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59- 27/03/1984 - 1

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Gilles Deleuze - vérité et temps cours 59 du 27/03/1984 - 1 transcription : Jennifer Simonet - Relecture : Natacha Musléra

D : Alors je préfèrerais, oui. Euh... Des choses sur le galop, vous devez en avoir plein... il y a quelqu’un qui vient de me dire qu’il en avait. Où est-elle ? Où est-elle ? Ah ! Je préfèrerais, si ça ne vous ennuie pas, comme là j’ai un autre texte, j’ai un texte sur le Galop aussi... que l’on remette à la rentrée, hein ? D : Vous allez pas perdre l’idée, si ? (rires légers de la salle) Ou alors, c’est très court... votre idée ?

D : Vous n’aimez pas parler publiquement ? Alors, épatant ! (rires de la salle) Vous savez, je crois personne, sauf quelques fous, aiment parler publiquement (rires de la salle). Vous êtes normale. Alors, parler publiquement, ça ne peut se justifier que par des raisons professionnelles sérieuses liées au régime du salariat, sinon, euh... Alors, voilà, vous allez me faire une petite note ! Vous aimez bien écrire ?

E : (rires) oui, si vous voulez. D : oui, je veux ! (inaudible) D : au lien ritournelle-polyphonie ? Oui, oui. Alors, cette idée ça vous ennuie de la dire oralement ? Puisque vous n’aimez pas parler, hein ?
-  D : Alors, vous allez me faire une petite note là-dessus.
-  E : oralement, mais publiquement, je sais pas... - D : Ah, oralement à moi tout seul ! (rires de la salle) Ah, d’accord ! Je ne comprenais pas, je me disais « Mais alors, qu’est-ce qu’elle veut ? » (rires de la salle) Non, écoutez, si ça ne vous ennuie pas... Vous écrivez facilement ? D : Mais ça m’est égal que ce soit vraiment du brouillon... D : Ah bon ! Alors écoutez, il faut qu’on fixe ça à la rentrée. Donc faut pas que vous perdiez votre idée. Vous me la direz oralement...

-  E : D’accord.
-  D : Et puis moi je vous la dirai (rire de la salle). Bon, alors. Dis-moi Eric, ça te va ? Comment on fait ? C’est toi qui commences, ou c’est moi ? Moi, je préfèrerais dire ce que j’ai à dire... et puis tu corriges sur Saint-Augustin, hein ? Ca te va ? (silence) D’où, nécessité d’aller vite.

Nous avons, très précisément, trois points. Trois points à voir, pas en tout, trois points à voir pour commencer, c’est-à-dire pour en finir avec cette histoire du Temps et du mouvement de l’âme. Je les distingue bien parce que c’est notre seule chance pour nous débrouiller là-dedans.

-  Le premier point, c’est donc cette histoire qu’on a vue la dernière fois du nun. (silence) Le nun , qui pose évidemment des problèmes de traduction énormes comme tous les mots grecs. (il écrit au tableau). Comme tous les mots grecs, c’est très très difficile. Euh... Ceux qui ont fait du latin reconnaissent que les latins ont la même racine (bruit de craie sur un tableau) sous la forme « nunc » (bruit de craie sur un tableau)... qui est tiré de... qui est formé de...
-  nun c’est : « Le maintenant, que voici ».

Donc les Latins eux disent le « nunc ». Les Grecs eux disent le nun... C’est le maintenant, mais le "maintenant" en quel sens ? Parce qu’il y a beaucoup d’autres mots pour dire le "maintenant". Alors... Alors, nous, on avait une idée... Ca ne vaut pas pour tous les sens, hein. Le « nun », en un certain sens, ce serait quoi ? Ben, ha ! Ce serait... essayons de le traduire comme ça : « l’instant, mais pas n’importe quel instant ». Pas n’importe quel instant à la lettre. Quel est l’instant dont on dit « ce n’est pas n’importe quel instant » ?
-  Un tel instant, on dira que c’est un instant privilégié.

Le nun, en un certain sens, en l’un de ses sens, serait : l’instant privilégié. L’instant privilégié, mais privilégié, ça veut dire quoi ? En quoi privilégié ? Nous, on a déjà pas cette question à se poser trop. Pourquoi, parce qu’on le sait déjà. Nous avons vu que le mouvement extensif se définissait... Le mouvement extensif des grecs, le mouvement local : transport d’un lieu à un autre, se définissait par des positions privilégiées. (silence) Que ce soit les points cardinaux, que ce soient les signes zodiacaux, que ce soient, les points privilégiés sur les plans parallèles, perpendiculaires, obliques les uns aux autres qui constituent le planétarium... Donc le mouvement extensif est marqué par des points privilégiés, des positions privilégiées du mobile. Et on a vu que c’est comme ça que le mouvement extensif constituait son ordre propre dans la philosophie, qui considère le mouvement comme mouvement de monde, et qui dès lors, va dériver le temps du mouvement sous la forme :
-  « Le Temps, c’est le nombre ou la mesure du mouvement de monde ».

Donc il y a des positions privilégiées.
-  Eh bien, de même, il y a des positions privilégiées dans le mouvement intensif de l’âme. Ces positions privilégiées, nous les appelons des "nuns" .

Bon... J’insiste sur ceci : même si je traduis nun par « moment privilégié », je ne me donne pas le Temps... ou « instant privilégié », je ne me donne pas le Temps. Je prends « instant » au sens de « instance », « instare : ce qui se tient en soi-même ». Et ça, on l’a vu, d’où viennent ces nuns alors, puisqu’ils ne supposent pas le Temps ? Notre réponse était très simple : toutes les puissances, puisque c’est une dialectique des puissances que les néo-platoniciens nous offrent , je ne reviens pas là-dessus - toutes les puissances coexistent, à des titres divers, suivant le degré de puissance que vous considérez - à des titres divers, elles sont toutes prises les unes dans les autres. Les néo-platoniciens tardifs auront un terme splendide pour désigner ça : « la complication ».

Tous les degrés de puissance sont compliqués les uns dans les autres... Et cette coprésence de tous les degrés de puissance appartient à l’éternité, c’est-à-dire à l’Aîon. Vous voyez que je ne me donne pas le Temps. (bruit de craie sur tableau) Ah... mais, mais, mais on a vu que, tous ces degrés de puissance, toutes ces puissances... Les degrés de puissance, c’est quoi ? Pour vous rappeler, là c’est important, la définition est très stricte. Sinon, vous feriez du Nietzsche. Sinon, faut aussi éviter tous les dangers. Faut pas nietzschéiser les néo-platoniciens, hélas ! ils n’avaient rien à... pas hélas, d’ailleurs ! ils n’avaient rien à faire avec ça, hein .

C’est ce qu’on peut appeler degré de puissance chez les néo-platoniciens, c’est toujours l’ « Un », avec un grand U, hein (bruit de craie). L’ « Un », sous telle ou telle puissance. L’Un puissance grand N, l’Un puissance n, l’Un puissance n-1, puissance n-2, puissance n-3... C’est ça qui fait la dialectique sérielle des néo-platoniciens . Donc si tous les degrés de puissance, tout ça ça ne vaut - je veux dire, tout ce que je dis c’est ridicule, ou c’est complètement arbitraire, si vous n’attachez pas les définitions que je propose. Même si vous attachez les définitions que je propose, à ce moment là, mettons que c’est toujours discutable, ça peut se discuter, Euh hein... pourquoi pas ? Euh, si on y tient. Mais il ne faut pas négliger les définitions, sinon ça ça perd tout sens.

Je dis que cette coprésence de tout les degrés de puissance dans l’Aîon, n’exclut pas qu’ils se distinguent les uns des autres.
-  Je ne dis pas « ils sont distincts ». Je dis « ils se distinguent ». Il y a un « se distinguer » qui ne fait qu’un, avec une distinction interne. Ils ne se distinguent pas au sens où les parties de la quantité extensive, se distinguent. Les parties de la quantité extensive se distinguent - toujours pour parler latin, pour notre joie : "partès extra partès" , chaque partie étant extérieure à l’autre partie. Il n’en est pas ainsi des degrés de puissance. S’ils se distinguent, ils se distinguent du dedans et la distinction interne consiste en un « se distinguer », en un « en train de se distinguer ». A cet égard - pour ceux que ce point intéresserait - il y a un bon article de Marie-Claire Galpérine, sur le Temps chez Damatius, où elle insiste sur cet « en train de se distinguer » - les grecs ayant la forme pour indiquer ça, ils ont une forme pronominale qui s’appelle " le réfléchi". Euh... qui est dans "Les études philosophiques" , revue obscure mais sérieuse. Les études philosophiques , juillet 1980 - qui est un des rares textes récents en France sur Damatius. Oh ! Oh... oh...

Vous m’accordez donc cette distinction interne, si mystérieuse qu’elle soit. Voilà que ces degrés de puissance se distinguent, oui, mais ils se distinguent du dedans. Voyez que c’est une manière de concilier, et Plotin dira la même chose, pour les âmes. Les âmes se distinguent et de l’âme universelle et les unes des autres , oui mais d’un type de distinction très particulier, qui n’est pas une distinction externe. Elles communiquent du dedans et, elles sont perpétuellement emprises dans l’acte de « se différencier », dans une espèce de « se différenciant ». Le « se différenciant » de l’âme. Le « se différenciant » qui est la distinction interne.

Bon... Alors je dis juste, le nun consiste dans l’acte, dans l’acte puissance, dans la puissance-acte par laquelle, un degré de puissance, et notamment l’âme - puisque c’est au niveau de l’âme que tout se décide - et avant tout l’âme, se distingue. Se distingue de quoi ? Et bien se distingue, et des degrés supérieurs, et des degrés inférieurs. Et des puissances supérieures, et des puissances inférieures.

-  Donc, nous dirons que le nun est la puissance-acte par laquelle l’âme se distingue. Sur un mode... Sous un mode de distinction intrinsèque, sous un mode pronominal se distinguent des unités supérieures et des unités inférieures. Vous voyez que ça n’engage pas le Temps, ça engage uniquement la série de....comprise dans l’Aîon. Ah... Seulement voilà, si vous comprenez ça : que le nun est fondamentalement l’acte de se distinguer comme le « se distinguer », le « en train de se distinguer », par-là même le nun engendre le Temps. D’où la thèse devient extrêmement simple, ça devient imparable tout ça. Euh...
-  Le Temps, ce sera la mesure de la quantité intensive, la mesure du mouvement intensif de l’âme.

Bon, mais comment, du fait même qu’il est processus de « se distinguer », comment le nun constitue-t-il le Temps ? Je reprends en simplifiant mon schéma - qui n’avait pas eu beaucoup de succès la dernière fois - alors... j’en reprends un petit bout, du schéma...). Voilà... Je me donne trois points : A, B, C (bruit de craie sur tableau). En fait, c’est trois puissances. Donc c’est, un sous une puissance, un sous une autre puissance, un sous une troisième puissance. Ca descend. Après c’est B. Mettons que ce soit l’âme. Vous vous rappelez le schéma. Je dis « En quoi consiste le nun de l’âme ? ». C’est-à-dire, en quoi consiste le « se distinguer » de l’âme ? Je ne dis pas « En quoi consiste la distinction de l’âme ? », il n’y a pas de distinction de l’âme, il n’y a qu’un « se distinguer » de l’âme.
-  Alors en quoi consiste le « se distinguer » de l’âme ? Il consiste, là je le fais, puisque, il consiste, on l’a vu, en ceci mais qui va nous donner une charmante...j’arrête ?) - Et, je continue (bruit de craie)... voilà. Les deux ne sont pas symétriques, voyons. Si bien, c’est très joli cette figure - ils ne la font pas, euh, c’est moi qui l’ai faite pour vous, rien que pour vous. Elle va devenir très jolie si j’ajoute un quatrième terme. D comme puissance encore inférieure. Car si j’ajoute un quatrième terme, en quoi consiste le nun de C ? (bruit de craie frappée sur le tableau) ... Le nun de C consiste en ceci : (bruit de craie sur le tableau). Voyez si c’est joli, parce que ça s’emboîte. Hein, c’est comme une série d’anneaux, qui s’emboîtent... Euh , non je le sens pas, rire de la classe, nos âmes s’épanouissent de là. C’est, c’est une figure mystique ça, vous comprenez ? Faut la vivre. Si vous la vivez, vous sauverez votre âme, si vous ne la vivez pas, c’est la chute... (rires de la salle) Pensez-y... (bruits d’écritures sur le tableau)

Alors...Bon....C’est ça le « se distinguer » ! Et en quoi consiste-t-il ? Chaque nun est un « se distinguer », c’est le « se distinguer » de la puissance correspondante, c’est le « se distinguer » du degré de puissance considéré.
-  Et ce « se distinguer » consiste en quoi ? D’une part, il se penche - tout est au pronominal - il se penche vers un Dehors, c’est-à-dire... le Dehors, c’est un dessous. Il se penche vers ce qui est en-dessous. Il se penche, attention, hein ! C’est pour ça que, hélas, les dessins ne peuvent pas rendre compte... C’est un vecteur, ça. C’est pour ça que j’ai mis une petite flèche. Eh bien mon âme, elle se penche vers ce qui est en-dessous. Chez Plotin c’est (bruit de craie au tableau) ... "pros allo" . C’est le « pencher vers autre chose ». Elle « s’épanche », elle se donne. Et pourtant elle reste en soi. Elle est nun et elle reste dans son nun. Elle se penche... Et c’est, il suffit qu’elle se penche pour, d’une certaine manière, faire procéder de son inclinaison.
-  Elle s’incline, et par-là fait procéder de sa propre inclinaison. Le degré inférieur.

-  C’est on l’a vu : la procession. Ou le projet (bruit de craie)... Mais en même temps, elle reste en soi et elle se retient. Oui, parce que si elle tombait dans le dégré inférieur .. Elle se retient. Elle a même pas à se retenir. En se penchant "pros allo", en se penchant vers l’autre, elle reste en soi.

Si bien que, si elle se penche, et si quelque chose procède de son inclinaison, il faut dire aussi que, elle revient à soi en même temps qu’elle se penche... En même temps qu’elle fait procéder quelque chose de soi. Procession. En même temps qu’elle fait procéder - Voyez, procession des degrés de puissance - en même temps qu’elle fait procéder quelque chose de soi, elle revient sur soi. Elle revient sur soi, mais vous allez me dire : « Mais ce n’est pas ce que montre ce schéma ! ». Eh bien ... Evidemment ! Si ! Parce que, en revenant sur soi.. Revenir sur soi, c’est nécessairement revenir sur, ce dont elle procède elle-même, à savoir : le degré supérieur dont elle procède. Revenir sur soi, c’est revenir en soi, sur ce dont on procède.

-  Et c’est le mouvement de la conversion ... Et l’unité de la procession et de la conversion, ce sera la contemplation.
-  Tout est contemplation. Nous sommes tous contemplation, puisque la contemplation c’est, la contemplation de ce qui vient après, en-dessous. Procession. L’âme se penche... C’est la contemplation de soi-même, le retour à soi, le retour sur soi, et c’est la contemplation de ce dont soi-même on procède, c’est-à-dire le retour en soi, à ce dont on procède soi-même. Tout est contemplation.

Eh bien, on avance... Si le nun est l’acte-puissance du « se distinguer », vous voyez en quel sens... C’est que, chaque nun, est comme l’autodistinction d’une procession et d’une conversion, d’un élan et d’un retour. D’une inclination et d’une réflexion. D’une attente et d’un souvenir.... En d’autres termes, chaque nun, dans le mouvement de « se distinguer lui-même », distingue nécessairement quelque chose qui fonctionne comme un pur futur et quelque chose qui fonctionne comme un pur passé.
-  Le nun est la matrice du Temps. ...

Ah... Et ce n’et pas un des moindres paradoxes des néo-platoniciens que d’arriver à cette notion. Elle leur paraît... Plotin, il ne l’analyse pas, c’est une espèce de philosophe-poète très grand. C’est un philosophe-poète-professeur. C’est rare de réunir les trois... Je ne veux pas dire qu’il le dise formellement mais ces textes l’imposent complètement... C’’est très curieux, chez lui c’est toujours des synthèses qui définissent ( ?)... Et vous voyez que c’est bien l’idée du « se différenciant », du « en train de se distinguer ». L’âme se définit par un acte synthétique - Troisième "Énéades", "Énéades trois" : c’est tout le thème de l’acte synthétique de l’âme. Et jamais ça ne sera dit, même par Kant, jamais ça ne sera dit aussi fort, que cette idée de l’acte synthétique de l’esprit et de l’âme. Le nun est réellement une synthèse. Or, c’est la synthèse qui se divise. En effet, l’acte synthétique, c’est le « en train de se distinguer », et le « en train de se distinguer » opère la distinction perpétuellement en train de se faire, entre un passé et un futur... Qu’est ce que c’est « une synthèse qui se divise » ? c’est très curieux, ça. Ca a un nom, c’est pas après tout , c’est pas impossible, ça a un nom,
-  c’est qu’on appellera en logique et dans la théorie du syllogisme, on appellera ça « une synthèse disjonctive ».

Et la théorie du syllogisme -il faudra que je fasse ça, une année ...) euh... la théorie du syllogisme distingue, et ça sera très important, jusque encore chez Kant, trois grands types de syllogismes,
-  dont l’un est dit "catégorique" - du type « tous les hommes sont mortels ») ; - dont l’autre est dit "hypothétique" - du type « s’il fait jour, il fait clair ») ;
-  et dont le troisième est dit "disjonctif" - du type, « le vivant est ou bien immortel, ou bien mortel ».

On pourrait dire que, là en simplifiant beaucoup, on pourrait dire que Aristote est le grand théoricien du syllogisme catégorique... On pourrait dire, en simplifiant moins : toute la théorie de la substance aristotélicienne est subordonnée au syllogisme catégorique, bien que, Aristote fasse aussi la théorie des autres syllogismes. Mais précisément, c’est pas par hasard que la catégorie fondamentale, chez Aristote, c’est celle de "substance", à laquelle correspond le syllogisme catégorique. Ceux qui ont fait, une très grande théorie du syllogisme hypothétique, ce sont les stoïciens, grâce à une théorie des évènements, qui leur est toute particulière... Comme les cases de la pensée seront toujours remplies puisque Dieu existe, et bien il restait le syllogisme disjonctif. C’est la grande théorie du syllogisme disjonctif élaboré par les néo-platoniciens. Vous me direz Platon, qu’est-ce qu’il avait, lui ? Et bien, Il était le premier. C’était pas clair... L’idée de synthèse n’est pas encore chez lui, dégagée de celle de l’analyse. Platon est sans doute, le plus grand théoricien de l’analyse. Alors là ça serait comme, ça devient tellement schématique que c’est trop beau... non, c’est trop, c’est trop mal, quoi, hein.
-  Platon, grand théoricien de l’analyse,
-  Aristote, grand théoricien de la synthèse catégorique ;
-  stoïciens : synthèse hypothétique,
-  néoplatoniciens : synthèse disjonctive...

voilà, tout est clair, empaqueté, voilà. Lamentable ! bon (rires), alors...

Voyez en quel sens je peux dire : le nun est constitutif, dans son acte-puissance synthétique, procession-conversion, le nun est constitutif d’un Temps originaire : le futur pur de la procession, le « se pencher vers » ; et le passé pur de la conversion. En fait d’où vient le privilège du passé, que je signalais la dernière fois ? Mon schéma en rend très bien compte. Le privilège du passé vient de : rien ne marcherait, rien ne fonctionnerait de l’ensemble, si la conversion ne dépassait la procession, en ce sens que, elle ne remonte pas au terme dont est partie la procession, mais elle remonte toujours au terme supérieur...

-  Donc, la vraie matrice du Temps c’est la conversion. Enfin, c’est... Voilà. C’est le premier point.

Alors quand je dis « passé pur » et « futur pur », comprenez ce que je veux dire ! je veux dire qu’il ne faut pas confondre ça avec « ce qui a quelque chose qui serait passé ».
-  Je peux dire ce qui est passé ,
-  je peux dire ce qui est futur, ce qui est à venir, mais à quelle condition je peux dire : ce qui est passé ou ce qui est à venir ? Je peux le dire que si je dispose d’une forme du passé et d’une forme du futur. C’est ce que j’essayais d’expliquer la dernière fois. Il y a des présents qui passent - ça on sait pas encore, mais je devance - il y a des anciens présents, mais, rendez vous compte ! C’est prodigieux que je les saisisse comme du passé. Si je ne disposais pas d’une forme de passé, mais je ne saisirais pas ce qui passe comme du passé, ou je ne saisirais pas ce qui est passé comme du passé.

Il faut que j’aie la forme au passé. Ce qui n’est pas encore, je le saisis comme avenir, ouais, je le saisis comme avenir, ce qui n’est pas encore, à une seule condition, c’est que j’aie une forme d’avenir, dans laquelle je coule ce qui n’est pas encore. Mais cette forme de passé pur, cette forme de passé pur, c’est ce que j’essayais de dire en disant la dernière fois : « je saisis mes anciens présents comme passés, mais jamais je ne saisirais mes anciens présents comme passés si je ne disposais d’un passé qui n’a jamais été présent ». C’est forcé. En d’autres termes, jamais ce qui est passé ne peut rendre compte de la forme du passé sous laquelle je le saisis.

C’est cette synthèse du nun, en tant que synthèse disjonctive et en tant que constitutive d’un Temps originaire... Le Temps originaire, c’est le temps qui ne cesse de se distinguer à chaque nun, suivant chaque nun, en passé pur et futur pur.
-  C’est ça le Temps originaire. Un passé qui n’a jamais été présent, un futur qui ne sera jamais présent. J’ai besoin de ça pour saisir les prochains présents comme futurs, et les anciens présents comme passés.
-  Voilà, donc je peux dire maintenant : le nun est la constitution d’un Temps originaire...

Et si on me dit « C’est Kant qui a dit ça », je dis « Oh ben non, ça non, non... ». Or Heidegger dit « Kant a dit ça », alors... c’est pas notre faute. Et avec un grand respect, il faut dire « Et bien non, c’est pas Kant qui a dit ça ». Kant l’a peut-être redit, il a peut-être changé complètement le sens de ce qu’il redisait (coupure).

Et ben pourquoi il faut un second point ? Pourquoi que ça s’arrête pas là ? Ah... C’est ça qu’il y a de bien, parce que, je ne cesse de vous le dire hein : vous, vous pouvez arrêter là où vous voulez, hein. Si vous en avez assez, vous arrêtez là, je vous dis c’est très bien. Ca me suffit. Ca me suffit, j’ai pas besoin d’autre, très bien. Je trouve ça très légitime moi, un bout, quoi, vous prenez un bout. Ah... De préférence celui que vous comprenez, mais (rires)... la perversité est telle, que généralement, on choisit le bout qu’on comprend pas, ah... Pourquoi que ça s’arrête pas là ? Et bien parce qu’il y a cette histoire qu’on essaie de se cacher, je ne sais pas si vous le sentez... qu’on essaie de se cacher parce qu’on en a, on en a très peur. C’est une peur qui nous pénètre, c’est une peur abominable... euh...et cette peur, on ose à peine la désigner - c’est que depuis le début, ce qui nous soucie, c’est cette histoire de zéro.

C’est qu’il y a un zéro, tout à fait en bas, là. (bruit de craie sur le tableau). Peut-être que, à la limite, peut-être que c’est une limite ce zéro ? mais enfin il est là. Il y a un zéro tout en bas de la série. Et ça alors on aimait bien et c’est pour ça que, qu’on le veuille ou non, on est toujours amené à gagner du temps, avant d’affronter ce zéro. Qu’est-ce qu’il vient faire, et qu’est-ce qui va se passer à cause de lui ?

-  C’est ça mon deuxième point, c’est le retour du zéro. On se l’est donné, d’accord, on se l’est donné, mais qu’est-ce qu’on va en faire, ou plutôt qu’est ce qu’il va nous faire - une fois qu’on se l’est donné ? Du coup, vous allez me dire « Mais pourquoi vous vous l’êtes donné ? »... On pouvait pas faire autrement. On se l’est pas donné, rien ne tenait, si on se le donnait pas. Et pourquoi, rien ne tenait si on se le donnait pas ? Mais parce qu’il était aussi important que le, que à l’autre bout de la série, ce qu’on a appelé le 1 puissance grand N, c’est-à-dire, le 1 au-delà de l’Un. Le 1 plus profond que l’Un, le sans-fond, la source de la lumière...

Vous êtes en retard... (rires de la salle)

Ah... (bruit de porte) Il fallait bien se le donner. Pourquoi ? Vous vous rappelez ce que c’est que, le mouvement intensif ? Ou la quantité intensive ? C’est ce dont la multiplicité est saisie comme Un. Ca, ça nous convient. C’est ce dont la multiplicité est saisie comme Un, par opposition à la quantité extensive, où la multiplicité est saisie comme Tout, et pas comme Un. C’est-à-dire c’est ce dont la multiplicité est saisie comme degré de puissance, comme Un sous une puissance... Or, cette multiplicité ne peut être saisie comme Un, ne peut être saisie comme Un que par sa distance indécomposable à zéro. Donc, on pouvait pas échapper au zéro. C’est toute la quantité intensive et c’est tout le mouvement intensif, qui se passe entre un et zéro (bruit de craie), par opposition à la quantité extensive. Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, petit n. La quantité intensive me demande une binarité du type un/zéro, une fois dit que le un passera par toutes les puissances. Mais chaque fois, la multiplicité de la quantité intensive comprise comme Un... Comprise comme Un dans quoi ? Dans le nûn... Chaque fois cette multiplicité ne pourra être évaluée que par la distance du degré de puissance à zéro. (silence)

Donc, zéro, je ne pouvais pas y échapper. Et pénétré de l’idée que je ne pouvais pas y échapper, encore une fois, on a gagné du temps. On l’a pas perdu mais... on a gagné du temps avant d’affronter ce zéro, car qu’est-ce-que ça veut dire ce zéro ? Et je disais la dernière fois, comprenez que : plus nous descendons la série des puissances, plus la multiplicité virtuelle contenue dans chaque degré de puissance, dans chaque unité, plus cette multiplicité virtuelle tend à devenir actuelle. C’est-à-dire plus le « en train de se distinguer », c’est-à-dire la distinction interne, plus la distinction interne tend à apparaître comme une distinction extérieure : toute faite et non pas en train de se faire, une distinction extrinsèque d’après laquelle les termes deviennent extérieurs les uns aux autres... Plus je descends l’échelle, plus les distinctions internes font place à des distinctions qui tendent à être extérieures. Je traduis là, je peux traduire, parce que là on est restés longtemps là-dessus : plus les figures de lumière laissent place - imaginez, c’est très progressif, c’est même...c’est comme dans un rêve - plus les figures de lumière laissent place à des figures rigides. La figure rigide, c’est le régime de la distinction extrinsèque. Là le tableau, là le mur, là la chaise. C’est des distinctions extrinsèques, ça. Où je compte : un, deux, trois, quatre, cinq.

Est-ce que je pouvais faire ça pour les âmes ? Non, oh non, oh non ! Les âmes, elles étaient prises dans le mouvement du « se distinguer », je pouvais pas dire un, deux, trois, quatre. Bon alors, plus je tends vers mon zéro, plus les figures rigides géométriques vont remplacer les figures de lumière. Plus le rigide, plus les limites vont se former c’est-à-dire, c’est toute la distinction interne qui vacille au profit d’un autre régime de la distinction. C’est si l’on veut le règne, ce qui se dessine, et ce que j’aperçois à travers les figures de lumière, ce que j’aperçois à travers une figure de la lumière, ce sont ces formes rigides... Alors, non, autant dire : plus la chute idéale tend à devenir une chute réelle. Et c’est ça que signifiait, le zéro. Le zéro signifiait - le zéro était un ricanement abominable - il signifiait « tu crois tomber idéalement comme la lumière du soleil... tu ne sais pas que tu es déjà pris dans une chute réelle ».

-  En effet qu’est-ce-que c’était la chute idéale ? La chute idéale c’était : la distance indécomposable, d’un degré de puissance à zéro. La lumière tombe. « La lumière tombe », ça ne veut pas dire qu’il faut que je la ramasse. Ca veut dire qu’elle reste en haut.
-  La chute de la lumière est le prototype de la chute idéale. C’était, la procession-conversion. Il y avait pas du tout chute réelle, puisqu’en même temps que la procession se faisait, la conversion l’empêchait d’être une chute réelle et la reprenait en même temps qu’elle se faisait. La conversion venait "par après" la procession. Faut bien rendre tout ça simultané. Alors, non... plus on s’approche de zéro, et bien, plus tout ça est menacé. Ce qui pointe, à travers les figures de lumière, c’est les figures rigides contre lesquelles je me cogne, blessantes.

C’est l’ordre des corps, c’est la chute réelle de mon âme dans un corps, hein... Voilà. Mais vous allez me dire si vous m’avez suivi. Vous allez me dire : « bon, acceptons même ça ». Mais pourquoi le règne ? On voit bien à la rigueur que - le règne des distinctions extrinsèques, ou des figures géométriques rigides - on voit bien à la rigueur que c’est le règne de la matière, et de l’espace.
-  L’espace, ce sera la forme de l’extériorité. La forme des distinctions extérieures. C’est dans l’espace que je peux dire « la table n’est pas la chaise ». L’espace, c’est le réceptacle des corps, partès extra partès, dans l’extériorité de leurs parties.

Donc je peux dire « tout ça, d’accord, c’est la matière en tant qu’elle remplit l’espace, en tant qu’elle s’étend ou même pas qu’elle s’étend, elle elle s’étend pas, c’est l’âme qui s’étend en procédant. Je dirais de la matière qu’elle est étendue dans l’espace, pour parler toujours latin, ils font très bien la distinction, c’est pas de l’extensio, l’extensio ce serait la procession, l’âme prend une extensio en se penchant, c’est "l’extensum" : l’étendu, participe passé. Alors bon, que ce soit tout ça matière ! mais en quoi c’est zéro ? Là ils vont vite quand même hein, hein ils vont vite - parce que je pense que tous les grecs comprenaient déjà - mais nous on a besoin de faire semblant de lire les grecs, ah alors...alors pourquoi est ce qu’ils appellent ça zéro ? alors que quand même quelque chose, c’est peut être mauvais ces figures rigides, mais enfin c’est quelque chose cette matière, c’est quelque chose, comment ils peuvent assimiler ça au degré zéro ?...

Eh ben oui, écoutez moi bien, il suffit de faire une petite conversion :
-  quand ils disent c’est le degré zéro, c’est le zéro, c’est le non-être - qu’est-ce qu’ils veulent dire ? Je crois que c’est pas bien dit, pas bien expliqué dans les manuels, on dit : "la matière pour les grecs, c’est le non-être", bon c’est pas ça du tout . La matière c’est quelque chose, c’est parfaitement quelque chose, les corps rigides c’est parfaitement quelque chose. Les corps rigides c’est quelque chose du point de vue de la matière et de l’espace. Si ça peut être du zéro c’est donc d’un tout autre point de vue, de quel point de vue ?

Notre réponse on l’a : du point de vue du Temps. Si vous temporalisez pas, vous voyez pas pourquoi matière et corps rigides égal zéro. Pourquoi la distinction extrinsèque c’est zéro ? Il faut le mettre dans le Temps. Ca veut dire quoi ?

Ca veut dire que la temporalité propre à la matière et au corps rigide c’est le présent qui passe. Le présent qui passe. Il y a la table, je détourne les yeux, le mur, la table, le mur, je sais que au dehors il me faudrait du temps pour y aller, il y a le petit jardin, c’est délicieux - (rires) - et puis il y a le boulevard dangereux, ceci cela, ah là on est à l’abri dans la figure rigide de cette place. Et si je sors, ah bon d’accord... le présent qui passe, ça veut dire quoi le présent qui passe ? Ce qui passe de ce point de vue,

-  ce qui n’est plus, c’est zéro, ce qui n’est pas encore du point de vue du Temps,
-  ce qui n’est plus c’est zéro.
-  Ce qui n’est pas encore, c’est zéro.
-  Ce qui est, c’est zéro. Pourquoi ? Parce que c’est la limite entre un "pas encore" et un "ne plus". C’est ce que dira St Augustin en des termes merveilleux...

Mais ces deux temps le passé et l’avenir, ne les confondez pas avec le passé pur et l’avenir pur tel qu’on vient de le voir hein ? ça veut dire ce qui est passé et ce qui est à venir. Mais ces deux temps, ce qui est passé, et ce qui est à venir, comment sont-ils ? puisque ce qui est passé, n’est plus et que ce qui est à venir, n’est pas encore. Le présent même si il était toujours présent sans se perdre dans le passé, ne serait plus Temps, il serait éternité. Donc si le présent pour être temps, doit se perdre dans le passé, comment pouvons nous affirmer qu’il "est" lui aussi ? puisque l’unique raison de son être, c’est de n’être plus. De sorte qu’en fait, si nous avons le droit de dire que le Temps "est", c’est parce qu’il s’achemine au non-être.

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