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70- 20/11/1984 - 2

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Gilles Deleuze - cinéma pensée cours 70 du 20/11/1984 - 2 transcription : Eriola Alcani

... Splendide, d’accord, il devient poète. Le Tout, c’est pas seulement le repos transmissible et simple du concept. C’est aussi l’ivresse bachique qui pénètre toutes les parties. C’est le délire, c’est l’ivresse bachique, le double, la double figure, le repos translucide et simple et l’ivresse bachique. Ah oui,c’est... Alors, pour ceux qui - là je fais des raccords avec l’année dernière - je dis, cette image classique de la pensée, elle repose en effet fondamentalement sur une idée du Tout et du Tout comme ouvert. Voyez que l’ouverture du Tout, c’est quoi là ?

# L’ouverture du Tout, c’est la permanence du mouvement par lequel le concept, n’intériorise pas les images sans s’extérioriser dans les images. Le cercle fermé, mais à l’infini, c’est un cercle infini, et le dedans c’est cette unité dialectique : de l’intérieur et de l’extérieur. C’est cette unité dialectique de l’intériorisation et de l’extériorisation ; c’est ça qui va définir la conscience de soi, c’est-à-dire le sens intérieur du concept.

# La conscience de soi, c’est pas la conscience que j’ai de moi-même, c’est le sens intérieur du concept. A savoir, le concept comme Tout, qui n’intériorise pas les images, les images du monde sans s’extérioriser dans les images du monde : Signé Hegel.

C’est cette pensée, voyez si... il y aurait tant de choses à dire de plus- mais c’est ce point de repère que je choisis pour essayer de faire comprendre ce renversement. C’est des penseurs comme Blanchot, comme Foucault, qui nous disent que la pensée vient du dehors. En d’autres termes, la pensée sera définie comme puissance du dehors, force du dehors.

Et Foucault lâche cette formule - comme répondant et qu’il présente comme répondant à la fois à sa propre pensée et à celle de Blanchot, quand le dehors se creuse et attire l’intériorité. Quand le dehors se creuse et attire l’intériorité, il dit : "C’est ça la pensée, ou du moins c’est ça "notre" pensée". Notre pensée c’est quand le dehors se creuse et attire l’intériorité.

Qu’est-ce qui se passe ? On risque d’y passer dans ce dehors, hein, c’est terrible - vous, comprenez là, ça va, il n’y a pas de problème ? ... Comment ? Je dis : j’essaie de numéroter, c’est le premier caractère... Dans cette troisième mutation que j’essaie de définir, c’est le premier caractère : La pensée du dehors, la pensée définie comme force du dehors. Quelque chose qui fait la pensée comme faisant irruption. Tout ça, c’est des thèmes qu’on connaît, je sais pas si vous avez cette... mais, à force de les connaître, à force d’y être déjà comme pré-familiarisé, encore une fois...euh... on risque de ne plus leur donner de statut rigoureux et à ce moment-là, ça devient des rengaines, ça devient une rengaine moderne, quoi.

Car, déjà la première chose qu’il faut, sur laquelle il faut s’intéresser, c’est que ce dehors ce n’est évidemment pas l’extériorité ; car si c’était l’extériorité, ben, on serait ramenés. En d’autres termes, ce dehors n’a rien à voir avec l’extériorité du monde. Heureusement pour nous, bien plus, pourquoi ?

# Presque par définition, au point où l’on en est, là on peut être sûr de nous. On peut être sûr de nous, puisque nous avons vu que, toute cette mutation de la pensée reposait sur, et incluait perpétuellement à tous ces stades la rupture du schéma sensori-moteur ; à savoir la perte de rapport avec le monde... Je ne reviens pas là-dessus, c’est bien parce que, nous avons perdu le lien avec le monde, que la mutation s’est faite une première fois : « donnez-moi des raisons de croire à ce monde », une seconde fois sous la forme « donnez-moi un corps ». Troisième fois : « Que le dehors se creuse et attire l’intériorité ».

# Donc ce dehors, c’est pas du tout le monde extérieur, c’est pas du tout l’extériorité du monde. Au contraire, nous avons tout lieu de penser que, ce dehors sera capable, peut-être, de nous redonner un lien avec le monde extérieur. Mais ce dehors, ne peut surgir, que sur fond d’une rupture avec le monde extérieur... Ce dehors ne peut surgir, il ne peut nous saisir puisqu’il s’agit d’être saisi par le dehors, et il ne peut nous saisir que, dans la mesure où nous avons perdu le rapport avec le monde extérieur.

# Alors voilà que, à mesure où nous avons perdu le rapport avec le monde extérieur, un dehors nous serait révélé capable de nous saisir. Et ce dehors, qui nous serait révélé, capable de nous saisir, ce serait cela « penser ». Je ne prétends pas expliquer là aujourd’hui, hein, je prétends numéroter. Numéroter les thèmes de Blanchot, numéroter les thèmes de Foucault.Et en effet, si on essaie alors, d’une manière toute de pressentiment, de mettre quelque chose là-dessous, ce dehors qui nous saisi - à quel prix ? - A ce prix que nous ayons rompu avec le monde extérieur.

# Là, je reviens là-dessus, parce que comprenez ça va être notre future cohérence - si ça s’arrange bien, mais peut-être ça ne s’arrangera pas bien du tout, si ça s’arrange bien, j’insiste sur la nécessité de ne pas confondre le dehors avec le monde extérieur puisque encore une fois, c’est peut-être de ce dehors, bien plus au dehors que le monde extérieur, n’est un dehors - par rapport à ce dehors le monde extérieur n’est pas un dehors. C’est donc, de ce dehors plus en dehors que le monde extérieur, que peut nous venir, une raison de renouer avec le monde extérieur.

# Et je dis : Si on essaie de mettre quelque chose là-dessous - je remarque juste, là je fais des espèces de filiations, d’auteurs qui ont eu des échos les uns sur les autres - que Blanchot a été très frappé par un psychiatre philosophe allemand, qui s’appelle Karl Jaspers. Je dis psychiatre philosophe, puisqu’il commence à apparaître psychiatre, et devint un philosophe d’une grande importance. Et chez Jaspers, apparaissait une étrange conception, pas de la schizophrénie, mais de certains cas de schizophrènes. Conception que vous trouverez dans un livre splendide, qui s’appelle : Strindberg et Van Gogh .

# Et comme par hasard, ou pas par hasard, vous trouverez une préface, très belle, à ce livre, préface de Blanchot. Et Blanchot s’intéresse énormément à une notion, que Jaspers en tant que psychiatre, avait essayé de dégager : la notion de « processus ». Il disait, voilà, il y a des schizophrénies, où on a bien l’impression que, les schémas classiques ne conviennent pas. Les schémas classiques, c’était quoi ? C’était, soit des schémas de réaction, soit des schémas de développement. A savoir, la folie comme réaction à quelque chose, d’extérieur - même si c’est de l’organique - ou la folie comme développement d’une personne, développement d’un dedans... Et, Jaspers se dit : "Il y a bien des cas, où l’on a le sentiment que ça n’est ni l’un, ni l’autre". On dirait que le malade a été saisi par un processus - voyez, la notion de processus, il la distinguait de la réaction à l’extérieur comme du développement de l’intérieur. Un processus... Un processus qui bouleverse sa personnalité... C’est comme si le sujet avait une révélation qui va le briser .........

# Bon, ce que je dis est très vague mais tant mieux, tant mieux... Une révélation qui va le briser, ça veut dire quoi ? Là-dessus sans doute, est-ce que, Jaspers essayait d’éviter les contre-sens, qu’il allait susciter ? El ne sera pas le dernier à essayer et jamais on ne pourra éviter ces contre-sens... qui feront déjà que, on fera dire à Jaspers que la schizophrénie est la maladie la plus poétique du monde et que tout ça c’est formidable. Car, Jaspers dès le début distinguait bien le processus qui saisit une personne et l’écroulement qui s’en suit. L’écroulement lui paraissait absolument pathologique en tant que psychiatre qu’il était. Mais le processus lui paraissait d’une autre nature, au-delà de la santé et de la maladie. Si on ne comprend pas ça, on ne comprend rien à Jaspers et on ferait dire à un psychiatre très sérieux un des propos tout à fait irresponsable du type : euh... « les schizophrènes c’est tous Hölderlin ». Non, ce qu’il voulait dire c’est que l’écroulement d’une personnalité de toute manière, maladive, pathologique, le processus qu’il provoque est en dehors des catégories normales pathologiques... Bon...

Si le processus s’empare - c’est déjà dans ces termes que parle Jaspers, et Blanchot les prendra - s’empare d’une nature médiocre, l’écroulement de la personnalité est irrémédiablement pathologique. Après une période - et là Jaspers a beaucoup d’art en tant psychiatre, il décrit cette période dans certaines schizophrénies, cette période à la fois d’effroi et de ravissement et d’espèce de période créatrice au début, au début du processus. Puis... tout se passe comme si le type tenait pas le coup, bon, effondrement.

A ce moment-là, oui, l’effondrement est absolument pathologique. Le processus par-delà le normal et le pathologique, est-ce qu’il n’a pas toujours pour conséquence un effondrement de la personnalité, une brisure de la personnalité... avec beaucoup de nuances. Pas de la même manière chez un schizophrène d’hôpital et chez Hölderlin. Comme dira Blanchot, évidemment Hölderlin a une nature riche. Il est poète par nature. Au moins une fois cela se sera produit et pourtant, il y a aussi effondrement de personnalité incontestable chez Hölderlin. Il est difficile - ça a été tenté, ça a été tenté, c’est très intéressant - mais il est difficile, de ne pas reconnaître en Hölderlin un schizophrène. Bon, il y a autre chose, hein. D’une certaine manière il tient le coup par rapport au processus.

# Cette idée de Jaspers, que Jaspers développe admirablement, ça c’est trouvé quoi, ça, quelqu’un qui à la fois... Voyez comment ensuite ça eu beaucoup d’importance, notamment pour l’antipsychiatrie. Il y a eu dérivation directe de Jaspers à l’antipsychiatrie. Lorsque Ronald Laing lancera son thème de la schizophrénie comme voyage, lui aussi il sera en proie au même contresens, des lecteurs, où on l’accusera de faire une espèce d’apologie de la schizophrénie... Et pourtant il avait la même prudence, Laing...Oui, la schizophrénie était un voyage. Seulement voilà, c’était un voyage, qui incluait, son propre naufrage. Le voyage n’était ni normal, ni pathologique, il était au-delà. Il était d’une autre nature. C’était plus, chez ces auteurs, c’était plus par-delà le bien et le mal, c’était le normal et le pathologique. C’est le processus. C’est ce que Laing appelle « voyage ». Mais le naufrage lui, il est pathologique.

# Est-ce qu’on peut supporter le voyage ? Est-ce qu’on peut supporter le processus, sans effondrement de personnalité ? ... Si oui, je vais vous dire : si oui, c’est parce que d’une certaine manière l’effondrement de personnalité a du se faire avant... Je crois. C’est ma réponse, le seul moyen. Ou bien, ou bien il y aura effondrement de personnalité, ou bien, euh, l’effondrement de personnalité s’est fait à dose homéopathique, et avant. Ca je le dis, pour pas que vous mélangiez - pas tous, hein, je le dis en mon propre... euh, pardonnez-moi c’est pas, c’est pas de l’orgueil, c’est question que pour que mélangiez pas tout, je dis ça en mon propre ... Je pense que la seule manière de supporter, - si ces auteurs veulent dire vraiment quelque chose de, de réel, par leurs histoires de processus ou de voyage - la seule manière de supporter le processus ou le voyage, c’est si - et ça répond bien à tout ce qu’on fait depuis le début de l’année - si la rupture du lien avec le monde, et le corrélat, c’est-à-dire la dissolution de la personne, s’est fait avant. Et s’étant fait avant, s’est fait vraiment sous une forme homéopathique ou sous une forme vaccinatoire.

# Je veux dire, Beckett n’est pas fou. Beckett n’est pas schizophrène. D’une certaine manière ma réponse ce serait : Pourquoi est-ce qu’il n’est pas schizophrène ? Parce que la dissolution de la personnalité, il l’avait faite avant. A... à l’irlandaise, quoi. Presque je dirais, à l’anglaise, il l’avait faite à l’anglaise. A savoir, euh : depuis que les anglais pensent, ils n’ont jamais compris ce que voulait dire Moi. Jamais ! C’est leur supériorité. La philosophie française et allemande c’est, euh, c’est le Je, le Moi, euh, euh, le sujet... et les Anglais, ils arrivent,(rires de la salle), ils demanderaient pas mieux que de comprendre, ils voudraient bien mais non ils ne voient pas, ils ne voient pas ce qu’on dit. Alors, bon. Si vous avez pris vos précautions, si vous avez fait votre rupture non pas avec le monde mais avec votre lien du monde, votre dissolution de la personne avant, vous avez une petite chance... Sinon...

# En tous cas, à quelque prix que ce soit, le processus s’est au moins produit deux fois dans, l’histoire de la poésie. A quelque prix quoi que soit, c’est-à-dire l’effondrement de la personnalité de type schizophrénique et rupture avec le monde de type schizophrénique. Une fois avec Hölderlin, une autre fois avec Artaud... Je dirais, vous voyez lisez cette... c’est comme si, voilà... Je vais vous raconter une histoire, pour qu’on se repose un peu.

# Il y a quelqu’un ici que, moi, j’aime beaucoup parce qu’il y a longtemps qu’on se connaît et qui vient d’un pays lointain. Ne cherchez pas qui, vous ne trouverez pas. Alors, tous les ans, tout les ans - elle vient d’un pays lointain - elle vient à Paris. Elle vient à Paris comme, exactement comme moi je vais du cinéma. Elle se dit : « Tiens, je vais me faire mon cinéma. Je vais à Paris ». Et quand elle va à Paris, une partie de son temps, elle va écouter des philosophes. Parce que ça la met dans un état de... de satisfaction complète. Et, elle prétend - mais je crois que c’est coquetterie - elle prétends ne rien comprendre du tout, d’ailleurs ça ne l’intéresse pas du tout, ça. Mais je dis, euh, je crois que ce n’est pas la seule parce que... c’est pas la seule, c’est une manière d’écouter de la philosophie... On ne comprend pas les paroles, et tout,(rires) c’est même épatant, c’est comme,(rires) oui, on ne connaît pas les paroles... Alors, elle ne comprend pas les paroles, mais ça la met dans des états de joie, car, ce qui l’intéresse c’est, à la limite, je dis - c’est pour ça que je raconte cette histoire - c’est... Elle, elle écrit des romans, elle écrit du théâtre. Et moi je trouve ça très beau, c’est pour ça que j’en parle et que je tire quelque chose de ses textes. Et là elle a fait une espèce de nouvelle où elle dit tout, pourquoi elle fait ce voyage à Paris, pourquoi elle va écouter des philosophes alors qu’elle ne comprend rien, toujours qu’elle dit, hein. Qu’est ce qui la satisfait tellement ?

# Elle dit voilà : les philosophes, c’est des gens qui croient - ça tombe bien parce que ça tombe en plein dans ce qu’on fait cette année - ils croient deux choses et ils se trompent sur les deux. Mais, c’est deux choses tellement bizarres qu’ils croient qu’il y a de quoi se réjouir. Les philosophes, ou un philosophe, c’est quelqu’un, d’une certaine manière, qui croit qu’il est déjà mort ou qu’il est passé par la mort. Je trouve ça formidable parce que c’est une "vision Edgar Poe" de... de « qu’est-ce qu’un philosophe ? ». Ca me paraît, moi ça me paraît un des plus beaux textes que j’ai lus sur : "qu’est-ce qu’un philosophe". Alors c’est pour ça que j’en parle. Quelqu’un qui croit comme ça, quelqu’un qui croit qu’il est mort, ou qu’il est passé par la mort, qu’il est revenu des morts - ça revient au même, il est mort, il est passé par la mort, il est revenu des morts... - Alors là, elle se marre. (sourire) Elle dit : ben, il se trompe ! Euh, s’il y était passé, il serait pas revenu d’abord, donc, c’est dans sa tête quoi. Il pense qu’il est passé par la mort.

# Première erreur donc, mais première croyance. Et puis, deuxième croyance qui s’enchaîne avec la première : il croit que mort ou passé par la mort, il continue quand même à vivre. Ce qui est une deuxième erreur parce qu’il vit pas du tout, voilà. Evidemment, c’est, et à la fois, il me semble, dans l’idée il y a une vision très profonde de « qu’est ce qu’un philosophe » et il y a une critique de la philosophie. Mais, moi je crois donc je supprime la critique, surtout qu’elle dit que c’est ça qui la ravit. Elle regarde là ces types... C’est des zombies, quoi.(rires de la salle). C’est des zombies. Ils croient être morts et ils croient continuer à vivre étant morts, ça va pas leur tête, ça ne va pas ! Mais pour elle, c’est ça qui fait le charme, vous comprenez ? Alors, elle va à Paris voir (rires) les zombies de là-bas (rires de la salle). Et elle dit, même leurs gestes, leurs gestes, leur manière de parler, tout ça, ça vient de chez les morts, tout ça. Simplement, ils croient qu’ils vivent, d’accord, faut voir, faut pas les troubler, euh... Mais, c’est sa joie. Alors je me dis mais, ce dont elle fait sa joie, c’est l’essence même de la philosophie.

# A savoir, en effet... Le philosophe c’est bien quelqu’un qui, d’une certaine manière, pense à tort ou à raison -ça n’a aucune importance -, pense à tort ou à raison, être revenu vivant... Et à tort ou à raison... il pense, qu’il vit. Mais qu’il ne vit pas de n’importe quelle manière puisqu’il est revenu des morts, qu’il vit d’une manière très spéciale. En d’autres termes, il est entre deux morts : une mort apparente et une mort réelle. Une mort dans laquelle il est passé du dedans, une mort qui l’attend du dehors. Vous me direz : la mort qui nous attend du dehors, c’est le cas pour tout le monde. Pas du tout, pas du tout. Ce n’est pas notre cas en général. Notre cas en général c’est attendre la mort du monde extérieur et de l’organisme intérieur. Mais la mort qui nous attend du dehors, la mort qui nous vient du dedans, c’est autre chose. La mort qui nous vient du dedans, c’est la mort par laquelle on est passé. Fallait-il passer par la mort ? On est passé par la mort ?

# Un des textes les plus déterminants, les plus fondamentaux de toute la philosophie, c’est le texte de ... c’est un texte de Platon dans le Phédon . Sur le thème : si les morts naissent des vivants - à savoir, il faut avoir été vivant pour mourir - si les morts naissent des vivants, inversement les vivants naissent des morts. Bon, très beau texte, très, très beau texte, qui est comme un des actes fondateurs de la philosophie. Le philosophe, peu importe s’il a raison ou s’il a pas raison puisqu’il va être passé par la mort... En tant que philosophe pas en tant que personne. Il estime revenir des morts. Il estime revenir du pays des morts.

# Puis, il pense que, il va vers une mort qui l’attend du dehors. Quand le dehors se creuse et attire l’intériorité, il est entre deux morts. Seulement moi je dirais que... C’est pas qu’il continue à vivre et qu’il croit que... qu’il continue à vivre alors qu’il vit pas beaucoup, moi je dirais que,entre ces deux morts, entre la mort apparente et la mort à venir, euh, le philosophe, il lance un éclair qui est un éclair de vie. C’est la vie comme un éclair et même si ça ne va pas vite et que cet éclair de vie est quelque chose, c’est-à-dire, d’accord, c’est un zombie... mais que, il y a que le zombie pour chanter la vie. Je reviens des morts et je chante la vie. Euh, c’est ça la philosophie. Et euh, c’est, c’est dans la mesure où je reviens des morts que je chante la vie... Euh, c’est ça, bon. Euh, à quoi ça ferait penser ? Pourquoi je parle de ça ? Vous devez sentir une idée. C’est ça le processus, c’est ça la pensée du dehors. C’est, le revenir des morts d’une certaine manière. Vous me direz, il n’y a pas que les philosophes qui peuvent revenir des morts...

#Est-ce que c’est pas notre aventure, ce dont nous sommes nés, ainsi, c’est pour ça que je parle d’une mutation de la pensée et, dès le début,j’ai dit que la guerre avait été, un facteur fondamental dans cette mutation de la pensée. La guerre a été un facteur fondamental dans cette mutation de pensée, non pas en tant que guerre simplement mais, sous sa double forme, sous la forme de sa double horreur : camps d’extermination, bombe atomique... Camps d’extermination, bombe atomique, qu’est ce que, qu’est-ce que ça constitue, qu’est-ce que ça définit ? ... Ça définit les gens qui sont passés par la mort... Je ne veux pas dire du tout que... que les philosophes c’est...c’est ça, je veux dire que ceux-là sont, qu’ils veulent ou non, bizarrement c’est des philosophes. Ceux-là ils nous reviennent vraiment des morts. Euh... Et, un des auteurs les plus importants au moment du nouveau roman, Jean Cayrol... a écrit des textes célèbres - il faudra aussi les voir puisqu’on fait des gros plans - sur ce qu’il appelait le héros moderne définit comme « Lazaréen ».

# Le héros lazaréen, bon, qu’est ce que c’est le héros lazaréen ? C’est celui qui revient des morts et, qui a une vie intense, sans doute intense ... Je dirais même pas qu’elle est marquée par la mort, mais, elle a quelque chose à voir avec cette mort dont il revient. Et selon Cayrol, qui est lui-même romancier, le nouveau roman était la mise en scène d’un héros fondamentalement lazaréen. D’où, le nouveau roman est le roman de l’après-guerre.

# Et, toujours cherchant à faire mes espèces de courts-circuits, s’il y a quelqu’un qu’il est le plus philosophe des cinéastes, c’est évidemment Resnais. C’est Resnais. Et ce n’est pas par hasard qu’à cet égard, par deux fois, Jean Cayrol et Resnais ont collaboré. Une fois pour Nuit et brouillard - un film dont on ne peut même pas dire qu’il est « sur » les camps d’extermination mais il a un rapport plus intime encore avec les camps - d’une part. Et d’autre part, pour « Muriel » où Cayrol était le scénariste. Or, quand je dis : les personnages de Resnais, c’est des philosophes - vous savez pourtant ce n’est pas du tout un cinéma ennuyeux mais la philosophie non plus ce n’est pas... - c’est des philosophes ou du moins, c’est en effet des personnages Lazaréens. Ils sont entre deux morts mais entre ces deux morts, la mort dont ils reviennent et celle vers laquelle ils vont - la mort du dedans et la mort du dehors - mais, d’une mort à l’autre, ils lancent un éclat de vie, un éclair de vie, que Resnais appellera « le sentiment » ou « l’amour ». Et si le dernier film de Resnais est un des films où, à la fois, qui paraît l’un des plus ambitieux de toute l’histoire du cinéma et un film qui récapitule toute son œuvre, à savoir « L’amour à mort », c’est que là la situation clé qui a inspiré, mais toute l’œuvre de Resnais se trouve à l’état pure. A savoir : L’homme qui revient des morts, et qui va vers une mort du dehors et entre les deux morts qu’est ce qu’il peut faire ? Et la fatigue, la fatigue qui le prend et qui prend son corps... Bon, et si vous considérez alors rétroactivement toute l’œuvre de Resnais, vous trouverez perpétuellement ce thème.

# Passée par la mort, la vie n’est que vie dans la mesure où elle revient des morts où elle revient de chez les morts. D’où la leçon fantastique de vie qu’il y a et qui se dégage Nuit et brouillard , qui est tout ce qu’on veut sauf un documentaire sur les camps de concentration, qui est une œuvre tellement importante et tellement belle que... Euh... Oui, je crois que c’est cela... Nous montrer que, même si nous n’étions pas nés au moment de... au moment de... du nazisme, nous sommes à la lettre avant de naître, nous sommes passé par cette mort. Euh, nous ne sommes pas restés, non, on n’y est pas resté, beaucoup y sont restés, mais on est tous passés par cette mort qui a été, une des composantes, de ce qu’on appelle "notre monde moderne", de ce monde avec laquelle nous avons perdu le lien.

#Et, dans les cas plus, euh, plus, plus doux quoi, cette mort à laquelle nous passons dans des cas tout autres, ce sera pas celle des camps d’ extermination, ce sera celle qui n’a rien à voir avec. Ce sera cette mort impliquée dans toute culture, ce sera la mort, qui constitue, les strates et les étages à la bibliothèque nationale. Et il faut passer par cette mort, par cette culture mortifiée, pour que la culture vive. Et là aussi vous avez le même thème dans le film célèbre de, euh, de... Resnais
-  Etudiante : Toute la mémoire du monde
-  Deleuze : Toute la mémoire du monde ! Toute la mémoire du monde. Et, ensuite dans ses films - que soit Muriel , que ce soit, si vous pensez à « Je t’aime, je t’aime »... "Je t’aime, je t’aime", c’est, c’est... ça me paraît... ou « Providence », qui me paraissent parmi les deux plus beaux films de Resnais - vous trouverez perpétuellement, ce thème, de l’homme qui revient des morts, hein, il revient de la mort. Je pense même que, c’est... c’est... un problème...Vous savez c’est ce que je vous disais sur le problème et les gens, là, euh, c’est un problème tellement, euh, important que Resnais vit tellement que, moi je suis sûr que personnellement il en est marqué,que, il se vit comme ça. Euh, je ne sais rien de la vie personnelle de Resnais, mais je suis sûr qu’il se vit comme ayant quelque chose à faire, euh, comme étant passé d’une certaine manière par la mort. On peut, on peut se vivre comme ça pour des raisons en apparence les plus futiles... une expérience enfantine, un accident de voiture, je ne sais pas quoi.

# Bon, il y a processus lorsque, vous ne serez plus jamais le même qu’avant. Bon, eh ben...quand je dis, faites-le à dose homéopathique et avant sinon vous serez brisés par le processus, je veux rien dire d’autre. Alors tout ce que je voulais dans ce premier point-là et en invoquant, euh, Resnais, euh, aussi bien que Jaspers toute à l’heure, voilà, c’est ça le processus. Le processus est la force du dehors en tant qu’elle nous ramènent à des morts, en tant qu’elle nous fait revenir des morts... Et je crois que ce que je dis là est conforme, sans doute, à la pensée de Blanchot - ce n’est pas facile comme pensée, c’est une pensée très complexe - et certainement à la pensée de Foucault. C’était mon premier point quant à ce thème, "la pensée du dehors". Mais encore une fois ça ne dit pas qu’est ce que c’est, encore une fois, ce dehors ?

[Qu’est ce qu’il passe,hein ? Pourquoi qu’ils font du bruit là ? ... Vous avez de la peine pour entrer, il y a des problèmes dehors ?
-  Etudiant(e) : il demande si vous avez fait la pause ?
-  Deleuze : (rires de la salle). C’est quelqu’un qui demande si j’avais fait la pause !(rires de la salle). Ah, hé,hé ! On va la faire la pause ? ... OK pas de pause, hein ! (rires de la salle).Voilà. Bon, si. Vous voulez une pause ?
-  Etudiant : non...]

-  Deleuze : J’ajoute alors... Oui... Non... Pause toute à l’heure, hein ! (rires de la salle) Voilà. Si, si, on va en faire une mais je vais très vite là parce que le second point, il, il m’embête. C’’est juste pour... Je dis second point, voyez je viens d’essayer de définir la pensée du dehors par le processus. Processus à ... tel que l’entend Jaspers, tel que l’entend Blanchot...

# La pensée comme puissance du dehors. Encore une fois, dehors qu’il n’a rien à voir avec le monde extérieur... C’est ça qu’il faut... Je dis, il y a un deuxième caractère de cette pensée du dehors, ou des dehors. On pourrait presque en faire une démonstration mais une démonstration... La pensée cesse d’être donc, liée à ce sens intime, à cette forme d’intériorité du concept. Voyez, c’est tout à fait en rupture avec l’image classique. Mais alors qu’est ce qu’il va se passer ? Ben, elle renvoie plus à un sujet pensant, elle renvoie même plus à la limite à un objet pensé... Qu’est-ce que c’était ?

# Le sujet pensant c’était, le concept comme tout, alors on la vu, c’était le concept comme tout en train de se différencier de ça le sujet pensant. Il accompagnait tous les concepts. Pas difficile à montrer, le concept comme tout c’est le Moi, c’est le Moi de la philosophie allemande. Euh... bien. Alors, eh bien, la pensée du dehors, elle peut plus se présenter comme ça. On voit plus...A quoi renvoie t-elle ? A première vue, vous allez me dire ça va de plus en plus mal cette pensée du dehors. A première vue, elle ne peut renvoyer qu’à une chose, elle ne peut renvoyer que... à quelque chose qui est en elle, en elle. Mais qui se présente en elle comme... le non pensée, l’impensée, l’impensable.

#Et ce sera le second point sur lequel Blanchot insistera beaucoup et, sur lequel Foucault, d’une tout autre manière, insiste dans « Les mots et les choses » quand il consacre tout un paragraphe, tout un sous-chapitre, sous le titre : « le Cogito et l’impensé ». En expliquant que, le cogito ne se rapporte plus un à sujet pensant mais qu’il se rapporte à un impensé dans la pensée. Qu’est-ce que ça veut dire, comprenez ce que ça veut dire, il ne s’agit pas de dire un impensé extérieur à la pensée. Parce que des impensés extérieurs à la pensée, tout le monde le connaît : le corps, la matière, etc. Non. Non, c’est au plus profond de la pensée que réside l’impensé. Qu’est-ce que ça veut dire ça ? Si la pensée est un, est le processus du dehors, la pensée est un rapport fondamental avec l’impensé. Vous me direz, là je passe vite parce que ça... ça a l’air d’être très verbal. Gardons-le, comme... On verra.

# Heidegger nous disait quelque chose très curieux, dans toute sa méditation sur " Que signifie penser ?". Vous vous rappelez ce qu’il nous disait ? Il nous disait : que nous ayons la possibilité de penser, ce n’est pas la question. La possibilité de penser, on l’a vu, c’est tout ce qui fait pourtant la question de l’image classique de la pensée. Mais que nous ayons la possibilité - entendez la possibilité logique et la possibilité organico-psychique, de penser - ce n’est pas notre affaire. Heidegger dit : cela ne signifie pas encore que nous en soyons capable, c’est-à-dire que nous soyons capable de penser... Bien...

Nous ne serons capable de penser que si quelque chose, dit-il, nous donne ...Ca c’est la première proposition, que nous ayons la possibilité de penser ne signifie pas encore que nous en soyons capable, c’est-à-dire, je traduis : la possibilité intérieure de penser. Deuxième proposition : que, nous en serons capable, nous deviendrons capable de penser si quelque chose force la pensée ou nous donne à penser... D’une certaine manière, c’est la force du dehors... Ce qui donne à penser, c’est la force du dehors.

Troisième proposition : dès lors - il faut que vous compreniez, ça se conclut nécessairement, voyez, il faudrait dix minutes pour le montrer, il faut que vous le sentiez - dès lors, ce qu’il donne le plus à penser -comme il dit dans son style - ce qu’il donne à penser dans ce monde qui donne à penser, c’est que nous ne pensons pas encore... C’est forcé... Et, c’est le début splendide du livre « Que signifie penser ». Nous ne pensons pas encore. Ce qui donne à penser c’est le fait que nous ne pensons pas encore.

# En d’autres termes, voilà, nous ne pensons pas encore, c’est ça l’impensé dans la pensée. La pensée est fondamentalementen rapport avec un impensé... Ou Blanchot, invoquant, l’expérience ou le processus Artaud, dira - Blanchot est encore à la confluence de Artaud, auquel il a consacré de... (coupure d’enregistrement de quelques secondes) ... pardon, c’est pas une citation. Je suis l’incapable de la pensée - essayez de comprendre,on... c’est comme si on reniflait des phrases, ce n’est pas avec notre cerveau qu’on travaille en ce moment ; je suis l’incapable de la pensée, je veux dire, là je décalque sur, euh, ce qu’il disait de Van Gogh, « le suicidé de la société ». Van Gogh c’est le suicidé de la société... Bon, au sens où Van Gogh est le suicidé de la société, Artaud c’est l’incapable de la pensée. Mais l’incapable de la pensée ça veut pas dire simplement qu’il est incapable de penser. Etre incapable de penser, ça c’est quoi ? Ca c’est l’état pathologique... C’est le pathologique... Mais l’incapable de la pensée, c’est autre chose... C’est le processus... La pensée, comme pensée du dehors est fondamentalement en rapport avec quelque chose qui se dérobe à la pensée... #Vous comprenez un peu ? Foucault devait développer cela dans des textes splendides, et en... en le tirant dans les directions tout à fait nouvelles et originales. Et c’est là qu’on voit bien que, un livre comme « Les mots et les choses » n’est pas simplement un livre de histoire de la pensée mais est un très grand livre de philosophie. Car, quel est le thème de Foucault, dans « Les mots et les choses » - si j’essaie de le résumer juste toujours pour mettre en place les pièces de notre programme ? Il consiste à essayer de définir le monde classique du savoir. Et le monde classique du savoir, il le définit par trois, trois pôles, c’est ce qu’il appellera le trièdre du savoir, du savoir classique : la richesse, et l’échange des richesses ; le discours et l’organisation du discours ; l’organisme, et la mise en série des organismes ou la mise en place des organismes. Et cela forme le grand monde de la représentation classique, le monde de la connaissance et du savoir... Et selon lui, quand est-ce que se fait une...une mutation ? Une mutation se produit -je reprends... à partir de l’autre texte- quand le dehors se creuse et attire l’intériorité.

# Qu’est-ce que c’est quand le dehors se creuse et attire l’intériorité ? Quand le dehors se creuse et attire l’intériorité, c’est quand l’organisme laisse voir sous lui, hors de lui, quelque chose de plus profond qu’on appellera « la vie ». Et c’est, selon Foucault, c’est, Cuvier. D’où l’aspect histoire du livre, le livre « Les mots et les choses ». C’est Cuvier.

Deuxième point c’est lorsque, les richesses et l’échange de richesse laissera voir quelque chose de plus profond et quelque chose qui est en dehors et qui là aussi va définir le dehors du monde. Et qui sera quoi cette fois-ci ? Ce sera le travail, la force de travail telle que la découvre Ricardo... Et enfin, quand le cadre du discours craque pour laisser entrevoir hors de lui, et à travers lui, quelque chose de plus profond qui sera identifié comme étant non plus l’ordre du discours mais comme étant le langage et la puissance du langage. Cette fois-ci, c’est Bobb, le fondateur de la linguistique. B O deux B. Dès lors Cuvier, Ricardo, Bobb apparaissent - mais il aurait pu donner d’autres noms, hein - paraisssent à Foucault, les trois pôles de cette mutation, de ce renversement qui fait quoi, qui peut s’exprimer comment ?

Alors ça paraît être de l’histoire ce qu’il fait, l’histoire de la pensée. Rien du tout, évidemment pas, si, c’est ça, mais il y a autre chose. Ce qui l’intéresse c’est tout court ce qui signifie « penser », à savoir, comment se fait-il que penser aujourd’hui, soit, la force du dehors qui met la pensée dans un rapport fondamental avec l’impensé, avec quelque chose d’impensé ? Et cet impensé radical, au cœur de la pensée, aura comme, trois figures qui seront les figures du dehors, selon Foucault : Le travail, le langage, la vie.

# La pensée affronte en elle-même, c’est-à-dire non pas hors d’elle-même comme science positive, bien sûr, ça donnera un jeu de science positive affrontant l’objet du dehors, objet-langage, biologie... Ce sera, l’économie politique affronte l’objet « travail ». La biologie, mot qui en effet n’apparaît que, à partir de Cuvier, la biologie affronte l’objet « vie ». La linguistique affronte l’objet langage sur les décombres du monde classique. Mais, en même temps que les sciences positives se consacrent à ces trois figures, il y a quelque chose de plus profond, qui de l’avis de Foucault, rend possible les sciences positives et rend possible de passer par elles, à savoir que la pensée comme force du dehors, que la pensée comme processus soit entrée en rapport avec trois figures de l’impensé... que sont : La vie, le langage, le travail ou la production.

#Voilà, donc il s’agit même plus de dire : Non, la pensée est... Voyez cet impensé dans la pensée. D’une certaine manière c’est le fameux, le fait que nous ne pensions pas encore. La pensée comme force du... comme force du dehors, c’est ce qui reste à venir, dira aussi Heidegger. C’est ce qui reste à venir, pourquoi ? C’est pas parce qu’elle manque de présent, c’est parce que, elle ne cesse présentement, dans un éternel présent, de mettre la pensée en rapport avec un impensé fondamental. Donc la pensée, elle est éternellement à venir, en ce sens. Et si elle s’exerce maintenant, c’est encore comme pensée à venir. Bon, tout ça c’est des thèmes que vous connaissez, tout ce qu’il me fallait c’était comme montrer la cohérence du premier aspect, le thème général du dehors, et du deuxième aspect, la pensée est en rapport fondamental avec l’impensé. En découle un troisième aspect, toujours dans cette même mutation, la pensée du dehors, à savoir, la montée à la surface de ce qu’on pourrait appeler, les interstices, les interruptions, les intervalles. C’est ça qui va compter maintenant : l’interstice, l’interruption, l’intervalle. C’est ça qui va compter, pourquoi ? Bon quelle importance que ce soit ça qui compte ?

[Ouh la la ! Et la recréation, une pause... ? On fait une pause ? Non, hein ?... Oui ? Bon.]

[Coupure d’enregistrement.)

-  Deleuze (en réponse à la question d’un étudiant) : ... qui pour vous est chargé, je le sens, de signification. Euh, pour moi l’idée de conquérant, elle me dit rien. Sentimentalement, ça me dit rien mais c’est très bien que, à vous, ça dise quelque chose, il en faut. Donc moi ça me va, hein. Ca me va. Si vous me dites : "Est-ce que c’est ça que vous avez dit ?" Non. "Est-ce que c’est ça que vous avez voulu dire ?" Non. Est-ce que c’est proche ? Oui. Quoi de mieux, parfait !

-  Autre étudiant : moi aussi, j’ai quelque chose à remarquer au propos du processus. Ce processus, qui, une fois se manifeste laisse en même temps des traces et des nuances d’effondrement...
-  Deleuze : oui, oui...
-  Etudiant : et alors toi tu disais que le pari pour le futur de l’individu consiste justement à maintenir le processus et échapper à cet effondrement.
-  Deleuze : oui, ce qui revient à dire que je n’ai jamais considéré la folie comme autre chose qu’une immense misère et un immense malheur.
-  Etudiant : alors, c’est là où je m’interroge, justement sur ce paradoxe et sur cette force qui donne à la fois à l’individu une grande possibilité d’être fidèle à l’egard de ce processus mais qui lui donne en même temps une envie, une tentation, un désir, encore ambigu ou obscur, pas encore de se jeter dans la misère, mais de se donner l’illusion de faire changer quelque chose de l’ordre physique du monde et même corporel... Je m’exprime mal.
-  Deleuze : si, tu t’exprimes très bien ! Je ne suis pas sûr que ce qu’on a appelé, là, « processus » d’après Jaspers, donne à l’individu qui en est la proie, lui donne le désir de changer ; je crois qu’il lui donne plutôt, ce qu’on appelait les autres années une voyance, c’est-à-dire que il sait voir la vie. Il voit la vie, de là d’où il est revenu, il voit maintenant la vie. Alors, moi je crois que ce type de voyance qui n’a rien de mystique, est une condition fondamentale en effet, de l’absurde, ça oui. Si on n’agit pas pour et en fonction de la vie, on peut même pas agir parce que à ce moment-là je crois que...
-  Etudiant : (incompréhensible)
-  Deleuze : ... Alors, si tu dis, il y a un paradoxe, ça oui, il y a un paradoxe. C’est fondamentalement une pensée du paradoxe. A mon avis, celui qui va le plus loin, jusqu’à maintenant, c’est, ce livre de Jaspers. Ce livre déjà ancien de Jaspers qui est une splendeur, euh, sur « Steinberg et Van Gogh » et euh... Seulement voilà, il ne suffit pas du processus non plus pour être Van Gogh, hein. Ca c’est évident, là à ce moment-là, on touche, enfin, à la fois un ensemble de mystère et de lieu commun, hein - il y n’a pas lieu de reposer les questions sur les rapports folie, génie, œuvre d’art, etc. Questions qui sont mal posés - je préférais plutôt que l’idée même du processus nous apporte une petite lueur dans un tel nid de questions...

(Fin de la bande)

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