas une figure figurative.

-  Et bien : donner à l’œil une nouvelle fonction ; que la main induise pour l’œil une nouvelle fonction de l’œil, c’est à dire vraiment un troisième œil. Que la main fasse surgir un troisième œil, bon, c’est vous dire que ce n’est pas du tout une voie tempérée. Elle n’est tempérée que par rapport aux deux autres cela veut dire, elle n’étend pas le diagramme à tout le tableau et d’autre part elle ne soumet pas le diagramme à un code proprement pictural. Mais sinon tous les dangers q’elle a, y compris le danger redoublé de frôler tantôt l’abstraction, tantôt de frôler l’expressionnisme, au lieu de tracer son chemin à elle. Mais ce serait comme un troisième chemin se serait là, la position du pur diagramme, la position purement diagrammatique.

Si bien qu’alors au point où l’on en est, et bien il faut aujourd’hui ce sera une longue étude, un long détour pour nous, ce serait à quoi je voudrais arriver, c’est - tout le monde a le droit de le faire - arriver à proposer une définition alors, de la peinture. Il y a tellement de définitions possibles, alors chacun peut donner la sienne c’est ... on pourrait jouer à cela, c’est bien, au point où l‘on en est, il faut un peu oublier la peinture. Je vous avais dit que mon but était double, mon but c’était bien de parler de peinture, mais c’était d’ébaucher une espèce de théorie du diagramme. Et bien là où nous buttons actuellement, c’est bon, maintenant il faut essayer de se débrouiller dans...
-  mais qu’est ce que c’est un diagramme ? Et quelle est la différence entre un diagramme et un code.

Qu’est ce que c’est ça ? Histoire diagramme, code ? Bon et c’est de ça pour moi que je voudrais arriver à en tirer une espèce de définition de la peinture. Si c’est vrai que la peinture c’est le diagramme, quel sont les rapports entre un diagramme et un code ? Alors je ne vais pas dire du tout et... c’est des rapports très compliqués sûrement, puisque qu’encore une fois appartient pleinement la peinture, la tentative d’inventer des codes optiques qui me paraît définir la peinture abstraite, bon, comme diagramme... donc on repart à zéro, très bien, on repart à zéro. Comme diagramme, on est dans un élément de pure logique maintenant, c’est cet élément de pure logique qui va nous relancer ensuite dans la peinture.
-  Et je dis le couple comme diagramme, il y a un autre couple après tout, il faut se servir de tout. c’est digital on l’a vu, digital un code est digital au sens que j’ai précisé à savoir, on appellera "digital" la nature du choix binaire qui va déterminer l’unité. Un code est digital, cela vous me l’accordez et classiquement dans toute les théories de l’information et même de linguistique. On oppose digital à quoi ? Analogique, analogique et digitable. Les synthétiseurs par exemple aujourd’hui sont ou bien tantôt des synthétiseurs analogiques, tantôt des synthétiseurs digitaux. Les procédés de retransmission d’un signal sont ou bien des procédés analogiques ou bien des procédés digitaux. Bon c’est quand même technologiquement même il ne s’agit pas de dire des choses très compliquées, c’est une distinction aujourd’hui qui nous concerne code / diagramme, j’ai mes deux doubletdigitales code /diagramme, digital /analogique. Pourquoi cela intéresse la peinture ? Pourquoi j’ai l’air de parler d’autre chose et que je parle pas d’autre chose ?

-  La peinture c’est un langage ou ce n’est pas un langage ? Est-ce que ce problème a de l’intérêt, pour moi oui. Ce que je dirais aussi bien, qu’est ce c’est qu’un langage analogique ? Pas tellement facile de définir un langage analogique, est ce qu’il y a un langage analogique ? Est-ce que la peinture est un langage analogique ? Est-ce que la peinture est "le" langage analogique par excellence ? Ou bien se serait quoi ? Le cinéma ? est ce que le cinéma est un langage analogique ? Il faut se mettre dans de bonnes conditions, le cinéma du temps où il était muet. Ou bien alors le cinéma sonore mais pas parlant, est ce que c’est un langage analogique ? Après tout, tous les gens du cinéma muet pensaient bien avoir inventé, ce qu’ils appelaient constamment eux mêmes, un "langage universel".

Or c’est un "langage universel" le cinéma muet, d’où leur embêtement, leur embêtement sur le moment quand le cinéma est devenu parlant, toutes les prétentions au cinéma comme langage universel étaient remises en question. Bon et la peinture/le cinéma muet, est ce qu’il y a des rapports ? Peut être... peut être qu’il y en a, mais jamais ou l’on croit, chacun de nous le sait que le pire moment au cinéma c’est lorsque qu’un metteur en scène prétend faire une scène aussi belle ou un plan aussi beau qu’un tableau, ça c’est la catastrophe, tout le monde s’écroule, tout le monde s’endort ou alors ça n’est réussi que par de grands moments d’humour, quand c’est Bùnuel. Mais lorsque dans le cinéma italien par exemple vous voyez une scène dont vous vous dites ; "oh la la, quelle catastrophe" !, tout droit tiré vous dites cela mais cela un Raphaël pur, il n’y a pas de chose plus moche dans le cinéma que ça, donc si le cinéma et la peinture ont à faire l’un avec l’autre ce n’est pas à ce niveau là.

Bon, langage analogique, bien qu’est ce que c’est ? je peux juste dire, nous savons déjà un peu en quoi un code est "digital". Et qu’est ce que veux dire l’expression code digital, le code est le principe d’un langage digital. Comme disent les américains très souvent : le langage est digital. Ça veut dire quoi le langage est digital, ça veut dire, vous voyez, ça ne veut pas dire, qu’il est fait avec les doigts ou que c’est du sourd muet. Cela veut dire une chose très précise, cela veut dire : " le langage est constitué par des d’unités significatives déterminable par une succession de choix binaires". Voilà, voilà ce que veut dire la formule le langage est digital. Bon est ce qu’il y a des langages analogiques ? et comment il faudrait définir analogique à ce moment là.

(Quel l’heure il est, de quoi , de quoi ?)
-  Claire Parnet : il est douze

Est ce qu’il y a des mélanges entre les deux ? Si il y a des langages analogiques, comment les définir ? Est ce que la peinture en est ? Est-ce que la peinture serait le langage analogique par excellence ? pourquoi pas plutôt le mime, pourquoi pas les arts plastiques, pourquoi pas tout cela, pourquoi, et ce que la peinture aurait un privilège ? Qu’est ce que cela veut dire ? Et d’autre part, est ce qu’il suffit de parler d’une grossière opposition entre le code digital et le langage analogique. Qui serait quoi ? Bon allons jusqu’au bout de notre hypothèse, on n’a même plus le choix. C’est le diagramme qui serait analogique, le diagramme analogique et le code digital, mais est ce que se serait une simple opposition ? ou bien est ce qu’il y aurait des greffes de code sur le langage analogique sur le diagramme analogique.

Tout ça sont une série de problèmes qui sont comme des problèmes confus liés à une logique du diagramme. Si bien que là, j’essaie d’aller vite parce que je voudrais vite retrouver la peinture, mais je pars d’un première approximation. Le code digital impliquerait "convention", le diagramme analogique ou le langage analogique serait un langage de "similitude". Donc mes deux concepts se distingueraient en renvoyant au procédé suivant :
-  similitude pour l’analogie ou pour le diagramme.
-  règle conventionnelle pour le code digital.

voyez cela ne va pas loin, je dis cela pourquoi parce que la notion de diagramme et son extension et son éruption dans la logique dans la philosophie, elle a été faite à partir de cette première grosse approximation par un auteur de grand génie dont je vous ai déjà parlé d’ autres années, qui est Peirce, p - e - i - r- c - e, un logicien anglais qui inventait cette discipline qui ensuite eut grand succès : la sémiologie et qui partait - je ne prends que ce qui m’occupe là - dedans - et qui partait d’une distinction très simple entre ce qu’il appelait les icônes et les symboles. Il disait : "voilà les icônes c’est une affaire de similitude, en gros. Un icône, une icône on dit quoi déjà une ...

(étudiants « UN UNE »)

Une icône est déterminée par sa similitude à quelque chose. Un symbole au contraire disait- il, est inséparable d’une règle conventionnelle. Vous me direz on n’a pas besoin de citer Peirce, parce que cela ne va pas très loin, aussi Peirce il prenait cela comme point de départ pour aller plus loin. Et dés qu’il va plus loin, c’est justement pour mettre en question cette validité. Donc qu’est ce que je peux dire, je pars de ce problème simple, est ce que je définis le langage analogique par la similitude et le langage de code ou le langage digital par la convention ? Vous vous rappelez tous les thèmes sur (sur rien ?) Le langage est conventionnel etc.. Le symbole linguistique est conventionnel, immédiatement on voit bien que non, mais c’est les raisons pour lesquelles, cette première dualité est insuffisante tellement insuffisante, c’est ça qui est intéressant qui doit nous intéresser. Et je dis très vite, mais là il faut que vous sentiez l’ordre puisque on entre dans un domaine, provisoirement dans un domaine de logique. Je dirais pour deux raisons cette dualité similitude/conventionnelle n’est pas du tout satisfaisante. Pourquoi parce que d’une part
-  il y a des phénomènes de similitude dans les codes et d’autre part,
-  la similitude ne suffit pas à définir l’analogique, c’est mes deux points, c’est ces deux points que je voudrais expliquer.

-  Premier point on ne peut pas opposer simplement convention et similitude, parce que un code comprend nécessairement, je dirais presque, qu’il produit nécessairement des phénomènes de similitude. Je veux dire d’ailleurs chez Peirce c’est bien en ce sens, voilà ce que faisait Peirce. Si je résume extrêmement, c’est une pensée très très complexe, très belle très belle mais je résume beaucoup. Il disait en gros ceci Peirce : il y a deux sortes d’icônes, fondées sur la similitude,
-  il y a des similitude de qualité - qualité semblable : par exemple vous peignez du bleu parce que le ciel est bleu, c’est une similitude qualitative et vous cherchez le bleu le plus conforme au bleu du ciel.
-  Et puis il y a une similitude qui est la similitude de relation - donc il y avait des icônes particulières qui étaient des icônes de relation. Or ce qu’il appelle pour son compte diagramme, ce sont les icônes de relation ; donc vous voyez en quoi c’est bien, c’est très intéressant ça mais, mais, mais il maintient une définition du diagramme en fonction de la similitude. C’est pour ça pour notre compte, on ne pourra pas le suivre, et c’est tous les américains qui ont développés après, une théorie du diagramme, ils ont conservé le principe "iconique" de Peirce, à savoir : le diagramme défini a la base par une similitude de relation. Et qu’est ce que c’est pour Peirce que l’exemple même du diagramme ou l’exercice diagramatique, c’est l’algèbre. C’est l’algèbre, l’algèbre en effet, c’est pas un langage dit il, parce que c’est une icône, c’est le domaine des similitudes des relations. Le diagramme algébrique extrait les similitudes de relation. Bon et en même temps il ajoute que en revanche, l’algèbre comme tel n’est pas séparable de certains symboles conventionnels qui appartiennent du coup à l’autre pôle. Qui implique un code, c’est dire à quel point Peirce est conscient des mélanges code/analogie ou code/similitude. Bon j’ai dis en même temps pourquoi donc, on n’allait pas pouvoir suivre beaucoup Peirce.

Mais alors j’en reviens à ma question, première question :
-  que le diagramme ne puisse pas être défini par la similitude c’est pour une première raison à savoir : je ne conçois pas de code qui n’implique ou ne produise des phénomènes de similitudes dont ils sont inséparables.
-  En effet qu’est ce que l’on peut faire avec un code ? A mon avis on fait deux choses avec un code,
-  on peut faire des récits
-  ou on peut faire des illustrations.

Avec un code on peut encore faire trois choses :
-  on peut faire des sous - systèmes,
-  on peut faire des codes,
-  on peut faire des sous codes mais ça nous fait pas avancer. Qu’est que l’on ferait avec le code ?
-  Alors on peut faire des récits et on peut faire des illustrations. Bon, cas simple : comment faire une illustration avec un code binaire ? typiquement un exercice digital, alors pas un code pictural encore une fois, un ordinateur peut vous donner un portrait. Vous n’avez qu’a coder les données du modèle en fonction d’un code purement binaire fait de zéro plus, ou de un zéro, système binaire. Votre ordinateur peut être programmé de manière à vous fournir le portrait. Donc le code en tant que tel, et le code binaire le plus simple, peut vous fournir très largement, exemple les ordinateurs actuels, des illustrations. Il suffit du codage des données, du codage des data. Or le codage des data implique quoi ? Binarisation, il implique fondamentalement la binarisation, si vous binarisez une figure vous pouvez très bien la reproduire par ordinateur, facile.
-  Voilà je dirais que dans ce cas : il y a une ressemblance produite par l’intermédiaire d’un code et d’un codage.

Plus ordinairement un code surtout dans le cas du langage, donne non pas des illustrations mais des récits. Cela veut dire quoi ça ? Dans mon premier exemple, l’ordinateur qui vous fabrique un portrait dés le moment où il a été programmé pour, vous avez un rapport direct entre le programme codé et le produit. Dans le langage, qu’est ce qui distingue le langage d’un fonctionnement à l’ordinateur ? c’est que dans le langage vous avez nécessairement un troisième terme - comme disent les linguistes, vous avez le signifiant, vous avez l’ état de choses - bon mais dans une illustration, vous avez du signifiant qui produit un état de chose, du signifiant codé. Dans le langage cela ne se passe pas comme cela, ce qui définit le langage c’est précisément une instance tiers, à savoir le signifié, le signifié. Le signifié ce n’est pas la même chose que l’état de choses désignées, Bon or si vous prenez le fameux principe : "les symboles linguistiques sont conventionnels", cela veut dire quoi ? Ça a été dit par toutes sortes de linguistes qu’est ce que cela veut dire au juste ? ça veut dire que, il n’y a pas de rapport de similitude entre quoi et quoi ? Entre le mot signifiant entre l’unité signifiante et l’état de chose désignée. Il n’y a pas de rapport de similitude entre le mot bœuf et le bœuf et l’état de chose bœuf. Il y a un rapport purement conventionnel à savoir que par convention, c’est ce monème qui désignera la chose avec des cornes etc..

-  En revanche le mot unité signifiante à un signifié, qu’est ce que c’est le signifié ? C’est la manière dont l’état de chose apparaît en correspondance avec le mot. Supposer une langue comme il y en a, où il y ait deux mots pour désigner bœuf mort et bœuf vivant. A chacun de ces mots correspond un signifié différent, bœuf mort - bœuf vivant, vous me suivez ? Lorsque l’on dit que : le langage est un système conventionnel, on veut dire que le rapport entre un mot et l’état de chose qui le désigne, l’état de chose extérieur qui le désigne, est arbitraire. En revanche s’il est vrai que toujours dans le langage, le rapport du mot avec le désigné est arbitraire, en revanche, le rapport du mot du signifiant avec le signifié, n’est pas arbitraire. Pourquoi il n’est pas arbitraire ? parce que comme on dit c’est l’envers et la face de la même réalité, de la même réalité phonologique ou sonore. C’est l’envers et la face de la même réalité sonore, le signifié et le signifiant.

En d’autres termes il y a nécessairement des rapports de similitude entre le signifié et le signifiant. Tout simple ! Nécessairement c’est ça, que les linguistes appellent l’isomorphisme. Si bien que les linguistes ont été amenés à corriger le principe de Saussure, les symboles linguistiques sont conventionnels et ils l‘ont corrigé dans quel sens ? En ajoutant : oui, en tant qu’on les détermine par rapport et en tant qu’on les confronte, aux états de choses désignés. Mais en revanche il y a parfait isomorphisme c’est à dire similitude de relations entre le signifié et le signifiant, c’est à dire le signifié et le signifiant ont nécessairement des relations de mêmes formes. C’est le principe de l’isomorphisme que tous les linguistes, sur lequel tous les linguistes insistent. Je dirais donc - j’arrête là parce que tout ça est d’un ennui très, très profond. Je voudrais une chose très simple c’est que de deux manières un code digital implique la similitude, il implique des similitudes illustratives, il implique des similitudes narratives c’est à dire il implique des similitudes de qualité, et il implique des similitudes de relation.

Contre épreuve : est ce que l’analogie peut se définir par la similitude ? évidemment non, pourquoi ? elle ne peut pas pour une raison très simple, déjà parce que ça ne suffirait pas à la distinguer du code. Encore une fois si le code implique et comprend nécessairement des phénomènes de similitude, il est pas question d’opposer simplement, et de renvoyer la similitude à l’analogie. Mais il me faut en plus une raison intérieure à l’analogie. Or tout comme je disais tout à l’heure avec un code qu’est ce que l’on peut faire ? Et bien avec l’analogie, avec un langage analogique , on ne sait pas bien encore ce que c’est ? puisque l’on cherche sa définition, avec un langage analogique si obscur que ce soit pour le moment. Qu’est que l’on peut faire, on peut faire deux choses je crois : on peut reproduire, et on peut produire. Qu’est ce que cela veut dire ? je dirais qu’il a reproduction lorsque qu’il y a transport d’une ressemblance ou d’une similitude de relation. Lorsque vous transportez une similitude de relation, vous produisez une ressemblance, l’analogie est alors, principe de production d’une ressemblance.

-  Je dirais que, est de ce type la figuration. C’est la première forme d’analogie, j’appellerais première forme d’analogie ou analogie commune, « analogia communis « parce qu’il faut mettre un peu de science dans tout cela. « L’analogia communis » c’est le transport de la ressemblance. Le transport des rapports de ressemblance, parce que si ce transport c’est évidemment des rapports, c’est les rapports qui sont transportables. Lorsque vous avez transport de rapport de similitude, vous avez l’analogie commune. C’est à dire vous faites "ressemblant", vous produisez une image ressemblante.

Alors là je retombe dans la peinture, la peinture n’est jamais comme ça, en revanche je me demande si, quelque soit ses prétentions et ses ambitions, la photo n’est pas forcément comme cela et toujours comme cela. Parce que à la limite la photo, qu’est que c’est la photo ? en quoi c’est autre chose que de la peinture, et bien la photo, elle procède en tout cas d’une manière qui est en gros - je dis des choses vraiment rudimentaires - il s’agit de capter et de transporter des rapports de lumière. Heu, j’entends bien, là dessus toutes les créations sont permises. A savoir, vous voulez faire que dans le transport, vous disposiez de marges suffisantes pour obtenir des variations les plus profondes, les plus poussées dans la ressemblance. Des variations extrêmes de similitude, je dirais vous pouvez obtenir des effets de ressemblance de plus en plus relâchés. Ca n’empêche pas que qu’il n’y a plus photo, si il n’y a pas transport de rapport de lumière. Si bien que je ne vois pas comment la photo pourrait surmonter l’aspect que l’on peut dire figuratif. Ce que j’appelle figuratif, c’est pas du tout dans la mesure où ça ressemble à quelque chose, c’est dans la mesure où l’image est produite par un transport de rapport similaire, par une similitude de rapport. Cette similitude pouvant être à la limite aussi relâchée que vous voulez.

Bon on dirait la photo "vit" et à sa condition de possibilité, dans l’analogie commune, voyez : "transport de similitude" mais l’analogie elle s’en tient pas à ça. Je dirai, on peut faire autre chose avec de l’analogie, cette fois ci on peut produire et non pas reproduire, on peut produire la ressemblance. Qu’est ce que ça veut dire une ressemblance produite et pas reproduite ? Remarquez que le code aussi pourrait produire de la ressemblance, il pouvait nous faire un portrait mais à ce moment la ressemblance était produite par le détour d’un code et d’une binarisation des données. Tandis que je pense à autre chose : une analogie qui serait capable de produire une ressemblance indépendamment de tout transport, tout rapport de similitude, donc indépendamment de toutes similitudes, là ça commence à être intéressant pour nous je suppose, parce que si on arrive à définir une telle analogie, une analogie qui produit une ressemblance indépendamment de tout transport de similitude, on tiendra une définition possible de la peinture.

En effet la peinture produit la ressemblance ou la figure - là je réintroduis le mot "ressemblance", mais par quoi ? vous allez voir pourquoi je le réintroduis, il ne peut plus me gêner si j’ajoute : "La peinture produit la ressemblance par des moyens non ressemblant". Elle produit de la ressemblance par des moyens tout à fait autres que le transport de similitudes, que le transport des relations similaires. Vous êtes devant un tableau, alors pensez à un Van Gogh, à un Gauguin, vous avez une figure devant vous, vous n’avez pas besoin de voir le modèle pour être convaincu que vous êtes devant une icône. Seulement cette icône est produite par des moyens non semblables. Vous reproduisez des ressemblances par des moyens non semblables. Ce serait ça l’analogie.

Qu’est ce que c’est ces moyens non semblables ? Or comprenez je suis déjà très en avance pourquoi ? Parce que j’ai défini le code par l’articulation, avec beaucoup de réserve, ou par la "sphère commune", j’ai dit il y a un "sphère commune" entre le code digital et l’articulation. Articulez et vous avez un code. Ce qui nous a engagé dans une au moins déterminée : Je m’engage à définir dès lors l’analogie, et dès lors le diagramme comme étant le principe analogique. Il faut.. j’ai plus le choix, comprenez c’est les bons moments quand on a plus le choix du point de vue des concepts. Je n’ai plus le choix il faudra bien que, ou bien qu’on renonce, ce serait parfait, tout est parfait, ou bien qu’on renonce ou bien qu’on arrive à définir l’analogie et le diagramme dans l’analogie dépend par quelque chose d’aussi simple que l’articulation et ce "quelque chose" qui sera au diagramme ce que l’articulation est au code. Je sais d’avance qu’il n’impliquera aucune ressemblance, aucun transfert de similitude, aucun transport de similitude et qu’il n’impliquera aucun code.

-  Donc quel est l’acte du diagramme qui s’oppose à l’articulation, qui se distingue de l’articulation et qui ne peut se définir ni par un transport de similitude, ni par code, ni par un codage ?

Au moins les conditions de notre problème sont bien déterminées. Alors il faut avancer, il faut avancer et donc on a vu - je viens juste là pour le moment de dire : de même que le code n’exclut pas la similitude mais implique le similitude, de même inversement l’analogie ne peut pas se définir vraiment par la similitude. Seule l’analogie vulgaire se définit, commune, se définit par similitude. L’analogie esthétique ne se définit pas par la similitude puisqu’elle produit la ressemblance mais elle la produit par des moyens tout différents.

Bon alors, si c’est pas la similitude qui permet de définir l’analogie - au point où nous en sommes - qu’est ce qui permet de le définir ? Cherchons on fait un second pas, voyez on a fait une première épreuve, est ce que l’analogie peut se définir par la similitude.

-  Deuxième hypothèse, l’analogie ou le langage analogique pourrait se définir par ou comme un langage simplement des relations. C’est l’hypothèse de Bateson, qui est un auteur aussi bien, bien intéressant.

Le langage analogique serait un langage de relation, par opposition à quoi ? Au langage conventionnel, au langage de codes, qui serait quoi lui ? Il serait, dit Bateson qui s’en tient à des choses très simples pour essayer de nous faire comprendre quelque chose de bien curieux. Et bien qui serait un langage d’états de choses.
-  Notre langage codé, notre langage digital serait un langage propre à la désignation et à la détermination ou à la traduction des états de choses.
-  Tandis que le langage analogique servirait et exprimerait les relations.

Qu’ est ce qu’il veut dire Bateson ? il précise ce qu’il faut entendre par relation. C’est curieux cette histoire - je tire cela et j’aurais besoin parce que cela va nous ramener à la peinture par ce détour tellement bizarre. Il y a un texte célèbre de Bateson sur le langage des dauphins, voyez les poissons. Bateson en effet, a eu dans sa vie extrêmement riche, toutes sortes d’activités, il vit encore. Il fut le mari de Margaret Mead, voyez Margaret Mead, c’est une ethnologue. Alors il a commencé par de l’ethnologie, mais il se trouve qu’il était bien meilleur que Margaret Mead, il a fait des études d’ethnologie très, très curieuses, très profondes très importantes. Et puis c’est vraiment une carrière à l’américaine c’est formidable, il s’est dit non, non. Comme si Bateson c’est un beau cas de héros américain, il n’arrête de s’en aller, de s’en aller. Une espèce de hippie, c’est le hippie de la philosophie, alors il a divorcé d’avec Margaret Mead, et puis il a divorcé d’avec les sauvages. Puis il est tombé sur les schizophrènes, il ne pouvait pas faire ... et il a fait une grande théorie de la schizophrénie qui est une des plus belles. Bon, théorie bien connue maintenant en France sous le nom de "théorie de la double impasse". Tout ça avec une logique, il est très au courant de la logique de Russel, tout ça avec une application de la théorie des types à la schizophrénie, enfin très bon , très bien. Et puis il s’est désintéressé quand même il ... bon . Alors il s’est flanqué dans le langage des dauphins, c’était encore mieux, schizophrène cela lui paraissait trop humain, trop monotone. Les dauphins, il s’est dit c’est bien, alors il travaille avec les dauphins. Evidemment il a beaucoup de crédits de l’armée américaine, qui s’intéresse beaucoup aux dauphins mais les résultats de Bateson sont très comiques car ils sont proprement inutilisables par les marines, alors ça c’est la merveille, c’est du bon travail ça, et en effet vous allez voir pourquoi j’invoque cette carrière.

Là il commence à nous dire bon, des choses très rudimentaires parce que c’est vraiment le style américain. ça part de - ils connaissent pas notre développement à l’occidentale, à l’européenne - eux, ils partent de choses extrêmement simples, d’où va sortir - nous on déduit - eux ils nouent des trucs simples, ils en font une sorte de nœud de vipère là, et sortent un paradoxe. Et leurs paradoxes sont toujours tellement beaux, et puis ils font une logique pour dénouer le paradoxe, ce qui n’est pas du tout notre fonctionnement mental.

Je parle des américains quand ils réussissent. Alors c’est pour ça qu’ilsinventent tellement de concepts, ils inventent beaucoup plus de concepts que nous, parce que nous on à l’invention des concepts très déductive eux, ils font leurs espèce de nœud de trucs en rassemblant des choses très diverses, alors Bateson il met un schizophrène, un sauvage et un dauphin puis bon, vous voyez il va en sortir quelque chose. C’est je crois, c’est de la très grande philosophie, et puis ça implique autant de rigueur que nous, parce que le fin mot, ce sera faire la "logique du paradoxe" C’est pour ça qu’ils sont fondamentalement logiciens avec ça, ils sont à la fois ouvert à tous, c’est de la logique en plein air, tandis que chez nous, c’est notre déduction en milieu fermé, nous c’est un peu ce que je viens de dire, nous, on fait de la philosophie sur chevalet finalement, l’histoire de la philosophie, c’est notre chevalet, tout ça vous comprenez, alors que c’est pas ça, les américains c’est pas ça, mais enfin c’est rare quand ils sont du niveau de Bateson.

Bien peu importe, alors Bateson dit : "alors vous comprenez le langage conventionnel c’est l’hémisphère gauche du cerveau qui commande la partie droite du corps" - vous vous rappelez, le langage analogique, c’est l’hémisphère gauche. Qu’est ce qu’on met d’habitude sous le langage analogique par opposition ? Bah d’abord, retrouvons un de nos points de référence : le langage conventionnel ou digital il est fondamentalement articulé, il est articulé. le langage analogique c’est donc l’hémisphère droit contre l’hémisphère gauche du cerveau. Il n’est pas articulé, c’est quoi ? Alors il est pas articulé - comprenez là on tourne autour de notre truc - si on trouvait ce qu’il est, puisqu’il est pas articulé, si on trouvait ce qu’il est, on aurait peut être déjà notre définition de la peinture, bon il est pas articulé, bon il est non articulé, il est fait de quoi alors ? il est fait de choses non linguistique même non sonore, il est fait de mouvement de kinésie comme on dit, il est fait d’expression des émotions, il est fait de données sonores inarticulées : les souffles, les cris.

Evidemment comprenez, si on parlait de la musique on trouverait un même problème parce que le chant c’est quoi ? C’est de l’articulé ou de l’inarticulé, c’est de l’analogique ou du digital, on sait pas ça alors on se met pas la musique sur le dos. Mais donc ce langage analogique vous voyez, c’est en quelque sorte un langage bestial, mais on l’a, on l’a - et Bateson essaye seulement - il est fait de données très hétérogènes par exemple : des poils qui se hérissent, un rictus de la bouche, un aboiement. Tout ça c’est du langage analogique. Comprenez on est déjà relativement loin : un cri, ça ressemble à rien, c’est pas la similitude qui va définir le langage analogique. Des poils qui se hérissent, ça ressemble à quoi ? C’est pas un langage de similitude, un cri ne ressemble pas à l’horreur qui fait naître ce cri, pas du tout ! alors c’est pas simple.

-  Donc lui il dit, qu’est ce qui va définir le langage analogique ? il dit c’est un langage des relations. Qu’est ce qu’il veut dire "par relations" ? il veut pas dire n’importe quelles relations, parce si il disait : "n’importe quelles relations", il a l’air, il y a des textes où il dit : "n’importe quelles relations" - à ce moment là on retombe dans la similitude, à savoir le langage analogique, ce serait celui qui fonctionnerait par transport de relations. Par exemple dans un diagramme, vous avez à représenter une quantité, qui est grande et une quantité qui est relativement petite, et vous faites deux niveaux, un niveau plus petit que l’autre. C’est de la similitude, c’est un langage de relations en effet. Mais c’est pas ça qu’il veut dire parce que l’on a éliminé l’hypothèse similitude.

Il veut dire c’est un langage qui est sensé exprimer les relations entre l’émetteur et le récepteur, entre celui qui l’émet et celui à qui il est destiné. En d’autres termes il précise, ce langage : le langage analogique est un langage de relations, sous entendu de relations entre l’émetteur et le destinataire, en d’autres termes, il exprime les relations avant tout de dépendance, sous toutes leurs formes possibles. Alors bon, le langage analogique exprimerait les relations ? Vous voyez c’est très différent de la similitude - il exprimerait des relations de dépendance entre un émetteur et un récepteur.

une seconde parce que si tu m’arrêtes je suis perdu...

-  Bon, il ferait ça, le langage analogique. Bon et là Bateson éprouve le besoin, à chaque fois qu’il a un petit acquit, il éprouve le besoin de plaisanter, mais ce sont toujours de très bonnes plaisanteries, il appelle ça la fonction MU, pourquoi qu’il appelle ça la fonction MU ? parce que MU, c’est la lettre grecque qui correspond à notre M, et il dit : vous voyez, l’exemple auquel il revient tous le temps c’est le chat. Le chat miaule le matin miaou, la fonction MU c’est la fonction "miaou". C’est bien y a tout le coté heu .... Ils ne sont jamais sortis de Lewis Carroll les Anglais et les Américains. La fonction MU, ou la fonction Miaou c’est quoi ? et bien Bateson dit : "lorsque le chat miaule le matin quand vous vous levez, il ne vous dit pas, ce miaulement qui est du langage analogique ne dit pas : du lait, du lait, il dit : dépendance, dépendance, je dépends de toi - avec toutes les variantes, il y a des miaou de colères où là c’est : "je dépends de toi et j’en ai marre" - bon tout ce que vous voulez, c’est un langage très riche. Mais il exprime toujours la relation entre l’émetteur et le destinataire, avec tous les renversements que vous voulez, C’est la fonction MU.

-  Et Bateson dit : "c’est un langage où il y a beaucoup de déductions", car voyez la structure de ce langage, il exprime directement les fonctions MU, c’est-à-dire les fonctions de dépendance, les relations de dépendance et on doit en déduire l’état de choses. C’est-à-dire je dois en déduire :"tiens mon petit chat veut du lait", et si c’est une bête qui parle à une autre bête en langage analogique, il y a également lieu d’en déduire quelque chose. Il y a a l’appel par exemple dans le fameux rituel des loups ou des chiens où celui qui reconnaît son infériorité, tend son cou et à ce moment là, fait acte de dépendance vis-à-vis du chef, ou vis-à-vis de la bête plus puissante : vous avez une relation de dépendance dont on déduit un état de chose, ce serait l’équivalent dans notre langage de "je ne le ferais plus". Mais les états de choses sont fondamentalement déduits des relations, des relations de dépendance. C’est comme ça que Bateson définit le langage analogique. Comprenez ? Alors ça va être en effet très curieux cette histoire parce qu’au contraire, dans notre langage, notre langage codé, notre langage digital, qu’est ce que c’est ? Bateson nous a dit : "c’est un langage qui porte sur les états de choses d’abord, c’est un langage essentiellement fait pour désigner des états de choses", mais cela n’empêche pas qu’en douce, il y a toute l’analogie derrière. Et cela nous fait faire un grand bond, et ça j’aimerais, que vous vous le rappeliez pour plus tard. Je crois que de toute manière les codes baignent dans un véritable bain analogique, une véritable glue analogique. »

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