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6- 26/11/1985 - 3
Deleuze/ Foucault - Les formations historiques cours 6 du 26/11/1985 - 3 Année universitaire 1985-1986. (partie 3/4) Transcription : Annabelle Dufourcq (avec l’aide du College of Liberal Arts, Purdue University) 46 minutes 11 secondes ... la dernière fois, la réponse de Kant, et, même en la résumant ça nous servira pour l’avenir de nos analyses sur Foucault, la réponse de Kant ce sera : oui, il faut un tiers élément, il faut un troisième, et non seulement il faut un troisième pour mettre en rapport le sans-rapport, c’est-à-dire l’espace-temps et le « je pense », la réceptivité et la spontanéité, mais il faut que ce troisième soit sans forme.
Un élément informel, un obscur élément informel qui, d’un côté, c’est le grand mystère, serait homogène à l’intuition, à l’espace et au temps, et, d’un autre côté, serait homogène au « je pense », au concept. Alors : réceptivité et spontanéité seraient hétérogènes, mais voilà qu’il y aurait une tierce instance qui serait homogène, pour son compte, à l’intuition et homogène au « je pense ».
Et c’est bizarre, ça, quelle drôle d’instance ! Kant nous dit : c’est le plus mystérieux de l’homme et c’est l’imagination. Le plus mystérieux de l’homme : une instance qui est homogène à chacune des deux instances hétérogènes. Et pourquoi est-ce qu’il dit ça ? C’est arbitraire ? C’est pas... il veut dire une chose très simple...
Ecoutez encore, il dit : le propre de l’imagination c’est de schématiser et qu’est-ce que c’est qu’un schème ?
Et bien voilà. Un schème c’est un drôle de truc.
Et bien, ça suffit. C’est formidable. Là encore c’est une très très grande découverte kantienne, le schème, le schème de l’imagination. C’est formidable comme notion. Donc, le schème, il est, d’une part, homogène à l’espace et au temps puisqu’il détermine l’espace et le temps, c’est une détermination d’espace et de temps. Vous me direz : le temps, il joue quoi là-dedans ? Ben, il suffit de prendre un schème comme celui du nombre, le schème du nombre c’est quoi ? Le schème du nombre c’est la règle d’après laquelle je peux toujours ajouter l’unité au nombre précédent, c’est le schème du nombre. C’est un schème temporel. Donc un schème est homogène à l’espace et au temps, puisqu’il détermine un espace-temps. Mais il détermine l’espace et le temps comme correspondant.... Comme conformément à un concept, triangle équilatéral, nombre... Vous voyez, il est donc homogène à l’espace et au temps qu’il détermine et homogène au concept dont il permet la construction de l’objet. Exercice pratique : définition du lion, c’est le concept. Ah ? Vous définissez le lion. Euh... On peut concevoir plusieurs définitions. Et quel est le schème du lion ? Vous voyez qu’un schème, c’est pas du tout une image. Si je dis : une image de nombre, vous me direz « deux » ou « trois cents ». Et le schème du nombre, ce n’est pas ça, c’est la règle de production de tout nombre. Si je vous dis : images d’un triangle équilatéral, vous n’avez pas de difficulté, vous venez, vous tracez un triangle équilatéral. Enfin : vous n’avez pas de difficulté, je ne sais pas... mais... vous en faites un, indépendamment de toute feuille de construction, vous en faites un à peu près. Bon. Mais c’est pas ça le schème, le schème, c’est pas une image, c’est la règle de production de toute image comme correspondant au concept ou comme conforme au concept. Alors le schème du lion, ce n’est pas un lion. Une image de lion, c’est un lion, celui-ci, ah oui le lion que j’ai vu au cirque l’autre jour ou que j’ai vu à la télé... bon, mais c’est pas ça un schème de lion, c’est bien mieux que ça. Ça, ça fait partie, en effet, des mystères de l’imagination. Un schème de lion, ce sera quoi, par exemple ? C’est toujours un dynamisme. C’est un dynamisme spatio-temporel. Vous pouvez rêver là, vous pouvez rêver, rêvons... Quand vous avez un concept, là, un concept comme la vache ou comme le lion, qu’est-ce que c’est le schème de la vache ? C’est pas cette vache-là, c’est une image, ça, cette vache-là que vous connaissez particulièrement, c’est une image de vache. Mais le schème de vache, je vais vous dire ce que c’est... on peut varier, hein, là. Euh, le schème de vache, pour moi, c’est le puissant mouvement migrateur qui prend un troupeau quelconque de vaches dans une prairie à telle heure ou telle heure. Ahhh ! Vous voyez ? Euh... Tout d’un coup, là, ces bêtes qui étaient complètement... qui broutaient, là, chacune, un peu éparpillées, tout d’un coup, elles migrent dans la prairie, quel terrible cinq heures du soir, cinq heures du soir, les vaches migrent dans la prairie, dynamisme spatio-temporel. Qu’est-ce que c’est que le schème du lion ? C’est un coup de griffe, ça c’est un dynamisme spatio-temporel, ça fait pas partie de la définition conceptuelle du lion. Avoir des griffes, oui, ça fait partie de la définition conceptuelle du lion, mais le dynamisme du geste..., ce serait ça le schème. En d’autres termes, c’est une détermination spatio-temporelle comme correspondant à un concept. Il n’y a rien de plus paradoxal, puisque l’espace-temps et le concept sont strictement irréductibles, comment peut-il y avoir des schèmes qui fassent correspondre les déterminations de l’espace et du temps à des concepts. C’est pourquoi Kant nous dit : le schématisme est l’art le plus mystérieux. Bien, voyez une troisième instance les deux formes ne sont pas, les deux formes ne sont pas réductibles l’une à l’autre. Les deux formes ne sont pas conformes, mais il y aurait une troisième instance qui, elle, pour son compte, serait conforme à l’une des deux formes et à l’autre des deux formes. La condition, c’est que et là, Kant, il nous laisse... il nous laisse, il ne peut pas aller plus loin. La condition, en effet, à mon avis, c’est que ça ne tient que si le schème est informel. Mais alors, s’il est informel, comment est-ce qu’il peut être conforme aux deux formes ? Difficile - la réponse de Kant : "un art enfoui dans les profondeurs de l’imagination". Enfoui... Il ne faut pas demander à un philosophe, quel que soit son génie, d’aller plus loin que... quand on a fait déjà tant de route que Kant en a fait, quand on est pressé en plus par d’autres problèmes qu’il n’aille pas plus loin, c’est pas un manque... C’est à nous, si nous sommes kantiens, d’essayer d’aller plus loin grâce à lui, voilà, c’est tout. Alors est-ce que ce sera le cas de Foucault ? Quelle sera la réponse de Foucault ? On sait que, sur ce point, on ne peut plus être kantien, puisque [ ???]. Mais est-ce qu’il y aura - voilà exactement ma question pour plus tard - est-ce qu’il y aura, chez Foucault quelque chose qui fonctionne, même vaguement, comme le schématisme de l’imagination chez Kant ? Donc, puisqu’on ne peut pas pousser plus loin la confrontation avec Kant, je passe à la seconde confrontation : Blanchot. Et, si l’on faisait une confrontation générale, sur quel point le rapprochement de Foucault avec Blanchot pourrait-il se faire ? Quelle heure est-il ?
Bon, moi je crois que l’on pourrait grouper les thèmes... aaahh... l’on pourrait grouper les thèmes de rapprochement possible Foucault-Blanchot. Moi, j’en vois trois. J’en vois trois fondamentaux. L’un, on le verra beaucoup plus tard, donc je ne peux que le citer, parce que... Le second on l’a vu au moins en partie et, le troisième, c’est lui sur lequel on va essayer d’insister.
Mais donc c’est là que je les groupe tous les trois, à savoir, une certaine... je ne peux même pas dire « conception », mais un certain appel au dehors. Le Dehors.
Et le « on meurt », vous le retrouverez aussi, mais très réinterprété par Foucault. Car je crois finalement, et c’est une des choses très... tellement émouvantes, dans la mort de Foucault, c’est que Foucault fait partie des hommes et il n’y en a pas beaucoup, qui sont morts à peu près comme ils "pensaient la mort". Il n’a pas cessé de beaucoup penser la mort, bien que il n’était pas triste Foucault, euh... il avait avec la mort un rapport assez spécial, je crois qui était sa manière de penser la mort et très curieusement il est mort comme il pensait la mort. Et qu’est-ce que ça veut dire ? Je crois que dans "Naissance de la clinique", vous trouvez une assez longue analyse de Bichat, du docteur Bichat, médecin du XIXème, très célèbre, qui est célèbre précisément pour avoir fondé un nouveau rapport de la vie et de la mort, un nouveau rapport médical de la vie et de la mort. Or, si vous lisez ces pages de Foucault dans "Naissance de la clinique", il y a quelque chose qui est évident. C’est qu’il ne s’agit pas d’une simple analyse, si ingénieuse et si brillante qu’elle soit, il y a une espèce de tonalité affective dans ces pages de Foucault sur Bichat, qui, il me semble est quelque chose comme si, là, Foucault nous disait indirectement, en prenant le biais d’une analyse de Bichat, quelque chose qui le concernait fondamentalement. Et, si vous vous demandez, qu’est-ce qu’il y avait de nouveau dans la manière dont Bichat concevait la mort, je crois qu’il y a quelque chose de nouveau, tellement nouveau que Bichat est un penseur moderne très fondamental. C’est qu’il y avait une certaine conception qui traîne partout de la mort, c’est la mort comme instant indivisible et insécable. Je dirais que c’est la conception classique de la mort, la mort comme instant indivisible et insécable avec lequel la vie se termine. Et vous retrouvez cette conception encore très très actuelle, c’est à ça que moi je dirais... c’est ça, c’est un critère de l’homme classique. Au moment de la mort, quelque chose se produit d’incommensurable. Cette conception classique, elle anime encore la phrase célèbre de Malraux : « la mort, c’est ce qui transforme la vie en destin ». Vous trouvez l’équivalent dans les conceptions antiques. Je prends un exemple dans les conceptions morales de l’antiquité. Si par exemple, lorsqu’on nous dit : le sage sait bien que l’on ne peut pas dire « je suis ou j’ai été heureux avant la mort » c’est-à-dire la mort comme instant incommensurable peut changer la qualité d’une vie et peut changer rétroactivement la qualité d’une vie. Donc la mort comme instant ultime, la mort comme limite. Je dirais : ça c’est la conception classique que vous trouvez chez les moralistes, mais également chez les médecins, et les philosophes... tout ça, c’est la conception classique. Beaucoup d’entre nous vivent dans cette conception classique. C’est intéressant de se demander comment chacun pense la mort. Foucault, pas du tout. Ou Bichat, pas du tout. Je crois que Bichat a deux nouveautés fondamentales. Bichat est célèbre pour la définition qu’il donne de la vie et qui ouvre son grand livre sur la vie et la mort, qui est un livre sublime. Cette définition de la vie, c’est - elle est célèbre dans l’histoire de la médecine - c’est : "la vie, c’est l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort". Cette définition, elle a l’air comme ça, bizarre, pourquoi ? Elle a même l’air inutile, parce que complètement contradictoire. Une fois dit que la mort, c’est la non-vie, nous dit-on, mais au nom de la pensée classique... Le classique, l’homme classique, il ne peut pas comprendre la définition de Bichat, pour une raison simple c’est que la mort c’est la non-vie, définir la vie par « l’ensemble des fonctions qui résistent à la non-vie », ça ne paraît pas..., ça ne paraît pas raisonnable. Donc la mort comme instant insécable et incommensurable empêche ou retire tout sens à la phrase de Bichat. Mais en fait, ça veut dire que Bichat n’est pas un homme classique. Car sur deux points, la formule de Bichat prend un sens effarant. A savoir : c’est l’affirmation,
Mais je passe au troisième point de confrontation avec Blanchot qui est celui qui vient tout naturellement au point où nous en sommes de notre analyse. Et je me réfère évidemment au grand texte... c’est partout dans Blanchot, mais le texte le plus décisif de Blanchot, dans" L’entretien infini", le texte intitulé « parler, ce n’est pas voir ». Parler, ce n’est pas voir puisque, au point où nous en sommes, c’est exactement la difformité, c’est-à-dire l’hétérogénéité du visible et de l’énonçable, auquel répond la formule de Foucault : « ce que nous voyons ne se loge pas dans ce que nous disons ». « Parler, ce n’est pas voir ». Et je me dis : essayons, le texte de Blanchot est très beau, avec de grandes vertus poétiques, alors essayons, nous, en tant que non-poètes, en tant qu’on fait de la numérotation, de mettre au point ce que veut dire Blanchot. Parce que c’est très très intéressant : "parler, ce n’est pas voir". Et bien, là aussi, j’essaie de numéroter, pour aller lentement.
Je prends les deux textes. Le texte de L’espace littéraire nous dit : il faut distinguer deux images. L’une, la première image, c’est l’image qui ressemble à l’objet et qui vient après. Pour former une image, il faut avoir perçu l’objet, c’est l’image à la ressemblance. C’est une image, donc, qui ressemble à l’objet et qui vient après. L’autre, je schémat... je simplifie, parce que ce serait trop long sinon, mais je crois d’ailleurs que cette simplification est exacte à la lettre, bien que Blanchot ne s’exprime pas ainsi. L’autre - je reprends une expression chrétienne, chère au christianisme - l’autre c’est l’image sans ressemblance. Cette idée qui va être prodigieuse pour une théorie de l’imagination chrétienne, à savoir, avec le péché, l’homme est resté à l’image de Dieu, mais il a perdu la ressemblance. L’image a perdu la ressemblance. L’image sans ressemblance. Et cette l’image sans ressemblance, c’est peut- être parce qu’elle est plus vraie que l’objet - là je rejoins un texte de Blanchot, elle est plus vraie que l’objet... Et Blanchot, dans ces pages très étonnantes, dit : c’est le cadavre, c’est le cadavre qui est plus vrai que moi-même, cadavre plus vrai que moi-même. Au point que ceux qui me pleurent disent : « comme il se ressemble, comme la mort l’a figé dans une attitude ». Non plus le cadavre... ce n’est pas le cadavre qui ressemble au vivant que j’ai été, c’est le vivant que j’ai été qui est à la ressemblance du magnifique cadavre que je suis. L’image sans ressemblance a surgi, en mourant je me suis lavé de la ressemblance, je suis pure image, pur cadavre. Bon. C’est la manière dont Blanchot pense, hein, c’est pas... Euh... Voilà, c’est les deux versions de l’imaginaire, je simplifie beaucoup, voyez vous-mêmes le texte, très beau. Dans "L’entretien infini", vous retrouvez le même thème sur un autre mode. Deux versions de l’imaginaire. C’est quoi ? Ou plutôt, non, deux versions.... Non, là, c’est, non... je retire « imaginaire ». Dans le texte « parler ce n’est pas voir », c’est deux versions de la vue, du visible. De la vue et du visible. Première version : je vois à distance, je perçois à distance. Je saisis les choses, les objets à distance. C’est bien connu, je ne commence pas par les saisir en moi pour les projeter, je saisis la chose là où elle est. La psychologie moderne nous l’a appris. Je perçois à distance, je saisis à distance. Et puis, nous dit Blanchot, il y a une autre visibilité, c’est lorsque c’est la distance qui me saisit. Je suis saisi par la distance. Selon lui, donc, être saisi par la distance, c’est le contraire de saisir à distance. Et, selon lui, c’est le rêve. C’est le rêve qui me saisit par la distance. C’est ce qu’il appelle, lorsque je suis saisi par la distance au lieu de saisir à distance, c’est que Blanchot appelle la fascination. Je suis fasciné. C’est la même chose : être saisi par la distance ou voir se lever l’image sans ressemblance, c’est pareil. L’art, le rêve sont ces exercices de la vue. Alors, mon dieu, mais mon dieu, mon dieu, qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce qui empêche Blanchot de dire « et inversement », puisqu’il y a tous les éléments ? Curieux et, là-dessus on est très étonné, parce qu’il faut que vous voyez le texte, si vous avez la même impression que moi... Il est à deux doigts de le dire, « et inversement ». Ben non, il ne le dit pas et il ne le dira pas. Il ne le dira pas, parce que, on garde notre méthode, parce qu’il ne peut pas le dire. Il ne peut pas le dire parce que ça ruinerait tout ce qu’il pense. Pourquoi ? Parce que s’il passe par l’exemple de voir c’est pas du tout pour dresser un autre cas que parler, c’est uniquement pour confirmer ce qu’il vient de dire sur parler. A savoir : l’aventure du visible ne fait que préparer la véritable aventure qui doit être celle de la parole pour Blanchot. Si bien que l’idée qu’il y a aussi un exercice supérieur de la vue n’est là que comme degré préparatoire au seul exercice supérieur qui est la parole en tant qu’elle parle de ce qui ne peut être que parlé, c’est-à-dire... |
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