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59- 27/03/1984 - 3

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Gilles Deleuze - vérité et temps cours 59 du 27/03/1984 - 3 transcription : Mpoyo Ilunga Stéphanie

Éric : simplement, Il pose quand même problème ...

Deleuze : Il a beaucoup plus peur que les autres. Je veux dire le christianisme, pour la raison que tu as dites, parce que il y a plus de chute idéale, toutes les chutes sont réelles, la peur du Temps, qui est le signe, qui est la signature que nous ne sommes que néant, comme dit Claudel, quand il termine sur la peur du Temps, qui signifie que nous sommes néant en tant que créatures, que nous sommes néant au sein de Dieu, ils ont une peur du Temps, que les grecs n’avaient pas raison d’avoir. Il faut renverser le lieu commun. Le lieu commun ça consiste à dire : les chrétiens découvrent le Temps, les grecs ignoraient le Temps puisque ils croyaient qu’aux rotations, etc.., toutes ces bêtises là ! C’est pas ça du tout, bien plus, Il me semble que les grecs ont beaucoup moins peur du Temps que les chrétiens. Les chrétiens c’est vrai, qu’ils découvrent le Temps, si l’on appelle découvrir le Temps, le découvrir dans la crainte et le tremblement ; c’est eux qui ont la crainte et le tremblement vis-à-vis du Temps. Les autres c’est pas qu’ils ignorent le Temps, ni le temps historique, ni le temps physique, ni le temps cosmologique tout ça... Ils connaissent parfaitement tout ça, mais pour eux c’est des situations, il y a des crises beaucoup plus que des peurs ! il y a des grandes crises, dont ils vont tous crever, ils le savent ; crise de la cité, crise de l’ histoire , crise de tout ce qu’on veut, mais hein ! tu serais d’accord avec ça ?

Éric : oui ! tu vas tout à fait dans le sens de ce que dit Kant ( ?) pour « Augustin » ( inaudible)..

Deleuze : Ouais,ouais !

Éric : :... de se lancer à sa conquête du Temps qu’après avoir prouvé la position transcendante de l’âme par rapport au Temps.

Deleuze : Ouais, ouais ! mais cette position transcendante est un acte de synthèse constitutif d’un Temps originaire.

Éric : tout à fait ! alors j’en arrive pour conclure à ce qui est quand même un peu l’énigme, l’anomalie qu’a Augustin par rapport à ce schéma, c’est que chez Plotin, la dimensionnalité, la vectorisation du Temps, est très nettement marquée par : passé, présent, futur.. ça on peut trouver un certain nombre de citations ... dans les Ennéades.. Ce qui me semble important là, en suivant d’ailleurs un raisonnement que fait Merleau-Ponty et qui me semble très, très bon et curieusement, il cite un moment donné Augustin, qui passe complètement à coté de ce mouvement, en tout cas sa démonstration, demeure et je crois que ce mouvement, ce mouvement de dimensionnalité : passé, présent, futur, se ramène toujours d’une certaine manière à un mouvement de type circulaire. Donc l’image du temps circulaire compte chez certains plus d’un ( ?) On l’a retrouvée à maintes reprises depuis, aussi et c’est plus .. ;. Bon, c’est dans la deuxième Ennéades et dans la sixième Ennéades, je crois, qu’on retrouve les meilleurs, les meilleurs développements là-dessus. L’âme universelle circule autour de Dieu, elle l’environne de son amour, elle s’occupe autant qu’elle peut autour de Lui, ne pouvant être dirigée vers Lui elle se meut autour de Lui . Et ensuite le Temps est comme une ligne, qui paraît se prolonger encore, bien qu’elle dépende d’un point central autour duquel elle tourne. Partout où cette ligne s’avance, elle garde l’image de ce point qui lui-même ne se déplace pas et autour duquel elle s’enroule circulairement .. Par contre, chez Augustin, ce qui est assez surprenant, c’est que la dimensionnalité Temps est tout à fait inversée, c’est-à-dire que le Temps vient du futur, pour aller vers le passé et cela on le trouve aussi bien dans les « Confessions » que dans » la Cité de Dieu. » .

Deleuze : ça c’est important ! un primat du futur ? oui ! parce qu’en effet ce n’est pas le même futur. C’est pas le futur d’une procession, c’est pas le futur d’un "se pencher dehors"... c’est ouais, ouais, ouais !

Éric : D’où l’importance de cet...

Deleuze : D’où l’importance de la théorie du futur...ce serait ça la véritable nouveauté de Saint Augustin, rompre avec la théorie des futurs contingents des Anciens, pour faire une nouvelle théorie des futurs - qui s’insèrerait pour ceux qui se rappellent alors, à ce moment là, dans ce qu’on a fait dans le premier trimestre, lorsqu’on est tombé sur le problème des futurs contingents : la bataille navale qui aura lieu demain ou qui n’aura pas lieu demain.. ouais !.. Moi dans ce que tu as dit, il n’y a qu’un point où je ne peux pas te suivre, là où toutes mes fibres protestent. Seulement les textes te donnent raison, c’est question d’évaluation des textes. Tu trouveras tous les textes que tu veux, ça tu as raison pour parler chez Plotin d’un temps circulaire, mais je crois que c’est des textes secondaires qui sont des hommages à Platon, mais je ne crois pas du tout cela. je crois qu’ils n’ont absolument rien de circulaire, c’est le temps circulaire. Il ne peut pas y avoir un temps circulaire de l’âme, non ! ce qu’il peut avoir, c’est de la métempsychose. Mais c’est un point très, très important le thème de la réincarnation des âmes et le thème de l’éternel retour, c’est à dire de la circularité, sont deux thèmes absolument différents, que l’on confond mais on confond ça quand c’est du vite fait. Il y a, chez les néo-platoniciens- ce à quoi ils tiennent, c’est ce qu’on appelle la palingénésie, qu’on peut appeler une circulation, la métempsychose, le changement des vies de l’âme etc. . Mais c’est très frappant que c’est une idée qui a des origines complètement différentes de celles de l’éternel retour astronomique c’est-à-dire du mouvement rotatoire...complètement différente. Alors là où Eric a raison, c’est qu’en effet, cela pose un problème d’interprétation ça, très délicat, parce que vous trouverez chez Plotin tous les textes, toutes les métaphores circulaires que vous voudrez. Pour Moi, ce n’est absolument que des métaphores et des hommages à Platon et au mouvement circulaire de Platon. C’est sa manière de récupérer Platon et dire : « mais oui, oui je suis quand même Platonicien » mais je ne crois pas que, en lui-même, il intègre quoique ce soit d’un mouvement circulaire : pour une simple raison, c’est que le mouvement des puissances ne peut absolument pas être circulaire. La conversion n’est pas une circulation. Il n’y a pas si tu veux, il n’y a pas, il ne peut pas y avoir circularité, processions, perversions. C’est beaucoup trop, la circularité c’est un mouvement physique ou cosmologique. Je ne crois pas qu’un mouvement de l’âme puisse être de circularité et pour une raison simple c’est que même, du point de vue de la métempsychose, le problème c’est quoi ? Ce n’est pas d’assurer la » roue des naissances » - comme on dit la roue mais c’est à tort qu’on dit une roue - c’est de sortir « de la roue des naissances ». C’est dire à quel point ce n’est pas circulaire, la palingénésie elle est fondamentalement liée à l’idée d’une sortie c’est-à-dire ce n’est pas un cercle, on ne sort pas d’un cercle, un cercle c’est fermé par définition. Si j’insiste là-dessus c’est que, historiquement, mythiquement, en tous les sens, les deux thèmes, le thème des renaissances de l’âme et le thème de l’éternel retour astronomique sont absolument différents et ont des origines absolument différentes ; ça n’empêche pas que tu as absolument raison sur le vocabulaire de Plotin, il rendra son hommage à Platon mais moi je n’y vois rien d’autre qu’un hommage, contrairement à toi.

Éric : (son très faible) non je veux dire que là c’est aussi quelque chose qui me gêne parce que là c’est vrai que d’une certaine manière, je reviens à cette définition donc qu’au début de mon travail j’avais complètement rejetée....donc c’est vraiment un lieu commun : temps circulaire grec, temps linéaire chrétien...

Deleuze : oui, il ne faut surtout pas, il ne faut surtout pas ça

Éric : C’est une évidence que chez les grecs il y a un certain nombre de faits...... tout à fait chez les grecs, des conceptions de temps linéaire et qu’inversement on peut tout à fait trouver chez Augustin des conceptions presque sophistes ( ?) donc cela joue dans les deux sens...

Deleuze intervient : il n’y a plus les chrétiens, ils ont repris toutes les conceptions cycliques qu’on veut

Éric : ... Ce qui m’a fait quand même réintroduire un tout petit peu ces textes de Plotin que, dans un premier temps où j’avais effectivement un peu pris comme des métaphores, c’est quand même, cette opposition qui me semble être intervenue entre passé, présent, futur et structure.

Deleuze : là c’est le point très important, une synthèse du Temps originaire qui serait organisée en fonction du futur - du coup ça ne m’étonne pas que, comme par hasard t’invoque Merleau- Ponty parce que Sartre et Merleau-Ponty, ils tenaient énormément à une synthèse du Temps qui serait déterminée par le futur, qui serait déterminée en fonction du futur, puisqu’ils reprochaient à Husserl et Heidegger de ne pas avoir compris ça : le prima du futur. Là il y aurait en effet un « augustinisme » des français, des existentialistes français qui seraient très bien, qui serait...euh... parfait, parfait, parfait.

Éric : (très faible son : paroles inaudibles) le fameux livre de ... ( la suite est couverte par la voix de Deleuze)

Deleuze : Si Sartre avait su ça...euh

Éric : (très faible son)....de la conscience du temps s’ouvre sur un hommage à Augustin.

Deleuze : De Merleau- Ponty ?

Éric : non de Husserl !

Deleuze : Ah ! Je ne me souviens pas, les » leçons sur le Temps » tu dis ?

Éric ; oui ! ça commence par un hommage à Augustin je ne me rappelle plus exactement de la phrase. ;

Deleuze : ah oui « leçons sur la conscience intime du temps » oui, oui, oui, oui,....oui mais Husserl, c’est un « théologien » alors, il connaissait, il connaissait très bien Augustin, oui, il les connaissait tous - c’est un père de l’église Husserl, (rires) ... D’ailleurs tous ses disciples... (Nouveaux rires) C’est fini ? Tu as fini ? ...

Éric : Oui je voudrai juste...

Deleuze : C’est rudement bien

Éric : (une phrase inaudible : en conclusion ! Ce qui est assez marrant, c’est cette ambivalence donc de la compression du temps chez Augustin, c’est ses conséquences en fait au niveau du problème de l’usure... puisque, en fait, on va jouer certains textes d’Augustin sans ....puisque donc le grand argument pour justifier la prohibition de Dieu c’est : on ne peut vendre le temps, le temps n’appartient qu’à Dieu. Là, effectivement donc on se sert explicitement des textes d’Augustin sur le temps, créature de Dieu. Mais ce qui très curieux, c’est que aux onzième, douzième siècle, des « augustiniens « vont s’inscrire en faux, par rapport à cette conversion, en faisant jouer au contraire le temps des confessions , c’est-à-dire en jouant Augustin contre Lui...

Deleuze : Ah ouais ! Bon...en quel siècle tu dis ?

Éric : (inaudible couvert par la voix de Deleuze

Deleuze : Saint Augustin c’est quel siècle ?...oui ...

Éric : Saint Augustin ? Cinquième...

Deleuze : Cinquième !....il est avant Damacius.. C’est rigolo tout ça...et les « Augustiniens » que tu dis, c’est quand ?

Éric : les « Augustiniens » que je dis, c’est le douzième siècle

Deleuze : douzième, ouais, ouais !...

Éric : Et la fameuse condamnation de (.. ) en 1255 va essayer de mettre le holà en disant, en interdisant de...

Deleuze : Eric je t’aime, quand tu dis la fameuse condamnation suivie d’un nom complètement inconnu... (Rires)...

Eric : de fait il y a trois livres.

Deleuze : Ya quoi ?

Interlocuteur(Eric) : Il y a trois livres de Duhem ...

Deleuze : Tu vois comme la culture corrompt ! (Rires) Duhem il a fait trois livres sur la fameuse condamnation.

Interlocuteur : (inaudible, entrecoupé de rires)

Deleuze : bon, bon, ... bien écoute c’est parfait, parce que ça nous fait un ensemble ...alors bah oui ! je vais être en retard ...on se repose cinq minutes et puis on se retrouve mais pas longtemps ... Je vais vous dire ...oui ... un petit repos. Quelle heure vous avez, au juste ?

Reprise d’enregistrement

Deleuze : Et bien je crois qu’on est en vacances jusqu’au vingt sept...ah ! non ! jusqu’au dix sept...(rires ... brouhaha ) jusqu’au dix sept, c’est ça non ?

Assistance : oui c’est cela...

Deleuze : jusqu’au dix sept, jusqu’au dix sept avril, le 17 avril est un lundi

Assistance : non c’est un mardi...

Deleuze : non un lundi... (Brouhaha) alors on est en vacances jusqu’au dix sept au matin...

Assistance : jusqu’au mardi matin.

Deleuze : c’est ça jusqu’au lundi seize alors ? on est en vacances jusque là ou jusque là ? non, non. On reprend le 16 bah, c’est ce que je disais. (Brouhaha de voix des étudiants et de Deleuze)

Deleuze : Bon alors je suis un peu en retard. je termine : voilà exactement les conclusions que nous sommes en mesure de tirer pour le moment... Je vois trois groupes de conclusions : Nous avons considéré trois images qu’on peut appeler" images indirectes du temps", trois sortes d’images indirectes du temps.

Le temps :
-  première image : le Temps comme mesure du mouvement extensif, chez Platon et chez Aristote... Un tel temps renvoie à l’idée de positions privilégiées par lesquelles passe un mobile.
-  Deuxième étude que nous avons faîte : le Temps comme la seconde forme de temps comme image indirecte, cette fois ci c’est le temps, comme nombre du mouvement intensif de l’âme : chez Plotin, les néo -platoniciens et brièvement chez Saint Augustin. Cette seconde conception implique la position sur le mouvement intensif d’instants privilégiés," nun"".
-  Troisième ordre de recherche qui à première vue n’avait rien à voir et à seconde vue non plus. Tant que le cinéma s’est présenté, comme image-mouvement, l’image correspondante du Temps était obtenue par montage, donc comme image indirecte du temps.

Cette image indirecte du temps avait deux aspects, comme par hasard :
-  le temps comme découlant du mouvement du monde ou du mouvement extensif, du mouvement dans l’espace, et c’était le grand cinéma mouvement.
-  D’autre part le temps comme découlant, par montage également, d’un mouvement supposé de l’âme et c’était le grand cinéma de la lumière, même si la lumière était conçue de manière très différente, par l’expressionisme allemand et par l’école française. Mais le temps comme découlant d’un mouvement de l’âme avec le problème de la chute, tout çà, je ne dis pas que l’âme, d’où Murnau, soit néo-platonicien. je dis que le cinéma a recréé pour son compte des problèmes, que la philosophie pour son compte avait traversé - je ne dis pas résolus.

Deuxième ensemble de résultats, ça c’était notre premier ensemble de recherche. Deuxième ensemble : partout on constatait des abd ... Quest-ce qui, qu’est ce qui rendait cette position difficile ? Conclure le temps du mouvement c’est-à-dire, tirer du mouvement extensif ou intensif, une image du temps qui ne pouvait être qu’une image indirecte, dés lors. Quelles étaient les difficultés ? Et bien, les difficultés tenaient en ceci : c’est que dans tous les domaines (blanc dans l’enregistrement)...

-  anomalie du mouvement extensif, dans tous les domaines, aberration astronomique c’est çà dire aberration dans le mouvement des planètes,
-  anomalie physique à mesure que l’on se rapproche de la terre : le monde sub lunaire d ’Aristote,
-  anomalie politique avec la crise de la Cité grecque,
-  anomalie économique indiquée de manière exemplaire par Aristote, à mesure, que se développe des formes qu’on peut déjà appeler formes d’un pré-capitalisme. Dans cette première direction c’est une crise du Temps comme image indirecte du mouvement, du mouvement extensif - c’est fondamentalement une crise, le concept fondamental est celui de crise.

Dans la seconde direction,
-  le Temps comme image indirecte du mouvement intensif de l’âme, se développe aussi une formidable anomalie, à savoir la chute réelle, et le temps dérivé. Ce Temps qui court au néant -d’où peur, cette fois ci et non plus crise - cela va être le signe de la peur, peur que le temps dérivé prenne son indépendance, c’est-à-dire cesse de soumettre aux exigences du Temps originaire... Dans le tout autre domaine du cinéma, l’image-mouvement n’a jamais été séparable d’anomalies du mouvement, anomalies proprement cinématographiques. De ces anomalies, les faux raccords sont un exemple et seulement un exemple parmi mille autres... Quand est ce que les anomalies du mouvement culminent dans le cinéma ? Notre réponse a été au premier semestre : c’est lorsque se produit une faillite des schémas » sensori- moteurs » c’est-à-dire, lorsque la situation ne se prolonge plus naturellement en action, normalement en action, lorsqu’il y a une faillite délibérée, une mise en question des schémas sensori-moteurs. A ce moment là, il devient très difficile en fonction de toutes ces anomalies du mouvement, de maintenir le Temps comme une simple image indirecte du mouvement.... le Temps tend à prendre son indépendance, à secouer sa dépendance à l’égard du mouvement.

-  Troisième résultat, troisième groupe de résultats : dés lors, on se trouve devant un choix dans les trois domaines envisagés
-  ou bien tenter de sauver, le primat du mouvement sur le temps. La seule question c’est à quel prix ?
-  Ou bien , non seulement accepter mais vouloir, cette libération du Temps à l’égard du mouvement, ce qui voudra dire : autonomie du temps dérivé , effondrement de l’idée d’un temps originaire : il n’y a plus que du temps dérivé, si bien que le temps dérivé n’est plus un temps dérivé. On s’engage dans une aventure où il faudra saisir une image directe du temps, une image-temps directe ou si vous préférez le Temps en personne, un peu de Temps à l’état pur ! C’est le mouvement qui dépendra du temps et non plus le temps qui se conclura du mouvement, dans le second terme de l’alternative.

-  Premier terme de l’alternative on essaie de sauver ce qui peut être sauvé et de maintenir le temps dérivé sous les exigences de la synthèse du Temps originaire, à quel prix ?

-  Première possibilité : maintenir une vie rurale, le temps, maintenir une vie rurale. Le temps de la quotidienneté, le temps dérivé, c’est le temps de la vie quotidienne, le temps de la quotidienneté, de la banalité quotidienne, le temps dérivé, le temps de la quotidienneté - il faut le maintenir malgré tout et se mettre dans des conditions où il sera rythmé - quelques soient les aberrations où il sera rythmé par les points cardinaux ou les saisons. Il faut dans le monde sub-lunaire , se mettre dans les meilleures conditions, pour recevoir les effets du mouvement extensif le plus parfait. Et c’est pour sauver une communauté rurale, car c’est le paysan qui est proche de...etc..., qui est proche des » travaux et des jours ». Les » travaux et les jours « sont le titre d’un livre d’Esiode, c’est le thème d’une conformité avec la nature. Conformité avec la nature ça veut dire, on maintiendra le temps dérivé, sous les exigences d’un Temps originaire qui lui-même renvoi au grand rythme de la nature, au grand rythme du monde et de la nature... Dans la cité grecque ça représente la réaction rurale, ça représente quelque chose comme Aristophane, dans sa haine de Socrate, l’espoir de sauver la Cité grecque en constituant des communautés agricoles, ça représente toute la réaction contre une Athénes impérialiste et commerçante et commerciale. Dés lors c’est un mouvement anti démocratique mais très curieux, il est contre la démocratie Athénienne mais aussi contre l’impérialisme Athénien et la politique commerciale d’Athénes. Il essaie de reconstituer la Cité sur base de communautés agricoles. C’est déjà foutu, c’est déjà foutu au moment de Platon et d’Aristote, pardon, et d’Aristophane alors n’en parlons plus...

Soit sauver l’harmonie de l’âme, si l’on sauve l’harmonie de l’âme - voyez ce n’est plus la conformité, ce n’est plus l’accord avec la nature, c’est l’harmonie de l’âme, l’accord avec le monde. Ces deux thèmes profondément grecs : accord avec le monde, harmonie de l’âme, l’harmonie de l’âme, c’est beaucoup plus proche des néo-platoniciens. Plotin dit : »comme une corde tendue, comme la corde tendue d’une lyre se communique à des cordes jusque là immobiles ». Alors il dit cela Plotin ? l’harmonie de l’âme c’était déjà un grand thème du Phédon de Platon : comment sauver l’harmonie de l’âme, qui nous permettra de maintenir le temps dérivé, sous la direction du temps originaire, lequel Temps originaire mesurera le mouvement intensif de l’âme ? Cela ne se fera pas sans prières, ce n’est plus les travaux et les jours, c’est les mâtines et les prières, c’est comme ça qu’on dit ? - il faudra les mâtines, les vêpres et les prières, en d’autres termes ce n’est plus la vie rurale, c’est la vie monacale. Et la vie monacale a eu... et le problème de la vie monacale, a eu un rôle fondamental, fondamental entre le troisième siècle - les néo-platoniciens eux-mêmes ne sont pas exempts d’un tel mouvement - il y a des chapitres entiers, il y a tout un essai de Plotin sur la prière, en un sens absolument pas chrétien. Sur la prière, c’est à ce moment là que les grecs introduisent une notion de prière qui est complètement différente de la vieille prière aux dieux du polythéisme. Il y a comme on dit un « monachisme », un « monachisme néo-platonicien ». Comment faire ? tout en gardant une activité ici-bas bien sûr, mais se donner les conditions de sauver l’harmonie de l’âme, c’est-à-dire de sauver le temps comme nombre du mouvement intensif de l’âme. La vie monacale est l’autre, est un autre terme de l’alternative de salut. Seulement voilà, comme nous le savons bien par l’histoire, aussi bien la vie rurale que la vie monacale a engendré l’ennemi qu’elles étaient sensées combattre, qui s’engendrait aussi par d’autres moyens. Aussi bien les monastères que les agglomérations rurales ont engendré la ville - au point même que d’une certaine manière, l’agriculture est l’invention de la ville et pas des paysans du tout. L’agriculture va progresser que par mélange de germes, par formation de stocks, qui se faisaient précisément dans des agglomérations urbaines et constitution de grands marchés. Ce pour quoi, ce que la vie rurale prétendait conjurer d’un certain coté, elle le produisait d’un autre coté : la vie quotidienne, la banalité quotidienne du temps de la ville. Et la vie monacale chacun sait que, les monastères sont une des autres sources de la ville, la ville à toutes sortes de sources et que les monastères sont sources de villes nombreuses, la ville se constituant autour du monastère. Là aussi, là aussi, dans une vision de l’histoire extrêmement émouvante le monastère suscite l’ennemi qu’il souhaitait conjurer.

Qu’est ce que ça veut dire ça le temps de la ville ? La banalité quotidienne cesse d’être rythmée par les saisons et cesse d’être harmonisée par le monastère. Il y avait de la banalité quotidienne dans le travail du paysan dans la prière du moine, la banalité quotidienne est constante. Mais voilà, elle existait en tant que accordée au rythme des saisons, accordée à des rythmes de la nature ou harmonisée par les prières et les cultes. La ville fait le déchaînement et c’est pour ça que être philosophe, ça ne peut être que philosophe de la ville, maintenant ...c’est pour ça que les philosophes se perdent toujours dans les grands bois ... (Brouhaha !) Deleuze reprend : qu’est ce que je veux dire ? La ville c’est la banalité quotidienne déchaînée, c’est à dire le temps dérivé qui a perdu toute sa dépendance, autant par rapport au mouvement extensif du monde, que par rapport au mouvement intensif de l’âme. La ville est sans monde et sans âme ! Elle est la ville. Le temps dérivé monte, s’affirme pour lui-même, rompt toutes ses amarres. Il devient le seul Temps qui existe, il n’y a qu’un seul Temps, il n’y a plus de Temps originaire, le Temps sort de ses gonds. Qu’est ce que c’était que les gonds du Temps ? C’étaient, soit les positions privilégiées par lesquelles passaient le mobile, à savoir les points cardinaux, soit les instants privilégiés par lesquels passaient l’âme.

Le Temps sort de ses gonds ça veut dire il n’y a plus de Temps originaire, il n’y a plus qu’un temps dérivé. Dés lors le temps dérivé n’est pas un temps dérivé encore une fois, c’est le seul temps qui soit. Le temps de la banalité quotidienne, il n’y a pas d’autre temps que celui de la banalité quotidienne. Qui prend conscience de cela ? Celui qui prend conscience de cela, ceux qui prennent conscience de cela, c’est le mouvement de la Réforme, comme Max Weber l’a montré d’une manière définitive malgré les critiques qu’on lui a faîtes - critiques qui ne portaient jamais sur l’essentiel du texte de Weber, sur l’esprit du protestantisme et le capitalisme. C’est avec la Réforme que la question de la foi, et la question de l’activité quotidienne, de l’activité de la banalité quotidienne, de l’activité temporelle comme dit Luther, l’activité temporelle, c’est-à-dire la banalité quotidienne se joignent au point que profession, profession prend les deux sens que nous lui connaissons : profession de foi, activité professionnelle. Et que se fait cette union qui, tant pour les grecs que pour les catholiques, serait une union monstrueuse de l’activité temporelle, qui n’est plus soumise à un modèle, que ce modèle soit celui de l’accord rythmique ou celui de l’harmonie. Et Luther n’ira pas très loin dans cette voie pour des raisons que je n’ai pas le temps de développer, mais en revanche Calvin et les méthodistes iront très loin dans cette voie. Et l’on retrouvera un phénomène analogue à celui que Eric analysait chez Aristote, à savoir, ce temps de la banalité quotidienne qui prend toute son indépendance et qui fait qu’il se révèle générateur de quelque chose, générateur d’argent ; le temps c’est la forme sous laquelle l’argent produit de l’argent, usure, crédit, et l’usure et le crédit plaisent à Dieu.... Qu’est ce qu’il faudra en conclure ? Faudra en conclure juste que : les anomalies du mouvement tant extensif qu’intensif sont devenus telles, que le temps ne pouvait pas maintenir sa subordination au mouvement, ne pouvant pas maintenir sa subordination au mouvement, le temps dérivé se déchaînait. Le temps dérivé se déchaînant, le temps ne pouvait plus avoir un modèle, c’était lui qui allait devenir le modèle de toutes choses et modèle allait prendre un autre sens...

Donc les conséquences sont les suivantes...
-  Le temps dérivé renverserait le Temps originaire, le seul temps deviendrait le temps de l’instant quelconque, première conséquence. Si bien que c’est le mouvement qui serait rapporté au temps c’est-à-dire à l’instant quelconque et non plus le temps au mouvement c’est-à-dire à l’instant privilégié. Voyez, les deux formules ne sont pas symétriques :
-  quand le temps est rapporté au mouvement cela veut dire, qu’il est rapporté à la position privilégiée du mobile...
-  au contraire quand le mouvement est rapporté au temps, ça veut dire qu’il est rapporté au temps dérivé, c’est-à-dire qu’il est rapporté à l’instant quelconque, ce qui sera la révolution scientifique entre le quinzième et le dix septième siècle.

Deuxième conséquence : c’est toute la notion de vérité qui vacille. Car je ne reviens pas là-dessus, faut que vous-mêmes fassiez la soudure avec notre premier trimestre, ce temps néant, ce temps qui court au néant, ce temps de l’instant quelconque, ce temps dérivé, c’est précisément la puissance du faux ...
-  Les modèles de vérité c’étaient les deux modèles qui soumettaient le temps, soit au mouvement extensif soit au mouvement intensif donc crise du concept de vérité !

Dernière conséquence : la banalité quotidienne de la vie urbaine va devenir le problème fondamental. Toutes les puissances du faux se déchaînent, la société rurale s’abîme, nos monastères s’écroulent. Nous sommes dans un nouvel élément de la pensée de la libre philosophie, qui se donne pour tâche, de penser cet extraordinaire jaillissement d’un temps linéaire, rapporté à l’instant quelconque temps de la banalité quotidienne, temps de la ville , temps urbain. Pour toutes ces raisons, la philosophie se trouvera devant la nécessité de construire des images-temps directes.... Et pour toutes ces raisons, le cinéma d’une toute autre manière, se trouvera avec ses problèmes à lui, se trouvera devant la nécessité lorsque les chaînes sensori-moteurs qui maintenaient une subordination du temps au mouvement se seront écroulées , lorsque les faux raccords se seront multipliés, lorsque toutes ces beautés du cinéma surgiront, c’est-à-dire après la guerre, le cinéma se trouvera devant la tâche de construire pour son compte des images-temps directes. Nous en sommes à ceci, quel est celui, quel est le philosophe qui a construit le premier l’image-temps directe ? C’est Kant que j’aurai souhaité faire aujourd’hui, je le ferai, à toute vitesse, à la rentrée et on reviendra, pour finir l’année aux images-temps directes au cinéma. Voilà je vous souhaite de très bonnes vacances... !

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La voix de Gilles Deleuze en ligne
L’association Siècle Deleuzien