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58- 20/03/1984 - 2

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Gilles Deleuze - vérité et temps cours 58 du 20/03/1984 - 2 transcription : M. Sarrazin

Alors qu’elle est la fonction de cet Un imparticipable, qui recule à l’infini ? Chez Damascius, c’est très émouvant, cet Un imparticipable, qu’on ne peut même pas toucher, chaque fois que on le touche là, il recule. Puisque au mieux, on peut apercevoir à travers la brume de l’être, l’Un participable. L’Un imparticipable, c’est inconcevable. C’est l’Inconcevable à l’état pur. Il est le "non pensable ! Mais il faut que la pensée pense, y compris le "non pensable". Le "non pensable" ça sera l’Un imparticipable ( )... Alors quelle est sa fonction ? Il est nécessaire à toute la série, parce que, très bizarrement, c’est l’Un imparticipable qui donne à participer (...). Si il n’y avait pas l’Un imparticipable, il n’y aurait ni participation de l’être à l’imparticipable, ni Un participable auquel participe l’être. Toujours... Damascius, c’est celui qui dirait : « Derrière tout Un, il y a un Un, encore plus Un » . C’est-à-dire un Un, qui n’est plus rien que Un. Bon ! D’où pour ceux qui voient - peut être essayer d’éteindre ? Peut être que on verrait mieux mon schéma, si vous essayez d’éteindre. On le voit mieux ? Non ? Evidement, on risque pas de le voir, je le bouche, je m’aperçois.. D’où que je sois, je le boucherai à quelqu’un alors.. Bon, alors, vous rallumez... Pardon, alors, vous rallumez, si vous voulez bien...

Prenons, une situation moyenne. Voyez, quand j’ai tout centré sur l’âme, j’avais pas exactement le droit, mais je pensais déjà que vous corrigeriez de vous-même. J’avais pas tout à fait le droit, puisque l’âme, en fait, elle vient en troisième puissance. Mais ça n’a aucune importance, aucune importance. Parce que je peux très bien dire que les puissances supérieures sont des âmes supérieures. Que les puissances inférieures sont des âmes inférieures. Si j’ai pris l’âme, c’est parce ce que c’est en elle que se révèle à l’état pur, le mouvement du "devenir dans" et du "devenir par", précisément en fonction de ce que l’on va voir. Elle est la plus apte à produire les choses suivantes et à se retourner sur les choses précédentes. Elle a une espèce de position clé. Mais on ne peut pas dire que ce soit une dialectique de l’âme, c’est une dialectique où l’âme est un des degrés de puissance parmi les autres, dans la série du sens. Alors, regardez bien, mon schéma sur l’âme. J’ai mis en rose, disposant de craies de couleurs différentes. Donc l’âme c’est un N-2 - C’est ça, elle là, l’âme.

-  Premier mouvement : elle s’épanche. Elle se donne. Elle se tourne vers ce qui la suit. Elle se tourne vers ce qui la suit ! Elle se donne ! Ca veut dire quoi ? Le don, néo platonicien, c’est une philosophie du don. Donner ça veut dire : donner à participer, donner à participer. Elle se donne à participer. A quoi se donne t’elle à participer ? Et bien, à ce qui en participe, ou à ce qui va en participer. A savoir ce qui vient après l’âme, la nature.

Donc j’ai un premier mouvement - et c’est cela que j’ai mis en rouge : L’âme en se donnant, s’épanche dans la nature. Elle produit la nature. Elle produit la nature. Cette production, c’est ce que - et je cite ce mot, parce qu’il va nous être important tout à l’heure pour un auteur moderne qui dépend étrangement de toute cette histoire, bien que grand auteur, très moderne. Le mot dont se serviront les nouveaux platonicien c’est : la poliesis. C’est-à-dire une production-création. Voyez.. En se donnant à Un quelque chose qui n’est pas encore, ce à quoi elle se donne, elle le fabrique, elle le produit en se donnant. C’est très amoureux tout ça. C’est très religieux, c’est très... C’est très fort.. Faut vivre tout ça.. Si vous voulez, c’est des concepts, c’est en même temps des concepts philosophiques. Mais en même temps, je reprends toujours ma ritournelle : si vous ne les doublez pas avec des affects, ça veut rien dire tout ça, ça vaut rien.. Ils vivaient comment ? C’était de saints hommes. C’était de saints hommes. Non chrétiens. Ouais, mais quels hommes, c’étaient ! Et mieux, quels philosophes !

Alors, cette poliesis, par laquelle l’âme va produire la puissance inférieure, la suite. Ce mouvement qui va donc de un N-2 à un N-3. Ce mouvement qui va - je dirais aussi bien, de la première puissance, à la seconde. De la seconde à la troisième, de la troisième à la quatrième, de la quatrième à la cinquième.
-  Les néoplatoniciens l’appellent : Procession ou émanation. Le terme suivant, procède du précédent. Ou il en émane.
-  Chaque degré de puissance, prit en lui-même, sera une Manence. Qu’est ce que l’on appelle une manence ? Il demeure en soi-même. Il reste en soi. Ce qui reste en soi, nous l’appelons : Manence. Car on mêle de Latin et le grec pour montrer que l’on pratique toutes les langues. Manéré, c’est demeurer. Donc une Manence en grec, c’est ce que l’on appellera : une hypostase. Et vous ne pouvez pas guère rencontrer, lire du Plotin et à plus forte raison ses successeurs, sans rencontrer à peu près à toutes les pages, l’expression grecque : hypostase.

Ou bien, je vous le disais, c’est une puissance, mais c’est pas une puissance qui s’oppose, c’est pas une puissance à la manière d’Aristote. Chez Aristote, ça a beaucoup changé, chez Aristote, la puissance s’oppose à l’acte. La puissance, c’est ce qui est en puissance. Par exemple : le bois est en puissance de statue. Une statue. Si je fais une statue en bois. La matière, c’est la puissance, la forme, c’est l’acte. Pardon pour ceux qui connaissent Aristote, non pas que ce que je dis soit faux mais ce que je dis est tellement rudimentaire que.. évidement, Aristote dépasse ce point de vue. Mais enfin, restera chez lui, toujours, une distinction et même une opposition entre l’être en puissance et l’être en acte.
-  Pour les néo platoniciens, l’acte c’est toujours l’acte de la puissance elle même. L’acte, c’est l’expression de la puissance en tant que telle.

Ca va tellement loin, qu’un philosophe de la Renaissance, dont je vous avais juste dit un mot... Juste un mot, a crée un concept admirable. Le cardinal de Cuze, le cardinal de Cuze a crée un concept formidable... très très beau Mais faut savoir un peu.... Faut savoir le latin pour le comprendre, il ne vaut que par son mot. Il voulait expliquer contre Aristote, cette unité de la puissance et de l’acte. Que l’acte était toujours acte de la puissance en tant que puissance. Et il a créé, le concept - il en faisait un véritable concept de sa philosophie - le concept de « possest ». Il parlait "du" possest. Le possest. Pour ceux qui n’ont pas fait de latin, je m’explique : « possé » c’est l’infinitif du verbe pouvoir. Possé cela veut dire « le pouvoir ». La troisième personne du verbe pouvoir : « il peut » c’est poteste. Poteste. Le cardinal crée un mot barbare, mais un mot formidable. A savoir, il crée le mot, à condition que cela réponde à une notion : posse-st. Que l’on pourrait traduire en français, je ne vois pas d’autre manière de le traduire : Les pouvoirs : « Le » et « pouvoirs ». Pourquoi est ce qu’il exprime le besoin de forger un mot barbare ? Le possest ? Le concept, de :« Les pouvoirs », pour marquer que le pouvoir en tant que pouvoir est acte (..). Bon ! En tout cas, je peux dire de chacun de mes degrés de puissance qu’il est manence, puissance, hypostase.. C’est à dire "possest". D’un degré au degré suivant, d’un degré au degré inférieur, j’ai un chemin qui est : la procession, l’émanation.

Voyez :
-  La manence, c’est l’acte par lequel la puissance reste en soi.
-  L’émanation, c’est l’acte vers lequel la puissance inférieure procède de la puissance supérieure.

D’où, mes petits machins rouges de P2 à P3, de P3 à P4, de P4 à P5 de P1 à P2 : j’ai une émanation, une procession. Mais quelque chose ne sort pas de rien. C’est à dire : P2 ne sort pas de P1 sans se retourner vers ce dont il sort. P3 ne sort pas de P2 sans se retourner vers ce dont il sort. C’est le mouvement complémentaire de la procession ou de l’émanation, à savoir la conversion. Chaque puissance se retourne vers ce dont elle procède. Et aucune puissance ne procède d’une puissance supérieure sans se retourner vers ce dont elle procède. A peine je dis ça, qu’il est clair que, Il est évident que ce que je viens de dire est inexact. Car la conversion elle fait encore mieux que ça. La conversion ne se contente pas de : « être le symétrique inverse de l’émanation ». C’est ça qui est beau, c’est ça qui est très beau. Et c’est ça, souvent que l’on risque souvent, de ne pas voir. A ce moment la dialectique sérielle, on en fait un truc très linéaire.

Tandis que l’on allez voir comment on obtient une belle spirale et même des spirales imbriquées les unes dans les autres. Ah !.. Je dis, pour plus de clarté mettons : B procède de A. Non c’est pas ça, je dis : C procède de B. Puissance 3 procède de puissance 2. Mais dans la conversion, puissance 3 ne se contente pas de se convertir à puissance 2, il se convertit à ce dont procède puissance 2 elle même. D’où, en effet, c’est bien forcé, c’est forcé. Puisque la puissance dont procède, la puissance 2 dont procède puissance 3, n’existait elle même qu’en se convertissant vers la puissance précédente. Il faut donc, que la puissance qui procède d’une puissance, se convertisse, non pas seulement vers la puissance dont elle procède mais vers la puissance dont procède la puissance dont elle procède. Ce qui nous donne la conversion elle, elle a comme deux degrés de puissance. Si bien que vous allez avoir un mouvement formidable, ou chaque point la conversion va remonter. Ca va unir les puissances, les mettre les unes dans les autres. Vous comprenez ? Je dirais : la puissance 3 procède de la puissance 2, mais la puissance 3 « se convertit à la puissance 1. Si bien que ça avance comme ça, ça avance comme ça : une grande conversion, une grande procession. Chaque fois, la conversion reprend non seulement la procession, parce que sinon, il y aurait scission dans la série. Elle assure comme, la réunification de toute la série, à chaque stade de la conversion. C’est beau, très beau. Ouh, la, la !... J’en peux plus !

Alors ça doit vous expliquer quelque chose ? Pour en finir avec tout ça. Pourquoi c’est de l’intensité ? Chaque degré de puissance est une unité. Voilà pourquoi, c’est de l’intensité.
-  Chaque degré de puissance est une unité, ça c’est le premier point.

-  Chaque unité contient une multiplicité virtuelle. Chaque unité contient une multiplicité virtuelle, à savoir : la multiplicité des termes qui en procède. La multiplicité des puissances qui en procède.

-  Troisième point : Pourquoi cette multiplicité est elle virtuelle ? Parce que, quand elle s’actualise - Là vous devez comprendre d’un coup, d’un éclair. C’est pas du raisonnement. C’est parce que la multiplicité contenue dans une puissance est nécessairement virtuelle. C’est la multiplicité des degrés, qui procède de la puissance. Or cette multiplicité quand elle s’actualise, elle s’actualise en effet. Mais elle s’actualise sous qu’elle forme ? Sous la forme de la puissance suivante qui à ce moment là, fonctionne comme une unité. Et cette unité contient à son tour une multiplicité virtuelle. La multiplicité des degrés suivants. Mais quand cette multiplicité s’actualise, elle s’actualise sous l’unité du degré suivant. Donc c’est toujours une multiplicité virtuelle. Astuce diabolique ! Le multiple ne cessera pas d’être une multiplicité comprise. Le multiple ne cessera pas d’être comprit dans l’Un. Puisque, il sera purement virtuel et que il ne pourra s’actualiser que sous la forme d’un nouvel Un, qui procède de l’Un qui contenait la multiplicité. AH !... Oui ? Ca marche ? Qu’est ce que vous voulez, c’est que l’on n’est plus à Alexandrie... Ils comprenaient ça dans le temps, ils comprenaient ça.. il y a des choses que l’on comprend maintenant, hein ?... Bon.. Alors ! Mais c’est pas tout ! Non, c’est pas tout ! D’où je reviens à mon thème, parce que celui là, il m’intéresse, on se rapproche quand même de choses plus modernes.

Mais enfin, encore une fois on n’a absolument pas le droit, de traiter le texte fameux de Kant sur les quantités intensives, comme un texte original de Kant. Et ça m’importe beaucoup dans ce qu’il nous reste à faire la semaine prochaine. Où est la nouveauté de Kant ? Car encore une fois dire qu’il y a une nouveauté de Kant, mais le j’habite sur les quantités Intensive intitulées dans la critique de la raison pure : axiomes.. Heu, non anticipation de la perception. C’est pas là, qu’on a du nouveau puisque Kant nous dit ceci, qui traîne, dans tout le moyen âge, et qui remonte aux néo- platoniciens. Il nous dit : « Qu’est ce qu’une quantité intensive ? » Il nous dit : « C’est une grandeur, c’est une grandeur, c’est une quantité dont la grandeur est appréhendée comme unité ». Un degré de chaleur quel qu’il soit, que ce soit cent degrés, mille degrés, dix milles degrés.. Ou trois degrés.. Et bien, la quantité intensive est toujours appréhendée comme une puissance, Une. C’est donc une quantité dont la grandeur est appréhendée comme unité dans laquelle, la pluralité est virtuelle. Et en effet trente degrés, c’est pas deux fois quinze degrés. Ca contient deux fois quinze degrés mais virtuellement. C’est pas en ajoutant quinze degrés à quinze degrés que vous faites trente degrés. Sinon - comme disait, déjà Diderot, spirituellement - il suffirait d’additionner des boules de neige pour faire de la chaleur. Heu.. Bon. La Quantité Intensive elle est pas additive, elle n’est pas additive, c’est évident. C’est la quantité extensive qui est additive.
-  Donc, Kant nous dit : « La Quantité Intensive, c’est ce dont la grandeur est appréhendée comme unité » . Premier caractère.

-  Donc ce dans quoi la multiplicité ou la pluralité est virtuelle. Deuxième point...

-  Troisième point : et ne peut être représenté que par son rapprochement à la négation égale = 0. C’est-à-dire, par sa distance indécomposable à 0. Une fois dit, que le degré inférieur sera lui aussi défini par sa distance indécomposable à 0, et qu’il y aura emboîtement de distances indécomposables. On ne pourra pas dire de combien. On pourra dire qu’une distance est plus petite qu’une autre, on ne dira pas de combien. C’est ça la définition de la Quantité Intensive chez Kant ! Je dis juste : « il y a rien de nouveau là ! ». Si bien que, tous ceux qui se sont appuyés - et on verra que c’est une école puissante d’interprétation du kantisme - qui se sont appuyés sur le chapitre sur les Quantités Intensives pour comprendre l’ensemble de la Critique de la Raison Pure, par définition, ça me semble être passer complètement à côté, puisque c’était pas là la nouveauté de Kant. Et bien plus ! ça fait de Kant, à ce moment là, une espèce de platonicien, et c’est pas par hasard...Ceux qui, là... je, j’en ai trop dit. Ceux qui ont interprété Kant en fonction de la Théorie des Quantités Intensives, c’est une école allemande très intéressante de la fin 19ème, début 20ème, dont le principal représentant était Hermann Cohen ! Qui était un philosophe très, très remarquable. Pas connu, il n’a jamais été connu en France, mais c’était un philosophe tout à fait...tout à fait important. Bon, eh bien ! Toute l’interprétation d’Hermann Cohen porte à la fois, d’une part, sur les Quantités Intensives, et comme on l’a toujours remarqué, consiste à platoniser, platoniser Kant. Et c’est forcé qu’il y aura que la nouveauté de Kant. Toute l’interprétation de Heidegger, concernant le kantisme, est dirigée, c’est pour ça que c’est important de le savoir au moins, est dirigée contre l’interprétation de Cohen. On verra pourquoi. La question ce serait : « Est-ce que d’une toute autre manière Heidegger lui aussi, ne rate pas complètement la nouveauté du kantisme ? » Est-ce qu’on peut dire ça ? Oui, on peut dire ça ! Est-ce que c’est vrai ? A vous de juger ! Bon !

Enfin, on parle pas de ça pour le moment. Mais, vous voyez c’est forcé, et, comment se définira la Quantité Extensive ? Enfin par opposition.
-  La Quantité Extensive, je dirais, c’est ce dont la multiplicité, c’est une grandeur dont la multiplicité est toujours actuelle.

Et dès lors, second caractère : c’est donc une grandeur dont la multiplicité est toujours actuelle, et (coupure de la bande) alors que la Quantité Intensive c’est une profondeur !

( Gilles Deleuze chantonne) Sauf que ! Sauf que ! Sauf que, avant d’en avoir fini ! On touche au but de cette première partie... Avant d’en avoir fini, faut convenir de quelque chose ! Plus, je descends - vous me direz : « ça va tout changer ! » - « non, ça change pas tout », mais.. Et il faut être sensible à cette essence de l’intensité.

Plus je descends, et plus je considère des manences comme proches de ;(..). Plus je considère des puissances basses. C’est-à-dire, pour parler comme Damascius, des puissances rares ! Par opposition aux puissances denses ! Des puissances raréfiées ! Donnons un grand « N » à 0 : j’ai tout un échelonnement de puissances, de moins en moins denses, de plus en plus raréfiées. Et bien, plus je descends mon échelle de puissances, plus la multiplicité tend à devenir actuelle. Elle tend ! Ça se complique ! Plus la largeur, c’est-à-dire la Quantité Extensive, tend à se présenter, et donc, plus la chute idéale - puisqu’on a vu que, déjà dans le plus haut il y avait une chute idéale au sens où la lumière tombe sans cesser d’être en soi, s’en cesser d’être une manence qui reste en soi, elle tombe, chute idéale de la lumière, qui n’est pas une chute réelle ! - et bien, plus je descends l’échelle des intensités, plus la chute idéale, tend à se doubler d’une chute réelle ! Et les trois ne font qu’un.
-  Plus la multiplicité tend à devenir actuelle, plus la largeur s’affirme au détriment de la profondeur, plus la chute tend à devenir réelle au lieu de simplement idéale. Vous comprenez ? En d’autres termes, ça se détend. Mon échelle des intensités se détend, plus je la descends. Voilà.

Vous tenez bon encore ou vous avez besoin d’un petit repos ?... Ah ?... Faut rouvrir les fenêtres !... Bon, mais alors, pas longtemps, hein ?... Quatre minutes de repos. Quatre minutes ! (Retour)

C’est-à-dire notre seconde partie. Vous voyez de quoi il s’agit dans notre seconde partie ?... Heu... C’est triste, fermez la porte quand Il y a un si beau soleil, mais, ça me trouble beaucoup là !..

Voyez, notre seconde partie, c’est exactement, eh bien !
-  Une fois donné ce mouvement intensif de l’âme extrêmement complexe donc, comment le temps va-t-il surgir comme le nombre de ce mouvement ? Pour le comprendre, il faut d’abord considérer une chose qui va de soi. L’éternité ! L’éternité, il l’appelle « aiôn ». C’est le célèbre aiôn grec. Faut que je schématise aussi hein, parce qu’il y a plein d’autres choses dans l’aiôn, il y a d’ailleurs toutes sortes de choses... L’ aiôn ! Qu’est-ce-que désigne l’aiôn ? L’aiôn, il désigne ce fait que tout est ensemble. Que toutes les puissances sont les unes dans les autres. Elles sont les unes dans les autres, tant les puissances suivantes que les précédentes. Les puissances suivantes sont dans les précédentes par émanation, les puissances précédentes sont dans les suivantes par conversion, par conversion des suivantes. Les puissances suivantes saisissent les précédentes par la conversion. Les puissances précédentes appréhendent et contiennent les suivantes, par émanation.
-  Cette intériorité des puissances les unes dans les autres, c’est l’aiôn ou l’éternité !

Seulement, on vient de dire déjà l’essentiel.
-  Qu’elles soient les unes dans les autres, ne les empêchent pas de se distinguer. Si vous comprenez ça, vous avez tout compris ! Ça suffit de comprendre ça ! Je répète ! Ça ne les empêche pas de "se distinguer". J’ajoute, peut-être que ça les empêche "d’être distinctes". Mais les néo-platoniciens sont très attentifs aux mots qu’ils emploient. Ça ne les empêche pas de se distinguer. Peut être que ça les empêchent pas d’être distincts ou distingués. Pourquoi ? Etre distinct ou distingué, c’est ce qu’on appellera l’état d’une différence extrinsèque. La craie se distingue de la table. (Bruit de craie qui tombe sur une table.) Le mur se distingue du mur qui lui est perpendiculaire. Non ! Oh la la ! qu’est-ce que je raconte ? Oh, mais non, je me suis tout trompé.

La craie est distincte de la table. La pauvre, elle se distingue pas, comment vous voulez qu’elle se distingue ? La craie est distincte de la table. Et, elle est distinguée. Elle est distinguée par moi, par moi, par le nous, par l’âme. Elle est distincte en soi, d’une distinction extérieure... Je veux dire, la craie est hors de la table. La distinction extérieure, c’est quoi ? C’est le statut des quantités extensives. « Partes extra partes » : la quantité extensive se définit par l’extériorité de ses propres parties. C’est ce que les grecs dans leurs mots à eux, je cite ces mots parce que c’est très important - c’est ce que les grecs appellent le domaine des « ta- alla ». « Ta-alla », « ta-alla », c’est quoi « ta-alla » ? C’est les autres ! Et ça s’écrit : « ta », qui est l’article neutre [Gilles Deleuze écrit en même temps au tableau] « alla » : « ta-alla ». C’est les autres au neutre. Voilà ! Je dirais « ta-alla », c’est la multiplicité actuelle ou la quantité extensive.
-  C’est la distinction extrinsèque.

Bon, il n’est pas question que, entre les puissances, il y ait une distinction extrinsèque. Ce serait contre les exigences de l’aiôn, contre les exigences de l’éternité. Les exigences de l’éternité, c’est qu’en même temps, c’est que toutes les puissances soient ensemble ! En d’autres termes, toutes les puissances sont ensemble en tant qu’elles sont Un ! En d’autres termes, elles ne sont pas du domaine des « ta-alla ». Une puissance n’est pas autre qu’une autre. Mais l’aiôn n’exige pas et n’empêche pas que, s’il est vrai que les puissances ne sont pas distinctes ni distinguées, il est vrai pourtant qu’elles se distinguent. Les grecs l’ont parfaitement (inaudible) au pronominal, ils emploient le terme au pronominal pour indiquer cela. Et ils ont un autre mot que « ta-alla », les autres. Ils ont le mot « hétéros », qui a donné chez nous « hétérogénéité ». Et dont il est très difficile de dire, tant ce mot est riche chez les grecs dans sa différence avec « ta-alla », dont il est très difficile de traduire. Ils en tirent un substantif, qui est « hétéro tès », l’ « hétéro tès », l’ « hétéro tes ». Voyez, on ne peut même pas dire l’altérité. La meilleure traduction de l’ « hétéro tès », ce serait : le fait ou l’acte ! La puissance « acte » de se distinguer. Le « se distinguer » saisi dans sa puissance acte. Les puissances sont toutes prises ensemble, mais elles se distinguent d’une distinction interne. « Hétéro tes » et non pas « ta-alla ».

Pourquoi est-ce qu’elles se distinguent ? Tous les degrés de puissance sont pris ensemble dans l’aiôn, mais, un degré ne se confronte pas avec un autre. L’ensemble des processions et des conversions met toutes les puissances ensemble dans l’aiôn, mais en même temps l’ensemble des conversions et des processions distinguent chaque degré de puissance de l’autre. Chaque degré de puissance est pris dans l’acte de se distinguer des autres. Il se distingue des autres, en quel sens ? En ce sens que les autres procèdent de ceux qui le suive, et qu’il se convertit vers les autres, ceux qu’il précède. Il y a un « se distinguer » pris dans sa source comme distinction interne à l’aiôn. En ce sens, est prit dans l’acte de sa distinction interne et pronominal, de sa distinction réfléchie, un « se distinguer » de l’autre, « hétéro tès ». (Deleuze épelle ensuite le mot « hétéro tès » à un élève)

Votre corps est le mien. Mais encore, faudrait voir de plus près ! C’est des (dalles), nos âmes ! Nos âmes, c’est du domaine de l’« hétéro tès ». C’est une distinction interne. Elles se distinguent au sein de l’âme. Et cette distinction est inséparable d’un processus de « se distinguer », du « se distinguer ». Voilà. En tant que chaque degré de puissance se distingue des autres et est pris dans le processus du « se distinguer », on dira qu’il est un « nûn ». Vous en apprenez des mots, hein ? Un « nûn »... j’ai plus de place... là, j’ai une petite place... (Il écrit au tableau)... Il est un « nûn ». Mais là aussi c’est bien difficile de traduire ce mot grec. Le « nûn ». « N », « U », accent circonflexe, « N ». C’est un nûn ! Je peux pas dire autre chose ! (Rires dans la salle) Alors si on essaie de dire autre chose, c’est quoi ? C’est un "pur maintenant". Vous me direz : « Mais, tu te donnes le temps » ? Pas du tout, je me donne l’aiôn. C’est tout. L’éternel. Le nûn grec, ou du moins néo-platonicien, ne présuppose pas le temps. Ils ne sont pas idiots. Il ne présuppose pas le temps. Je définirais le "maintenant" comme le point acte de la distinction interne au sein de l’aiôn. Je ne me donne donc rien du temps. Chaque degré de puissance est un maintenant. En tant que, il se distingue du dedans des autres degrés de puissance. Le nûn, c’est le « se distinguer » du temps.

Voilà ! Vous sentez que déjà on tient le point de départ de cet engendrement du temps, de cette genèsse du temps dans le néo-platonisme. Le nûn va être évidemment la matrice du temps, mais pourquoi. Tout le génie de Plotin, ça, tout le génie ! A ma connaissance, c’est vraiment le premier, le premier grand texte qui nous dit quelle est l’activité de l’âme en tant qu’âme. L’activité de l’âme étant en tant qu’âme, c’est la « sunthesis », c’est la synthèse. Troisième Ennéades, chapitre 8, livre 7...de « L’éternité et du temps ». C’est dans ce chapitre fondamental que nous apprenons que l’activité fondamentale de l’âme, c’est le nûn, donc la synthèse. Oh ! Mais vous me direz : « comme tu vas vite ! » Pourquoi le nûn ? Vous avez compris que le nûn ne supposait pas le temps. Le nûn est le pur maintenant, c’est-à-dire le « se distinguer » de chaque puissance en tant qu’elle se distingue du temps des autres puissances. Ca va ?... hein ? Je vais lentement, parce que je crois que j’en peux plus, je suppose que vous non plus vous en pouvez plus... Heu... Bon !... D’accord ça, ça va !... Mais de quel droit, il vient à me dire c’est la synthèse ? Le nûn c’est la synthèse. Vous comprenez, si je montre ça, on a gagné. Parce que, si c’est la synthèse, c’est la synthèse de quoi ? C’est la synthèse constitutive du temps. Bon !

Les néo-platoniciens, je le dis parce que l’on traite ça tellement , sont les premiers à avoir conçu que le temps était inséparable d’une synthèse du temps. Et selon eux, c’est l’âme qui opère dont l’essence même est d’opérer la synthèse du temps ! Et quand on prétend découvrir cette idée chez Kant, même en la transformant un petit peu, même en disant que c’est pas tout à fait pareil chez Kant, c’est absurde parce qu’encore une fois Kant ne peut pas avoir dit ça, puisque ça avait déjà été dit. Et ça avait été dit par Plotin. Sauf que Kant n’apprécie pas tellement d’être...heu... Alors pourquoi le nûn est-t-il la synthèse du temps ? En un sens on l’a déjà dit il y a plus qu’à reprendre. C’est curieux, remarquez. Le nûn, c’est deux choses pour le moment. C’est le « se distinguer », et c’est la synthèse. Mais comment l’acte de « se distinguer » peut-il être synthèse ?

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La voix de Gilles Deleuze en ligne
L’association Siècle Deleuzien