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- 30/04/1985 - 2 -

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Gilles Deleuze - Pensée et cinéma cours 86 du 30/04/1985 - 2 transcription : Silvia Perea 45’

Nous avions la double idée que :
-  toute image se prolongeait dans d’autres images associables - c’est le hors-champ, relatif, mais que cela ne se faisait pas sans que l’ensemble des images associées s’intériorise dans un Tout, et que le Tout s’extériorise dans les images associées.
-  La dimension d’après laquelle une image en prolonge une autre, c’est le hors-champ, parce que la dimension du hors-champ est relatif.
-  La dimension par laquelle ça ne se fait pas sans que l’ensemble des images prolongeables ou prolongées, s’intériorise dans un tout qui s’extériorise à son tour dans les images. Ça c’est la représentation indirecte du Tout, c’est le hors-champ absolu.

Du coup, avant de vous demander si ça va, si je peux continuer - parce que je m’excuse beaucoup auprès de ceux.. parce que tout ça, ça suppose - je viens de résumer ce qu’on a fait en six mois, je ne sais pas quand, il y a deux ans. Mais il faut aller vite. Avant de vous demander si ça va... Et bien... Évidemment vous voyez bien que, je ne retombe pas sur mes pieds comme ça.

-  La voix off ; elle aura nécessairement ces deux aspects. Ça ne peut pas être autrement. Précisément parce que le son, et notamment la parole, ne peuvent éviter la redondance avec le « vu » qu’en peuplant le hors-champ : il y aura deux voix off et deux types de voix off, et là je retombe sur une platitude qui a été souvent dite. Vous avez une voix off ou un son off relatif. Par exemple : vous entendez le son, vous entendez un bruit de botte, et vous ne voyez pas les bottes : c’est un son-off relatif. Vous pouvez voir les bottes, l’image suivante, elles appartiennent au même espace que celui que présente l’image vue. Ou bien ce que Renoir faisait déjà merveilleusement dans "Nana"... Dans Nana, d’après tout le monde, j’ai peur tout d’un coup... c’est un film muet, Nana ? C’est un film muet ou c’est parlant, personne ne sait ? C’est un parlant ? C’est muet ! Alors c’est pas ça ! alors mon exemple n’est pas bon. Enfin, il faisait déjà ça très très bien. Les conversations off ; la conversation que vous entendez off, avant et sans avoir vu les personnages qui parlent, c’est du hors-champ relatif.

L’autre cas, le hors-champ absolu : la manière dont l’image va exprimer le "Tout qui change", c’est-à-dire, là je reviens sur ces termes parce que moi, ils me font plaisir alors, vous vous en doutez ; c’est-à-dire « soit », le concept vivant « soit », la détermination des sons. Vous verrez (..) mais comme c’est la seule philosophie là-dedans, c’est quoi ça ? Ce sera des sons off, de cette nature, qui correspondent au hors-champ absolu. Relativisons...plutôt, plutôt, plus tôt, plutôt, etc. Les sons off relatifs ça sera « plutôt, parce qu’il y a des cas où ça ne sera pas comme ça - ça sera plutôt des bruits et des actes de parole homogènes aux actes de parole in, c’est-à-dire, ceux dont on voit la source dans l’image. Or, les actes de parole in, la dernière fois, on a vu leur statut, on a essayé de dire leur statut ; ils sont interactifs. C’est la première catégorie des actes de parole : actes de parole interactifs. On a passé longtemps à cette fonction d’interaction. C’est la différence avec le muet.


Je dirais :
-  les sons off, première manière, au sens relatif, sont plutôt des bruits et plutôt des actes de parole interactifs.

-  les sons off, seconde nature : ceux qui expriment le rapport avec l’absolu, c’est-à-dire avec la détermination spirituelle ou avec le fond de la nature. C’est par exemple, c’est plutôt, ce que l’on va voir de plus près ; c’est plutôt de la musique, ou plutôt des actes de parole (..) qui témoignent de quoi ? Qui témoignent d’un savoir absolu, d’une puissance absolue, d’une voyance absolue, ou presque absolue - il ne faut pas exagérer, tout ça est relatif - et ce seront les actes de parole - du coup, j’ai ma seconde catégorie d’actes de parole, appelons-les, pour plus de commodité, pour ne pas compliquer - actes de parole réflexifs. Ça sera la voix off de celui qui se souvient, de celui qui explique, de celui qui sait.

Michel Chion a trouvé de grands effets.. Tout ce que je en peux dire jusqu’à maintenant : en quoi mon continuum sonore se différencie nécessairement... [Coupure]


On va aller du côté du off relatif, qui va se différencier en deux jets : l’un qui va constituer le prolongement,
-  ou le off relatif, incarné plutôt par les bruits et les actes de parole off ;
-  l’autre vers l’off absolu, incarné plutôt par la musique et les actes de parole réflexifs.

Mais, mais, mais, mais, mais... comprenez ! comme on en est toujours au stade de l’image-mouvement, ça ne reste jamais immobile et c’est pour ça que Chion, d’une certaine manière, a raison de dire : d’accord, cette distinction, mais il faut aussi la relativiser. Je ne m’occupe pas des autres distinctions, il y a une richesse dans la critique cinématographique sur le thème du hors-champ et de la voix off ; il y a une telle richesse des classifications. Moi je vous propose celle qui me convient, mais je dis, je n’ignore pas qu’il y en a beaucoup d’autres.

Mais Michel Chion a raison ; c’est qu’il prend un exemple, un splendide exemple, l’analysant à merveille : « Le testament du docteur Mabuse » ; là où on voit sur le vif le déplacement de... Car, en effet, ça n’irait pas si la différentiation ne reconstituait à chaque fois le continuum. Il faut à la fois que le continuum se différentie, ne cesse de se différencier, et ne cesse de redonner du continuum. C’est ça qui serait bien, et c’est ça que le cinéma fait toujours sans qu’on s’en aperçoive, et je crois que ça fait partie de sa rythmique la plus profonde.

Dans « Le testament du docteur Mabuse » de Michel Chion, qu’est-ce qui se passe ? Premier temps : 
La voix : La terrible voix, du diabolique, la diabolique voix, du diabolique docteur, ou en tout cas du diabolique héritier du docteur, du diabolique héritier du docteur Mabuse. Et cette voix, elle est toujours présentée comme « à côté », on n’en voit jamais la source. La source est à côté, donc voix off qui culmine avec la scène célèbre où la source d’émission semble être derrière un rideau. Je dirais uniquement : la voix de Mabuse ou du pseudo-Mabuse, est une voix off relative, elle est à côté. Le héros et l’héroïne, dans mon souvenir, ont le courage, enfin, franchissent le rideau, et tombent sur quoi ? Tout un appareil, tout un appareillage radiophonique. Le diabolique docteur les a eus. Ce n’était pas sa voix, c’était la retransmission de sa voix. Sa voix n’était pas à côté, elle est ailleurs. Vous me direz : « à côté d’à côté ? ». Non. Tout le monde comprend : dans un ailleurs d’une autre nature. On saute de la voix off relative à la voix off absolue. Et puis quand le diabolique héritier du docteur Mabuse est enfin identifié, ça reviendra de la voix in. À ceci près qu’on n’en est pas sûrs et que, merveille, ce qui tient au génie de Lang, aucun de ces moments n’annule le procédé du précédent. Aucun n’en annule le précédent, c’est les trois à la fois. Oui, la voix sera identifiée ! Et ce n’était pas le docteur Mabuse, mais c’était le successeur du docteur Mabuse qui devient fou à son tour. Mais ça n’annule absolument pas la voix off absolue, à savoir que cette voix off était vouée de toute puissance. Parce qu’elle était inspirée par le premier docteur Mabuse, fou dans sa cellule ? Peut-être. Parce que c’était le docteur Mabuse, qui apparaît comme un ectoplasme dans l’image, qui inspirait, mais c’était une voix d’ailleurs. Mais ça, ça ne l’annule pas. Et le fait que ce soit une voix off absolue, n’annule pas non plus, l’ingéniosité alors relative, des mécanismes, par lesquels cette voix off absolue s’incarne dans des voix off relatives par le jeu des micros et par le jeu du système de surveillance. Aucun aspect n’est mis en doute. Bien plus je dirais que chaque aspect recharge le continuum. Le continuum sonore se différencie à chaque instant, mais pour reformuler le continuum.

Et ça peut se faire comme ça aussi, même avec la musique. Je pense à un portrait très beau chez Antonioni, il est si spécial pour le problème de la musique ; il en met tellement peu ! il a des raisons, enfin plutôt son musicien, c’est Fusco. Fusco, hein ? Il y a des moments tellement... C’est pas parce qu’il y en beaucoup que ça représente mieux que tout. Une représentation du Tout ou de la détermination spirituelle. Mais il suffit parfois d’une petite ritournelle, la petite ritournelle, c’est le Tout. Qu’est-ce que je voulais dire... Chez Antonioni, je prends une scène du (..) : Il y a les deux amoureux dans le parc et il y a un air de piano. Là, la musique est typiquement dans sa fonction off absolue. Les amoureux passent devant un groupe de vieillards sur le banc, dans mon souvenir qui n’est peut-être pas exact, sur un banc, il y en a un qui regarde fixement dans une direction, et qui dit : « oh il est bon, c’est un air de piano ». Il dit « il est bon, le pianiste » Brusque saut, avant, c’est pas du off absolu, c’est du off relatif. La musique émane du pianiste à côté, qui joue à côté et qu’on ne verra pas, qui restera lui, en hors-champ. Les amoureux quittent le parc, s’éloignent, et on les voit dans mon souvenir, s’éloignent, et on les voit, comme à la grue, de haut. Ils vont dans les rues, et la musique les suit. Elle reprend son cours. Et c’est tous ces timbres de circulation qui vont faire le continuum sonore. Alors, si vous avez compris on se trouve devant un dernier problème. Il nous faut un petit repos. Il fait chaud ou ça va ? Il fait chaud ou c’est moi ? Si c’est moi, je suis malade. Si c’est dehors...


Comprenez. On se trouve devant un problème. On avance. Mais c’est triste, c’est triste la vie. À peine on avance, qu’on se trouve devant une autre difficulté, alors il vaudrait mieux rester sur place.
 Maintenant on ne se trouve plus devant le problème du rapport de l’ensemble des éléments sonores avec l’image visuelle dont ils sont une composante ; on se trouve devant, et ça s’enchaîne, un nouveau problème : quel le rapport entre l’image visuelle et la musique ? En tant que la musique ne va pas être seulement l’expression du Tout, mais va assurer la circulation de tous les éléments sonores. Et si ce n’est pas de la musique, ce sera quelque chose qui se rapproche à la musique. À savoir, les nouveaux actes de parole, qu’on vient de découvrir, qui ne sont plus des actes de parole interactifs mais des actes de parole réflexifs, et qui eux-mêmes pourront être traités musicalement - si vous pensez à la voix de Orson Welles par exemple - qui peuvent être traités sous des formes modulatoires. Alors c’est très simple : quel va être le rapport... Si vous préférez, prenons la chose au plus simple : quel est le rapport entre l’image visuelle et l’image musicale ? Non, je ne peux pas dire encore « image », pardon ;
-  quel est le rapport entre l’image visuelle et l’élément musical ? Voyez, ce n’est plus le problème du rapport de la composante sonore et de l’image visuelle, mais c’est le problème de l’image visuelle "avec" la musique dans ce premier stade du parlant. Et bien, il se trouve dans une sale situation, mais en même temps merveilleuse, merveilleuse. Et vous avez le choix.
 Bon est ce qu’on peut se donner... 11 heure et demi, avec un peu de chance, j’ai fini. Si vous consentez à ce qu’on se repose vraiment 5 minutes. Vous regardez la pendule ! On se retrouve ici dans 5 minutes sinon j’aurai pas fini !


Bon alors écoutez, on recommence tout doucement. On oublie, on commence tout de suite par cette histoire de musique

On se trouve devant un problème nécessaire parce que, du temps du muet, je vous le rappelle encore une fois, tout le monde sait que le plus souvent, pas toujours, il y avait la musique. Puisqu’il y avait la musique extérieure, il y avait un pianiste d’accompagnement, tout ce que vous voulez. Mais dans les conditions du muet, c’était très difficile pour la musique d’échapper à un rôle figuratif. À savoir : de la musique triste quand le héros est triste ; c’était une musique illustrative, ou comme on dit dans certains cas, c’était de la musique à programme. Et comme Balatz le déclare lui même, le première acte libérateur du parlant ç’a a été, d’évacuer du cinéma, la musique à programme. Donc, ouvrir pour la musique des nouvelles possibilités, puisque, encore une fois, composante spécifique de l’image visuelle ne veut pas dire qu’elle soit asservie à l’image visuelle. La musique narrative ou illustrative, ou bien - ça revient exactement au même - qui serait elle-même illustrée par une image visuelle ; permettez-moi d’appeler ça par commodité un rapport de correspondance externe.

Le problème de la musique avec le parlant devient :
-  comment introduire entre l’image visuelle et la musique un rapport qui ne soit pas de correspondance externe ? Là, c’est évidemment pas par hasard que le cinéma expérimental a été un moment déterminant. Et dans quel sens est-il allé, précisément en tant que cinéma expérimental ? Au moins dans une grande partie de ses tendances, il est allé dans la voie de l’abstraction. Jean Mitry, qui est à la fois critique - mais qui, comme cinéaste, s’est beaucoup occupé de ces questions - a fait un livre, un petit livre, "le cinéma expérimental", dont, les spécialistes, je crois, à juste titre, disent souvent beaucoup du mal, mais disent du mal pour la partie moderne ; car manifestement il est trop lié à ses propres tentatives d’avant-guerre, pour avoir bien saisi ce que les Américains, ce que les modernes, ont fait dans ce domaine cinéma-musique. Mais je crois que l’on peut garder au moins de ce livre toute sa première moitié, qui analyse les tentatives avant-guerre, qui sont de deux sortes - si j’ai le temps je le raconterai, mais sinon, la plupart d’entre vous les savent et il y en a qui le savent mieux que moi. On a pu tenter d’établir des correspondances entre figures géométriques en mouvement, figures abstraites en mouvement, en déformation, et musique. Il y a eu de grands classiques dans le genre, par l’intermédiaire de la caméra.
-  Deuxième moment très important, illustré pas seulement, mais notamment, par une partie - tout ça il faut le nuancer énormément- par une partie de l’oeuvre du grand MacLaren : c’était l’inscription non plus des figures, mais de la linéarité et de la ponctualité, et ça ne passait plus par l’intermédiaire de la caméra, mais c’était l’inscription directe sur pellicule. Cinéma sans caméra, qui a donné certains chefs-d’oeuvre. MacLaren n’a pas toujours procédé comme ça, mais qui a donné certains chefs-d’oeuvre de MacLaren.


Question : est-ce qu’on sort vraiment de la correspondance externe ? Là je vais si vite que j’en ai honte. Les pages qui me touchent dans le livre de Mitry, c’est celles-ci, où il dit : si belles que soient ces tentatives, vous pouvez toujours faire l’expérience (et il l’a fait mille fois dans ses cours à l’IDHEC, ou je ne sais plus où) : vous projetez en silence, soit les transformations de figures géométriques, soit les tracés de lignes et des jets de points. Vous faites l’épreuve d’inverser ; il dit : c’est extraordinairement décoratif : vous êtes passé de l’illustratif au décoratif ; c’est la ligne décorative. Mais en elle-même, elle peut être prise aussi bien dans un sens que dans un autre, alors que ce n’est pas vrai du mouvement musical. Vous ne pouvez pas, sauf dans des conditions prévues par le compositeur, prendre par un bout ou par un autre.


(27:58) - [Intervention incompréhensible]
C’est pas vrai, non, non, du cinéma dont parle... Alors en effet, c’est toi qui dis ça ? Oui, oui, sûrement, t’as raison... La question est bien... qu’est ce que tu mets en question ? Si ça vaut la peine, parce que c’est très intéressant ; ou bien tu mets en question le principe de l’expérience de Mitry, à savoir : faire passer les transformations au linéaire indépendamment de la musique et voir s’il y a un rythme visuel, ou bien, tu acceptes l’expérience, le principe de l’expérience, et tu dis si si, il y a rythme visuel à l’état pur même quand c’est séparé de la musique.

- Ça, ça dépend des films »].

-  
Mais tu es d’accord sur ceci qu’il y a deux problèmes - [intervention imperceptible] est-ce que l’épreuve proposée par Mitry est fondée, et, à supposer qu’elle soit fondée, quelle réponse... [intervention à peine audible]


- Donc c’est l’épreuve que tu mets en question ?


-  Mais non, [suite de l’intervention imperceptible]

-  Pour ton compte, c’est le geste même que tu mets en question...


-  [Suite d’échanges entre Gilles Deleuze et l’intervenant dont on capte certaines bribes ]

-  Si on le retourne sans musique, c’est plus du tout pareil.

-  inaudible

[Deleuze interrompt (« et ça tu laisses tomber ») l’intervenant (qui semblait traiter de la succession des plans et de leur rapport à l’image et la musique) - tu ne devais pas être là ces problèmes ont déjà été traités lors d’une leçon antérieure (« ça tu ne me ramènes pas là »), et poursuit :] 
En revanche, ce que tu dis est très important. Seulement [passage imperceptible] ce qui m’embête, c’est que tu es venu là-dessus alors que le film que je cite n’est pas abstrait ; pour établir un rapport cinématographique entre l’image visuelle et [mot imperceptible]. C’est très secondaire. Alors, tu cites un cas de suite visuelle qui selon toi développe un rythme symétrique. Là, tu me parais un peu injuste avec Mitry qui, lui, pose un autre problème : est-ce que dans ce cinéma dit abstrait, on a établi une communauté entre un rythme visuel, un rythme symétrique, et un rythme musical ?

C’est ça la question, et c’est là qu’il dit « non », mais je ne dis pas du tout qu’il ait raison, moi je souhaitais qu’il ait raison pour aller plus vite. Sa réponse est ... Non... Parce qu’on est resté à une correspondance qui au lieu d’être une correspondance figurative était une correspondance décorative. À mon avis, il n’en dit pas plus. Alors, je suis sûr que t’as raison, que notamment pour McLaren c’est [mot imperceptible].

[intervention imperceptible] Tout à fait, mais celui-là je l’ai pas vu. Toi tu l’as vu. Oui, oui, oui. C’est sûrement ça... Il y a déjà des rythmes cinétiques... Mais on va voir que ça ne va pas [mot imperceptible]. Donc je t’accorde tout... Et je t’accorde tout, mais de vrai cœur, pas comme je dis « n’en parlons plus ». Parce qu’a mon avis c’est un déplacement minuscule... Tu diras tout à l’heure si...


Car, supposons, acceptons ; il dit, et je deviens beaucoup plus imprécis grâce à Auger, je dis, vous voyez, on peut toujours discuter, et dire : vous ne trouverez pas, la correspondance image visuelle-musique du coté de l’illustration de la narration, c’est-à-dire du côté de la musique illustrée ou illustrative. Je peux dire, quels que soient les auteurs, vous ne la trouverez pas davantage dans une image visuelle purement décorative, car en effet, du point de vue de la décoration, vous n’avez aucune nécessité du même type que celle du mouvement sonore musical.


Alors, même si McLaren [passage imperceptible]. Bon. Là-dessus, il tombe sur quoi Mitry ? Il tombe sur Eisenstein. Il tombe sur ses propres tentatives. Ce que je voudrais suggérer, c’est grâce à Pascal Auger, que peut-être qu’il est tellement soucieux de sa propre originalité, ou de ce dont il a rêvé Mitry, qu’il a tendance à utiliser celles des autres, mais que les autres, peut-être... Qu’est-ce qu’il veut nous dire à partir de Eisenstein ? Il veut nous dire, finalement, la correspondance, s’il y a une correspondance image visuelle-musique, elle ne peut être qu’interne. Ni illustrative, ni décorative, car ce sont des correspondances encore externes. Elle ne peut être qu’interne. Qu’est-ce que ça veut dire, une correspondance interne ? Ce serait - c’est très important tout ça parce que ça renvoie à des choses, chaque mot devient important -
-  ce serait un mouvement, ou mieux, une vibration, comme élément infinitésimal de mouvement. Un mouvement ou une vibration qui serait commune au mouvement visuel et au mouvement musical.

Question immédiate : dans quelles conditions peut-on trouver un tel mouvement ou une vibration commune à l’image visuelle et à la musique ? - ça il le prend, peut-être pas seulement, mais il le prend à Eisenstein. Et c’est pour ça que je vous disais tout à l’heure que dans le manifeste des trois, des trois soviétiques, il semble bien vrai de dire que c’est Poudovkine qui s’est tellement intéressé à l’histoire du hors-champ, parce que ce qui intéresse vraiment Eisenstein, c’est ce problème-là, et pas l’histoire du son hors-champ. Ce qui intéresse vraiment Eisenstein c’est : est-il possible d’obtenir des rythmes visuels, qui aient un mouvement ou une vibration commune avec des rythmes musicaux. Et sa grand tentative ça va être avec Prokofiev, non avec Alexandre Vassilievitch. Et il prend deux exemples, Eisenstein :
-  la fameuse attente avant l’attaque, l’attente de Nevski et de ses troupes avant l’attaque. Et l’autre exemple :
-  la bataille des glaces, le galop des chevaliers teutoniques sur la glace. Il faut dire que c’est bizarre chez Eisenstein, vous le trouverez dans [inaudible] films dans la forme et dans le sens, je ne sais plus quoi, [in], vous le trouverez facilement. Le premier cas qu’il donne, c’est un cas où l’image cinématographique est immobile. L’attente. L’attente avant l’attaque. Elle est immobile. Et voilà ce qu’il dit - donc il cherche la difficulté, il prend le cas d’une image immobile et il va dire - : « je flanque à gauche ! (c’est un texte qui est extraordinaire, parce que là, du point de vue même de l’érudition, je crois que nous tenons quelque chose). « Je flanque à gauche une masse dominante qui fait fonction d’accord dominant. Et de cet accord, on va monté une ligne ascendante, comme une gamme ascendante ». Bon, je ne développe pas, il analyse ça très très longuement, et il dit : c’est une certaine manière de faire lire l’image. Et vous verrez le texte, c’est un texte qui m’apparaît incroyable, je ne crois pas qu’il ait été relevé, ce texte.

Je vais vous dire l’importance que je lui donne : c’est bien après et à propos du cinéma moderne, qu’un critique dont j’ai déjà parlé, qui s’appelle Noël Burch réinventera la notion d’image" lisible ou lue", mais à propos d’Ozu. Et en lui donnant assurément un tout autre sens. Il lui donnant un sens tout à fait nouveau. Et ce qui m’intéresse, c’est que l’idée d’image lue ou lisible, à ma connaissance, ait été introduite par Eisenstein dans ce problème du rapport image visuelle-musique. Il va jusqu’à parler d’une lecture plastique de l’image visuelle. Ce qui signifie alors que l’image est immobile, d’accord, mais l’oeil la parcourt ; la musique d’une part, non seulement la musique, mais la distribution : la distribution des éléments de l’image visuelle immobile, va forcer l’oeil à la parcourir en un certain sens, comme par hasard, de gauche à droite. Là il est très embêté. Il dit pourquoi j’ai choisi de gauche à droite, parce que c’est le sens de la lecture. Il aurait pu faire autrement mais ça aurait été plus compliqué, et j’aurais moins vu que c’était une idée d’une lecture plastique. Il rend l’image lisible, et lisible en quel sens ? voyez en quel sens très curieux, à savoir, il en fait comme l’équivalent, vraiment à la lettre, comme l’équivalent d’une partition en correspondance interne avec le mouvement musical. Car lire une partition, ce n’est pas la même chose que lire un livre. Il n’y a pas longtemps que la revue ( ?) avait fait un mémoire intéressant sur le rôle de la lecture dans la musique et ce que signifiait lire une partition, et qu’un article de Boulez précisait en quoi la lecture d’une partition pouvait être non pas assimilée, mais confrontée avec le mouvement propre de la musique même, et ce que c’était qu’une partition moderne par exemple. Mais c’est très curieux qu’il prenne ce premier exemple d’une image immobile, et c’est là qu’il prétend découvrir une correspondance interne entre la distribution des masses, la masse de gauche, située à gauche, faisant office d’accord, suivie d’une gamme ascendante, et la musique de Prokofiev plaquant un accord suivi d’une gamme ascendante.

C’est très très curieux. Là-dessus Mitry râle. Mitry râle très fort : il dit « Non ! Ça, c’est pas possible ! C’est pas possible. » Mitry a une très forte réaction contre cette notion d’image lue, et, à mon avis, il a une très forte réaction parce que là Eisenstein est très en avance, et que l’idée d’une image lue où lisible, elle ne peut être reprise que dans un autre contexte plus tard. Mais peu importe. Aussi il dit : « mais c’est complètement raté ! » C’est complètement raté son histoire visuel-musique, dans cette première scène. En revanche, dit-il, c’est réussi dans la seconde scène, parce que là l’image visuelle est elle-même en mouvement : l’attaque des chevaliers teutoniques sur la glace. Mais il devient très discret en quoi c’est réussi. Il devient très discret. C’est réussi parce que c’est bien le même rythme, le rythme de la musique et le rythme cette fois-ci des chevaliers dont le galop, dont les chevaux vont de plus en plus, assurent de plus en plus - je ne sais pas quoi, un galop ou un trot. Là, il y voit une correspondance interne, c’est-à-dire, un même mouvement - vous voyez l’idée de Mitry, elle est simple - il faut qu’il y ait du mouvement dans les deux cas. Donc dans le cas des chevaliers teutoniques, il y a une correspondance interne entre le mouvement du galop sur le glace et le mouvement de la musique. 
Je continue...

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La voix de Gilles Deleuze en ligne
L’association Siècle Deleuzien