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7- 10/12/1985 - 3

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(1) Sur Foucault Les formations historiques 
Année universitaire 1985-1986. Cours du 10 Décembre 1985 Gilles Deleuze (partie 3/5) 
 Transcription : Annabelle Dufourcq 
(avec l’aide du College of Liberal Arts, Purdue University)

46 minutes 26 secondes

...qui ne lui a jamais suffi, qui est comme une espèce d’expérience artificielle pour nous faire comprendre autre chose. On voit bien que non seulement les fonctions sociales sont des fonctions d’extériorité, mais que toute forme est une forme d’extériorité. Pourquoi ? Parce que, une forme, c’est une condition. La forme du visible, c’est la condition des visibilités. La forme du langage, c’est la condition des énoncés. Or le conditionné est, avec la condition, dans un tel rapport que le conditionné n’existe que comme dispersé dans la... euh sous la condition, pas « dans » : je réintroduirais une intériorité. La condition pose le conditionné comme dispersé, disséminé. Et peut-être que c’est la seule manière, alors, de comprendre. Je reviens à ces histoires de Roussel, aux deux côtés. L’ouverture des choses qui va susciter des énoncés. L’ouverture des phrases qui va susciter des visibilités. Ces captures mutuelles, à première vue, on devait se dire, si vous m’avez suivi, mais euh... ce coup de force est purement verbal parce que : comment les captures mutuelles sont-elles possibles si les deux formes sont absolument étrangères l’une à l’autre ? C’est très joli de dire : il y a captures mutuelles, mais comment est-ce possible si la forme du visible et la forme de l’énonçable... Comment peut-il y avoir capture mutuelle puisque les formes ne peuvent pas se mélanger ? C’est exactement ça le problème. Comment qu’il peut y avoir capture mutuelle, si les formes ne peuvent pas se mélanger ? Ecoutez la réponse possible. Il n’est pas question que les formes se mélangent, mais chacune des deux formes présente une condition et un conditionné. Etant dit que la condition ne contient pas le conditionné. Le conditionné est dispersé sous la condition. En d’autres termes, c’est entre..., c’est entre le conditionné et la condition d’une forme que peut se glisser quelque chose de l’autre forme. Peut-être, en même temps que je dis ça, on se dit : c’est insuffisant. C’est peut-être une voie, c’est peut-être une petite voie vers une... vers la solution que nous cherchons. Petite voie : que les deux formes soient des formes d’extériorité, à ce moment-là c’est dans l’extériorité du lien condition / conditionné que l’autre peut se glisser. Ouais... c’est à moitié convaincant. A moitié convaincant... Bon, c’est pas grave, il faut chercher ailleurs. Juste : on retient de Roussel quoi ? C’est qu’il a quand même beaucoup avancé, il nous a permis de beaucoup avancer dans l’idée qu’il y avait des captures mutuelles, même si on ne sait pas encore bien comment en rendre compte. Il y a des captures mutuelles, c’est-à-dire : vous ne dégagez pas des énoncés sans susciter du visible, vous ne dégagez pas des visibilités sans faire proliférer des énoncés. Les deux formes sont absolument hétérogènes, mais elles sont en présupposition réciproque, il y a capture mutuelle. Bon. Ce que Foucault exprimera en disant, aussi bien dans La naissance de la clinique que dans Raymond Roussel, deux livres de la même époque, l’un étant d’ailleurs la version sérieuse de l’autre et l’autre la version humoristique de l’un... ce que Foucault résumera en disant : « parler et donner à voir en même temps ». Vous voyez, c’est très important, « parler et donner à voir en même temps » : ça veut dire et comprenez : parler et donner à voir ou parler et voir sont deux formes absolument hétérogènes et, pourtant, il y a un « en même temps », le « en même temps », c’est la capture mutuelle. En d’autres termes toute notre voie de petites solutions qui s’esquissent, c’est : ça peut s’arranger, la capture mutuelle, précisément parce que la capture mutuelle n’est pas la capture d’une forme par une autre. C’est que tout se passe comme si non seulement il y avait une béance entre les deux formes, mais comme si chaque forme était traversée par une béance. Béance entre la lumière et les reflets, scintillements etc. Béance entre le « il y a » du langage et les énoncés disséminés dans le langage. C’est donc dans ce second type de béance que se fait l’insinuation. Du visible s’insinue dans l’énoncé, c’est la double insinuation. Insinuation du visible dans l’énonçable, insinuation de l’énonçable dans le visible. A la faveur de ceci que les deux formes sont deux formes hétérogènes oui, mais, deux formes d’extériorité. C’est donc dans l’extériorité qui définit chacune que l’autre peut s’insinuer et se glisser. Et, en même temps, encore une fois je dis : ça ne va qu’à moitié. On n’est pas content de cette solution. Parce qu’elle ne nous sort pas vraiment de ça, mais, cette violence... Bien sûr, ça consiste à répéter : il y a une violence. Alors, dire qu’elle est pas, que la double capture n’est pas la capture d’une des formes par l’autre, mais qu’elle est une insinuation de quelque chose à la faveur de la fonction d’extériorité propre à chacune des deux formes... Mais, après tout, pourquoi l’extériorité d’une forme serait-elle pénétrable par l’autre ? Vous comprenez, on a le sentiment... oui on a fait un pas, mais c’est pas encore... on n’est pas encore... on n’est pas content. Je suppose qu’on n’est pas content. Non. Et voilà que, deuxième point, Roussel propose à Foucault une autre solution. Car il y a une troisième sorte d’œuvre de Roussel. On a vu deux sortes d’œuvres : les œuvres de procédés langagiers et les œuvres de visibilité ou de vignette. Puis il y a une troisième sorte d’œuvres, alors là plus folle que les deux autres réunies et que Roussel..., dont Roussel ne parle pas dans Comment j’ai écrit certains de mes livres et qui fait peut-être sa plus belle œuvre... il me semble... enfin, non, pas sa plus belle œuvre... qui fait une œuvre très curieuse intitulée cette fois-ci : Nouvelles impressions d’Afrique. Alors je vous dis, là, le procédé est complètement différent. Le procédé langagier est complètement différent. Je vous le dis avant de chercher comment il peut nous servir... Voilà : supposez que vous dites une phrase, vous dites une phrase par exemple composée de trois vers. J’ai mes trois vers. (il écrit au tableau]... Là, là, là. Et puis, entre le second et le troisième, j’ouvre une parenthèse... voilà... entre le second et le troisième... je vous donne le schéma formel du procédé avant de vous donner un exemple, parce que, bizarrement, l’exemple est encore plus obscur que [ ???] puisqu’on n’arrive plus à suivre la phrase, vous pouvez deviner... Donc... je vais nettoyer parce que ça va pas être assez gros... [ ????]. Merci... [ ????]. Voilà mes trois vers... non [il écrit au tableau]. Ils sont ...[ ????]... ça rime, hein ? Supposez que, entre 2 et 3... ça c’est la première version. Deuxième version : entre 2 et 3 vous introduisez une parenthèse, une parenthèse de deux vers. Aussi je le mets en pointillés. [il écrit au tableau]. Ça change tout, vous avez 1, 2, 3, 4 et ce qui était 3 devient 5... Vous avez tout compris dès maintenant. Pourquoi ne pas aller à l’infini ? Entre 3 et 4, vous allez introduire une seconde parenthèse marquée par doubles parenthèses [ ???] je vous mets de la couleur là... une parenthèse de trois vers [ ????]. Vous avez du coup : 1, 2, 3, 4, 5, 4 devient 6, 3 devient 7. Dans votre double parenthèse de deux vers vous pouvez introduire, entre les deux vers, une parenthèse tierce symbolisée comme ça. Etc. etc. etc. vous allez dire : c’est embêtant parce qu’on va perdre le fil. Oui, on va perdre le fil, mais au profit de quel dépaysement, au profit de quel trouble poétique ! Foucault analyse un exemple. Pourquoi est-ce qu’il va pas... ? ça, c’est typiquement le cas d’une œuvre infinie. Je veux dire, quand on parle de l’œuvre infinie, c’est toujours pas bon lorsque c’est une image ou une métaphore. Si on parle d’œuvre infinie, et ben il faut le faire. Si on le fait pas, c’est rien. A ce moment-là il ne faut pas parler d’œuvre infinie. Je peux dire Roussel, lui, il a inventé concrètement une œuvre infinie. Alors il a pas besoin de la faire puisqu’il nous invite à la faire. Lui il va jusqu’à... mais en plus c’est très très compliqué là, je... je ne donne que le point de départ de... de... des Impressions d’Afrique. Il donne un exemple, Foucault... Voilà. « Version première ». Seulement on n’a pas la version première, c’est Foucault qui rétablit les versions en ôtant les parenthèses. Nous on se trouve devant le texte. Il s’arrête quand même, euh... il s’arrête généralement, enfin le plus... il semble que le plus, j’ai pas vérifié mais d’après Foucault, le maximum c’est cinq parenthèses. C’est beaucoup déjà. Voilà les versions successives. Voilà un groupe premier de quatre vers. Première version : « Rasant le Nil, je vois fuir deux rives couvertes de fleurs, d’ailes, d’éclairs, de riches plantes vertes, dont une suffirait à vingt de nos salons, d’opaques frondaisons, de fruits et de rayons ». Vous voyez. C’est curieux d’ailleurs, ça : « de riches plantes vertes, dont une suffirait à vingt de nos salons », une seule plante verte qui suffit à vingt salons. Un mystère. Bon. Voilà la première version. « Rasant le Nil, je vois fuir deux rives couvertes de fleurs, d’ailes, d’éclairs, de riches plantes vertes, dont une suffirait à vingt de nos salons, d’opaques frondaisons, de fruits et de rayons ». On tient encore, ça va, on arrive à suivre, déjà avec un peu de peine, mais on arrive à suivre. On s’arrête à la fin du vers 3 : « dont une suffirait à vingt de nos salons ». Et on fait une parenthèse de deux vers. Alors ça donne : « ...de fleurs, d’ailes, d’éclairs, de riches plantes vertes, dont une suffirait à vingt de nos salons », parenthèse : « doux salons où sitôt qu’on tournait les talons, sur celui qui s’éloigne on fait courir maints bruits »... Fermez la parenthèse et vous recommencez, vous enchaînez : « d’opaques frondaisons, de rayons et de fruits ». Déjà, là, on ne sait plus très bien où on en est. Si bien que la seconde version, c’est : « Rasant le Nil, je vois fuir deux rives couvertes de fleurs, d’ailes, d’éclairs, de riches plantes vertes, dont une suffirait à vingt de nos salons, (doux salons où sitôt qu’on tournait les talons, sur celui qui s’éloigne on fait courir maints bruits), d’opaques frondaisons, de rayons et de fruits ». Bon, supposez, là-dessus, que, puisque j’ai introduit deux vers dans la première parenthèse, je mette une double parenthèse entre le premier le second vers de la première parenthèse. Ça donnerait : « doux salons où sitôt qu’on tournait les talons (en se divertissant soit de sa couardise, soit de ses fins talents quoi qu’il fasse ou qu’il dise), sur celui qui s’éloigne on fait courir maints bruits ». Là vous retombez : « ...d’opaques frondaisons, de rayons et de fruits ». Vous continuez. Vous avez introduit le premier vers de la double parenthèse, c’est « en se divertissant soit de sa couardise, soit de ses fins talents quoi qu’il fasse ou qu’il dise ». Vous introduisez une triple parenthèse après « en se divertissant soit de sa couardise ». Ce qui vous donne : « doux salons où sitôt qu’on tournait de talons (en se divertissant soit de sa couardise (force particuliers quoi qu’on leur fasse ou dise, jugeant le talion d’un emploi peu prudent, rendent salut pour œil et sourire pour dent)... » vous enchaînez... . Alors je peux vous redonner la lecture finale, mais... pour voir si vous suivez : « Rasant le Nil, je vois fuir deux rives couvertes de fleurs, d’ailes, d’éclairs, de riches plantes vertes, dont une suffirait à vingt de nos salons (doux salons où sitôt qu’on tournait les talons, sur celui qui s’éloigne on fait courir... », merde. Aah, je recommence (rire) : « à vingt de nos salons (doux salons où sitôt qu’on tournait de talons (en se divertissant soit de sa couardise, soit de ses fins tal... » ahh, J’y arrive pas, il faudrait... J’ai pas amené le texte, là, où il y a toutes les parenthèses, enfin vous avez compris. Je ne vais pas reconstituer.... Bon. Alors en quoi ça nous intéresse ça ? Qu’est-ce qu’on peut en tirer de sérieux - et encore une fois le sérieux, c’est pas mieux... il y a rien de mieux que ça.... C’est pas la peine de le refaire, hein ? Ça fait partie des choses... comme on dit, une fois que quelqu’un l’a fait, il faut le faire une fois et c’est tout. Faut trouver vos... Je vous signale que lorsque c’est pas le... que Foucault a considéré dans une préface très intéressante, a fait un parallèle entre trois grands manipulateurs de langage, euh... inventeurs de langages artificiels, de langages hétérodoxes, comme ça, euh... qui sont Roussel, dont il avait repris l’analyse dans une courte préface à autre chose, Brisset et un américain beaucoup plus récent Wolfson qui lui aussi, comme on dit, tient quelque chose et invente un langage à partir de tout autre principe que Roussel et justement, l’intérêt du texte de Foucault, c’est de comparer les trois et d’essayer de montrer la diversité de leur procédé à chacun, le procédé de Roussel, le procédé de Brisset qui est un écrivain du début du XXème aussi et le procédé de Wolfson qui vit encore actuellement, qui est un jeune américain qui a fait une espèce d’invention, d’invention de langage et de traitement du langage tout à fait bizarres. Or, donc, ce ne serait pas le seul cas, mais c’est au niveau de Roussel que Foucault a attaché les plus fortes analyses et je veux juste signaler que serait intéressant et que, chaque fois, il s’agit d’une bataille, il s’agit d’une bataille intérieure au langage, il y a la bataille Roussel, il y a la bataille Brisset et il y a la bataille Wolfson, plus toutes sortes d’autres... il faudrait vous reporter, ceux que ça intéresse ce point, il faudrait vous reporter au, au... c’est tout le problème du langage et de la schizophrénie où là, la bibliographie est interminable mais très très importante, très intéressante et où vous trouveriez notamment de grands, de grands renseignements sur les langages schizophrènes dans les Cahiers de l’art brut. Ou bien il faudrait revenir au... non, oui, peu importe. Alors, euh, ce nouveau procédé hein, cette seconde solution, cette prolifération des parenthèses, pourquoi ? Et au nom de quoi je prétends dire : ben oui c’est une seconde solution. Si vous avez suivi, aujourd’hui, je sais pas, c’est pas qu’on rit beaucoup, mais euh, c’est pas, c’est pas qu’on rit et c’est différent ce que je dis, c’est rigolo ; tout ce que je dis aujourd’hui c’est rigolo. Euh ça fait pas rire, mais c’est rigolo. Tout comme, c’est pas qu’on le voit mais c’est du visible, hein ? C’est comme ça. Avant c’était du sérieux. Et ben, ce qui m’intéresse, c’est comment finalement les deux s’échangent : l’analyse dite comique et l’analyse sérieuse, mais c’est pareil, vous savez. Parce que, réfléchissez au procédé de la prolifération des parenthèses. Ça revient à dire quoi ? Ça veut dire : l’énoncé a un pouvoir déterminant. Bien plus : l’énoncé procède à une détermination infinie. L’énoncé c’est la détermination infinie. Qu’est-ce que ça veut dire « la détermination infinie » ? Mais c’est tout simple, la détermination infinie ça veut dire, là on le voit concrètement, une phrase étant donnée, vous pouvez toujours faire proliférer les parenthèses qui séparent deux membres de la phrase, deux segments de la phrase. C’est un principe, c’est, dans la phrase, un principe de détermination infinie. Et c’est même un entraînement, comme ça vous ferez craquer vos proches, de parler comme ça. Alors, bon, un principe de détermination infinie qui est propre à l’énoncé. Mais ça nous convient tout à fait, pourquoi ? Je vous rappelle nos analyses sérieuses précédentes. La forme de l’énoncé, c’est la détermination ou la spontanéité. La forme du visible, c’est la réceptivité. Le « il y a » du langage est spontané, le « il y a » de la lumière est réceptif. Et on a vu, à la suite d’une longue analyse que je ne reprends pas, en quoi l’on pouvait dire, de ce point de vue, que Foucault était kantien. Ce que j’essayais de traduire en disant : vous savez, la forme du visible, c’est la forme du déterminable tandis que la forme de l’énoncé, c’est la forme de la détermination. Et les deux formes restaient strictement irréductibles, puisque c’était l’apport le plus profond de Kant, on avait vu... L’apport le plus profond de Kant nous semblait avoir été de montrer que la forme du déterminable était irréductible à la forme de la détermination, et d’avoir ainsi reproché à tous ses prédécesseurs de ne pas l’avoir vu, d’avoir cru, dès lors, que la détermination portait sur de l’indéterminé. Et Kant nous disait : pas du tout : la détermination porte nécessairement sur un déterminable et non pas sur un indéterminé, or le déterminable a une forme, qui n’est pas la même que celle de la détermination. Il y a donc deux formes irréductibles : la forme du déterminable et la forme de la détermination. La question c’était dès lors : s’il y a un rapport entre le visible et l’énonçable, il faut bien que la détermination s’exerce sur le déterminable. Mais comment peut-elle le faire puisque les deux formes sont irréductibles ? Comment la détermination peut-elle s’exercer sur le déterminable puisque la forme de la détermination est irréductible à la forme du déterminable et inversement ? Vous voyez : pourquoi le procédé de Roussel m’intéresse ? La réponse ce serait : oui, mais la forme de la détermination va jusqu’à l’infini. La forme de la détermination va jusqu’à l’infini. C’est un peu ce que dit L’archéologie du savoir : il y a des formations discursives, les énoncés, et puis il y a du non-discursif, seulement il y a des rapports discursifs - le non-discursif n’est pas discursif, il y a hétérogénéité des deux formes - seulement le discursif a des rapports discursifs avec le non-discursif. Bon. C’est parce que la détermination va jusqu’à l’infini que, dès lors, elle peut rejoindre le déterminable. Voilà pourquoi ce serait au niveau des Nouvelles impressions d’Afrique que Roussel nous donnerait la clef d’un rapport des deux formes au sein du non-rapport. Mmmh. Vous comprenez ? Et qu’est-ce qui fait que, en nous, résonne le même scrupule ? Non, ça ne suffit pas encore. Ça ne suffit pas encore, pourquoi ? Pour une raison très simple : parce que qu’est-ce qui empêchera à jamais que, lorsque et en tant que la détermination va à l’infini, le déterminable se dérobe à l’infini ? Et c’est bien ce qui arrive dans la dernière technique de Roussel : on ne voit plus rien. On ne voit plus rien. La visibilité se dérobe au fur et à mesure que la détermination gagne. La visibilité recule à mesure que la détermination va à l’infini. Foucault le pressent, le reconnaît à sa manière lorsqu’il parle d’une « folle poursuite » à propos des Nouvelles impressions d’Afrique : la folle poursuite où s’engage Roussel lorsqu’il veut porter le langage au niveau de la détermination infinie. Mais, à ce moment-là, ce sont les visibilités qui s’enfuient à tire d’aile. A mesure que la détermination gagne, la visibilité se recule. Car, notre problème, c’est toujours le même : d’accord il y a bataille, encore faut-il que les deux se joignent, se rencontrent, or on en est toujours à dire : oui, tout s’expliquera si les deux se rencontrent, mais les deux se rencontrent pas, le visible ne rencontrera pas l’énonçable, l’énonçable ne rencontrera pas le visible et nous serons toujours condamnés à dire, devant la prison : « ceci n’est pas une prison » et, devant la pipe : « ceci n’est pas une pipe ». A moins que... bon, on a fait tout ce qu’on pouvait, c’est qu’on était bête. On était bête. Peut-être qu’on demandait une solution là où il n’y en avait pas. Ahh on demandait une solution là où il n’y en avait pas ? Ben oui. Faut s’y faire. Puisqu’on a fait tout ce qu’on jugeait possible. Là, moi, je ne vois plus. On voit plus. Hein ? Et ben c’est notre faute. Qu’est-ce qui nous disait que la solution était donnée au même niveau que le problème ? Ça arrive très souvent, que, quand un problème est posé, il reçoive sa solution d’une autre dimension que les siennes. Aucune raison de penser qu’un problème doit être résolu avec des éléments compris dans les conditions mêmes du problème. La solution, même, on peut dire, elle vient souvent d’ailleurs. Nous faisions une erreur en voulant que la solution jaillisse au niveau même où le problème était posé. Faut la chercher, il fallait l’attraper ailleurs. Qu’est-ce qui me le dit ça ? Ben ça c’est la troisième et dernière voie vers la solution. Capture mutuelle était la première voie. Détermination infinie était la seconde voie. La troisième voie, c’est rien du tout : cherchons une autre dimension pour résoudre le problème. Or, ça, c’est la voie de Kant, on l’a vu. Quand il s’agit d’expliquer comment il peut y avoir un rapport au sein du non-rapport réceptivité / spontanéité, vous vous rappelez, qu’est-ce qu’il nous dit ? Il y a le schème de l’imagination, dimension absolument mystérieuse et cachée, et qui n’est pas une forme. Ce n’est pas une forme. Le schème n’est pas une forme. Et, bizarrement, ce schème qui n’est pas une forme est, d’une part, adéquat à l’espace et au temps, c’est-à-dire à la forme du déterminable et, d’autre part, adéquat au concept, c’est-à-dire à la forme de la détermination. Les deux formes, du déterminable et de la détermination, sont irréductibles, hétérogènes, mais il y a quelque chose qui est homogène à l’une des formes et à l’autre des formes. Simplement, cette autre chose, c’est pas une forme. Comment quelque chose qui n’est pas une forme peut être homogène à deux formes qui, elles, sont pas homogènes entre elles ? C’est un mystère. Bon, le génie de Kant est qu’il essaie de nous le faire comprendre. Il essaie de nous le faire comprendre, mon problème c’est pas, c’est pas exposer comme... c’est euh... Je dis : est-ce que chez Foucault on va trouver un mouvement analogue ? Nécessité d’invoquer une autre dimension pour faire surgir, du non-rapport, un rapport ? Et ben oui. Ça reviendrait à dire, aussi : dans quelle dimension les combattants, les lutteurs peuvent-ils se rencontrer ? Puisqu’on a vu, au niveau des captures mutuelles, qu’il y avait étreinte. Dans quelle dimension se fait la rencontre entre les lutteurs ? C’est pas au niveau des formes, les formes sont sans rapport. Alors il faut une autre dimension. Il faut que cette autre dimension soit informelle. C’est ce que Foucault va dire, et, il me semble explicitement, dans deux textes importants. Un texte de Ceci n’est pas une pipe, à propos de Paul Klee. Pourquoi à propos de Paul Klee ? Parce que Paul Klee est certainement le plus grand peintre qui ait confronté les signes et les figures. Ou, si vous préférez : l’écriture - ou l’énoncé - et la figure visible. Par exemple, euh..., c’est pas fini, hein, ceux qui l’ont pas fait, il faut que..., je vous supplie, allez voir l’exposition « Klee et la musique » Une personne dans l’assistance « plus fort ! » Deleuze : ah, je dis qu’il faut... je baissais la voix parce que je..., je vous donnais un conseil là, ça ne faisait plus partie... Je disais que ceux qui n’y avaient pas été, il fallait que vous trouviez le temps d’aller voir l’exposition « Klee et la musique », à Beaubourg. Vous verrez, là, vous comprendrez tout sur le rapport... Je pense à des tableaux justement... il y a deux petits tableaux, c’est le cas le plus simple de ce que je veux dire. Il y a deux petits tableaux qui sont une merveille, deux petites... tout petits. C’est les éléments d’un paysage, vous avez alors : arbres, grillages, touffes d’herbe, fleurs etc. qui sont complètement dissociés les uns des autres, disséminés et ils sont mis sur une portée musicale, ça paraît facile, ce que je dis, hein ? Et, en effet, si j’essaie de le reproduire, moi, et ben, ça ne suffira pas pour faire chanter le paysage, pour faire chanter le jardin. Par quelle merveille [ ???] c’est ça le génie. Il fait ça... Je vous assure : vous ne pouvez pas regarder les deux versions du jardin, là, de Klee mis en portée musicale, par une simple dissociation des éléments, c’est très simple comme procédé - encore une fois il a des procédés beaucoup plus complexes, Klee - mais ça c’est le cas le plus simple - sans que vous soyez saisis, mais vous êtes fascinés, vous êtes fascinés, il est pas question de passer à... vous êtes saisis par une espèce de beauté absolue : le jardin chante. Comment il a fait ? Ben oui, ben je crois que les signes et les figures, il les a fait complètement se pénétrer, mais quoi ? Dans une autre dimension que celle du tableau : la musique. La musique. C’est le peintre-musicien, Klee. Il y a une autre dimension non-donnée et là, le jardin chante. Soit. C’est ce que Foucault dit : « les lettres et les figures chez Klee se rencontrent en un tout autre espace que celui du tableau », c’est-à-dire se rencontrent en un espace qui n’est plus ni celui des énoncés, ni celui des visibilités, ni celui des signes, ni celui des figures. Bon, c’est une courte indication. Dans un autre texte, l’analyse de Nietzsche qu’il a faite, Foucault dit ceci à propos des combattants, texte qui, donc, nous est précieux, puisque c’est bien le problème, il nous dit... il commente ce que signifie la notion nietzschéenne d’émergence. Et il dit : l’émergence désigne un lieu d’affrontement. Bien, jusque-là ça va. C’est-à-dire un lieu d’affrontement : il y a des lutteurs, c’est l’étreinte des lutteurs. « Encore faut-il se garder de l’imaginer comme un champ clos » (vous voyez, par parenthèse : dénonciation de la forme d’enfermement), « encore faut-il se garder de l’imaginer comme un champ clos où se déroulerait une lutte, ou comme un plan où les adversaires seraient à égalités. C’est-à-dire la rencontre ne se fait pas dans un champ clos et il ajoute : « c’est plutôt un non-lieu ... », « c’est plutôt un non-lieu, une pure distance... ». « Une pure distance » : qu’est-ce que c’est que ça, une pure distance ? C’est une notion pour ceux qui savent un peu, dans ce domaine, c’est une notion, typiquement, de topologie et qui est indépendante des formes, tout à fait indépendante des formes. Donc : c’est un non-lieu, c’est pas un lieu, c’est un non-lieu, c’est une pure distance, à savoir : « le fait que les adversaires n’appartiennent pas au même espace. Nul n’est responsable d’une émergence, nul ne peut s’en faire gloire, elle se produit toujours dans l’interstice. » Bon, et ben, d’accord, la rencontre de la forme du visible et de la forme de l’énonçable se produit dans l’interstice entre les deux formes, dès lors elle n’implique aucun mélange des deux formes. Euh, c’est dans un recueil collectif hommage à Jean Hyppolite, c’est l’article de Foucault sur Nietzsche, p. 156, aux Presses Universitaires. Hommage à Jean Hyppolite... Dans l’assistance : c’est introuvable. Deleuze : c’est introuvable ? Une autre personne dans l’assistance : si, on le trouve encore. Deleuze : vous avez pas besoin de le trouver puisque je vous le raconte. Ah. Oui. Alors, ça revient à dire quoi ? D’accord, il y a un non-rapport entre les deux formes. De ce non-rapport, un rapport va surgir, mais le rapport qui surgit est dans une autre dimension que celle des deux formes, il est dans une dimension informelle. Nécessité d’une instance informelle exactement comme le... Kant devait invoquer un schème de l’imagination pour rendre compte de la co-adaptation des deux formes, il faudra, là aussi, une dimension informelle, différente de celle des deux formes, pour rendre compte de la co-adaptation des deux formes. Qu’est-ce que ce sera ? Qu’est-ce que ce sera ? Et ben voilà... repos, récréation... quelle heure il est ? Un étudiant : 11h 05 Vous vous reposez hein, vous vous donnez vraiment - qu’on soit pas forcé de vous courir après - 10 minutes ! ... ... tirer des conclusions, car, ça ne vous échappe pas, nous n’avons plus qu’une séance avant les vacances et ce serait rudement ben que nous terminions le premier axe de la pensée de Foucault, c’est-à-dire le savoir avec le trimestre. Mais j’ai peur, hélas, à moins que je ne ralentisse beaucoup, de devoir entamer le deuxième axe... ça fait rien. Alors tirons des conclusions sur le savoir et l’exigence d’une autre dimension, d’un autre axe. Première remarque : je peux considérer à la fin de ce trimestre, que le premier axe de la pensée de Foucault s’est présenté sous le nom de « savoir ». Et pourquoi est-ce que c’est le premier axe de la pensée de Foucault ? Parce qu’il est bien entendu que, sous le savoir, ou avant le savoir, il n’y a rien. L’expérience est un savoir, le savoir ne renvoie pas à un objet ou à un sujet préalable. Sujet et objet sont des variables du savoir, des variables intérieures du savoir. A vous de décider si c’est de l’idéalisme ou pas. Peut-être que la question n’a pas de sens. Peu importe. En tout cas, c’est au nom de ceci que tout est savoir, et déjà savoir, que Foucault peut rompre avec, là aussi, une notion chère à la phénoménologie vulgaire, à savoir : il n’y a pas d’expérience sauvage. Là-dessus, je précise que, parmi vous, en effet, comme il n’y a pas d’intervention, comme vous intervenez pas oralement et, finalement c’est très bien, très bien... en revanche beaucoup d’entre vous me passent, après, des fiches et, jusqu’à maintenant, ce sont des fiches d’un très grand intérêt, c’est-à-dire manifestement elles viennent de gens qui connaissent les textes de Foucault aussi bien que moi ou même mieux... euh... et dans ces fiches, je cite cela parce que j’en ai eu plusieurs... Je préviens que ceux qui font ces fiches, ils ne croient pas surtout que je m’en désintéresse, au contraire, mais que j’estime ne pas en être à un point où je peux en tenir compte dans mon analyse, mais je les garde bien pour quand le moment est venu pour moi, à ce moment-là, je reprendrai ça avec celui dont vient la fiche. Or l’un d’entre vous, notamment, m’a passé une fiche en me disant : c’est très joli de dire qu’il n’y a pas expérience sauvage chez Foucault, ça n’empêche pas que, en tout cas, il emploie le mot « vérité sauvage » et, celui qui a fait cette fiche, me cite les textes... Bon, le moment venu, nous aurons à nous demander : qu’est-ce que peut bien vouloir dire, en effet, l’affirmation de Foucault qu’il y a des « vérités sauvages » ? Ce qui implique quand même une manière d’expérience sauvage puisque la vérité est affaire d’expérience. Donc, c’est approximatif, je dis : si l’on en reste à ce premier axe, il n’y a aucune place pour une expérience sauvage qui serait comme le sol nourricier du savoir. Le savoir n’a pas d’autre sol nourricier que lui-même. Donc la première raison pour laquelle il n’y a pas d’expérience sauvage à ce niveau, c’est que tout est savoir et il n’y a rien avant le savoir, ni sous le savoir. Voilà donc notre premier groupe de conclusions. Le deuxième groupe, deuxième type de conclusion, c’est que le savoir a deux parties...

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