THEMES COURS
 ANTI-OEDIPE ET AUTRES RÉFLEXIONS - MAI/JUIN 1980 - DERNIERS COURS À VINCENNES (4 HEURES)
 SPINOZA - DÉC.1980/MARS.1981 - COURS 1 À 13 - (30 HEURES)
 LA PEINTURE ET LA QUESTION DES CONCEPTS - MARS À JUIN 1981 - COURS 14 À 21 - (18 HEURES)
 CINEMA / IMAGE-MOUVEMENT - NOV.1981/JUIN 1982 - COURS 1 À 21 - (41 HEURES)
 CINEMA : UNE CLASSIFICATION DES SIGNES ET DU TEMPS NOV.1982/JUIN.1983 - COURS 22 À 44 - (56 HEURES)
 CINEMA / VÉRITÉ ET TEMPS - LA PUISSANCE DU FAUX NOV.1983/JUIN.1984 - COURS 45 À 66 - (55 HEURES)
 CINEMA / PENSÉE - OCTOBRE 1984/JUIN 1985 - COURS 67 À 89 (64 HEURES)
 - CINEMA / PENSÉE + COURS 90 À 92
 - FOUCAULT - LES FORMATIONS HISTORIQUES - OCTOBRE 1985 / DÉCEMBRE 1985 COURS 1 À 8
 - FOUCAULT - LE POUVOIR - JANVIER 1986 / JUIN 1986 - COURS 9 À 25

86- 30/04/1985 - 3

image1
31 Mo MP3
 

Gilles Deleuze - cinéma - pensée cours 86 du 30/04/1985 - 3 transcription : Rudy Pascarella

Du moins, dit-il, c’est presque réussi ; presque réussi, presque réussi, qu’est-ce que ça veut dire, presque réussi ? c’est que c’est pas tout à fait réussi. [Car] Mitry dit ce qui lui rêve de faire, et ce qu’il estime avoir réussi, ou presque tout à fait réussi, dans son essai intitulé ‘’Images pour Debussy’’. Il dit : "pour trouver un véritable mouvement commun, pour trouver dans le visuel un mouvement qui serait commun avec le sonore, finalement il faut s’adresser à la matière, c’est-à-dire à une matérialité"  ; voyez ce qu’il veut dire, il faut s’adresser ni à des scènes, ni à des éléments géométriques - figure ou mouvement, ou figure ou ligne - c’est par là qu’il [maintient les] différences avec () dites géométriques. Ne s’adresser ni à des scènes, qui sont forcement de l’illustration, ni à du géométrique, qui selon lui est forcement de l’abstrait ou du décoratif, il faut s’adresser à une matérialité capable de vibration et de reflet. Et c’est à partir de cette matérialité capable de vibration et de reflet, que l’on peut constituer un rythme visuel correspondant au rythme sonore. Qui tombe sur Debussy, comme tentative expérimentale, et en effet les Images pour Debussy, il y en a... c’est toute une série, il y en a... au moins une qui est très belle, donc en effet toujours sur la matière fluide, les vibrations de l’eau, les reflets d’eau, etc.

Voilà. Je reviens en arrière avec Eisenstein. Il est sévère pour Eisenstein, parce que ce qu’il y a de réussi, est-ce que c’est seulement le rythme des chevaux ? Qui serait un rythme visuel encore illustratif, encore figuratif, qu’est-ce que c’est déjà tout le jeu des glaces et des reflets ? c’est-à-dire, est-ce que Eisenstein lui, n’aurait pas déjà fait, et ce que Mitry réclamait - allons plus loin : il y a un texte [qui n’est pas reproduit.] il y a un texte d’Eisenstein très joli sur la Barcarole, sur la Barcarole à Venise - allez, Barcarole, vous entendez, vous écoutez Barc... vous êtes sur votre gondole, et vous écoutez Barcarole, hein.. ? - Et voilà ! Eisenstein dit exactement : "je peux toujours faire correspondre à la Barcarole, l’étreinte dans la gondole d’un couple d’amoureux vénitiens - il ajoute, cinématographiquement - c’est ce qui a fait un tel, ajoute-il méchamment - cinématographiquement c’est nul, ça veut dire, [c’est] la musique illustrative. Et il dit, mais ça devient beaucoup plus intéressant : si je supprime les amoureux, l’étreinte du couple amoureux, et si je ne retiens sur la lagune ou dans le canal de Venise que le mouvement de l’eau, le miroitement de l’eau, les jeux de mouvement et de miroir de l’eau. Je veux dire, ça me parait mot à mot la thèse de Mitry. Voyez que leur réponse est : vous pouvez atteindre une correspondance -si j’essaie de résumer la réponse - "vous pouvez atteindre une correspondance interne image visuelle/musique si vous dégagez un mouvement ou une vibration commune" - il faut qu’il y ait quelque chose de commun ; ce quelque chose de commun, ce sera la vibration : là, sous sa forme sonore, ici sous sa forme d’une vue très spéciale, je peux pas dire exactement visuelle, sous sa forme d’une "vue artiste", un jeu de mouvement et de... et qui pourtant ne sera même pas un jeu géométrique des figures.

Bien, qu’est-ce que j’y vois ? si vous vous rappelez comment nous définissions, ou une des nos définitions de l’image classique au cinéma, c’était le culte du toujours, cette commensurabilité il fallait toujours quelque chose de commensurable - -il fallait quelque chose de commensurable ; mais ça va pas ça... ! Pourquoi est-ce qu’il faut toujours un rapport commensurable entre les deux mouvements ? je dirais, on retrouve le culte eisensteinien de la commensurabilité : il faut qu’il y a un mouvement commun à l’image visuelle et à la musique. C’est bizarre ça ! C’est bizarre, parce que finalement cette correspondance, ça vaut pas mieux que l’autre... Voilà ce que nous dit - pourtant ils ont en commun d’être marxistes tous les deux - Un musicien de cinéma qui a beaucoup travaillé avec Brecht, et qui s’oppose, c’est Hans Heisler. Il reprend l’exemple de la Barcarole : « supprimez les amoureux, dit-il, prenez aux scènes vénitiennes les seuls mouvements d’approche et de recul de l’eau, combinés avec les élans et les retraits de la lumière qui se reflête à la surface des canaux, et aussitôt vous vous éloignez d’au moins un degré de la série des illustrations à [ ça c’était le texte d’Eisenstein - eh, je confonds ! - voyez, Eisenstein [Heisler] dit : si vous faites ça, vous vous éloignez au moins d’un degré, et vous êtes plus prés de trouver un écho au mouvement profond bien compris du Barcarole.

Commentaire de Heisler : "un tel procédé ne conduit pas à la suppression de ce mauvais principe qu’est la liaison de l’image et de la musique obtenue au moyen d’une simple association ; ce ne serait que la transposition du même principe à un niveau plus abstrait, où sa grossièreté et son caractère tautologique sont moins manifestes. Réduire le jeu des vagues perçu par l’œil au seul mouvement de l’eau avec le jeu de la lumière à sa surface, mouvement qui doit être raccordé au clapotis d’ailleurs tout à fait discret de la musique ([comme une] Barcarole [...]) conduit en réalité à ces équivalences absolues - ce que j’appelle les commensurabilités - ces équivalences absolues que Eisenstein rejetait, ou aurait du rejeter. Alors, qu’est-ce que je veux dire, là - je vais trop vite, et en même temps ça se mélange tout ça... Je veux dire... finalement on a du chercher toutes les exemples de correspondance entre [coupure]

autre, décorative ou géométrique. Et puis, il y a des correspondances qui se réclament d’une intériorité, des correspondances internes, du type : "la Barcarole" et le miroir des eaux, ou du type : "Images pour Debussy" de Mitry. Eh bien, la correspondance interne, elle ne vaut pas mieux, elle ne vaut pas mieux que l’autre ; c’est même la même chose, strictement la même chose... Et pourquoi ? qu’est-ce qui ne va pas ? Qu’est-ce que c’est le postulat dans tout ça ? Il me semble que le postulat c’est que l’image visuelle - on est exactement dans ce que je veux dire, le postulat [...] c’est que l’on fait comme si l’image visuelle et la musique devaient former un Tout, qu’elles exprimeraient de deux manières, de deux manières "correspondantes" - c’est-à-dire ces deux manières ayant dès lors une commune mesure, fameuse commune mesure du Tout et de la partie chez Eisenstein. On se retrouve devant une situation inextricable - pourquoi ?

Je dis, l’image visuelle déjà par elle-même exprime un Tout qui change - on vient de le voir. Si elle forme un Tout avec la musique, c’est un second Tout ? Dans quel rapport sont les deux Tout ? C’est le même, c’est pas le même ?
-  En d’autres termes, ce que la musique dans le cinéma - au premier stade où nous en sommes, au premier stade du parlant - ce que la musique au cinéma devait nous faire découvrir, c’était pas du tout deux expressions commensurables d’un même Tout ; c’était l’idée fondamentale que le Tout pouvait être exprimé et devait être exprimé de deux manières incommensurables et non correspondantes ; ce qui comptait c’était la non-correspondance du visuel avec la musique ; c’était l’idée que l’image visuelle exprimait un Tout, et que ce Tout était susceptible d’une double référence ; il allait être représenté indirectement par l’image visuelle - et je lâche tout quite à.. Il allait être présenté directement par la musique, sans qu’il y ait commensurabilité entre une image visuelle et la musique, sans qu’il y ait la moindre correspondance entre l’image visuelle et la musique.

En d’autres termes, le Tout allait être simultanément l’objet d’une représentation indirecte par l’image visuelle, thème que j’ai développé toutes les autres années - mais voilà que la musique allait y ajouter une présentation directe... ! Présentation directe qui serait sans correspondance et sans commensurabilité avec l’image visuelle. [Oh, qu’est-ce que je veux dire, qui il faut avoir [...] quand je dis ça...] vous avez vu bien cette conception de la musique, et que en effet n’est pas hégélienne ou eisensteinenne, qu’elle est en revanche la conception même que Schopenhauer avait [...] de la musique dans la première partie du moins de son - non... je recommence : c’était la conception que Nietzsche se fit de la musique dans la première partie de son œuvre. Ensuite, ne cessant d’aller de plus loin au plus loin, il se fera de la musique une toute autre conception, mais comme pour le moment on est au premier stade du parlant. Donc, j’en suis à ceci : qu’est-ce que c’est alors que cette nouvelle conception qui consiste à dire : MAIS NON IL N’Y A AUCUN LIEU DE CHERCHER UNE CORRESPONDANCE INTERNE OU EXTERNE ! LA CORRESPONDANCE INTERNE NE VAUT PAS MIEUX QUE L’EXTERNE ! TOUT CA C’EST PAS BIEN DU TOUT, C’EST PAS BON ! CE QU’IL FAUT C’EST AU CONTRAIRE QUE LA MUSIQUE FOURNISSE UNE CORRESPONDAN... no, merde, il faut que la musique fournisse une présentation directe du Tout, lequel Tout reçoit de l’image visuelle une représentation indirecte, et entre la présentation indirecte et la présentation directe, il y a peut être des rapports, mais absolument pas des rapports de correspondance, il y a au contraire des rapports d’incommensurabilité radicale, et c’est ça qui est intéressant, et c’est ça qui sans doute va préparé le cinéma de l’avenir sans du tout encore l’effectuer.

Je vois chez certains musiciens du cinéma, une phrase qui [...] Pierre Jansen, il dit : « la musique dans un film doit être comme un corps étranger dans l’œil » ; elle doit fonctionner comme un corps étranger dans l’œil ; ça m’intéresse rudement parce qu’il faut le prendre à la lettre - c’est une poussière dans l’œil, ça veut dire que elle n’a rien en commun avec l’image visuelle - rien en commun, elle vient d’un autre monde - quel autre monde ? Ça veut pas dire qu’elle n’ait pas de rapports avec le film, mais ce n’est pas au niveau d’une correspondance avec les images visuelles. "Elle doit accomplir quelque chose qui est dans le film sans y être montré ni même suggéré", dit le même Jansen - Bon, on reste là parce que pour le moment on peut comprendre, mais on comprendra tout [ça devra devenir une idée] si je vous dis quelque mot de ce premier Nietzsche.

Alors, on a juste le temps... [...] Alors, sur cette histoire [...] de correspondance et la solution Eisenstein/Mitry, si je la cite correctement, qui serait donc une correspondance [empruntée] à la matière, la matière étant présupposée comme support des mouvements [...] est-ce que tu a quelque chose à...

ETUD : moi, j’ai vu un truc de [...] [inaudible ] [...]

[mais non... c’est pas la... c’est pas Duke Ellington... c’est le vampire.. ; c’est sur le vampire, l a musique de jazz... c’est formidable, oui oui... et il y a aussi un autre... c’est quoi ?... vous pardonnez mon anglais, eh... c’est « black and [...] » ? oui, qui se traduit en français, [...], je ne sais plus ce qu’est-ce que c’est.. ça va complètement dans un autre sens... non, étirer la matière, c’est ça qui [...] c’est la différence entre la délimitation géométrique, je crois, et l’extraction de la matière. pour eux il y a sûrement une différence de nature, c’est pour ça que [...] on n’est pas du côté McLaren, on n’est pas du côté d’un tracé sur pellicule de lignes, on n’est pas de ce côté là [...] décoratif, mais ils ont peut-être raison de marquer la différence, ils ont besoin de travailler la matière [...]

d’accord, mais le danger ce sera que ça ait toujours l’air d’imiter le mouvement des personnages, ils ne dégageront pas du danger illustratif.

D’accord, mais à mon avis, ça ils ne peuvent le découvrir, que lorsqu’ils ont conjuré le danger de [...] illustrative, or ils pouvaient pas tellement [...]

non, non, pas du tout... oui oui. tu as quelque chose à ajouter ?

oui, mais j’ai vraiment presque envie de te garder, de te mettre dans une espèce de frigidaire, parce que ce que tu dis c’est complètement - en effet [...] avait quelqu’un de très très important pour les rapports de image/son, et si je ne me trompe c’est la première. alors, ce que tu m’a dit là [...] bien sûr, mais ça c’est une partie très très mauvaise [du livre] de Mitry, [...] mais tous les rapports image sonore/image visuelle, là... à mon avis, pardon de te dire ça, ça peut pas entrer - c’est un autre chemin à toi, mais ça ne peut pas entrer dans le mien, puisque j’en suis au premier état du parlant, au moment où ils peuvent pas [...] parce que à mon avis [...] on en parlera [...] même une technique [...] pour assurer [...] de l’image sonore. lui, il fait pleinement partie de l’image moderne

Alors, ce que je voudrais dire, très vite peut être que vous n’en pouvez plus ! si je vous raconte cette petite histoire, en demandant pardon à ceux qui ont lu ce livre « La Naissance de la Tragédie » de Nietzsche ; donc, ne le prenez surtout pas pour un livre exprimant la pensée de Nietzsche, parce que immédiatement après la Naissance de la Tragédie, il rompra avec sa première philosophie. La "Naissance de la Tragédie" est un livre où Nietzsche est à la fois, et se réclame - c’est pas qu’il apporte pas du nouveau - mais il se réclame de Schopenhauer et de Wagner, et après la Naissance de la Tragédie il fait sa grande rupture avec Schopenhauer et avec Wagner, si bien que la "Naissance de la Tragédie" ne peut être considérée que comme le premier état de la pensée de Nietzsche et pas du tout l’expression de la pensée de Nietzsche, y compris et surtout sur la musique. Ceci dit, je m’en tiens là, et c’est normal : premier stade du parlant, premier Nietzsche ! [rires]

Cela dit, voilà en gros ce qu’il nous dit, et vous allez voir à quel point ça peut nous servir. Il lance sa grande distinction Apollon/Dionysos - tout le monde connaît un peu ça - et comment est-ce qu’il les définit, très vite je dis : Apollon c’est - je résume, évidemment j’en ai tiré que ce qui m’intéresserait - c’est l’image... bien plus, l’image de l’image ; c’est l’apparence de l’apparence, c’est-à-dire le Beau. Et qu’est-ce que ça veut dire, le Beau, l’apparence de l’apparence ? ça veut dire : l’apparence soumise au mouvement comme mouvement réglé ! ça y est, eh... ça je vous jure - l’apparence soumise au mouvement comme mouvement réglé ! Apollon est le dieu de la mesure, c’est-à-dire de la règle du mouvement. L’image apollinienne c’est l’image visuelle - que dire de mieux ? l’image apollinienne c’est l’image visuelle - c’est l’image-mouvement EN TANT QUE RÉGLÉE. Dès lors, c’est l’apparence de l’apparence ; et alors que nous sommes malheureux dans les apparences, nous sommes soumis au mouvement qui nous entraîne - dans l’apparence de l’apparence nous nous donnons, au contraire, le spectacle du mouvement, et nous connaissons la rédemption, la rédemption par l’apparence de l’apparence, la rédemption par Apollon.

Donc, si je résume en disant : bien, voilà, si Nietzsche avait connu le cinéma, il nous aurait dit exactement : Apollon c’est l’image-mouvement en tant que réglée, c’est-à-dire en tant qu’elle représente indirectement le Tout, et là [ça ne vous étonnera pas, il pouvait pas dire autre chose ; pourquoi j’ajoute : l’image visuelle qui procède pas mouvement réglé, l’image-mouvement en tant qu’elle représente indirectement le Tout ? Mais c’est précisément parce que l’apparence c’est - l’apparence de l’apparence, c’est la présentation indirecte du Tout. Le Tout c’est quoi ? Nietzsche préfère employer un autre mot, c’est l’Un, l’Être intime, dit-il encore, le Noyau, ou il lâche le mot de Schopenhauer, qu’il abandonnera : "le Vouloir - le Vouloir Un".

-  L’image-mouvement, elle est présentation indirecte de ce sans-fond du Vouloir sans fond - de ce vouloir sans fond, représentation indirecte du Tout par la mesure - et on l’a vu, dans l’image classique de cinéma, le temps est second par rapport au mouvement, il dérive du mouvement par la mesure, ( en termes de cinéma, par le montage) ; donc on retrouve mot à mot : image visuelle, apollinien, image-mouvement, règle du mouvement, représentation indirecte du temps ou du Tout, c’est-à-dire du vouloir sans fond.

Et le terrible Dionysos ? Le terrible Dionysos, il gronde sous Apollon. Et lui, qu’est-ce qu’il est ? Lui, il est l’unité avec le Tout ; il rompt la mesure, il est la démesure, il est le temps dans sa fondation même, il est Chronos sous Zeus, il est les Titans - Dionysos, il est la présentation du Tout, ou la présentation directe du Vouloir qui ne passe plus par le mouvement ; en d’autres termes, qui ne passe plus par l’image visuelle. Et alors, par quoi qu’il passe ? Pas besoin de continuer. il passe par la musique ; il s’exprime directement dans la musique. Quelle musique ? Alors, une fois il y avait la musique apollinienne, oui - la musique de la mesure ; mais la musique de la mesure, c’est une musique mise au service, par Apollon, de l’image visuelle. La musique dans son essence en tant que musique est la présentation directe du Tout qui s’affranchit de toute mesure - voyez comment le Wagner pointe déjà ; affranchir la musique de la mesure, pour y substituer quoi ? L’éternelle naissance et destruction, c’est-à-dire la mélodie continue, l’expression pure du Vouloir - n’oubliez pas que Wagner était Schopenhauerien, et resta toute sa vie Schopenhauerien - il y a un lien là Schopenhauer-Wagner-Nietzsche qui est très profond. Bon... le schéma que je donne de ce... il nous aurait fallu une heure, on y reviendra peut-être un tout petit peu là-dessus d’après vos questions sur... [regardez] le schéma de Nietzsche - je parle même pas de Schopenhauer [...]. s’il y a un principe des principes plus loin que toute [fond] des choses, c’est le Vouloir - peu importe pourquoi - c’est le Vouloir Un, le Vouloir Tout, l’Un-Tout des Grecs, ce que les Grecs appellent l’Un-Tout, c’est le Vouloir. Alors, première grande proposition : Pourquoi ? laissez vous aller ! deuxième proposition : ce Vouloir sans fond a une présentation directe, qui est Dionysos musicien - c’est la démesure, c’est l’éternel devenir - c’est la résorption des apparences - les apparences englouties dans le grand Dionysos. Troisièmement : le gentil Apollon - pas tellement d’ailleurs - lui, c’est la présentation indirecte du Tout, c’est-à-dire du Vouloir - faut pas croire qu’il n ’ait pas de rapport avec le Vouloir, c’est la représentation indirecte du Vouloir par le mouvement réglé de l’apparence, c’est-à-dire par le dédoublement de l’apparence, dès lors, il opère la rédemption de l’apparence. Pour ceux qui connaissent un peu Wagner, si vous voyez pas mot à mot Parsifal là-dedans, vous êtes des... [ méchants] ; pour ceux qui ne connaissent pas Parsifal [...] il y a le problème de la rédemption, etc, c’est le grand thème où Wagner mourant retrouve Schopenhauer. Bon... ou j’en était... - Bon, voyez cet Apollon là, rédemption de l’apparence, représentation indirecte du temps sans fond, du Vouloir Un... Si bien que je peux dire, et c’est ça qui m’importe : le Vouloir, ou le Tout, l’Un-Tout sans fond, est simultanément le double objet, l’objet d’une représentation indirecte dans l’ image visuelle à mouvement réglé, et l’objet d’une présentation directe dans la musique. Il n’y a aucune commensurabilité entre l’image visuelle apollinienne et la musique dionysiaque - aucune. Il y a au contraire une incommensurabilité, mais qui chaque fois va être créatrice, sous quelle forme ? À savoir la supériorité des Grecs sur les barbares là Nietzsche s’en donne à coeur joie car la supériorité des Grecs sur les barbares, dit-il, n’est pas ce qu’on croit, c’est pas que les Grecques étaient moins barbares que les barbares - en un sens il le furent plus ; c’est que les barbares n’avaient pas l’idée d’introduire Dionysos dans l’art - le Dionysos babylonien ne s’introduit pas dans l’art, il reste dans le domaine de la religion, du fond le plus sacré, il ne devenait pas artiste. Les Grecs convoquent Dionysos à l’existence artiste - c’est terrible, parce que en même temps c’est... c’est la catastrophe - les Grecs sont une catastrophe - justement parce qu’ils l’introduisent et le convoquent sur la scène artiste ; que va se faire la chose la plus étonnante, comme derrière un rideau de feu. Il ne va pas y avoir une commensurabilité, mais des images apolliniennes vont comme des éclairs surgir du noyau dionysiaque - ça c’est [une page] merveilleuse de Nietzsche, parce que il la développe... c’est de la très très grande poésie, de la très très grande philosophie - parce qu’ils ont su donner a Dionysos, c’est-à-dire à la musique, une existence artiste. Voilà que comme, sans qu’on puisse le voir, le voir [...] - sans qu’on puisse le voir. Les traits de feu de Dionysos vont prendre l’allure d’images apolliniennes, et ce sera quoi ? Ce sera le mystère de ce qui s’est produit une fois en Grèce, à savoir : le mystère de la tragédie. Car, dans la tragédie, qu’est-ce qui se passe ? - je résume [...], tout ça c’est uniquement pour vous donner l’envie d’aller voir - qu’est-ce qui se passe dans la tragédie - et puis, pour nous éviter des contresens grotesques sur [l’absurde] opposition, une opposition trop facile entre Dionysos et Apollon - car, qu’est-ce qui se passe dans la tragédie ? Comme l’a bien vu Schiller, dit Nietzsche, la vraie origine de la tragédie c’est le chœur - le chœur n’est pas le représentant des spectateurs, comme le croient les chrétiens de l’époque [rires], le chœur c’est le chœur actif de la tragédie, à savoir : ce sont les émanations de Dionysos, et le chœur est musical, il n’est pas spectatorial.

Et c’est la musique et le chant du chœur qui va susciter un ensemble d’images apolliniennes, qui va constituer quoi ? Ce qu’on appelle dans la tragédie, le drame. La tragédie est l’union de la musique et du drame, qui ne se produit qu’une fois chez les Grecs, et une seconde fois chez les Allemands avec Wagner, d’où : la Naissance de la Tragédie, [...] sur une longue comparaison entre Wagner et l’opéra wagnérienne et la tragédie grecque, admirable comparaison. Jusqu’à ce que Nietzsche, ayant terminé son livre s’aperçoit que Wagner n’avait rien à voir avec les Grecs, [rires] et le lui fait savoir très très durement, mais c’est le cas où jamais de dire que il a pu changer complètement [d’avis] la beauté du livre, et - je dis bien : la vérité absolue du livre ; la Naissance de la Tragédie reste intacte.

Ensuite Nietzsche dira autre chose, et dénoncera ce livre [...] donc je voudrais que vous réfléchisserez là-dessus - voyez, c’est seulement [...] les Grecs, et puis c’est les Allemands qui ont réussi ça, et c’est un [...], Wagner en été très très [...], il voulait refaire l’art total, qui [avait été] une fois dans l’histoire de l’art : la tragédie grecque. Mais, voyez ce que je retiens pour moi, ça me donne une fantastique confirmation, qui consiste à dire : eh mais oui, il faut distinguer deux niveaux, la représentation indirecte du Tout dans l’image visuelle, et la présentation directe du Tout dans la musique ; et les deux ne sont pas absolument commensurables , [et en plus elles] ne sortent pas du même monde. Alors, quel va être leur rapport ? On le verra.

-  - On va vite, aujourd’hui on a fait beaucoup !

 67- 30/10/84 - 1


 67- 30/10/84 - 2


 67- 30/10/1984 - 3


 67- 30/10/1984 - 4


 67- 30/10/1984 - 5


 68- 06/11/1984 - 1


 68- 06/11/1984 - 2


 68- 06/11/1984 - 3


 69-13/11/1984 - 1


 69- 13/11/1984 - 2


 69- 13/11/1984 - 3


 70- 20/11/1984 - 1


 70- 20/11/1984 - 2


 70- 20/11/1984 - 3


 71- 27/11/1984 - 1


 71- 27/11/1984 - 2


 72-11/12/1984 - 1


 72- 11/12/1984 - 2


 72- 11/12/1984 - 3


 73-18/12/1984 - 1


 73- 18/12/1984 - 2


 73- 18/12/1984 - 3


 74-08/01/1985 - 1


 74- 08/01/1985 - 2


 74- 08/01/1985 - 3


 75-15/01/1985 - 1


 75- 15/01/1985 - 2


 75- 15/01/1985 - 3


 76-22/01/1985 - 1


 76- 22/01/1985 - 2


 76- 22/01/1985 - 3


 77-29/01/1985 - 1


 77- 29/01/1985 - 2


 77- 29/01/1985 - 3


 78- 05/02/1985 - 2


 78- 05/02/1985 - 1


 78- 05/12/1985 - 3


 79-26/02/1985 - 1


 79- 26/02/1985 - 2


 79- 26/02/1985 - 3


 80-05/03/1985 - 1


 80- 05/03/1985 - 2


 81-12/03/85 -1


 - 12/03/1985 - 2


 81- 12/03/85 - 3


 82- 19/03/1985 - 1


 82- 19/03/1985 - 2


 82- 19/03/1985 - 3


 83-26/03/1985 - 1


 83- 26/03/1985 - 2


 83- 26/03/1985 - 3


 84- 16/04/1985 - 3


 84- 16/04/1985 - 2


 84- 16/04/1985 - 1


 85-23/04/1985 - 1-


 85- 23/04/1985 - 2


 85- 23/04/1985 - 3


 86- 30/04/1985 - 1


 - 30/04/1985 - 2 -


 86- 30/04/1985 - 3


 87- 07/05/1985 - 1


 87- 07/05/1985 - 2


 87- 07/05/1985 - 3


 88- 14/05/1985 - 1


 88- 14/05/1985 - 2


 88- 14/05/1985 - 3


 89- 21/05/1985 - 1


 89- 21/05/1985 - 2


 89- 21/05/1985 - 3


La voix de Gilles Deleuze en ligne
L’association Siècle Deleuzien