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6- 26/11/1985 - 2
Deleuze/ Foucault - Les formations historiques cours 6 du 26/11/1985 - 2 - Année universitaire 1985-1986. (partie 2/4) Transcription : Annabelle Dufourcq (avec l’aide du College of Liberal Arts, Purdue University) 46 minutes 23 secondes Mais, je crois que, quand même j’ai raison dans ma présentation de la pensée de Foucault. J’ai raison car, si vous regardez les textes de plus près, Foucault distingue deux types de délinquance. Un type de délinquance que l’on ne pourra expliquer que plus tard, pourquoi il l’appelle comme ça, et qu’il appelle la « délinquance-illégalisme ». Je dis juste, la délinquance-illégalisme, c’est la délinquance comme notion qui permet de classer d’une nouvelle manière les infractions. Et de la délinquance illégalisme, il distingue la délinquance-objet, avec un petit trait d’union. Quand il dit : la prison produit la délinquance, le contexte est très clair : il s’agit toujours de la délinquance-objet, à mon avis. Et c’est vrai que la prison produit la délinquance-objet. Et, la délinquance-objet, elle est seconde par rapport à la délinquance-illégalisme c’est-à-dire la délinquance-classification des infractions. Donc c’est dans un second temps - et là j’attire votre attention là-dessus parce que, plus tard, on retrouvera cela, dans, par exemple, quand on en sera à « qu’est-ce que ça veut dire la mort de l’homme ? », on verra que, dans "Les mots et les choses", on verra que les analyses historiques de Foucault, le plus souvent, sont binaires, en quel sens ? Elles distinguent le plus souvent deux temps, deux temps successifs. On aura à se demander pourquoi cette binarité très très curieuse, très frappante. Là on le voit dans "Surveiller et punir". Premier temps : la prison et le droit pénal ont deux formes différentes irréductibles, mais, dans un second temps, elles se croisent. Elles se croisent à savoir : le droit pénal reconduit des prisonniers, c’est-à-dire refournit perpétuellement des prisonniers ; la prison reproduit perpétuellement de la délinquance. Bon, si bien que nous re-butons sur, toujours, la nécessité où nous sommes de maintenir ces trois points de vue dans lesquels on essaie de se débrouiller. A savoir :
On l’a vu, c’est typiquement : la prison reproduit de la délinquance, le droit pénal reconduit à la prison, ou refournit des prisonniers ; là vous avez capture mutuelle. Et je dis : vous voyez bien que toute la pensée de Foucault, en effet, devient irréductible et d’autant plus irréductible à l’analyse des propositions, à l’analyse linguistique, que vous voyez que le visible et l’énonçable sont dans un tout autre rapport que la proposition et le référent, que la proposition et l’état de chose, d’une part. Et, d’autre part : le visible et l’énonçable sont dans un tout autre rapport, évidemment, que le signifié et le signifiant. Je ne peux pas dire : la prison, c’est le signifié et, le droit pénal, c’est le signifiant. Ni référent de la proposition, ni signifié d’un signifiant. Foucault peut donc, à bon droit, estimer que sa logique des énoncés, doublée d’une physique de la visibilité se présente sous une forme ou plutôt sous deux formes nouvelles. Si bien que j’ai repris tout ça, enfin je sais pas, j’espère que je ne l’ai pas dit tel quel... si bien que l’on se trouve devant, à ce niveau - je fais la soudure avec notre séance précédente - on se trouvait devant quatre confrontations à faire en fonction de cette hétérogénéité fondamentale du visible et de l’énonçable. On se trouvait devant quatre confrontations.
[ ???] Il fait chaud ? Il y en a qui fume encore ? Ah non, là, soyez gentils, vous allez avoir une récréation, hein ? Et vous fumerez pendant la récréation. Voilà. Mais qui fume ? Ah bon ? Déjà quand on... Oui, vous ouvrez un petit peu, hein ? [Vous êtes] déchaînés ? T’as vu, ça, qui fume ? Dénonce-les (rires). Ecoute... hein ! Considérez ici que vous êtes dans le métro... Oui, mais il y en a qui fument dans le métro... euh, ?. ça va mieux ? Réponse d’une personne dans l’auditoire : ouais ouais Deleuze : bon, euh. Dernière confrontation. Bon ; si l’on a bien mené ces trois confrontations, on est mûr pour se demander : mais, quant au « rapport », entre guillemets rapport, quant au rapport du visible et de l’énonçable, quelle est la réponse propre de Foucault ? Est-ce que c’est la même que celle de Kant ? Est-ce que c’est la même que celle de Blanchot ? Est-ce que c’est la même que celle du cinéma ? Ou est-ce qu’il y a une réponse propre de Foucault ? Ce qui nous mène à la quatrième et dernière confrontation, à savoir :
Voilà, voilà notre programme. Et on l’a déjà entamé, puisque la dernière fois on disait : ben oui, il y a une très curieuse aventure kantienne, c’était donc la première confrontation. Il y a une très curieuse aventure kantienne qui est quoi ? C’est que Kant est le premier, je disais, à construire l’homme sur deux facultés hétérogènes, irréductibles. Et ces deux facultés irréductibles hétérogènes, c’est quoi ? C’est, vous vous rappelez, c’est la réceptivité et la spontanéité, mais qu’est-ce que c’est ?
Alors j’en étais là la dernière fois, à cette considération : mais pourquoi est-ce que Kant construit ainsi l’homme et pourquoi est-ce que ça n’a pas été fait avant ? Pourquoi est-ce que cette idée des facultés hétérogènes... Pourquoi est-ce qu’il a fallu attendre Kant ? Ma réponse était très simple : la métaphysique ne peut pas - c’est pas qu’elle veut pas : elle ne peut pas - la métaphysique ne peut pas atteindre à ce thème des facultés hétérogènes. Et, pour y atteindre, Kant opère ce qu’il appelle lui-même sa révolution, à savoir la substitution de la critique à la métaphysique. Pourquoi, la métaphysique, elle ne peut pas - on l’a vu la dernière fois - c’est que ce qui définit la métaphysique depuis le christianisme et son rapport avec la théologie, c’est la position de l’infini comme premier par rapport au fini. Seulement si l’infini est premier par rapport au fini, comprenez, nos facultés sont nécessairement homogènes en droit. Or, comme c’est curieux, ça. Pourquoi ? Pourquoi est-ce que, si l’infini est premier par rapport au fini, nos facultés sont homogènes en droit ? Parce que nous sommes finis "en fait", mais la finitude n’est qu’un fait. Ce qui est premier par rapport au fini, c’est l’infini et l’infini c’est quoi ? C’est d’abord l’entendement de Dieu. L’entendement infini... toute la métaphysique du XVIIème siècle est remplie de considérations sur l’entendement infini. Mais l’entendement infini, c’est quoi ? L’entendement de Dieu ? Dieu, c’est l’être pour lequel il n’y a pas de donné, en effet Dieu crée et crée ex nihilo, c’est-à-dire à partir de rien, il n’y a même pas du matériau qui lui soit donné. Dès lors la distinction d’un donné et d’un agi n’existe pas pour Dieu. En d’autres termes la différence entre donné et créé n’existe pas pour Dieu. La différence entre réceptivité et spontanéité n’existe pas pour Dieu. Dieu est uniquement spontanéité. Et qu’est-ce que c’est dès lors que le donné ? Le donné c’est une spontanéité déchue. Il n’y a de donné que pour la créature, parce que la créature est finie. Le donné n’est qu’une spontanéité déchue. En d’autres termes nous, étant des êtres finis en fait, nous disons « il y a du donné », pour Dieu, il n’y en a pas. En d’autres termes, c’est uniquement notre finitude qui fait la différence de la réceptivité et de la spontanéité. Cette différence ne vaut pas au niveau de Dieu. Or Dieu c’est le droit. Je veux dire : c’est l’état de chose tel qu’il est en droit. Voilà, c’est très simple, vous voyez, bon, qu’est-ce que fait Kant ? Pour que le kantisme soit possible, il faut qu’il y ait une promotion de la finitude, il faut que la finitude ne soit plus considérée comme un simple fait, fait de la créature, il faut que la finitude soit promue à l’état de puissance constituante. Voyez en quoi, la finitude constituante, vous pouvez vous dire : ben c’est pour ça que Heidegger aime tant se réclamer de Kant. Kant, c’est l’avènement d’une finitude constituante, c’est-à-dire : la finitude n’est plus un simple fait qui dérive d’un infini originel, c’est la finitude qui est originelle. C’est ça la révolution kantienne. Dès lors, ce qui accède au jour, c’est l’irréductible hétérogénéité des deux facultés qui le composent, c’est-à-dire qui composent mon esprit, la réceptivité et la spontanéité, réceptivité de l’espace-temps, spontanéité du « je pense ». Enfin l’homme devient difforme. Difforme au sens étymologique du mot, c’est-à-dire dis-forme, il claudique sur deux formes hétérogènes et non-symétriques, réceptivité le l’intuition, spontanéité du « je pense ». On en était là. Alors on a repris, je crois, j’espère qu’on a ajouté des choses. Si bien que vous êtes prêts à juste faire un tout petit effort vers quelque chose d’un peu plus difficile. C’est que, si vous avez suivi ce thème de Kant, vous pouvez vous attendre à quelque chose, c’est que, de Descartes à Kant - de Descartes qui maintenait encore explicitement le primat de l’infini sur le fini - et qui par-là était un grand penseur classique, c’est-à-dire du XVIIème siècle - et bien, de Descartes à Kant, la formule célèbre du cogito, « je pense donc je suis », change tout à fait de sens. Et on va voir si je reprends ça, si j’ai besoin de le reprendre, c’est parce qu’on va voir que ça concerne directement Foucault. Et, après tout, la dernière partie de "Les mots et les choses" comporte un grand nombre de références à Kant et reprend le thème heideggérien de la révolution kantienne consiste en ceci : en avoir promu la finitude constituante et rompu ainsi avec la vieille métaphysique qui nous présentait un infini constituant et une finitude constituée. Avec Kant, c’est la finitude qui devient constituante. Or ce thème est très bien rappelé par Foucault, je ne crois pas que ce soit un des points nouveaux des "mots et les choses", simplement Foucault l’utilise admirablement et peut-être est-ce que, et sans doute, c’est Heidegger le premier, à avoir défini Kant par cette opération de la finitude constituante. Et donc je dis, à ce moment-là, il faut bien que le cogito prenne un tout nouveau sens. Et, en effet, chez Descartes, là je vous demande de faire très attention, chez Descartes le cogito se présente comment ? Je suppose même ceux qui ne connaissent rien, hein... donc je parle pour tout le monde même ceux qui ne connaissent pas du tout Descartes. Descartes nous dit d’abord « je pense ». « Je pense », qu’est-ce que c’est ? C’est la première proposition.
En d’autres termes, je dirais que Descartes opère - là c’est très important pour moi, pour l’avenir - Descartes opère avec deux termes, « je pense » et « je suis », et une seule forme « je pense ». En effet « je suis » c’est une existence indéterminée donc qui n’a pas de forme. « Je pense » c’est une forme, la pensée est une forme, elle détermine l’existence indéterminée : Je suis une chose qui pense. Il y a deux termes, « je pense » et « je suis », et une seule forme, « je pense ». D’où l’on conclut : je suis une chose qui pense. Ça va ? Et maintenant, écoutez Kant. Kant conserve A et B, il conserve A et B, c’est-à-dire il dira : d’accord, je pense (A), et « je pense » est une détermination. Et il dira : d’accord pour B, la détermination implique une existence indéterminée, « je pense » implique « je suis ». Enfin la détermination doit bien porter sur quelque d’indéterminé et tout se passe comme si Kant éprouvait, à l’issue de B, un blocage, il dit à Descartes : vous ne pouvez pas aller plus loin. Il ne peut pas aller plus loin. Il dit : vous ne pouvez pas conclure « je suis une chose qui pense », pourquoi ? Pourquoi est-ce que Descartes ne peut pas conclure... ? Parce que, parce que... c’est très simple vous savez. C’est vrai que « je pense » est une détermination, c’est-à-dire détermine, il détermine quoi ? Il détermine une existence indéterminée, à savoir « je suis », mais, mais, mais... encore faut-il savoir sous quelle forme - écoutez bien, je vous dis là un secret radical, une espèce de mystère - encore faut-il savoir sous quelle forme l’existence indéterminée est déterminable. Descartes était trop pressé, une fois de plus (rires). Il a cru que la détermination pouvait porter sur l’indéterminé directement. Et comme « je pense », la détermination, impliquait « je suis », l’existence indéterminée, il concluait « je suis une chose qui pense ». Rien du tout ! Car lorsque j’ai dit « je suis », l’existence indéterminée impliquée dans la détermination « je pense », je n’ai pas dit pour cela sous quelle forme l’existence indéterminée était déterminable.
En d’autres termes, je ne sais plus quand, l’année dernière ou celle d’avant - je dis ça pour ceux... - lorsque j’avais rapproché le cogito de Kant de la formule célèbre de Rimbaud, « je est un autre », il me semble que j’avais raison à la lettre. Je est un autre. J’aurais raison à la lettre si Kant le disait à la lettre. Heureusement Kant le dit à la lettre, alors tout va bien. Kant le dit à la lettre dans la première édition de la "Critique de la raison pure", et je lis le texte lentement, vous devez le comprendre maintenant facilement. « Le "je pense" exprime l’acte qui détermine mon existence... » pas de difficulté, ça veut dire le « je pense » est une détermination et, par là-même c’est ma spontanéité. Le "je pense" exprime l’acte qui détermine mon existence. L’existence est donc déjà donnée par là... », en effet l’existence indéterminée. « L’existence est donc déjà donnée par là... mais pas la manière de la déterminer... »... comprenez : à mon avis, je suis sûr que la traduction n’est pas bonne là, mais c’est pas gênant, « mais pas la manière de la déterminer » ça veut dire : pas le mode sous lequel elle est déterminable. L’existence est donc déjà donnée par là, mais pas la manière, l’existence indéterminée est donc déjà donnée par là, mais pas la manière sous laquelle elle est déterminable. « Il faut pour cela l’intuition de soi-même... », c’est-à-dire la réceptivité... « Il faut pour cela l’intuition de soi-même qui a pour fondement une forme », « qui a pour fondement une forme », « c’est-à-dire le temps qui appartient à la réceptivité ». Le temps c’est la forme en effet sous laquelle mon existence est déterminable. « Je ne peux donc pas... » voilà l’essentiel de l’apport de Kant : « Je ne peux donc pas déterminer mon existence comme celle d’un être spontané, mais je me représente seulement la spontanéité de mon acte de pensée ou de détermination et mon existence n’est jamais déterminable que dans l’intuition. Comme celle d’un être réceptif. Mon existence n’est déterminable que dans le temps, comme l’existence d’un être réceptif, lequel être réceptif, dès lors, se représente sa propre spontanéité comme l’opération d’un autre sur lui ». Vous voyez comme c’est beau ? Quand je disais : il y a une béance, c’est la même chose. Il y a une faille dans le cogito, le cogito il est complètement fêlé chez Kant. Il était plein comme un œuf chez Descartes, pourquoi ? Parce qu’il était entouré, baigné par Dieu. Avec la finitude constituante je marche sur deux jambes inégales, réceptivité / spontanéité, c’est vraiment la faille à l’intérieur du cogito à savoir : le « je pense », spontanéité détermine mon existence, mais mon existence n’est déterminable que comme celle d’un être réceptif, dès lors moi, être réceptif, je me représente ma spontanéité comme l’opération d’un autre sur moi et cet autre, c’est « je ». Vous voyez ? Bon. Qu’est-ce que fait Kant, et bien, là où Descartes voyait deux termes et une forme, lui il voit trois termes et deux formes.
Trois termes :
Deux formes :
Le même problème que Kant, ça veut dire quoi ? Ça veut dire... et bien.... entre la réceptivité et la spontanéité, entre la lumière et le langage, entre le déterminable et la détermination, il y a béance ou non-rapport et pourtant, il faut bien qu’il y ait un rapport... |
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