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6- 26/11/1985 - 2
Deleuze/ Foucault - Les formations historiques cours 6 du 26/11/1985 - 2 - Année universitaire 1985-1986. (partie 2/4) Transcription : Annabelle Dufourcq (avec l’aide du College of Liberal Arts, Purdue University) 46 minutes 23 secondes Mais, je crois que, quand même j’ai raison dans ma présentation de la pensée de Foucault. J’ai raison car, si vous regardez les textes de plus près, Foucault distingue deux types de délinquance. Un type de délinquance que l’on ne pourra expliquer que plus tard, pourquoi il l’appelle comme ça, et qu’il appelle la « délinquance-illégalisme ». Je dis juste, la délinquance-illégalisme, c’est la délinquance comme notion qui permet de classer d’une nouvelle manière les infractions. Et de la délinquance illégalisme, il distingue la délinquance-objet, avec un petit trait d’union. Quand il dit : la prison produit la délinquance, le contexte est très clair : il s’agit toujours de la délinquance-objet, à mon avis. Et c’est vrai que la prison produit la délinquance-objet. Et, la délinquance-objet, elle est seconde par rapport à la délinquance-illégalisme c’est-à-dire la délinquance-classification des infractions. Donc c’est dans un second temps - et là j’attire votre attention là-dessus parce que, plus tard, on retrouvera cela, dans, par exemple, quand on en sera à « qu’est-ce que ça veut dire la mort de l’homme ? », on verra que, dans "Les mots et les choses", on verra que les analyses historiques de Foucault, le plus souvent, sont binaires, en quel sens ? Elles distinguent le plus souvent deux temps, deux temps successifs. On aura à se demander pourquoi cette binarité très très curieuse, très frappante. Là on le voit dans "Surveiller et punir". Premier temps : la prison et le droit pénal ont deux formes différentes irréductibles, mais, dans un second temps, elles se croisent. Elles se croisent à savoir : le droit pénal reconduit des prisonniers, c’est-à-dire refournit perpétuellement des prisonniers ; la prison reproduit perpétuellement de la délinquance. Bon, si bien que nous re-butons sur, toujours, la nécessité où nous sommes de maintenir ces trois points de vue dans lesquels on essaie de se débrouiller. A savoir : hétérogénéité des deux formes, négation de tout isomorphisme, il n’y a pas isomorphisme entre le visible et l’énonçable. C’est le premier point. Deuxième point : c’est l’énoncé qui a le primat, c’est lui qui est déterminant. Troisième aspect : il y a capture mutuelle entre le visible et l’énonçable, du visible à l’énonçable et de l’énonçable au visible. On l’a vu, c’est typiquement : la prison reproduit de la délinquance, le droit pénal reconduit à la prison, ou refournit des prisonniers ; là vous avez capture mutuelle. Et je dis : vous voyez bien que toute la pensée de Foucault, en effet, devient irréductible et d’autant plus irréductible à l’analyse des propositions, à l’analyse linguistique, que vous voyez que le visible et l’énonçable sont dans un tout autre rapport que la proposition et le référent, que la proposition et l’état de chose, d’une part. Et, d’autre part : le visible et l’énonçable sont dans un tout autre rapport, évidemment, que le signifié et le signifiant. Je ne peux pas dire : la prison, c’est le signifié et, le droit pénal, c’est le signifiant. Ni référent de la proposition, ni signifié d’un signifiant. Foucault peut donc, à bon droit, estimer que sa logique des énoncés, doublée d’une physique de la visibilité se présente sous une forme ou plutôt sous deux formes nouvelles. Si bien que j’ai repris tout ça, enfin je sais pas, j’espère que je ne l’ai pas dit tel quel... si bien que l’on se trouve devant, à ce niveau - je fais la soudure avec notre séance précédente - on se trouvait devant quatre confrontations à faire en fonction de cette hétérogénéité fondamentale du visible et de l’énonçable. On se trouvait devant quatre confrontations. Première confrontation c’était la confrontation avec Kant. Et pourquoi est-ce qu’elle était nécessaire, elle était nécessaire pour une raison très simple c’est que : nous venait à l’esprit, comme ça, comme une espèce de petite buée, que, après tout, Kant avait été le premier philosophe à construire l’homme, à partir et sur, deux facultés hétérogènes. Une faculté de réceptivité - et, après tout le visible ressemble bien à une réceptivité - et une faculté de spontanéité, et après tout l’énoncé dont nous avons vu qu’il était déterminant, qu’il avait le primat, ressemble bien à une espèce de spontanéité. Donc nécessité d’une confrontation avec Kant sous la question générale : peut-on dire que Foucault est, d’une certaine manière, néo-kantien ? Deuxième confrontation nécessaire : confrontation avec Blanchot, qu’on a souvent eu, déjà, l’occasion d’invoquer. Puisque l’un des thèmes fondamentaux de Blanchot c’est : parler ce n’est pas voir. Le « parler ce n’est pas voir » de Blanchot et la formule de Foucault « ce que nous voyons ne se loge pas dans ce que nous disons », « le visible ne se loge pas dans l’énonçable » semblent par là même immédiatement imposer cette seconde confrontation : quel rapport entre Foucault et Blanchot ? Troisième confrontation nécessaire : confrontation avec le cinéma. Pourquoi ? Parce que tout un aspect du cinéma moderne et sans doute les plus grands auteurs contemporains se définissent de la manière la plus sommaire, si l’on cherche le caractère le plus sommaire dans ces auteurs, on peut dire : ils ont introduit dans le cinéma une faille, une béance fondamentale entre l’audio et le visuel. Et c’est sans doute par là qu’ils ont promu l’audiovisuel à un nouveau stade en faisant passer une "faille" entre voir et parler, entre le visible et la parole. Et chacun de vous est capable de reconnaître trois des plus grands noms du cinéma, là, de toute évidence, du cinéma contemporain, à savoir : Syberberg, les Straub et Marguerite Duras. Or je signale juste, parce qu’il y a matière si on avait le temps, que Foucault éprouvait évidemment pour le cinéma un intérêt très très profond, notamment pour le cinéma de Syberberg et pour le cinéma de Marguerite Duras. Je ne sais pas ce qui en était pour les Straub, mais je suppose que lui aussi éprouvait un très vif intérêt pour les Straub. Enfin Foucault fut mêlé presque directement à un film que j’ai vu, mais que hélas je ne me rappelle plus, qui est le film que René Allio a tiré de la recherche de Foucault sur Pierre Rivière... euh... Pierre Rivière qui était un cas de monomanie criminelle c’est-à-dire qui avait liquidé tous les siens, un petit paysan qui avait liquidé tous les siens, Allio en a tiré un film, alors là j’aurais très besoin, pour quand on en sera là, de quelqu’un, si quelqu’un ici se rappelle ce film, parce que, pour une raison très simple, c’est que Foucault a publié le cahier du petit gars, de Pierre Rivière, où Pierre Rivière explique sur un cahier d’écolier... ça fait partie... c’était la première des vies, la vie des hommes infâmes, tels que Foucault rêvait. Pierre Rivière est un homme infâme, un petit homme infâme tel que Foucault le... le voulait, le... en rêvait. Et bien, donc là, il y a un problème tout naturel : quel rapport entre voir et parler ? Il y a le cahier de Pierre Rivière et puis il y a son comportement visible avant le crime et le crime visible. Dans quel rapport le film d’Allio mettait... ? Est-ce que c’est simplement une voix off qui lit le cahier ? C’est un problème. Et si ce n’est pas une voix off qui lit le cahier, je fais une hypothèse, c’est que si c’est une voix off qui lit le cahier - je me souviens plus, je me souviens plus du tout - si c’est une voix off qui lit le cahier, c’est que la réalisation du film a été en retrait sur ce que souhaitait Foucault. Mais alors qu’est-ce qu’on peut faire d’autre ? On verra, comment procède le cinéma contemporain, dont on peut dire, c’est un cinéma qui a complètement rompu avec la voix off et c’est forcé, c’est forcé... qu’il ait rompu... enfin, ça, c’est le troisième point. [ ???] Il fait chaud ? Il y en a qui fume encore ? Ah non, là, soyez gentils, vous allez avoir une récréation, hein ? Et vous fumerez pendant la récréation. Voilà. Mais qui fume ? Ah bon ? Déjà quand on... Oui, vous ouvrez un petit peu, hein ? [Vous êtes] déchaînés ? T’as vu, ça, qui fume ? Dénonce-les (rires). Ecoute... hein ! Considérez ici que vous êtes dans le métro... Oui, mais il y en a qui fument dans le métro... euh, ?. ça va mieux ? Réponse d’une personne dans l’auditoire : ouais ouais Deleuze : bon, euh. Dernière confrontation. Bon ; si l’on a bien mené ces trois confrontations, on est mûr pour se demander : mais, quant au « rapport », entre guillemets rapport, quant au rapport du visible et de l’énonçable, quelle est la réponse propre de Foucault ? Est-ce que c’est la même que celle de Kant ? Est-ce que c’est la même que celle de Blanchot ? Est-ce que c’est la même que celle du cinéma ? Ou est-ce qu’il y a une réponse propre de Foucault ? Ce qui nous mène à la quatrième et dernière confrontation, à savoir :
Voilà, voilà notre programme. Et on l’a déjà entamé, puisque la dernière fois on disait : ben oui, il y a une très curieuse aventure kantienne, c’était donc la première confrontation. Il y a une très curieuse aventure kantienne qui est quoi ? C’est que Kant est le premier, je disais, à construire l’homme sur deux facultés hétérogènes, irréductibles. Et ces deux facultés irréductibles hétérogènes, c’est quoi ? C’est, vous vous rappelez, c’est la réceptivité et la spontanéité, mais qu’est-ce que c’est ? Et ben, la réceptivité, c’est la faculté d’intuition, c’est-à-dire par intuition, au sens kantien, il faut entendre quelque chose de très précis, c’est la forme sous laquelle tout ce qui m’est donné est donné. Quelle est la forme sous laquelle tout ce qui est donné est donné ? La réponse kantienne très rigoureuse, c’est tout ce qui est donné est donné dans l’espace et dans le temps. Donc, l’espace-temps, c’est la forme de l’intuition. Tout ce qui est donné est donné dans l’espace et dans le temps, l’espace et le temps sont la forme de l’intuition sous laquelle je saisis tout qui m’est donné et tout ce qui est donnable, tout ce qui est donnable. Si on me parle de quelque chose qui n’est pas dans l’espace et dans le temps, je dirais, cela ne peut pas m’être donné. Peut-être que je peux le penser - c’est tout à fait autre chose - ça ne peut pas m’être donné. Voilà donc la faculté d’intuition, ou l’espace-temps comme première forme. Et deuxième forme : la spontanéité, cette fois-ci c’est le « je pense ». Pourquoi est-ce que le « je pense » est une spontanéité ? Ou une activité par différence avec la réceptivité ? Et bien parce que « je pense », c’est l’énoncé d’une détermination. C’est une détermination. Alors j’en étais là la dernière fois, à cette considération : mais pourquoi est-ce que Kant construit ainsi l’homme et pourquoi est-ce que ça n’a pas été fait avant ? Pourquoi est-ce que cette idée des facultés hétérogènes... Pourquoi est-ce qu’il a fallu attendre Kant ? Ma réponse était très simple : la métaphysique ne peut pas - c’est pas qu’elle veut pas : elle ne peut pas - la métaphysique ne peut pas atteindre à ce thème des facultés hétérogènes. Et, pour y atteindre, Kant opère ce qu’il appelle lui-même sa révolution, à savoir la substitution de la critique à la métaphysique. Pourquoi, la métaphysique, elle ne peut pas - on l’a vu la dernière fois - c’est que ce qui définit la métaphysique depuis le christianisme et son rapport avec la théologie, c’est la position de l’infini comme premier par rapport au fini. Seulement si l’infini est premier par rapport au fini, comprenez, nos facultés sont nécessairement homogènes en droit. Or, comme c’est curieux, ça. Pourquoi ? Pourquoi est-ce que, si l’infini est premier par rapport au fini, nos facultés sont homogènes en droit ? Parce que nous sommes finis "en fait", mais la finitude n’est qu’un fait. Ce qui est premier par rapport au fini, c’est l’infini et l’infini c’est quoi ? C’est d’abord l’entendement de Dieu. L’entendement infini... toute la métaphysique du XVIIème siècle est remplie de considérations sur l’entendement infini. Mais l’entendement infini, c’est quoi ? L’entendement de Dieu ? Dieu, c’est l’être pour lequel il n’y a pas de donné, en effet Dieu crée et crée ex nihilo, c’est-à-dire à partir de rien, il n’y a même pas du matériau qui lui soit donné. Dès lors la distinction d’un donné et d’un agi n’existe pas pour Dieu. En d’autres termes la différence entre donné et créé n’existe pas pour Dieu. La différence entre réceptivité et spontanéité n’existe pas pour Dieu. Dieu est uniquement spontanéité. Et qu’est-ce que c’est dès lors que le donné ? Le donné c’est une spontanéité déchue. Il n’y a de donné que pour la créature, parce que la créature est finie. Le donné n’est qu’une spontanéité déchue. En d’autres termes nous, étant des êtres finis en fait, nous disons « il y a du donné », pour Dieu, il n’y en a pas. En d’autres termes, c’est uniquement notre finitude qui fait la différence de la réceptivité et de la spontanéité. Cette différence ne vaut pas au niveau de Dieu. Or Dieu c’est le droit. Je veux dire : c’est l’état de chose tel qu’il est en droit. Voilà, c’est très simple, vous voyez, bon, qu’est-ce que fait Kant ? Pour que le kantisme soit possible, il faut qu’il y ait une promotion de la finitude, il faut que la finitude ne soit plus considérée comme un simple fait, fait de la créature, il faut que la finitude soit promue à l’état de puissance constituante. Voyez en quoi, la finitude constituante, vous pouvez vous dire : ben c’est pour ça que Heidegger aime tant se réclamer de Kant. Kant, c’est l’avènement d’une finitude constituante, c’est-à-dire : la finitude n’est plus un simple fait qui dérive d’un infini originel, c’est la finitude qui est originelle. C’est ça la révolution kantienne. Dès lors, ce qui accède au jour, c’est l’irréductible hétérogénéité des deux facultés qui le composent, c’est-à-dire qui composent mon esprit, la réceptivité et la spontanéité, réceptivité de l’espace-temps, spontanéité du « je pense ». Enfin l’homme devient difforme. Difforme au sens étymologique du mot, c’est-à-dire dis-forme, il claudique sur deux formes hétérogènes et non-symétriques, réceptivité le l’intuition, spontanéité du « je pense ». On en était là. Alors on a repris, je crois, j’espère qu’on a ajouté des choses. Si bien que vous êtes prêts à juste faire un tout petit effort vers quelque chose d’un peu plus difficile. C’est que, si vous avez suivi ce thème de Kant, vous pouvez vous attendre à quelque chose, c’est que, de Descartes à Kant - de Descartes qui maintenait encore explicitement le primat de l’infini sur le fini - et qui par-là était un grand penseur classique, c’est-à-dire du XVIIème siècle - et bien, de Descartes à Kant, la formule célèbre du cogito, « je pense donc je suis », change tout à fait de sens. Et on va voir si je reprends ça, si j’ai besoin de le reprendre, c’est parce qu’on va voir que ça concerne directement Foucault. Et, après tout, la dernière partie de "Les mots et les choses" comporte un grand nombre de références à Kant et reprend le thème heideggérien de la révolution kantienne consiste en ceci : en avoir promu la finitude constituante et rompu ainsi avec la vieille métaphysique qui nous présentait un infini constituant et une finitude constituée. Avec Kant, c’est la finitude qui devient constituante. Or ce thème est très bien rappelé par Foucault, je ne crois pas que ce soit un des points nouveaux des "mots et les choses", simplement Foucault l’utilise admirablement et peut-être est-ce que, et sans doute, c’est Heidegger le premier, à avoir défini Kant par cette opération de la finitude constituante. Et donc je dis, à ce moment-là, il faut bien que le cogito prenne un tout nouveau sens. Et, en effet, chez Descartes, là je vous demande de faire très attention, chez Descartes le cogito se présente comment ? Je suppose même ceux qui ne connaissent rien, hein... donc je parle pour tout le monde même ceux qui ne connaissent pas du tout Descartes. Descartes nous dit d’abord « je pense ». « Je pense », qu’est-ce que c’est ? C’est la première proposition. Proposition A, « je pense ». Bon, il pense, bien. Qu’est-ce que ça veut dire « je pense » ? « Je pense », c’est une détermination. C’est une détermination, bien plus c’est une détermination indubitable. Indubitable ! Et oui indubitable. Pourquoi indubitable ? Parce que je peux douter de tout ce que je veux, je peux même douter que vous existiez, et je peux même douter que j’existe, moi. Même moi, oui. Pourquoi je pourrais pas douter ? Il n’y a qu’une chose dont je ne peux pas douter, c’est que je pense. Pourquoi que je peux pas douter que je pense ? Parce que douter c’est penser. Il ne s’agit pas de discuter, de dire « ah bon ? ah bon ?... ». Il faut essayer de comprendre. Je peux douter de tout, je peux douter que 2 et 2 fassent 4. Qu’est-ce que j’en sais, moi, que 2 et 2 fassent 4 ? J’en sais rien. Je peux en douter. Mais je ne peux pas douter que, moi qui doute, je pense. Donc je pense est une détermination indubitable. Voilà, c’est tout. Proposition B. On voit bien que le cogito c’est pas « je pense donc je suis », c’est plus compliqué que ça. Proposition B : je suis. Et pourquoi je suis ? Eh eh ! Pour une raison très simple : c’est que, pour penser, il faut être. Si je pense, je suis. L’énoncé du cogito, au niveau B, c’est donc : « or, si je pense, je suis ». Proposition A : « je pense ». Proposition B : « or, si je pense, je suis ». Pourquoi que, si je pense, je suis ? Ben, « je pense » est une détermination indubitable. Il faut bien qu’une détermination porte sur quelque chose, sur quelque chose d’indéterminé. Toute détermination détermine un indéterminé. En d’autres termes, « je pense » suppose « être », suppose un être. Je ne sais pas en quoi il consiste, cet être, j’ai pas à le savoir. Je pense est une détermination qui suppose un être indéterminé. Je suis. Et le « je pense » va déterminer le « je suis », puisque c’est une détermination le « je pense ». Mais la détermination suppose un indéterminé. Que tout cela est beau ! Ah ! Je dirais, il y a pas lieu... vous comprenez, j’espère, ce que je veux dire quand..., il y a pas lieu de faire des objections, c’est déjà tellement fatiguant de comprendre. Je pense, je suis. Ben oui. Si je pense, je suis ; Je suis quoi ? A ce niveau : une existence indéterminée. Proposition C : mais qu’est-ce que je suis ? Vous voyez : la proposition C, c’est plus « je suis », c’est ce que je suis. Qu’est-ce que je suis ? Je suis une chose qui pense. Je suis une chose qui pense. Ce qui veut dire, la détermination « je pense » détermine l’existence indéterminée « je suis ». La détermination « je pense » détermine l’existence indéterminée « je suis ». D’où je dois conclure : je suis une chose qui pense.
En d’autres termes, je dirais que Descartes opère - là c’est très important pour moi, pour l’avenir - Descartes opère avec deux termes, « je pense » et « je suis », et une seule forme « je pense ». En effet « je suis » c’est une existence indéterminée donc qui n’a pas de forme. « Je pense » c’est une forme, la pensée est une forme, elle détermine l’existence indéterminée : Je suis une chose qui pense. Il y a deux termes, « je pense » et « je suis », et une seule forme, « je pense ». D’où l’on conclut : je suis une chose qui pense. Ça va ? Et maintenant, écoutez Kant. Kant conserve A et B, il conserve A et B, c’est-à-dire il dira : d’accord, je pense (A), et « je pense » est une détermination. Et il dira : d’accord pour B, la détermination implique une existence indéterminée, « je pense » implique « je suis ». Enfin la détermination doit bien porter sur quelque d’indéterminé et tout se passe comme si Kant éprouvait, à l’issue de B, un blocage, il dit à Descartes : vous ne pouvez pas aller plus loin. Il ne peut pas aller plus loin. Il dit : vous ne pouvez pas conclure « je suis une chose qui pense », pourquoi ? Pourquoi est-ce que Descartes ne peut pas conclure... ? Parce que, parce que... c’est très simple vous savez. C’est vrai que « je pense » est une détermination, c’est-à-dire détermine, il détermine quoi ? Il détermine une existence indéterminée, à savoir « je suis », mais, mais, mais... encore faut-il savoir sous quelle forme - écoutez bien, je vous dis là un secret radical, une espèce de mystère - encore faut-il savoir sous quelle forme l’existence indéterminée est déterminable. Descartes était trop pressé, une fois de plus (rires). Il a cru que la détermination pouvait porter sur l’indéterminé directement. Et comme « je pense », la détermination, impliquait « je suis », l’existence indéterminée, il concluait « je suis une chose qui pense ». Rien du tout ! Car lorsque j’ai dit « je suis », l’existence indéterminée impliquée dans la détermination « je pense », je n’ai pas dit pour cela sous quelle forme l’existence indéterminée était déterminable. Et sous quelle forme l’existence indéterminée est-elle déterminable ? Kant c’est quand même très prodigieux comme pensée. Il faut que vous essayiez de le vivre. Vous pouvez presque précéder Kant. Sans l’avoir lu vous pouvez devenir Kant, car vous pouvez deviner ce que Kant est en train de nous dire. L’existence indéterminée n’est déterminable que dans l’espace et le temps, c’est-à-dire sous la forme de la réceptivité. L’existence indéterminée « je suis » n’est déterminable que dans l’espace et le temps, c’est-à-dire : je m’apparais dans l’espace et dans le temps. C’est-à-dire l’existence indéterminée n’est déterminable que sous la forme de la réceptivité. Quelle histoire ! Pourquoi ? « Je pense », c’est ma spontanéité, ma détermination active. Mais voilà que ma spontanéité, le « je pense », ne détermine mon existence indéterminée que dans l’espace et dans le temps, c’est-à-dire sous la forme de ma réceptivité. Qu’est-ce que ça va faire ça ? Ça va faire une drôle de chose ! En d’autres termes la détermination ne peut pas porter directement sur de l’indéterminé, la détermination « je pense » ne peut porter que sur du déterminable. Il n’y a pas deux termes, la détermination et l’indéterminé, il y a trois termes : la détermination, l’indéterminé, le déterminable. Descartes a sauté un terme. Mais alors, si mon existence indéterminée n’est déterminable que sous la forme de la réceptivité, c’est-à-dire comme l’existence d’un être réceptif, je ne peux pas déterminer mon existence comme celle d’un être spontané. Je peux seulement me représenter ma spontanéité, moi, être réceptif, qui ne suis déterminable que dans l’espace et dans le temps, je ne peux que me représenter ma propre spontanéité et me la représenter comme quoi ? Comme l’exercice d’un autre sur moi. Comme l’exercice d’un autre sur moi. En d’autres termes, je ne sais plus quand, l’année dernière ou celle d’avant - je dis ça pour ceux... - lorsque j’avais rapproché le cogito de Kant de la formule célèbre de Rimbaud, « je est un autre », il me semble que j’avais raison à la lettre. Je est un autre. J’aurais raison à la lettre si Kant le disait à la lettre. Heureusement Kant le dit à la lettre, alors tout va bien. Kant le dit à la lettre dans la première édition de la "Critique de la raison pure", et je lis le texte lentement, vous devez le comprendre maintenant facilement. « Le "je pense" exprime l’acte qui détermine mon existence... » pas de difficulté, ça veut dire le « je pense » est une détermination et, par là-même c’est ma spontanéité. Le "je pense" exprime l’acte qui détermine mon existence. L’existence est donc déjà donnée par là... », en effet l’existence indéterminée. « L’existence est donc déjà donnée par là... mais pas la manière de la déterminer... »... comprenez : à mon avis, je suis sûr que la traduction n’est pas bonne là, mais c’est pas gênant, « mais pas la manière de la déterminer » ça veut dire : pas le mode sous lequel elle est déterminable. L’existence est donc déjà donnée par là, mais pas la manière, l’existence indéterminée est donc déjà donnée par là, mais pas la manière sous laquelle elle est déterminable. « Il faut pour cela l’intuition de soi-même... », c’est-à-dire la réceptivité... « Il faut pour cela l’intuition de soi-même qui a pour fondement une forme », « qui a pour fondement une forme », « c’est-à-dire le temps qui appartient à la réceptivité ». Le temps c’est la forme en effet sous laquelle mon existence est déterminable. « Je ne peux donc pas... » voilà l’essentiel de l’apport de Kant : « Je ne peux donc pas déterminer mon existence comme celle d’un être spontané, mais je me représente seulement la spontanéité de mon acte de pensée ou de détermination et mon existence n’est jamais déterminable que dans l’intuition. Comme celle d’un être réceptif. Mon existence n’est déterminable que dans le temps, comme l’existence d’un être réceptif, lequel être réceptif, dès lors, se représente sa propre spontanéité comme l’opération d’un autre sur lui ». Vous voyez comme c’est beau ? Quand je disais : il y a une béance, c’est la même chose. Il y a une faille dans le cogito, le cogito il est complètement fêlé chez Kant. Il était plein comme un œuf chez Descartes, pourquoi ? Parce qu’il était entouré, baigné par Dieu. Avec la finitude constituante je marche sur deux jambes inégales, réceptivité / spontanéité, c’est vraiment la faille à l’intérieur du cogito à savoir : le « je pense », spontanéité détermine mon existence, mais mon existence n’est déterminable que comme celle d’un être réceptif, dès lors moi, être réceptif, je me représente ma spontanéité comme l’opération d’un autre sur moi et cet autre, c’est « je ». Vous voyez ? Bon. Qu’est-ce que fait Kant, et bien, là où Descartes voyait deux termes et une forme, lui il voit trois termes et deux formes.
Trois termes :
Deux formes :
Le même problème que Kant, ça veut dire quoi ? Ça veut dire... et bien.... entre la réceptivité et la spontanéité, entre la lumière et le langage, entre le déterminable et la détermination, il y a béance ou non-rapport et pourtant, il faut bien qu’il y ait un rapport... |
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