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Cours du 29 octobre 1985 - 4 - Gilles Deleuze Sur Foucault - Les formations historiques 
Année universitaire 1985-1986 (2eme Cours) 
Transcription : Annabelle Dufourcq (avec l’aide du College of Liberal Arts, Purdue University)

Vous ne pouvez comprendre l’extermination d’un groupe, d’un peuple, d’une nation que si vous la rapportez aux conditions de vie que s’estime ou se donne le peuple exterminateur. Et ça je crois que c’est une remarque très très forte sur la nature moderne des holocaustes. A savoir : les groupes, les peuples exterminés sont assimilés à des microbes, des agents infectieux qui menacent la vie du peuple exterminateur. En d’autres termes, c’est au nom d’un vitalisme pervers, d’un vitalisme proprement dément. Prenez l’extermination des juifs par Hitler. L’extermination des juifs elle se fait au nom de quoi ? Le juif assimilé à un agent pathologique, pathogène, qui menace la santé de la pure nation allemande. De quoi Hitler se réclame-t-il ? De la vie et de l’espace vital. C’est au nom de la vie, dans une espèce de vitalisme de la race, une espèce de vitalisme tordu, que Hitler procède à l’élimination des homosexuels dénoncés alors comme agents bactériens.

... les armes atomiques posent à la fois la question de l’élimination des peuples entiers qui seront considérés comme les agents infectieux de la vie des peuples qui se servent de l’arme atomique et tout en étant condition de la survie - le thème de la vie et de la survie. Et déjà la survie de la race allemande est le thème fondamental d’Hitler et tous les thèmes d’holocauste, d’armement atomique - je prends deux rubriques très différentes - se comprennent complètement en fonction de cette nouvelle conception de la politique : gestion et contrôle de la vie. Oui ?
-  Question : (inaudible)
-  Réponse : la colonisation des Amériques... Je ne peux pas vous répondre, il faudrait que j’y pense, je ne sais pas. Pour que vous posiez la question, il faut que vous ayez déjà l’idée d’une réponse, alors dites-moi votre réponse.
-  Interlocuteur (inaudible)
-  Deleuze répète la question : est-ce qu’il y avait déjà un argument d’espace vital ? Ecoutez, ça, ça m’étonnerait. Il faut s’entendre. A ce moment-là, vous me diriez « dans les colonies de peuplement de la Grèce ancienne, est-ce qu’il y avait déjà un espace vital ? », je vous dirais « certainement pas ». Bien que : il fallait qu’ils exportent de la population, il fallait qu’ils exportent des citoyens, mais ce n’était absolument pas au nom d’un espace vital. L’idée d’espace vital, elle apparaît tellement XIXème siècle... Je ne peux pas vous répondre, mais c’est l’exemple excellent ça d’une recherche... C’est celui qui pose la question qui doit y répondre. La semaine prochaine : vous allez réfléchir à ça et la semaine prochaine vous nous direz.

Alors je voudrais vous lire, pour terminer ce point, la page de Foucault qui me paraît très belle, c’est "Volonté de Savoir" p.179-180 Vous voyez, j’essaie de résumer le thème de la page, ça revient à dire que c’est pour les mêmes raisons que la peine de mort individuelle tend à s’abolir dans les sociétés modernes et que les holocaustes de peuples tendent à se développer. « L’occident a connu depuis l’âge classique une très profonde transformation de ses mécanismes de pouvoir. Le prélèvement tend à n’en être plus la forme majeure, mais une pièce seulement parmi d’autres qui ont des fonctions d’incitation, de renforcement » etc. Le prélèvement il existe pour les impôts encore. « Mais la vraie forme du pouvoir aujourd’hui c’est un pouvoir destiné à produire des forces, à les faire croître et à les ordonner plutôt que voué à les barrer, à les faire plier ou à les détruire. Le droit de mort tendra dès lors à se déplacer ou du moins à prendre appui sur les exigences d’un pouvoir qui gère d’abord la vie et à s’ordonner à ce qu’elle réclame. Cette mort qui se fondait sur le droit du Souverain de se défendre ou de demander qu’on le défende va apparaître maintenant comme le simple envers du droit pour le corps social d’assurer sa vie, de la maintenir ou de la développer. Jamais les guerres n’ont été plus sanglantes pourtant que depuis le XIXème siècle et, même toutes proportions gardées, jamais les régimes n’avaient jusque-là pratiqué sur leurs propres populations, de pareils holocaustes. Mais ce formidable pouvoir de mort - et c’est peut-être ce qui lui donne une part de sa force et du cynisme avec lequel il a repoussé si loin ses propres limites - se donne maintenant comme le complémentaire d’un pouvoir qui s’exerce positivement sur la vie... ». Incise : commentaire de Deleuze :
-  ce n’était pas le cas de la mort décidée par le Souverain, puis il reprend la lecture : « comme le complémentaire d’un pouvoir qui s’exerce positivement sur la vie, qui entreprend de la gérer, de la majorer, de la multiplier, d’exercer sur elle des contrôles précis et des régulations d’ensemble. Les guerres ne se font plus au nom du souverain qu’il faut défendre, elles se font au nom de l’existence de tous ; on dresse des populations entières à s’entre-tuer réciproquement au nom de la nécessité pour elles de vivre. Les massacres sont devenus vitaux. C’est comme gestionnaires de la vie et de la survie, des corps et de la race que tant de régimes ont pu mener tant de guerres, en faisant tuer tant d’hommes. Et par un retournement qui permet de boucler le cercle, plus la technologie des guerres les a fait virer à la destruction exhaustive, plus en effet, la décision qui les ouvre et celle qui vient les clore s’ordonnent à la question nue de la survie. La situation atomique est aujourd’hui au point d’aboutissement de ce processus : le pouvoir d’exposer une population à une mort générale est l’envers du pouvoir de garantir à une autre, son maintien dans l’existence. Le principe : pouvoir tuer pour pouvoir vivre, qui soutenait la tactique des combats, est devenu principe de stratégie entre États. Mais l’existence en question n’est plus celle, juridique, de la souveraineté, c’est celle, biologique, de la population. Si le génocide est bien le rêve des pouvoirs modernes, ce n’est pas par un retour aujourd’hui du vieux droit de tuer, c’est parce que le pouvoir se situe et s’exerce au niveau de la vie, de l’espèce, de la race et des phénomènes massifs de population. J’aurais pu prendre, à un autre niveau, l’exemple de la peine de mort. Elle a été longtemps avec la guerre l’autre forme du droit de glaive ; elle constituait la réponse du souverain à qui attaquait sa volonté, sa loi, sa personne. Ceux qui meurent sur l’échafaud sont devenus de plus en plus rares, à l’inverse de ceux qui meurent dans les guerres. Mais c’est pour les mêmes raisons que ceux-ci sont devenus plus nombreux et ceux-là plus rares. »
-  Incise : commentaire de Deleuze : c’est pour les mêmes raisons que la peine de mort s’abolit et que l’holocauste se répand, puis il reprend la lecture. « Dès lors que le pouvoir s’est donné pour fonction de gérer la vie, ce n’est pas la naissance de sentiments humanitaires, c’est la raison d’être du pouvoir et la logique de son exercice qui ont rendu de plus en plus difficile l’application de la peine de mort. Comment un pouvoir peut-il exercer dans la mise à mort ses plus hautes prérogatives, si son rôle majeur est d’assurer, de soutenir, de renforcer, de multiplier la vie et de la mettre en ordre ? Pour un tel pouvoir l’exécution capitale est à la fois la limite, le scandale et la contradiction. »
-  Commentaire de Deleuze : tandis que l’holocauste ne l’est pas car l’holocauste c’est la condition de la survie du peuple exterminateur. Or tout ceci - je voudrais conclure parce que vous n’en pouvez plus - je conclus, j’ai fini avec le premier point : en quel sens tout est toujours dit ? En quel sens les énoncés ne sont pas cachés, ne sont pas secrets, les visibilités ne sont pas cachées, vous pouvez voir et vous pouvez entendre à votre époque tout ce qu’il y a lieu de voir et tout ce qu’il y a lieu d’entendre. Perdez l’idée que les hommes politiques vous trompent, c’est pire, c’est bien pire : s’ils ne faisaient que nous tromper... ! Mais, même au niveau des holocaustes, ils ne les cachent pas. Vous voyez, évidemment vous sentez tout de suite qu’est-ce qu’il faut lire alors pour connaître ces pseudo-secrets. Tantôt, tantôt. Tout est bon et ce sera la méthode de Foucault. C’est qu’il faut lire parfois des revues médicales pour voir ce que c’est que la politique de la santé aujourd’hui. Vous lirez dans les revues médicales des déclarations qui, personnellement, me font frémir, du type : nous allons vers une médecine sans médecin ni malade. On voit très bien ce que ça veut dire : une maladie ne se définit plus par des symptômes, elle se définit par des images, du type scanner etc. ; c’est-à-dire : vous serez traités avant d’être malades, vous n’aurez même pas le temps de devenir malades malades. C’est-à-dire : une médecine par images au lieu d’être une médecine par signes. C’est très intéressant ça : on ne peut pas dire qu’ils le cachent, ils le disent. « Une médecine sans médecin ni malade », en effet tout se passe entre l’image et le porteur d’image, avec l’appareil de détection ; d’une certaine manière ça fait froid dans le dos, mais c’est dit, qu’on ne nous dise pas que c’est caché ! Vous direz : « c’est dit, mais dans des revues spécialisées »... et alors ? Les revues spécialisées ne sont pas secrètes. Ce qui fait partie de l’énoncé, c’est peut-être : le locuteur et le destinataire, ça oui. Mais qu’un énoncé implique tel locuteur et s’adresse à tel destinataire, est-ce que ça veut dire qu’il est secret ? Non, ça ne veut pas dire qu’il est secret, pas du tout.

Vous voyez cette dernière remarque que je fais, elle va lancer sans doute notre analyse prochaine. De même, lire des revues des armées, c’est très très intéressant. Parce que, là alors, ils ne nous cachent rien ; on ne peut pas dire qu’un général soit menteur. Ça : il n’y a rien de plus franc qu’un général. C’est une loi des énoncés. Même de tous, entre l’homme politique, le diplomate, le général c’est le plus franc ! Le plus terrifiant aussi, mais c’est le plus loyal. Un général ne ment pas, il ne ment jamais. C’est très intéressant les revues, les études militaires, là aussi il y a des locuteurs et des destinataires. Et bien voilà. Le thème, tout ce que je voulais dire, c’est, à ce niveau, le thème que Foucault rappelle constamment, c’est une règle de sa méthode : le difficile c’est de trouver les énoncés là où ils sont, mais ils sont quelque part : à vous de les trouver. Ils ne sont pas cachés. Et l’archive ça veut dire ça : former le corpus - comme dit Foucault, mais il emploie un terme très souvent employé par les linguistes, ou du moins par certains linguistes - former le corpus d’énoncés qui sont caractéristiques d’une formation historique, ça implique déjà beaucoup d’invention. Il faut les trouver là où ils sont. « Les trouver là où ils sont » ça veut dire à la fois : ils ne sont pas cachés et pourtant ça prend de la peine de les trouver. Il faut que vous construisiez le corpus d’énoncés dont vous partez. Lorsque vous faites une recherche quelconque sur une formation historique, il faut que vous construisiez votre corpus. Voilà, donc on passera à l’autre problème : mais alors, ils ne sont pas cachés, mais ils ne sont pas donnés non plus. Donc : qu’est-ce qu’il faut faire ? Et pourquoi ils ne sont pas donnés ? Voilà !

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