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4- 12/11/1985 - 1
Gilles Deleuze Sur Foucault Les formations historiques Année universitaire 1985-1986. Cours 4 du 12 Novembre 1985 - 1 Transcription : Annabelle Dufourcq (avec l’aide du College of Liberal Arts, Purdue University) (partie 1/4) 20 minutes 54 secondes ... à [a] penser [é] de Foucault. Ce point revient à demander : mais qu’est-ce que c’est, au juste, qu’il appelle un énoncé ? Alors, à charge pour moi, à la fin de ce passage, à charge pour moi d’essayer de donner une réponse, une réponse où, là, il faudra que vous me coinciez si cette réponse n’est pas claire et concrète. Car la question est bien :
Donc sur ce point, il faudra vous soyez très sévères : si je ne donne pas de réponse, ben il faudra dire : ça ne va pas tout ça ! Moyennant quoi, je me donne le droit d’aller très lentement, c’est-à-dire de faire les détours qui me semblent nécessaires, parce qu’encore une fois c’est une question qui me semble compliquée. Et "L’archéologie du savoir" est sûrement un livre difficile. Alors je me donne le droit de certains détours, notamment pour répondre à une question que l’un d’entre vous me pose. Et, cette question, je la lis pour que vous la reteniez et, en effet, je crois qu’elle peut se poser. La question est la suivante : « on peut penser les choses sans qu’il y ait une visibilité, il n’y a pas d’implication entre les deux - dit celui qui pose la question - en revanche on ne peut pas penser des mots sans qu’existent des énoncés - tout ça cela ne me paraît pas sûr hein, j’essaie de... - même si leur source première est un « on », on ne peut dire des mots qui ne soient des énoncés, si bien que la cause des énoncés serait les énoncés eux-mêmes ». Vous voyez : je retiens au moins de la question : on peut parler de choses indépendamment de visibilité, on ne peut pas parler de mots indépendamment d’énoncés. A mon avis, non, ça n’irait pas si c’était ça. Mais c’est compliqué d’essayer de se débrouiller là-dedans. Donc, notre question fondamentale, toujours dans la rubrique « mais qu’est-ce que ça veut dire savoir ? », c’est cette sous-question « mais qu’est-ce que ça veut dire énoncé », et nous savons juste pour nous repérer que l’énoncé encore une fois ce n’est ni mot, ni phrase ni proposition. Bon, alors, où est-ce que nous en étions ? C’est là que j’éprouvais, la dernière fois, le besoin de commencer par un détour, me disant que, peut-être, l’autre moitié, l’autre aspect de la question, à savoir la question de la visibilité, pouvait nous donner des lueurs sur la question principale de l’énoncé. Et, la dernière fois, on en était à peu près à ceci. Je disais : vous voyez, au point où nous en sommes, quant à cette histoire de l’énoncé, la méthode de Foucault consiste à dire : quand vous posez un problème, quel qu’il soit, donnez-vous un corpus. Vous partez d’un corpus. Un corpus bien déterminé, d’après le problème que vous vous posez, d’après la recherche que vous faites. Vous comprenez : à ce niveau, il ne se donne pas l’énoncé, ce serait très fâcheux - il y aurait cercle vicieux - il ne se donne pas d’énoncé, c’est un corpus de mots, de phrases et de propositions, simplement ce ne sont plus simplement des mots, des phrases et de propositions, puisque c’est des mots, des phrases et de propositions saisis en tant qu’ils forment un corpus. C’est donc déjà un premier point dans sa méthode. D’où la question sous-jacente - on l’avait vu la dernière fois - « mais, comment on constitue le corpus ? ». Comment on constitue le corpus ? Essayez de voir que, déjà, cette question est très compliquée. Car, si je dois commencer à constituer un corpus pour arriver à comprendre ce que c’est qu’un savoir, il faut que les moyens que j’emploie pour constituer le corpus ne présupposent rien d’un savoir. Sinon ça n’irait pas la méthode. Mon problème en effet, depuis le début, c’est « qu’est-ce que le savoir ? ». Et je dis, par exemple, « savoir c’est énoncer ». Bon, comment trouver des énoncés ? Je pars d’un corpus de mots, de phrases et de propositions. Là-dessus : objection. « Comment tu constitues le corpus ? ». Si, pour constituer le corpus, je fais appel à quoi que ce soit qui présuppose un savoir, ça ne va pas. Si bien que, dans les premiers livres de Foucault, vous ne trouverez pas des règles d’après lesquelles il constitue ses corpus. Vous ne trouverez pas. Bien plus, il ira jusqu’à dire : oh, moi, je ne fais que des fictions, mes corpus, c’est des fictions. Ce qui revient à dire : je suis une espèce de romancier. Alors, il n’a pas tort. En même temps, on sait bien que ce n’est pas vrai et que, dès ses premiers livres, il avait déjà une idée qu’il ne développera que plus tard. Mais qu’est-ce que c’est, cette idée ? Si, alors, je me donne les livres suivants, la réponse éclate et, pour nous, est satisfaisante au moins provisoirement, quitte à ce que, plus tard, cette année, on l’étudie directement. Mais, si je me réfère, déjà, à cette réponse, ? ces critères de constitution du corpus, une fois dit que ces critères ne doivent pas empruntés à un savoir, ils seront empruntés à quoi ? Ils seront empruntés au pouvoir. C’est-à-dire, un problème étant donné, je constitue le corpus correspondant dans la mesure où je détermine les foyers de pouvoir mis en jeu par le problème. D’où l’idée de Foucault, qu’il a dès le début, mais qu’il n’expliquera que plus tard, à savoir : le pouvoir est strictement immanent au savoir. Ça donne quoi concrètement ? On l’a vu. Il veut constituer, par exemple, un corpus de sexualité, c’est-à-dire un corpus des mots, phrases et propositions de sexualité à une époque considérée. Comment constituer le corpus ? La réponse est très simple : déterminons les foyers de pouvoir mis en jeu par la sexualité à tel moment, par exemple au XIXème siècle. Les foyers de pouvoir, "et de résistance au pouvoir", mis en jeu par la sexualité à tel moment, c’est quoi ? au XIXème siècle ? Et bien il nous dira :
Et je crois que l’une des raisons du long silence de Foucault, il y a de multiples raisons, entre "La volonté de savoir" et "L’usage des plaisirs", une des raisons au moins, c’est ce problème qui devenait de plus en plus urgent pour lui, à savoir : comment passer de l’autre côté ? Comment franchir la ligne ? Est-ce qu’il n’y a pas quelque chose encore au-delà des lignes de pouvoir et comment y arriver ? Mais, pour le moment - on verra comment ce problème est posé et résolu par Foucault - mais, pour le moment, nous, nous pouvons être pleinement contents de cette première réponse. On ne pose pas encore la question du pouvoir, puisqu’on en est en plein dans la question du savoir et on dit juste : ah, bien, oui, d’accord, son corpus de mots, de phrases et de propositions, effectivement, il tient bien les conditions de son pari, il peut le former sans rien préjuger de ce qui est en question, à savoir « qu’est-ce que le savoir ? », puisqu’il forme le corpus des mots, phrases et propositions en fonction des foyers de pouvoir et résistance mis en jeu, concernés par le problème correspondant. Vous posez un problème, par exemple : qu’est-ce qui se passe pour la sexualité au XIXème siècle ? Vous formez votre corpus, sans cercle vicieux, dans la mesure où vous vous demandez quels sont les mots, les phrases et les propositions qui tournent autour des foyers de pouvoir concernés par la sexualité ou concernant la sexualité. C’est clair, ça, hein ? C’est très important pour l’avenir, pour nous, puisque ça marque déjà un certain rapport, une certaine présupposition du pouvoir par le savoir. Alors, une fois que vous avez votre corpus, qu’est-ce que vous faites ? [corpus] qui est très divers, et vous voyez qu’il tient son unité de ceci : c’est le corpus de sexualité. Qu’est-ce qui se passe ? Et bien, de ce corpus, vous induisez quoi ?
On l’a vu les dernières fois, quelque chose que l’on peut appeler de noms divers :
Mais qu’est-ce que c’est, ça ? Ça c’est une généralité vide - « on parle », « il y a du langage », un être-langage - en quoi c’est lié au corpus ? Comment est-ce qu’on le conclut du corpus ? Ce n’est compliqué, vous vous rappelez, ça c’est le résultat des fois dernières. Il ne s’agit pas d’un universel, c’est que l’être-langage, le « on parle », est inséparable de tel ou tel mode historique qu’il prend par rapport à telle ou telle formation. Il est inséparable de sa modalité historique. En d’autres termes, c’est ce « on parle », ce « il y a du langage », cet être-langage, c’est une manière dont le langage se rassemble sur telle ou telle formation. Et en effet... Alors, « sur telle ou telle formation », c’est-à-dire la manière dont le langage se rassemble... est-ce que je peux dire au XIXème siècle ? Oui, à la limite, je peux dire : le langage se rassemble d’une certaine façon au XIXème siècle. Mais c’est un grand rassemblement, très grand rassemblement : l’être-langage au XIXème siècle ou le « on parle » au XIXème siècle. C’est vraiment un rassemblement très vaste. Comprenez qu’en fait, il y a un rassemblement du langage pour chaque corpus. Chaque corpus opère un certain rassemblement de tout le langage. Et, en effet, le corpus de sexualité, opère un certain rassemblement de tout le langage autour de la sexualité. Si bien que chaque corpus opère un rassemblement et chaque corpus renvoie à un être-langage, à un « il y a du langage ». Simplement je peux parler d’un « il y a du langage » propre à toute une formation historique, dans la mesure où la formation historique se définira par rapport à ces corpus, par rapport à l’ensemble de ces corpus. Alors là il y aura un grand rassemblement du langage qui correspondra au langage de l’époque ou de la formation. Bien. Ça va toujours ? Vous m’interrompez, hein, s’il y a quelque chose qui ne va pas, parce qu’il faut que ça... Alors, je dirais... les énoncés... voilà [il écrit et dessine au tableau - schéma en pièce jointe], les énoncés ils sont comme au croisement (c’est cette ligne en pointillés), ils sont comme au croisement du corpus de mots, phrases et propositions et du rassemblement-langage sur le corpus. Ou bien, dans le livre sur Raymond Roussel, Foucault nous dira : "pour trouver les énoncés, il faut fendre ou ouvrir, il faut fendre, ouvrir, les mots, les phrases et les propositions". Or qu’est-ce qui ouvre mots, les phrases et les propositions ? C’est le « il y a du langage ». C’est le « il y a du langage », le rassemblement du langage sur le corpus, qui force le corpus à s’ouvrir et à lâcher les énoncés que, sinon, il tiendrait enfermés. Bon... mais tout ça c’est des métaphores, hein ? « Fendre, ouvrir », alors bien, j’en suis à ma ligne en pointillés, voilà, je tiens bien le schéma pour l’énoncé, mais il faut que je remplisse l’entre-deux. Entre le rassemblement du langage et le corpus sur lequel il se rassemble, c’est là que surgit l’énoncé. Ça ne nous dit pas ce qu’est un énoncé encore, mais ça nous forcera à le dire. Voilà. Repos : j’ai besoin d’un détour... |
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