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5- 19/11/1985 - 3

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Deleuze/ Foucault - Les formations historiques cours 5 du 19/11/1985 - 3(1) Sur Foucault Les formations historiques 
Année universitaire 1985-1986. 1. Cours du 19 Novembre 1985 Gilles Deleuze (partie 3/5) Transcription : Annabelle Dufourcq 
(avec l’aide du College of Liberal Arts, Purdue University)

46 minutes 06 secondes

Les autres étant contradictoires. Mais de toute manière la référence à un quelque choses est une constante de la proposition. Que cette référence soit effectuée ou non est une variable extrinsèque. Donc on en reste à constante intrinsèque et variable extrinsèque.

Passons à l’énoncé, là les textes de Foucault sont très très difficiles, dans "L’archéologie", car Foucault dit : et ben qu’est-ce qui se passe ? Au point où nous en sommes, j’ai l’impression que l’on a tout pour pouvoir les comprendre. C’est que, finalement, dans la conception de la référence de la proposition, ce qui est donné, c’est toujours un monde commun. Il est posé que l’état de chose auquel la proposition se réfère est trouvé dans un monde commun au système homogène des propositions. Exemple. « La table est verte ». La référence propositionnelle sera effectuée par, ou effectuable par un objet dans le monde réel physiquement définissable. Dans le monde dit réel physiquement définissable. « J’ai rencontré un vampire ». C’est une intention vide, puisqu’aucun état de chose dans le monde réel définissable physiquement, ne correspond, mais, mais, mais.... Je peux concevoir, secondairement, un monde fictif. Et je dirai : les vampires existent dans le monde de la fiction. Donc je définis toujours un monde homogène en rapport avec tel système homogène de propositions. De même le cercle carré, je définirai un monde du non-sens ou de l’absurde. Monde commun à tout un ensemble de propositions qu’on appellera les non-sens. Voilà ; c’est ça que Foucault ne veut pas.

Il donne un exemple dans L’archéologie du savoir, c’est : « la montagne d’or est en Californie ». « La montagne d’or est en Californie ». Et il dit : voilà, en quoi est-ce un énoncé ? Et je dis à peu près ce qu’il vous dit, qui va d’abord paraître mystérieux. Il dit : et ben voilà, c’est un énoncé, parce qu’il ne suffit d’invoquer la fiction en général. C’est un énoncé, parce qu’il ne suffit d’invoquer la fiction en général, il faut dire à quelles règles précises, cette fiction précise (la montagne d’or en Californie) obéit comme fiction géologique et géographique. Il faut dire à quelles règles précises, cette fiction-là, géologique et géographique, obéit. A première vue, on se dit, mais oui, mais d’accord, mais qu’est-ce qu’il veut dire au juste ? Je prends un exemple qui me paraît plus frappant. Et du même type. "Un diamant gros comme le Ritz". Un diamant gros comme le Ritz, ça doit évoquer quelque chose chez certains d’entre vous qui ont lu, c’est une très belle nouvelle de Fitzgerald. "Un diamant gros comme le Ritz" : je lis ça, je parle pour ceux qui connaissent un peu Fitzgerald. C’est signé Fitzgerald, c’est-à-dire l’énoncé contient sa position de sujet. Pourquoi ? Je dirais : quel est l’auteur - je pourrais aussi bien présenter sous forme d’une espèce de devinette - quel est l’auteur dont toute la puissance de fiction passe par un thème de la vie riche et moderne, une espèce de modernité riche euh, euh. .. en grand hôtel et que l’aventure de cette vie mouvante, nomade, riche, prodigue, va engendrer les thèmes mêmes de la fiction. "Un diamant gros comme le Ritz". Là, Foucault aurait raison de dire, à propos d’un tel énoncé, il ne s’agit pas d’invoquer les lois de la fiction en général, il faut dire quelles lois autorisent, quelles règles précises autorisent cette fantaisie chimique et géologique : un diamant gros comme le Ritz ? Ma réponse ce serait : il ne faut pas invoquer la fiction en général, c’est évident. Si je prends un auteur de fiction, euh, tout d’un coup évidemment il ne m’en vient pas à l’esprit... Perrault, les contes de Perrault, c’est évident que je ne trouverai pas des diamants gros comme le Ritz. Vous me direz : oui, ben ça ne veut rien dire, il n’y avait pas le Ritz. Oui, bon, euh. Mais, on me dira, tu trouveras des diamants comme des châteaux. Non, je ne trouve pas des diamants comme des châteaux. C’est un fait ça... mais je pourrais, oui à la rigueur, je pourrais. Je pourrais : il y a bien des cailloux magiques, pourquoi il n’y aurait pas des diamants magiques chez Perrault ? Oui d’accord, mais les diamants comme des châteaux c’est très spécial ! Mais il faudra faire intervenir des règles précises diamants-châteaux. Les règles précises diamants-châteaux, c’est pas la même chose que les règles précises - si on veut faire de la précision - c’est pas la même chose que les règles précises hôtel cosmopolite, que les règles diamants-hôtel cosmopolite. Que la fiction soit engendrée à l’issue d’un processus cosmopolite, ça c’est signé Fitzgerald, ça peut être signé d’autres gens, mais c’est une position de sujet particulière, et, en revanche, ça rejaillit sur l’objet.

Qu’est-ce que ça veut dire ? Je saute à tout à fait autre chose puisqu’il s’agit... on tourne autour d’un thème de Foucault pour essayer de la comprendre. Il y a un texte de Sartre qui m’intéresse beaucoup. Ce texte de Sartre, il consiste à dire : le rêve, c’est très délicat, le rêve, parce qu’il faut le penser "entre" deux autres choses. Qu’est-ce que c’est, les deux autres choses ? Et ben : le monde de la perception. Et le monde de la perception - c’est dans "L’imaginaire" qu’il développe ce thème, dans le chapitre sur le rêve - le monde de la perception, c’est un monde commun, on pourrait dire aussi bien monde homogène, c’est un monde commun, commun à une pluralité ouverte de sujets. Bien, nous sommes tous dans le monde. C’est pas compliqué hein, faut pas.... Puis il dit : il y a autre chose. Vous savez, quand on s’endort, quand on est sur le point de s’endormir, avant de dormir vraiment et avant d’avoir des rêves, il arrive que l’on ait - ou bien on peut le produire artificiellement en s’appuyant sur l’œil - on peut avoir des images d’un type très particulier qu’on appellera des images hypnagogiques ou des images pré-oniriques, c’est-à-dire avant le sommeil, ou - c’est pas tout à fait la même chose, mais peu importe - des lueurs dites entoptiques, c’est-à-dire les lueurs dont la source est l’intérieur de l’œil. Si vous appuyez sur votre œil, vous le savez, vous obtenez ces lueurs.

Et là, dit Sartre, c’est très curieux ces images, les images pré-oniriques de ce types, elles peuvent se définir, parce qu’elles valent entièrement pour elles-mêmes, elles sont sans monde, elles sont séparées de tout monde. Et il nous dit : je peux très bien voir quelque chose, par exemple, en appuyant sur mon œil je produis une espèce de surface verte parsemée de taches blanches et je vois un billard, des boules blanches... évidemment ça va pas se faire, je vais avoir des choses rouges qui vont surgir... Bon vous voyez. Je vois un billard avec les boules blanches sur un tapis vert. Ou bien, là il se vante peut-être, il prétend avoir une lueur entoptique où il reconnaît le visage de l’Aga Khan, Sartre hein ? Et il commente : si le visage de l’Aga Khan m’apparaît et que je pense simplement que c’est le visage de l’Aga Khan en image, c’est une vision hypnagogique. En effet la lueur entoptique ou l’image hypnagogique, elle a en propre d’être comme en l’air. Je vois un billard, mais c’est un billard en l’air, c’est pas un billard dans le monde. Vous voyez : j’ai le billard perçu, le billard dans le monde que j’intentionne avec des propositions du type « qui veut faire une partie de billard ? », et puis j’ai mon billard entoptique, pré-onirique, qui, lui, est en l’air, qui n’est pas dans un monde. Et il dit : entre les deux, il y a le rêve. Car le rêve, lui, il s’entoure d’un monde. Le propre du rêve, c’est de s’entourer - le texte est très intéressant, ceux que ça intéresse s’y rapporteront, c’est page 323-324 - Le propre du rêve c’est de s’entourer d’un monde, seulement le monde dont un rêve s’entoure n’est jamais le même que celui d’un autre rêve. C’est pas le même que celui d’un autre rêve. Si bien qu’on ne pourra jamais parler du monde du rêve, sauf à un niveau d’abstraction... C’est chaque rêve qui s’entoure d’un monde. Par là c’est à la fois différent des lueurs hypnagogiques et différent du monde de la perception. Bien plus, dit-il, c’est pas seulement chaque rêve qui s’entoure d’un monde différent de tout rêve si voisin soit-il, de tout autre rêve, c’est chaque image de rêve qui s’entoure d’un monde.

Ça me paraît important, indépendamment de toute ressemblance Foucault-Sartre, car il me semble que ce que veut dire Foucault à propos de l’objet de l’énoncé, c’est strictement ça. Contrairement à la proposition qui vise un état de chose, c’est-à-dire qui comporte une référence comme constante intrinsèque et qui vise un état de chose dans un monde commun aux propositions du même système homogène, toute proposition implique - c’est pour ça qu’elle est référentielle, c’est pour ça qu’une proposition a une référence qui peut être ou non remplie - c’est parce que toute proposition renvoie à un monde commun valable pour toutes les propositions du même système homogène. Dès lors vous comprenez : ce que veut dire Foucault au niveau de l’objet, c’est exactement ce qu’il vient de nous dire au niveau du sujet. Là, au contraire, c’est chaque énoncé qui s’entoure d’un monde. C’est chaque énoncé qui a son objet discursif, l’objet discursif n’est pas l’objet auquel la proposition fait référence.
-  L’objet discursif, c’est le monde dont s’entoure tel énoncé dans sa différence avec tout autre énoncé.

Dès lors je dirai quoi ? Il n’y a plus qu’à enchaîner : l’objet de l’énoncé c’est la limite de la variation inhérente telle qu’on vient de la voir tout à l’heure. L’objet de l’énoncé, c’est l’objet qui correspond à l’énoncé comme règle de passage. "Un diamant gros comme le Ritz" c’est quoi ? C’est l’énoncé Fitzgéraldien comme passant de l’hôtel cosmopolite à la fiction engendrée par cet hôtel, engendrée par la manière de vivre le mode de vie dans cet hôtel. Si bien que je dirais : l’objet de l’énoncé, c’est, oui, à la lettre, la limite des lignes de variation qui travaillent l’énoncé, ou, si vous préférez, l’objet très précis qui correspond au champ de vecteurs correspondant à l’énoncé. Alors on comprend que Foucault dise et nous dise : non, vous ne pouvez pas invoquer, par exemple, un monde de la fiction en général. L’objet de l’énoncé n’est jamais plus général que l’énoncé, il est du même niveau que l’énoncé. Bien plus il dérive de l’énoncé, c’est la seconde dérivée, c’est la seconde fonction dérivée de l’énoncé, la première étant la place du sujet. Le lieu de l’objet de l’énoncé, c’est la seconde dimension. A la lettre, l’objet est à la limite du champ de vecteurs. Ça a l’air plus confus que l’histoire du sujet, mais c’est exactement la même. Donc, je vais très vite pour en finir avec ce point parce que. .. Et le concept ? C’est la même chose, là encore, c’est la même histoire, c’est pour ça que la théorie de l’énoncé chez Foucault est finalement très cohérente. Le concept, c’est quoi ? Là aussi je ne cherche pas à faire des analyses très profondes. En première détermination, c’est le signifié, c’est le signifié d’un mot. C’est pas la même chose que le désigné ou le référent. C’est le signifié d’un mot. Du coup je dirais : dans la conception classique de la proposition, on dira que le concept, c’est la variable extrinsèque qui renvoie à quoi ? Qui renvoie à des constantes intrinsèques, à savoir le ou les signifiant(s). La constante intrinsèque c’est le signifiant.

Là aussi, Foucault se fait une conception complètement différente, qui est quoi ? Qu’est-ce que ce sera le concept discursif ? On a vu
-  qu’il y avait un sujet discursif, comme dérivé de l’énoncé, 
-  un objet discursif, comme dérivé de l’énoncé et,
-  troisième dérivé de l’énoncé : le concept discursif, que très bizarrement Foucault... non pas très bizarrement, que Foucault appelle parfois, voyez "L’archéologie du savoir" p.80-81, appelle un « schème pré-conceptuel ». Je dis : pas bizarrement, finalement puisqu’il pourrait aussi bien appeler le sujet de l’énoncé un sujet pré-personnel. Et alors, qu’est-ce que c’est le concept de l’énoncé, qui lui aussi doit pas être plus général que l’énoncé même ? On a la réponse toute faite, je crois en vertu de nos analyses précédentes. Je dirais cette fois-ci, je disais de l’objet :
-  l’objet de l’énoncé, c’est la limite du champ de vecteurs ou de la ligne de variation correspondant à l’énoncé. Là je dirais... vous allez comprendre, c’est lumineux.
-  Le concept de l’énoncé, le concept discursif, le concept propre à l’énoncé, il est exactement à l’entrecroisement - il consiste en cet entrecroisement même - à l’entrecroisement des systèmes, dont chacun est homogène, mais hétérogènes entre eux, il est à l’entrecroisement des systèmes hétérogènes par lesquels l’énoncé passe. A l’entrecroisement de tous les systèmes hétérogènes par lesquels tel énoncé passe. Par exemple un concept de Krafft-Ebing sera à l’entrecroisement du double système par lequel les énoncés passent, ce sera son schème pré-conceptuel. Prenons un exemple. Bon, je dirais, un exemple dans les domaines que Foucault a particulièrement étudiés. [Il] surgit, au XIXème siècle, des énoncés portant sur une maladie, une maladie bizarre : la monomanie. Monomanie. Bien, voilà un concept discursif : monomanie. Pourquoi au XIXème siècle ? Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce que c’est ce concept ? Cela implique que la psychiatrie ait découvert une spécification très bizarre du délire : un délire d’action. J’insiste sur cet exemple, puisque Foucault se sera occupé d’un cas de monomanie particulièrement frappant, de monomanie criminelle dans le cas de Pierre Rivière au XIXème siècle. Alors, qu’est-ce que ça veut dire un délire d’action ? Ça veut dire que le caractère délirant est dans un acte et non pas dans une idée. Tout d’un coup un type tue son père, sa mère, ses petites sœurs, tout ça, tout le monde y passe. Ou bien tout d’un coup un type mais le feu à une forêt ou à des meules de foin. On isole ça au XIXème siècle. Tiens !? Et avant, ça existait ? Il n’y avait pas de monomaniaque avant c’est l’éternelle question ! Comme on dit : alors, quoi, il n’y avait pas de SIDA avant ? C’est une question clef, ça. Il faut arriver à montrer en quel sens la question n’a pas de sens. Bien sûr, il y avait du SIDA avant, simplement il était autrement distribué, il était autrement réparti. Certains symptômes allaient dans telle maladie, d’autres symptômes allaient dans telle autre maladie.

C’est passionnant, l’histoire des maladies. L’histoire des maladies ça vous montre... parce que c’est à la ligne de plusieurs devenirs. C’est vrai qu’il y a des maladies qui apparaissent et puis qui disparaissent. Ça, c’est vrai. Mais il y a autre chose, il y a un tout autre devenir aussi, je ne dis pas plus important, mais c’est que la médecine elle-même, elle ne groupe pas, elle ne sépare pas du tout les maladies de la même façon d’après telle période ou telle autre. Si vous prenez la manie, là je prends les exemples que Foucault a particulièrement analysés, dans "L’histoire de la folie", vous trouvez une longue description, dans plusieurs chapitres, de la symptomatologie au XVIIème siècle, dans la médecine du XVIIème siècle. Par exemple il y a tout un tableau clinique de ce que le XVIIème siècle appelle « manie ». Il va de soi que ce que le XVIIème siècle appelle « manie » n’est pas sans rapport avec ce que nous appelons aujourd’hui « manie », mais les différences sont très importantes. Ce serait très passionnant, il me semble, de faire une histoire de la médecine d’après les groupements de symptômes. Bien sûr, c’est pas sans raison que la médecine à un moment groupe les symptômes de telle manière. Mais vous savez il y a quand même un acte autonome de la médecine, quelles que soient les raisons extérieures, il y a un acte intrinsèque de la médecine qui peut être une véritable invention et qui touche tout droit, là, le problème des énoncés, la constitution des énoncés, lorsque, dans la médecine, intervient un type d’énoncés, des énoncés qui tout d’un coup isolent ou groupent des symptômes d’une manière nouvelle. Bon, le SIDA c’est avant tout un groupement de symptômes qui, jusque-là, restaient dissociés. Bon, alors c’est pas... il ne s’agit pas de savoir... c’est très compliqué... la question même... il faut... se demander, quand on pose la question : mais, telle maladie, elle existait avant ou elle existait pas ? Il faut demander : à quelle condition on pose la question ? ça peut vouloir dire deux choses. Ou bien ça veut dire : peut-être il y avait un moment où ce virus-là n’était pas en Europe ? C’est une question qui a un sens. Ou bien ça veut dire : ce virus était déjà là, mais il n’était pas isolé, c’est-à-dire les symptômes n’étaient pas groupés, ils restaient éparpillés dans quatre ou cinq maladies et puis il y a certains facteurs qui ont fait qu’il y a eu une redistribution de la symptomatologie et, là, on isole une nouvelle maladie. Je reviens à la monomanie. Qu’est-ce qui a fait qu’au XIXème siècle on a isolé et groupé un ensemble de symptômes sous la rubrique « délire d’action » ? Pour, peut-être des raisons extérieures, à savoir qu’il y avait un genre de prime, alors là qui mettait en jeu de manière très très intéressante la criminologie ou plutôt l’état du droit. Les époques ont des types de crimes très différents d’une époque à l’autre et bien peut-être que les crimes contre la propriété qui connaissent une grande expansion au XIXème siècle, peut-être les crimes contre la propriété, contre les biens, ont favorisé l’émergence de la monomanie comme concept. Peut-être. Des délires d’action... Parmi les formes de monomanie, il y en a une célèbre qui est la quérulence. La quérulence c’est la manie procédurière, les gens qui font procès sur procès sur procès. Remarquez qu’il est rare qu’ils en conjuguent deux à la fois, c’est par segments successifs, la succession des procès, succession segmentaire de procès, c’est très intéressant la quérulence et on se dit à propos... bon pourquoi, c’est isolé au XIXème siècle, là-aussi ? C’est très curieux. Parce qu’au XVIIème siècle, à l’âge classique, il y avait déjà des quérulents, vous n’ignorez pas que Racine en fait une comédie, "Les plaideurs". Il faut croire que la quérulence au XIXème siècle prend un aspect tout à fait différent, tout à fait nouveau. Quel aspect ? Chaque fois que vous aurez ces groupements à l’entrecroisement de plusieurs systèmes, vous pourrez assigner en effet un concept discursif. Qu’est-ce qui est fondamental lorsque vous prenez le concept d’une maladie ? Qu’est-ce qui est fondamental ? Une maladie peut garder le même nom et puis changer complètement. Changer complètement de symptôme principal. Qu’est-ce qui est essentiel ?

Si vous me permettez de prendre un sujet, là, qui m’intéresse beaucoup, hein, bon, j’avais été frappé par l’histoire du masochisme et ce qui m’intéressait, dans le masochisme, c’était ceci. C’était que, là aussi ça a toujours existé, on n’a pas attendu Masoch pour cette perversion, elle a toujours existé, mais, pendant très très longtemps, le facteur fondamental du masochisme ça a été les techniques de douleur, l’imposition de douleur. Remarquez : la symptomatologie était assez fine pour qu’on essaie de préciser : quel genre de douleur. Je prends en effet, c’est évident, les douleurs de type masochiste sont des douleurs cutanées, c’est-à-dire c’est des douleurs superficielles. Elles n’en sont pas moins atroces, le masochiste peut se faire ou se faire faire vraiment des abominations, du type... mais c’est du type lacération, beaucoup plus que du type pénétration. C’est des souffrances intenses, mais superficielles au point que je crois que un cas de masochisme où il y aurait vraiment des phénomènes internes des douleurs internes, ce ne serait pas un masochisme pur, il faudrait chercher qu’est-ce qui intervient d’autre. Là-dessus qu’est-ce qui apparaît avec Masoch au XIXème siècle ? Ce qui prend de plus en plus d’importance dans la symptomatologie du masochiste, ce n’est plus des techniques de douleurs, c’est le fait que la distribution de douleur passe par un contrat. Si bien que je peux tenir un énoncé, voilà un énoncé : le masochisme est inséparable d’un contrat entre les deux partenaires, c’est-à-dire, le plus souvent, la femme qui fait souffrir et l’homme qui souffre. Je ne dis pas que c’est toujours le cas, mais le plus souvent. Bien, vous voyez que le symptôme primordial n’est plus la technique de douleur, c’est le régime du contrat. Je dirais que le concept discursif a changé. Pourquoi est-ce que c’est au XIXème siècle qu’il change ? Bon, ça fait appel à... il y a des recherches à faire... mais je dirais que, de toute façon, il y a concept discursif, dans les énoncés médicaux, mais vous pouvez le faire pour tous les autres énoncés, il y a concept discursif très précisément à l’entrecroisement de tous les systèmes par lesquels l’énoncé correspondant passe. Il y a objet de l’énoncé à la limite de la ligne de variation de l’énoncé ; il y a concept discursif à l’entrecroisement des systèmes homogènes par lesquels... Il faut que vous fassiez la table des entrecroisements. A l’entrecroisement des systèmes, vous pouvez marquer la place du concept de l’énoncé. Et bien, tout va bien.

Alors... Je peux conclure. Au niveau de ma seconde grande différence entre les énoncés, d’une part et, d’autre part, les mots, les phrases et les propositions, qu’est-ce que je peux dire ? Je peux dire que cette fois-ci il ne s’agit plus de l’espace associé, il s’agit de l’espace corrélatif ou des fonctions dérivées de l’énoncé. Et bien de trois manières,
-  le sujet de l’énoncé comme fonction dérivée,
-  l’objet discursif comme seconde fonction dérivée,
-  le concept discursif comme troisième fonction dérivée, ne se réduisent, ne se confondent ni avec le sujet d’énonciation de la phrase, ni avec l’objet référent de la proposition, ni avec le concept signifié du mot.
-  Objet discursif, concept discursif, sujet discursif comme étant les trois fonctions dérivées de l’énoncé, sont des variables intrinsèques de l’énoncé lui-même.

Si bien que, d’un bout à l’autre de sa théorie de l’énoncé, Foucault n’a pas cessé de briser le carcan, si l’on peut dire, le carcan dans lequel la logique et la linguistique nous avaient mis, carcan qui consiste à nous imposer l’alternative entre constantes intrinsèques ou variables extrinsèques. A un premier niveau, il nous dira : non, il y a des lignes de variations inhérentes qui ne sont ni des variables extrinsèques ni des constantes intrinsèques, par définition. Et, à un second niveau, il nous dira : il y a des variables intrinsèques et ce sont ces lignes de variation inhérentes et ces variables intrinsèques qui définissent l’énoncé à tous ses niveaux. Vous allez prendre un repos ! Vous allez réfléchir, dix minutes... pas plus, hein ? dix minutes. Et puis vous me direz s’il y a des questions à poser parce que c’est essentiel pour le reste. Moi j’en ai fini avec l’énoncé, à moins qu’il y ait des questions...

... que la conception originale de l’énoncé par Foucault soit claire. Remarquez, on n’a pas fini avec l’énoncé, mais on a fini avec la question précise :
-  en quoi l’énoncé ne se confond-il pas avec les mots, les phrases et les propositions par lesquelles, pourtant, il passe ? Voilà. C’est donc ce point... je voudrais que, si c’est pas clair, que... moi je suis tout prêt à recommencer... Donc c’est clair ? Bien, alors tout va bien. Tout va bien. Tout va très bien. D’où... sans qu’on s’en soit aperçu, nous avons déjà fini, depuis le début de l’année, deux grands thèmes. Je récapitule très vite ces deux grands thèmes, puisque nous allons aborder un troisième.
-  Ma première question c’était : qu’est-ce qu’une archive ? Et ce fut notre point de départ. Et la réponse très simple était : une archive est audiovisuelle. Mais qu’est-ce que veut dire audiovisuelle ? Ce que veut dire audiovisuelle, nous pouvons l’énoncer de deux manières, une manière large, une manière précise et ça a été tout notre objet les premières séances. Manière large : une archive est faite de ceci et cela. A savoir qu’elle est faite de voir et de parler, elle est faite de contenu et d’expression, elle est faite d’évidence et de discursivité, elle est faite de visibilité et d’énoncé, elle est faite de visible et d’énonçable. Et, on était parti de la fréquence de ces mots, chez Foucault. En un sens précis, de quoi est faite une archive ? D’une part et d’autre part. « D’une part et d’autre part », ça veut dire : du côté de voir et du côté de parler, du côté du visible et du côté de l’énonçable.
-  Première question : de quoi faite l’archive du côté de l’énonçable ? De trois choses. De trois éléments. Un corpus de mots, de phrases et de propositions. Corpus bien choisi suivant le problème que vous vous posez. On l’a vu : je ne reviens pas là-dessus. S’il y a lieu de revenir sur des points, vous me le dites maintenant, parce qu’après ce serait trop tard. Voilà. Un corpus de mots, de phrases et de propositions. Corpus bien choisi. Si vous me dites : comment est-il bien choisi ? J’y ai répondu, bien que cette réponse engage notre avenir, à savoir la théorie du pouvoir. Euh...
-  deuxième élément : on élève à partir du corpus, une espèce de diagonale, le « on parle », à savoir comment, à telle époque, le langage se rassemble sur ce corpus. Ah... C’est le « on parle », ou le « il y a du langage », ou le « l’être du langage ». Le langage tombe sur le corpus et il tombe d’une certaine manière.
-  Troisième élément : au croisement de l’être du langage et du corpus considéré, il y a des énoncés. Donc vous pouvez extraire des énoncés à partir des mots, des phrases et des propositions, si vous avez commencé par constituer un corpus en fonction du problème que vous posez. Si vous vous intéressez à la sexualité, bon, par exemple au XXème siècle, il faut que vous constituiez votre corpus de mots, de phrases et de propositions qui concernent la sexualité dans telle société, dans telle formation. Vous voyez comment ce corpus mobilise le langage, c’est-à-dire comment le langage tombe sur ce corpus d’une certaine manière historique et vous dégagez les énoncés. Même processus du côté du visible, on l’a vu.

Vous vous donnez un corpus de visibilités... non, ah, non ! Que je suis bête ! Non, non, non, non ! Surtout pas, surtout pas, puisque ce serait un cercle vicieux à l’état pur. Vous vous donnez un corpus de choses, d’objets, d’états de chose et de qualités sensibles. Aah, vous voyez. Vous vous donnez un corpus, vous le constituez d’après des règles, en fonction du problème que vous posez. De ce corpus de choses, d’états de chose et de qualités sensibles, à partir de lui, vous élevez une diagonale, la manière dont la lumière tombe sur ce corpus. La lumière n’étant pas un milieu physique. La lumière étant une entité indivisible à telle ou telle ou telle époque. De même que le rassemblement du langage ne se fait pas de la même manière suivant telle ou telle formation, la lumière ne tombe de la même manière sur le corpus de choses, états de chose et qualités sensibles. Une formation se définira par la manière dont la lumière tombe non moins que par la manière dont le langage se rassemble. Je disais « conception goethéenne » et non pas « newtonienne » de la lumière. Au croisement de la lumière qui tombe et du corpus sur lequel elle tombe, vous dégagez les visibilités qui, elles, ne sont ni des choses, ni des états de chose, ni des qualités sensibles, mais sont des effets de lumière, « lumière seconde » dit Foucault. Lumière seconde, c’est-à-dire scintillements, miroitements, reflets.

Dans telle formation, quel est le mode des miroitements, des scintillements, des reflets, des... quelle est la distribution... ça vous donnera la distribution du regardant et du regardé. Bien. Ça implique un sens historique très particulier. La lumière du XVIIème n’est pas la même que celle du XVIIIème. Bien plus : comprenez bien, jamais Foucault n’a pensé que les époques préexistaient à ce qui venait les remplir, ce serait idiot. Une époque ne peut être définie et ne peut être datée qu’en fonction des énoncés qu’elle tient et des visibilités qu’elle déploie. Une époque n’est pas une forme vide. Si je parle d’un âge classique, c’est parce que, eu égard à tel ou tel problème - là c’est très varié - un même âge peut très bien former une époque par rapport à tel domaine ou tel corpus et ne pas en former par rapport à tel autre. Si je parle de l’âge classique, ça veut dire que, en fonction d’un certain nombre de problèmes, je peux caractériser le XVIIème siècle par un certain nombre d’énoncés et un certain nombre de visibilités. C’est-à-dire par un être du langage et par un être de la lumière. La lumière du XVIIème, et bien elle ne tombe pas comme la lumière du XIXème. La lumière ne tombe pas dans le tableau de Vélasquez comme elle tombe dans le tableau de Manet, pour retenir deux exemples analysés par Foucault.

Là-dessus, on me pose des questions que je lis très rapidement qui me paraissent très importantes, que, en effet, on pourrait faire, autour de notre recherche sur Foucault, des essais en sortant des périodes etudiées par Foucault explicitement. Par exemple j’ai fait allusion, la dernière fois, je crois, à une histoire possible - et ça a été fait sûrement - en peinture, à une histoire du portrait et je disais juste, si vous prenez le XIXème siècle, tout ce qui a compté vraiment dans la peinture comme nouveauté a cessé de considérer le portrait comme un thème majeur, une recherche majeure de la peinture. Et ça culmine avec Cézanne, pour qui le thème majeur de la peinture est explicitement la nature morte et pas du tout le portrait, une espèce de destitution du portrait même quand il faisait encore des portraits. Reste que, après Cézanne, il y a un retour au portrait. Avec deux très grands peintres, qui sont les deux grands successeurs, à savoir Van Gogh et Gauguin. Et vous trouvez, dans les lettres de Van Gogh, la découverte comme émerveillée que l’âge du portrait revient. Vous me direz c’est étonnant, si vous avez une vision euh... Van Gogh vivait son œuvre comme cela au moins à certains moments, rappelez-vous, par exemple, les célèbres portraits du facteur il y voit, lui, quelque chose de très important parce qu’il pense que, après Cézanne .

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