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87- 07/05/1985 - 2

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Gilles Deleuze - cinéma et pensée - cours 87 du 07/05/1985 - 2 transcription : Guadalupe Deza

Après guerre, je peux dire que technologiquement, il y a le fameux changement, il y a la troisième forme d’automate qui arrive au monde. L’automate n’est plus l’automate d’horlogerie, n’est plus l’automate moteur, c’est l’automate informatique ou cybernétique. Comment il se définit l’automate cybernétique ou informatique ? Il se définit, en effet, en fonction de l’information. En fonction des informations, soit reçues à l’intérieur..., reçues et transmises à l’intérieur de l’appareil (à l’intérieur de la machine, on parlera alors de machines cybernétiques), soit entrée et sortie de l’information - dans tel cas on parlera de machines informatiques-. En d’autres termes, là... si j’emploie une formule très vague, je dirais : l’automate se définit non plus par rapport à ce qu’il fait, mais par rapport à ce qu’il dit. Non plus par rapport à l’action et à l’énergie, mais par rapport à l’information. Il y a une entrée de ces nouveaux automates au cinéma, ça va de soi ! Le cinéma dans son contenu tient compte de la technologie alors que, là, lui est extérieure ; elle lui est désormais complètement extérieure. Le chef d’œuvre c’est le film de Kubrick « Le grand ordinateur » [sic]. « Le grand ordinateur » et la destruction du grand ordinateur. Bon, c’est même ça qui va relancer les grandes mises en scène. Mais concevez un auteur qui s’intéresse pas du tout à ça, s’intéresse pas au... Je dirais aussi de Syberberg, parce que c’est sans doute de tous les auteurs de cinéma celui qui a posé le plus profondément le problème de l’information. Et là, il a pris à bras le corps ce problème de l’information, d’une manière très, très bizarre. Lui, alors, il est... mais, il a pas besoin de faire de la science fiction, il y a pas besoin de convoquer les ordinateurs pour faire ça. Lui, il a eu une idée de base -c’est pas qu’il ne soit pas ambigüe, il manque pas d’ambigüité Syberberg-, mais son idée de base, je crois, c’est « l’information n’a jamais vaincu personne ». C’est une belle idée. Je veux dire, son idée de fond c’est « l’information n’a jamais vaincu Hitler ». Et on le voit tellement, tellement, tellement... vous pourrez informer de toutes les manières. Le cinéma de Syberberg convoque les informations les plus diverses : informations politiques, fragments de discours, informations ancillaires -il y a toujours une cuisinière, un cuisinier, un masseur, qui vient donner des informations, etc. Le masseur d’Himmler, le cuisinier de Louis II de Bavière, etc. ; ou le témoignage vivant de la vieille dame, ce long témoignage sur Hitler, etc. Bon, mais même les informations politiques, même les statistiques, même tout ce que vous voulez. Il a tué tant de millions de juifs... l’information n’a jamais vaincu personne, l’information ne vaincra pas Hitler. Et le problème de Syberberg, sous ses aspects les moins ambigües c’est, une fois dit que l’information... -et c’est pour ça que son cinéma met en scène l’information et prend à bras le corps l’information- ; et c’est une espèce de lutte très curieuse entre l’information et la recherche d’une puissance d’une autre nature. Et ça d’un bout à l’autre de son cinéma. C’est ça, c’est ça qu’il fait. Et c’est tellement vrai, moi, j’ai l’impression que c’est tellement vrai... -qu’est qu’il faut pour vaincre Hitler... ?-. C’est curieux... c’est curieux, jamais l’information n’a suffit... jamais l’information n’a suffit. Disons, les gens, vous pouvez leur flanquer toutes les informations que vous voulez, ils s’en tapent, ils s’en tapent complètement. Enfin, c’est le sentiment que j’ai. C’est pour ça que..., c’est pour ça que l’information est dangereuse, parce que la vraie information c’est celle qui nie tout pouvoir de l’information, c’est-à-dire, c’est la télé quotidienne. C’est l’information qui se nie d’elle même. C’est ça le danger. Mais on voit bien en quoi est ancré... en quoi est ancré ce danger. C’est que jamais vous n’avez pu..., vous avez beau réguler tout ce que vous voudrez, donner toutes les garanties d’authenticité, bien plus, tout le monde aura beau le savoir, ça ne changera rien. Est-ce que je veux dire que rien ne change rien ? Non, je crois qu’il y a d’autres puissances que celle de l’information. Bon, on reverra peut-être plus tard, parce que ça me paraitrait le problème de Syberberg. Mais je disais, tout ça, lui, il le prend en entier, il invoque pas des ordinateurs, mais il pose pleinement le problème d’après-guerre de l’information.

Bien, prenons un autre..., un autre exemple qui a rien à voir : Bresson... Bresson. Les ordinateurs... c’est pas que Bresson soit pas moderne : c’est un des auteurs les plus profondément modernes qui soient (chacun choisi ses hôtes de modernité). On ne peut pas dire que Bresson soit passionné par les automates modernes. Non... non, il n’est pas passionné par les automates modernes, il s’en fout, il s’en tape. C’est pas ça la question. N’empêche que Bresson, il crée un mot -que tout le monde connait- « le modèle », pour designer l’acteur du cinéma et ce qu’il veut de l’acteur de cinéma, par opposition à l’acteur de théâtre. Et lui, il dit : « moi, je parle jamais de mes acteurs, je parle de mes ’modèles’ ». Bizarrement il me semble que le mot n’a pas été rapproché de l’usage courant qu’en fait la cybernétique et l’informatique. C’est un mot très moderne, là : « le modèle ». Or, je dis bien que c’est pas le problème de Bresson, comprenez-moi ? Mais quelle différence y a-t-il entre un modèle de Bresson et un automate de l’expressionnisme ? La question se pose ! Pourquoi elle se pose ? Parce que chaque fois qu’il s’agit de définir le modèle, Bresson se réfère au phénomène de l’automate (sans préciser quel automate). Chaque fois (vous voyez, reportez-vous aux notes sur le cinématographe), chaque fois il y a référence à l’automatisme. La raison est simple : quelle différence avec l’automate de l’expressionnisme ? C’est pas difficile ! C’est que l’automate bressonnien, le modèle bressonnien, il se définit par rapport à ce qu’il dit et a à dire, et pas par rapport à ce qu’il fait. Je dirais la même chose pour Resnais, et pourtant il ne ressemble pas à Bresson. On a vu chez lui, on en a parlé cette année de l’inquiétant personnage bressonnien par excellence, cette espèce de zombi qui fait partie de la famille des automates, le zombi était même un des grands automates de l’expressionnisme allemand, et il y avait le mort-vivant. Et Bresson reprend... Euh... Resnais reprend souvent les thèmes de l’hypnotisé, du suggestionné, qu’il rapprocherait là. Et là aussi, qu’est-ce qu’il y a de propre chez Resnais. C’est que son automate, son zombi, se définit par rapport à ce qu’il a à dire, il se définit par rapport à l’acte de parole et pas par rapport à l’action motrice. Exemple typique : le zombi -c’est tous des zombis- « L’année dernière à Marienbad » Si on cherche même un des aspects sous lequel le film appartient à Resnais, et pas à Robbe-Grillet, il y a des aspects par lesquels le film appartient à Robbe-Grillet, mais un aspect par lequel...c’est la transformation d’un personnage en zombi, à savoir : ils sont complètement hypnotisés, au point qu’à la limite on ne sait même pas lequel hypnotise l’autre ; c’est une grande chaîne d’hypnotisés. Seulement là, l’hypnose... Et encore une fois, Resnais invoque tout ça, il invoque l’hypnose, il invoque le somnambulisme, il invoque... Et en un sens moderne, quel sens moderne ? C’est que, en effet, indépendamment de toutes les technologies modernes, il crée un type de personnage -tout comme Bresson- et d’une autre manière il crée un type de personnage où l’automate se définit par rapport à l’acte de parole, et ne se définit plus par rapport à l’action motrice.

Si bien que, je peux dire aussi bien... euh bien oui ! C’est pour ça que j’invoquais Varèse tout à l’heure. J’invoque Varèse comme musicien parce que Varèse me paraît être un de ceux qui a le plus vécu et avec le plus de déchirement, le plus de problème, cette situation. Or, je crois que c’est la situation de tout artiste. Tout artiste appelle l’avenir, et il l’appelle avec beaucoup de crainte et de tremblement. Pourquoi ? Tout artiste appelle l’avenir parce qu’il est en avance. Et ce n’est pas qu’il travaille pour la postérité, la postérité..., je crois qu’il s’en fout pas mal. Il appelle l’avenir pour une toute autre raison. C’est qu’il a besoin des moyens de l’avenir, il en a besoin. Varèse a besoin des moyens de l’avenir. Seulement il a besoin de moyens électroniques. C’est pas que son œuvre manque de quelque chose, elle est décisive, elle est fondamentale. Il appelle de nouveaux moyens. Donnez-moi de nouveaux moyens ! Je crois qu’il n’y a pas d’artiste qui ne demande ça. Et en même temps, il redoute ces nouveaux moyens. Pourquoi ? Pas du tout parce qu’il aurait une adaptation à faire, mais parce qu’il a des raisons de craindre que ces nouveaux moyens ne lui arrivent déjà corrompus et n’entraînent une espèce de disparition de l’art.

Bon, l’image numérique, parfait..., est-ce qu’on laissera encore des gens créer ? Parfait si on laisse des gens créer ! Appeler de nouveaux moyens c’est très dangereux parce que... Mais en même temps, je veux dire, aucun artiste, aucun penseur ne peut éviter d’appeler de nouveaux moyens. Et d’appeler la venue de ces nouveaux moyens. Et en même temps, ils en auront tous peur. Et ce que je dis, ça vaut pour la philosophie, comme ça vaut pour la musique, comme ça vaut pour... Et c’est bon qu’il y ait ces deux aspects ; en tout cas, c’est comme ça que je le vois. Alors, bien entendu, on pourrait se mettre d’accord, tu me dis oui en avance, tu me dis oui je suis d’accord.

[Intervention d’un étudiant] : Oui, oui, je suis d’accord. Mais je voudrais ajouter à ce que vous venez de dire là, c’est très différent de se demander si les nouveaux moyens techniques peuvent donner un sens à une certaine idée artistique. Parce qu’au commencement de la dernière séance, c’était bien ça la question.

Deleuze : Non, non, c’était pas ça la question. J’ai pu m’exprimer comme ça pour aller vite. Pitié, pitié, il fallait corriger de toi-même.

Et. : Oui, parce que par exemple pour moi Bresson est un bon exemple parce qu’il fait justement, d’une certaine façon, le contraire de ce qu’on peut atteindre avec les moyens stéréophoniques. Il essaie justement d’aplatir les voix, par exemple, il enlève tout l’environnement acoustique des voix. Il fait avec les voix ce que, par exemple [Inaudible] fait avec les images, il essaie de les aplatir. Alors, je crois que, par exemple, par rapport au problème de la profondeur des sons, je crois qu’il atteint la profondeur des sons mais d’une tout autre façon. Ce n’est pas par un moyen technique, c’est justement au contraire, il essaie de....

G.D. : C’est autre chose..., ça c’est autre chose, ça...

Et. : De finir avec la stéréophonie, d’aplatir les voix...

G.D. : Oui, oui, oui...

Et. : Pour essayer d’atteindre une profondeur qui...

G.D. : Le problème d’aplatir les voix c’est un foutu problème. Un sacré problème.

Et. : Et par exemple, quand vous avez cité le...

G.D. : C’est pas par hasard, il suffit de la réverbération. Moi, j’invoque des machines à réverbération. Lui, il veut des machines à non réverbération.

Et. : Oui, c’est ça...

G.D. : Mais c’est aussi essentiel.

Et. : Et autre chose : par exemple, ce que vous avez..., le propos de vous sur la..., ce que vous avez appelé la stéréophonie dans ces propos, je crois que, pour moi, ça me fait penser aussi à la polyphonie dans les romans, par exemple.

G.D. : Oui, et ça..., on serait tous d’accord pour dire qu’au besoin, à des rythmes très différents, les mêmes phénomènes se passent. Ce qui veut dire : ce qu’on repère en cinéma, en musique, on le repèrerait aussi dans le roman. C’est trop évident. Il y a Garavito, il a travaillé là-dessus aussi. Il aurait sûrement, quant à la littérature, vous savez, ça se vérifierait complètement. Ça, mille fois d’accord ! Même la peinture, même la peinture. Je vais donner..., je vais donner un dernier exemple, seulement [Inaudible] la séance va être finie. Je vais donner un dernier exemple, et ce sera autant de fait. Et je crois que j’en avait déjà parlé d’autres années, euh, non, je ne sais pas ! Dernier exemple, ce serait ceci (moi, c’est..., ça me fascine) : c’est que dans le cinéma, il me semble que..., tant à être largement dépassé (y compris par les nouvelles images, mais également par la nouvelle image cinématographique, mais par les nouvelles images aussi), la grande alternative de Bazin c’était : l’écran fonctionne-t-il comme un cadre ou comme un cache ? Comme un cadre de tableau ou comme une fenêtre ? Bon, pourquoi ? Parce que c’est la notion de cadrage qui a changé. Et encore une fois, moi, je crois que la raison principale c’est parce que le cadrage est devenu temporel. Mais, on peut le dire plus clairement, ou on peut le dire d’une manière plus moderne. C’est qu’il y a une polémique là, qui m’intéresse beaucoup. Une polémique entre deux critiques américains de peinture. L’un s’appelle Greenberg -il est très connu en Amérique-, l’autre s’appelle Sternberg. Greenberg et Sternberg entraient en discussion. Et Greenberg a toujours eu une thèse, à savoir que ce qui définissait l’art moderne (et il le faisait partir des impressionnistes, mais à plus forte raison pour la peinture américaine), c’était la conquête d’un espace optique pur -c’est-à-dire, sans référence tactile-. Il insiste sur les peintres américains modernes dont il prétend -comme Louis, comme tous les descendants de Pollock, comme après Pollock...- [Coupure de la bande audio]

[Deleuze reprend] ...et sans doute il dirait : « ça a commencé peut-être avec Pollock » (qui faisait ses toiles à plat, sur le sol), mais Pollock quand même les accrochait. Il dit que c’est beaucoup plus important chez le grand peintre, donc il ferait le précurseur de la perte de verticalité comme axe référentiel, c’est... selon lui c’est le peintre américain Rauschenberg. C’est Rauschenberg qui en effet..., alors on comprend certaines plaisanteries de Rauschenberg, qui aimait beaucoup..., qui avait tout un côté surréaliste, lorsque Rauschenberg présente comme peinture son lit, mais son lit mit sur le mur à la verticale. C’est-à-dire, il y a une espèce de brouillage vertical/horizontal : il peint son mur, il peint son lit -là sur le mur- mit en vertical. Et il y a une espèce d’échange vertical/horizontal, mais il pense que réellement c’est avec un art moderne que de plus en plus au cinéma on a l’équivalent. On a quelques films qui avec des moyens artisanaux ont perdu la verticalité, et le privilège de la verticalité. C’est un film célèbre de cinéma dit expérimental, le film de Michael Snow « La région centrale », où il invente une boîte à caméra qui va constamment bouger dans tous les sens, au point qu’il n’y a plus aucune référence aux coordonnées spatiales, les coordonnées d’espace. Et puis il y a un film hélas que je n’ai jamais vu mais qu’on me dit qu’il est admirable, un film de Glauber Rocha « La terre en transe ». Tu l’as vu, toi ?

Et. : Non, non.

G.D. : Bien, on me dit qu’il y a aussi une perte de verticalité absolue, avec des moyens pourtant qu’on ne peut pas appelé ordinaires. Ou du moins, Snow, il a fabriqué ses..., c’est pas des moyens ordinaires, en faite. Mais mettons que c’est des moyens qui n’excèdent pas encore l’image cinématographique.

Bon, mais il n’y a pas que cet aspect. Et vous allez voir que les deux sont liées d’une certaine manière. En même temps que la verticalité cesse d’être axe privilégié. Et j’insiste là-dessus, c’est vrai des tous les arts : peinture, on vient de voir certains essais de cinéma, mais je n’ai pas besoin de parler, je crois en avoir parlé d’ailleurs une autre fois... Moi, ce qui me fascine dans les ballets, dans le ballet moderne, la seule chose qui me fascine dans le ballet moderne c’est qu’ils ne tiennent pas debout, il ne tiennent pas debout. S’ils doivent être debout, ils s’accolent les uns aux autres et ils font des figures accolées de grande beauté. Et sinon, c’est horizontal. Le ballet est devenu horizontal, il a perdu sa référence, il a perdu la stature humaine, il a perdu sa référence à la verticalité. Chez tous les créateurs -il me semble- actuels, chez tous les grands créateurs (je parle pas spécialement de Béjart, parce que Béjart, il en a profité, il l’a adapté pour le grand public, ça, ce truc là), mais les autres, ils y vont dur.

Et. : [Inaudible]

G.D. : Oui, oui, oui. Donc çà, c’est un aspect. Mais il y a un autre aspect et vous allez sentir qu’ils sont liés. C’est que en même temps l’écran n’est plus... -la fenêtre, elle est encore pleine en la verticalité, tout comme les cadres des tableaux-, mais l’écran, il est devenu aussi toute autre chose. Ni fenêtre, ni cadre, mais quoi ? Tableau d’information. C’est-à-dire, où les choses qui apparaissent sur l’écran peuvent être traitées comme des données d’information. Ça peut être..., ça peut être des objets visuels, ça peut être des mots. Un des premiers à avoir fait ça, à avoir traité la toile comme tableau d’information c’est Mondrian. C’est dire avec quel génie, notamment avec presque un système binaire de petits traits et de petites croix, qui vont être quoi ? Des données informatives de (dans mon souvenir, pardon si je fais..., vous rectifierez de vous mêmes), de la mer. Un système, voilà que le visuel passe à l’état de donnée d’information, c’est-à-dire, l’écran dévient une table d’information. Bon, une table d’information ne comporte aucun privilège de la verticalité. Et c’est par là que les deux sont fondamentalement liés. Le cadre change complètement de sens. Il y a un mot américain dont se sert Strindberg, et là, je m’en souviens plus... « Fletboard » je crois... Il n’y a pas quelqu’un qui sait très bien l’anglais ici ? Si, il y en a un. Oui, « fletboard ». C’est pas la table de... c’est...

Et. : [Inaudible]

G.D. : C’est ça ! C’est pas la table typographique... « Flet » : F-L-E-T. Tu n’as pas... ?

Et. : J’ai pas mon dictionnaire...

G.D. : T’as pas ton dictionnaire ? [Rires] [Inaudible] F-L-E-T.

Et. : [Inaudible]

G.D. : « Flat », alors ! « Flat » c’est quoi ?

Et. : C’est « plat ».

G.D. : C’est peut être ça : « flat board ». Et qui est un terme à l’origine d’une typographie, sur la table du typographe quand il compose un journal. Et puis...

Et. : [Inaudible]

G.D. : Oui, ça doit être ça, oui, oui. [Rires] Vous chercherez vous mêmes, hein ? Et vous voyez, ce qui m’intéresse là-dedans c’est la complémentarité entre les deux aspects, la perte de verticalité comme axe privilégié, et la transformation de l’écran en table d’information. Et en peinture les deux sont liés. Chez Rauschenberg c’est net. S’il descend de Mondrian c’est parce que..., c’est parce que ses tableaux sont très aisément composés, par exemple. Sur fond, il veut tellement faire de la table, sur fond de journal et journaux, c’est-à-dire, des articles informatifs sur lesquels il va y avoir de la peinture. C’est-à-dire, tout est traité là comme table d’information. Or, comprenez ? Si j’apprends le temps qu’il fait par la fenêtre : c’est stature verticale. Bon, mais si j’apprends le temps qu’il fait par table d’information ? Plus besoin ! Fini, fini d’être debout !

Bon, alors quand je vous rappelais (je me souviens qu’on en a déjà parlé de tout ça, donc je perds mon temps mais ça fait rien). Quand je vous parlais de la phrase immortelle de Beckett (qui nous touche tous) « il vaut mieux être assis que debout, et couché qu’assis », bon, Beckett le dit pour des raisons qui sont les siennes, qui sont celles de son œuvre, qui sont celles de son art le plus profond. Bien, à sa manière il rejoint quelque chose que le monde technologique alors atteint par de toutes autres voies. La perte de la situation verticale chez Beckett est un des points les plus fondamentaux de toute son œuvre. C’est-à-dire, l’espace de Beckett implique aussi le manque, la stature verticale n’y est strictement plus, et ne définisse plus aucun... Il faudrait voir dans le roman ce que la stature verticale a impliqué. Peut-être que certaines pages de Proust a déjà..., supprime toute référence à une stature verticale, celles de la fin. Et pas de la fin, là, il s’agit d’être debout. Ce n’est pas seulement parce qu’il écrit couché à ce moment là. C’est tout ce qu’il écrit qui n’a plus de référence avec... bon.

Alors, vous comprenez, tout ça pour conclure quoi ? Et bien, qu’on en a fini avec ce point. Donc, d’une manière lâche, ou d’une manière stricte, nous disons il y a un cadrage sonore ». [Rires] Que ce cadrage sonore soit effectué par des moyens technologiques, ou attende encore d’être effectué par de tels moyens par des auteurs qui ne peuvent s’empêcher d’appeler la venue de ces moyens ; et donc, qui ne peuvent s’empêcher... -très bien..., très bien- qui ne peuvent pas s’empêcher d’appeler l’avenir de ces moyens, voilà ! Ouf !

Si bien qu’on peut en revenir à... Donc, je me re-résume pour la dernière fois, cette fois-ci, ça reviens, tout ça, à dire... vous voyez la différence avec le premier stade de [Inaudible] Qu’il n’y ait plus de hors-champ en droit (encore une fois ce n’est pas..., la question n’est pas... Du fait, il y a bien un « hors-champ » encore), mais en droit, l’image visuelle n’a plus de « hors-champ ». Bon, on a déjà donné une réponse, on n’a pas expliqué, parce qu’elle a à faire avec son envers et son endroit, et non plus avec un extérieur. Donc, l’image moderne va être comme saisie dans une disjonction « cadrage sonore » / « cadrage visuel ». C’est ce qu’on a appelé, c’est ce qu’on appelait précédemment l’« héautonomie », ou pour parler plus simplement, « l’autonomie » des deux sortes d’images. L’autonomie des deux sortes d’images, qu’implique strictement qu’il n’y a pas d’autonomie des deux sortes d’images, s’il n’y a pas un « cadrage sonore » ou -« ou » nous l’avons bien dit, là...- un « pré-cadrage sonore » [Rires]. Bien, et vous comprenez notre problème ? Notre problème devient tout à fait sérieux. Par opposition à l’image traditionnelle, à l’image classique, l’image ne se prolonge plus dans un extérieur virtuel -c’est-à-dire, il n’y a plus de « hors-champ »-, et elle ne se totalise plus dans un tout qui, lui-même, s’extérioriserait dans la suite des images. Elle ne se prolonge plus, elle ne se totalise plus. Bon, qu’est-ce que nous avons ? Nous avons, et nous sommes dans le régime d’un véritable va-et-vient de l’image sonore et de l’image visuelle. Un va-et-vient des deux images. Et ça, chez des auteurs qui pourraient vous paraître à certains égards très sages parmi les modernes. Je reviens à cet auteur dont je vous ai beaucoup parlé à cet égard, de la disjonction du visuel et du sonore, parce que ça me paraît évident chez lui -quoi que d’une manière très discrète-, c’est Rohmer. Je prends dans le livre de Vidal sur les « Contes moraux » de Rohmer, juste un passage concernant « Le genou de Claire » : [Deleuze cite Vidal] « La séquence du genou est traitée cinématographiquement en quelques plans... (Bon, etcétéra, etcétéra) Cette séquence s’achève par un plan quasiment « immobile, sculptural et pictural » » (entre guillemets, il s’agit d’une image visuelle) C’est qu’en suivante, le héros -Jérôme- applique son discours littéraire à commenter ce que nous venons de voir... » (Cette scène qui se termine par la position sculpturale et picturale des deux jeunes gens. Donc, Jérôme applique son discours à ce que nous venons de voir.) Aurora (un autre personnage) parcourant le trajet inverse, refuse le récit de Jérôme (elle lui dit « non, tout ça, c’est des histoires », elle va dire « out ça c’est de la fabulation »), et lui substitue une vision, l’image figée du couple par laquelle Rohmer avait précisément bouclé la séquence précédente. Puisque vous faisiez un couple si picturale, si sculpturale, qu’importe ce que vous pensiez ? dit-elle à Jérôme. » Et là, c’est typiquement un va-et-vient « image visuelle »/« image sonore ». Et l’image visuelle donne lieu à une image sonore, qui va revenir à l’image visuelle de départ.

Je prends un cas plus complexe : « L’année dernière à Marienbad ». L’image sonore, c’est méthodique : l’ensemble des actes de parole qui passent par une espèce d’hypnose, de suggestion, et qui répondent tout à fait à notre définition de l’acte de parole à ce stade du cinéma, c’est-à-dire, comme acte de fabulation (« fabulation » ne voulant pas dire forcement « mensonge »). Et ben, qu’est-ce que j’ai ? Image visuelle. « Image visuelle » c’est non seulement l’étrange hôtel-château, mais c’est le parc. C’est le parc qui va dresser des images visuelles, tantôt démentant, tantôt confirmant un acte de parole qui a été dit, ou qui sera dit -là aussi vous avez tout un régime de la disjonction-. Et bien, ça veut dire quoi vraiment ? Et ben, on en était là la dernière fois. On s’était donné cet état de choses. Quel va être notre problème ? On s’était dit : « oui, il y a bien deux cadrages ». Il y a un cadrage sonore et un cadrage visuel. Il y a, donc, héautonomie des deux images. Et là, on avait essayé de préciser en quoi consistait même cette « héautonomie ». Je le rappelle -puisque tout va repartir de là-, l’image sonore : c’est quoi ? Et ben, c’est l’acte de parole en un sens très différent de la forme sous laquelle il apparaissait au premier stade du parlant, à savoir, c’est l’acte de parole comme acte de fabulation, ou comme acte fondateur, acte créateur de l’événement. On appellera « fabulation », « acte de fabulation », l’acte créateur de l’événement. Donc, l’image sonore c’est cette espèce d’acte fondateur, créateur d’événement, acte de fabulation. En langage vulgaire on dira « acte de mensonge », et ça donnera « L’homme qui ment » de Robbe-Grillet (il est bien entendu qu’il ne s’agit pas de mensonge).

Et je disais, l’image visuelle, c’est quoi ? L’image visuelle -et ben, c’est l’hypothèse où l’on en était la dernière fois-, l’image visuelle, bien sur, elle nous présente à nouveau ce que nous avons repéré depuis longtemps, sous le nom d’espaces quelconques, c’est-à-dire, des espaces vides ou des espaces déconnectés, désorientés -là aussi alors la verticale est déjà en jeu, le primat de la verticale est déjà en jeu-. C’est-à-dire, des espaces dont les différentes parties ne sont pas orientées les unes par rapport aux autres. Mais on allait plus loin, et on disait : « qu’est-ce que c’est maintenant ces espaces ? » On pouvait pas aller plus loin. On se contentait des espaces vides et désorientés ou déconnectés. Maintenant on peut dire quelque chose de plus, et on disait : veuillez regarder ces espaces, c’est très curieux, c’est des espaces qu’on peut appeler telluriques ou stratigraphiques -ou, à la limite, archéologiques-.

« L’année dernière à Marienbad ». Je cite là, pour le moment je me donne les cas les moins..., qui me sont les moins favorables, moins évidents. J’avais cité « Le désert » de Pasolini..., euh... « Le désert » d’ Antonioni : le désert monte à la surface. Mais le désert, il vient toujours d’en dessous ! Le désert monte à la surface : image tellurique qui répond à l’acte de parole. C’est vrai pour Pasolini..., euh pour Antonioni de deux manières très différentes. Toute autre manière encore : Resnais. Toujours « L’année dernière à Marienbad », le parc. Le parc, il a trois zones -et avec un homme comme Resnais, ce n’est pas par hasard-, trois zones plus ou moins variables mais relativement constantes : une zone blanche, une zone grise, une zone noire. C’était des zones dans l’espace. C’est évidement aussi des couches. Une fois dit que Resnais est un auteur qui, fondamentalement, organise son image visuelle d’après de véritables couches. De couches superposables. Les différentes couches de « Je t’aime, je t’aime ». Et toujours il a procédé par couches comme âges, comme âge du monde. Les âges du monde. La constitution d’un espace stratigraphique, qui va être précisément l’espace de ceux qui reviennent des morts, et qui retournent vers les morts. Pensez dans « L’amour à mort », pensez au Tombeau : ce « peu profond ruisseau [calomnié] la mort »1. S’il y a une image tellurique alors, et présenté comme tellurique, elle est bien là chez Resnais. Je vous disais, c’est pas..., c’est pas... Et bien, là où sans doute..., et c’est pas indiqué que même là où il se situe par rapport aux... il rompt pas, il va plus loin. À cet égard, il va plus loin -ou plutôt ils vont plus loin- c’est les Straub. Ceux qui érigent l’image visuelle à l’état d’image géologique, stratigraphique, tellurique, les espaces vides, où déconnectés : chez les Straub vous trouverez tout ce que vous voulez à cet égard. Or, les espaces vides et déconnectés se présentent formellement comme des espaces telluriques, comme des espaces stratigraphiques, comme des espaces à couches. C’est-à-dire, la couche superficielle enfouit quelque chose. Il y a quelque chose d’enfoui dans cette terre. Ce quelque chose d’enfoui, ne sera pas montré. C’est l’envers de l’image visuelle : comment sera-t-il saisi ? Dans d’autres cas on pourrait le montrer, il ne fait pas de retournement électronique, les Straub ne font pas de retournements électroniques, bien qu’ils utilisent parfaitement la vidéo. Et, un des leurs films les plus célèbres est commenté par Jean-Marie Straub, sous quelle forme ? [Deleuze cite Straub] « La grande séquence tellurique... » Je cite de mémoire, mais c’est exacte, la séquence..., la grande séquence tellurique qui traverse le film..., la grande séquence tellurique... Je disais, il se dit cézannien qu’est-ce que ça veut dire, à ce niveau. On verra que ça veut dire plein de choses, être cézannien. C’est que Cézanne, il introduit quoi dans la peinture ? À la lettre, il introduit l’assise géologique. Qu’est-ce que c’est le mystère d’un rocher de Cézanne, ou d’une montagne ? C’est pas difficile..., pas difficile. C’est une image tellurique. On prête à Cézanne ce mot que les Straub adorent. Pensez que sous cette montagne, au fin fond des âges, il y avait du feu. La terre enfouit le feu. Or, quand Cézanne dit « pensez que sous cette montagne, il y avait du feu », il ne voulait pas dire « pensez-y ! », il voulait dire « mon appel de peintre, c’est de vous le faire sortir ». Il faut une densité tellurique. C’est pour ça qu’il fera sa rupture avec les impressionnismes..., je veux dire avec les impressionnistes, et il réclamera quoi ? Un nouvel état de la sensation. Pour parler très gros, si l’on dit que les impressionnistes décomposent et dématérialisent la sensation, si l’on dit que les expressionnistes projettent la sensation avec violence, qu’est-ce que veut Cézanne ? Il le dit : « je veux des sensations matérialisées ». Les Straub reprendront le mot en disant : « le cinéma n’est pas fait pour donner des sensations à de pauvres crétins » -à savoir, les spectateurs- [rires], le cinéma n’est pas fait pour donner des sensations. Le cinéma ne présent des sensations matérialisées. La sensation matérialisée c’est..., c’est l’image à couches, c’est l’image tellurique.

Bon, alors, qu’est-ce que nous avons ? Comprenez que là on garde quand même un petit peu. C’est-à-dire, on rejoint enfin le point..., le point à peu près où on en était. À savoir : j’ai mes deux cadrages..., j’ai mes deux cadrages : « cadrage sonore »/« cadrage visuel ». Le « cadrage visuel » a changé, il est devenu le contour, l’enveloppant... oui !, l’enveloppant ou l’encadrant..., il est devenu l’enveloppant de l’image tellurique. Le « cadrage sonore », ou « pré-cadrage sonore », est devenu quoi ? L’extraction de l’acte de parole en fonction de tout l’environnement sonore ; l’extraction de l’acte de parole comme acte de fabulation à partir de tout l’environnement sonore.

Très bien, bon, et alors quoi ? Quel rapport entre les deux ? Je reviens à mon thème, est-ce que c’est n’importe quoi sur n’importe quoi ? Pour quoi pas des diapositives de paysages et puis quelqu’un qui chante... bon, on peut toujours essayer ! Ce sera nul, ce sera nul, même si les diapositives sont très belles et si la chanson est très belle. [Rires] Rien ! Ça a raté ! Comme notre séance... [Rires] Et ben, oui ! Qu’est-ce que ça veut dire ? (mais c’est fait pour nous réjouir, ça !) Ça veut dire ceci, qu’est tout simple : l’« héautonomie » de l’image sonore et de l’image visuelle, avec son..., chacune avec son cadre. Mais ça n’a jamais voulu dire « absence de rapport ». Mais non ! Et si vous vous rappelez ce qu’on a fait toute l’année -c’est pour ça que la fin de l’année approche...- on n’est pas étonné ! Ça n’a jamais voulu dire « absence de rapport ». Ça a voulu dire que.., toujours que le rapport n’était pas commensurable, ça a voulu dire que le rapport était irrationnel. Et ça, on y a passé du temps alors..., sur ce thème du point irrationnel par opposition, justement. Et des coupures irrationnelles..., il y a coupure irrationnelle -et non plus coupure rationnelle- entre le visuel et le sonore. Dans l’ancien cinéma, dans le cinéma d’avant-guerre il y a coupure rationnelle entre l’image visuelle et leur champ peuplé par du sonore. C’est le grand principe de commensurabilité d’Eisenstein. Dans le cinéma moderne, il y a incommensurabilité des deux images : la sonore et la visuelle. Mais l’incommensurabilité ne désigne pas une absence de rapport, ça désigne un nouveau type de rapport. Quel rapport ? Vous le savez déjà ? Non. On lui donnera puisqu’on s’en est servi. Ce sera un « rapport indirect libre ». Il y aura « rapport indirect libre » entre l’image sonore et l’image visuelle. Pourquoi ? Comment ? C’est la dernière chose qui nous reste à faire : « pourquoi ? » et « comment ? ». En d’autres termes, si est difficile c’est... Je reprends mon exemple des Straub. J’ai l’extraction d’un acte de parole pur à partir de l’environnement sonore : on va voir ce que c’est. Et c’est pas rien extraire un acte de parole pur. En effet, à partir de l’environnement sonore, c’est pas l’affaire du théâtre ! Qu’on nous dise pas que c’est du cinéma-théâtre, ça n’a rien à voir ! C’est quelque chose..., c’est..., c’est une proposition très spéciale : comment je vais extraire ? Qu’est-ce que ça veut dire ? On a vu, c’est un acte de fabulation : c’est l’acte créateur de l’événement. Extraire de l’environnement sonore un acte de parole pur, c’est-à-dire, un acte de fabulation.

Et de l’autre coté j’ai quoi ? J’ai des espaces vides, déserts, silencieux, muets. Espaces stratigraphiques, vides. Je dis, il y a « héautonomie » des deux images. Et j’ajoute : mais l’« héautonomie » ne désigne pas une absence de rapport. Ça désigne un rapport d’un nouveau type spécial qui ne pouvait pas exister..., qui ne pouvait pas exister dans le cinéma [rires], dans le cinéma d’avant-guerre. Et pourtant il exista ! Oui ! [Rires] C’est ce foutu paradoxe d’Ozu. Il exista... Ozu, il a réussi tous les coups, sauf un : le premier stade du parlant. [Rires] Il a court-circuité, Ozu, il a fait le pervers. Ozu, dès le cinéma muet -à un moment où c’était vraiment...- il a lancé l’élément visuel fondamental du cinéma moderne : l’espace vide, désorienté. Et bien plus : révélant -sous forme de nature morte- révélant comme une espèce d’assise. Les natures mortes d’ Ozu c’est les images géologiques. Exactement comme les natures mortes de Cézanne. D’une certaine manière, c’est lui qui apporte l’espace vide désorienté et déjà l’image tellurique. Bon, il amène ça. Évidemment il a pas besoin du parlant, il lui faut même, du « pas-parlant » ! Si bien que jusqu’en 1936 il fait du muet. Il laisse passer le parlant. Et quand en ’36 il fait du parlant (prodigieux), il introduit, du coup, le second stade du parlant : c’est-à-dire, l’acte de parole qui crée son propre événement, qui crée l’événement. Et qui entre dans un rapport complexe avec l’espace vide tellurique. Généralement, d’ailleurs, acte de parole insignifiant ; et qui est, généralement, aussi la plus belle fabulation sur le mariage et la mort.

1 Mallarmé (Stéphane), « Tombeau » dans Poésies, Gallimard, 1961, p.133.

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