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56- 28/02/1984 - 2

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Gilles Deleuze - vérité et temps cours 56 du 28/02/1984 - 2 transcription : Ségolène GAFFET et Pauline GRENIER correction : Agathe Vidal

« Faut jamais critiquer, faut pas s’opposer et il faut faire son boulot et puis il faut souhaiter que ce travail fait, ait tout changé. Sinon on n’a pas à annoncer d’avance, on n’a pas à dire d’avance. On n’a pas à dire d’avance, ceux qui disent d’avance : « vous allez voir, ça c’est formidable, c’est nouveau ce que je vous dis ». Généralement, c’est pas très nouveau. Mais les autres, ils opèrent comme des taupes hein ! Ceux qui apportent vraiment du nouveau, c’est toujours la taupe. Ils ont pas tellement l’air d’apporter du nouveau et en même temps, c’est... c’est très curieux, c’est stupéfiant. Donc, je retiens juste - pour le moment : ça a beau avoir l’air de reprendre des termes platoniciens, c’est en rupture et on peut s’attendre à une rupture absolue de Plotin avec Platon. Et cette rupture se manifeste sous cette forme, toute simple :
-  le temps est une dépendance de l’homme.

Ha bon ? Mais alors, encore une fois, il faudrait montrer en quoi c’est absolument différent, de Platon, au point que Platon ne pouvait même pas concevoir - c’est normal de prendre quelques distances - ne pouvait absolument pas concevoir ce que Plotin était en train de nous dire. Nous non plus pour le moment, on ne le conçoit pas. Qu’est ce que ça veut dire cette histoire ? On sent juste, on peut se dire : Ah bah oui, il y a peut être quelque chose là dedans, c’est une grande conversion quoi, la conversion plotinienne parce que... Remarquez, là je m’avance un peu : c’est encore une image indirecte du temps. Cette fois-ci, on nous dira que le temps est relatif aux mouvements de l’âme. D’accord mais voilà le mouvement de l’âme, là aussi, le mouvement de l’âme, ça pouvait être chez Platon. Ca pouvait déjà exister chez Platon, le mouvement de l’âme mais le mouvement de l’âme c’était finalement le même que le mouvement de monde.

Tandis que lorsque chez Plotin, le temps dépendra d’un mouvement de l’âme ; ce mouvement de l’âme sera absolument nouveau. Il sera un type de mouvement dont là, je ne vois pas chez Platon, même la moindre approximation. Un type de mouvement tout à fait ... Bien, donc ça nous fait du travail ! Comment il rompt ? Comment il rompt tout en gardant les mêmes mots, les mêmes.. ? Ouais, il y a une conversion, il y a quelque chose qui s’est passé au niveau des mots, il peut garder les mots, le monde, l’âme et cetera... Et tout a changé pourtant. Ce qui a changé, faudrait voir là. Voilà moi ce que je veux dire. je veux dire que, finalement, l’essentiel chez Platon, c’est l’idée d’une configuration. C’est l’idée d’une configuration et ce que Platon appelle une forme, c’est précisément une configuration. Ce qui compte, c’est une configuration. Qu’est-ce que c’est une configuration ? C’est-à-dire une forme. Et chez Aristote, il concevra la forme d’une manière différente de Platon mais c’est encore une configuration. Je dirais là, je peux le dire, en fonction de nos analyses précédentes,
-  une configuration c’est une distribution, une distribution réglée. C’est-à-dire déterminée par des lois. Une distribution réglée de points ou de positions privilégiés.

Les points ou positions privilégiés sont comme autant de divisions ou de subdivisions. La forme et la configuration, qui correspond à une distribution réglée de points et positions privilégiés. Les points et positions privilégiés sont donc, les divisions et subdivisions de la forme. La forme est donc, non seulement géométrico-physique et elle est également organique, au sens où par exemple jambe, cuisse, torse, cou, tête, sont les subdivisions organiques de la forme humaine, subdivisions organiques de la forme humaine. Dès lors, la forme définie comme configuration implique bien le mouvement.
-  Le mouvement, c’est le passage d’une position privilégiée à une autre. Le passage d’un point remarquable à un autre.

Et par et dans le mouvement, c’est la forme comme configuration qui se subdivise, tout comme les subdivisions se rassemblent et se recueillent dans la forme.
-  Le temps sera une dépendance de la forme en tant qu’il sera le nombre ou la mesure de chaque mouvement. Or, si vous définissez la forme par la configuration - j’insiste que dès lors - il y a une notion qui prend une importance fondamentale et c’est une confirmation de tout ce qu’on vient de voir, c’est la notion de plan. Est-ce que ça veut dire que la configuration est plane ? qu’elle est planitude ? Et là, il faut savoir oui ou non ? Ca dépend ce que vous entendez par "plane". Vous pouvez entendre par plane, monoplane ; à coup sûr non ! La configuration ou la forme platonicienne n’est pas monoplane. Pourquoi ? Je dirais : ce serait tellement peu grec, c’est tellement peu grec, ça irait tellement contre le génie des grecs. Pourquoi, que ça irait contre le génie des grecs ? Parce que c’était déjà pris, l’idée que, l’idée d’un monde plan, monoplan. C’était la grande idée égyptienne, et c’est forcé, et c’est une idée qui appartient au désert.

C’est l’idée égyptienne, c’était la pensée égyptienne. C’était l’art égyptien que l’on peut formuler sous quelle forme ?
-  La forme et le fond sont sur le même plan, la forme et le fond sont sur le même plan. Il n’y a qu’un plan qui est le plan frontal : c’était l’idée de la vieille Egypte. Vous voulez dire : qu’est-ce que ça veut dire ça ? Peu importe. Comme ça, comme ça, du coup quand ils pensaient, ils pensaient dans la planitude. Quand ils faisaient de l’art, c’était du bas relief. La forme et le fond étaient monoplan, séparés par le contour. C’était le contour "plan" qui distinguait la forme et le fond, tout en les rapportant, l’un à l’autre sur le même plan. Bon...

Qu’est-ce ça va être les grecs ? Qu’est-ce que c’est la différence fondamentale des grecs avec les égyptiens ? Oh, ça a été dit, mais euh... Ca a été dit, ça a été très bien dit mais faut le dire à notre manière là. Les grecs, ils découvrent la multiplicité des plans, ça veut dire quoi ? Surtout pas la multiplicité des plans au sens où il y aurait un avant-plan puis un second plan, un troisième plan, tout ça parallèles. Car l’idée de plans parallèles va découler de la découverte grecque. C’est un principe de la découverte grecque. La grande découverte grecque, c’est que, il y a des plans orientés différemment, et qui sont dans des rapports d’intersections. Il peut y avoir un plan perpendiculaire à un autre plan ou bien un plan oblique à un autre plan. C’est ça.

Qu’est-ce que ça donne l’idée d’un plan "perpendiculaire" à un autre plan ? Les critiques d’art l’ont dit très souvent : toute la différence entre l’art grec - enfin facile à dire - toute la différence la plus visible entre l’art grec et l’art égyptien, à savoir l’art grec se fait dans un cube, c’est la découverte du cube. Le cube, ça veut dire quoi ? Ca veut dire que il y a une pluralité de plans, les uns étant perpendiculaires aux autres. Alors, bien sûr là-dessus, ça vous donne des plans proches, ensuite. En d’autres termes, il y a plus égalité de la forme et du fond. Il y a surgissement d’un avant-plan, et par rapport à l’avant-plan, se disposeront des plans en intersections, soient perpendiculaires à l’avant-plan, soient obliques par rapport à l’avant-plan.
-  En d’autres termes, la forme c’est une configuration volumineuse.

Ils découvrent le cube, leur sculpture est cubique, ça revient au même, dire : ils découvrent la sphère. Dans des pages très brillantes, Riegl, commentateur autrichien, disait : qu’est-ce que les égyptiens n’ont pas cessé de faire ? Cacher le cube, cacher le cube. Qu’est-ce qu’ils ont trouvé pour cacher le cube ? La pyramide. La petite chambre funéraire est un cube mais on l’annulera par les faces planes de la pyramide. Donc, la libération du cube, c’est les grecs. Ca vaut pout l’art comme pour la philosophie : c’est une philosophie cubique comme c’est un art cubique. Qu’est-ce que ça veut dire ? Ca veut dire uniquement multiplicité de plans en intersections les uns avec les autres.
-  C’est le planétarium, c’est ça le planétarium. Voilà ce que veut dire configuration chez Platon, et voilà pourquoi la forme platonicienne est une configuration. J’insiste sur le préfixe CON-figuration : ça veut dire la concourrence, concourrence des plans.

Donc d’accord, vous voyez que je peux dire alors, ça se complique, je peux dire que pour les grecs - enfin quitte à ce que cette formule ne soit pas trop générale - pour les grecs, tout est plan. Tout est plat, seulement c’est pas du tout comme chez les égyptiens. Tout est plan signifie chez les grecs que tous les points remarquables, toutes les positions privilégiées d’une configuration, sont nécessairement sur un plan - mais pas le même : la configuration est un volume. Il y aura des points privilégiés sur l’avant-plan et puis il y aura des points privilégiés sur le plan perpendiculaire à l’avant-plan. Ou sur le plan oblique, c’est bien plus compliqué. Je reviens toujours : plan de l’équateur, plan de l’écliptique, c’est leur planétarium. Toute position privilégiée est sur un plan. Oui mais nous ne sommes pas des égyptiens ! Car nous, nous avons plusieurs plans ; nous pouvons donc établir des intersections entre plans. Nous faisons naitre la sculpture au volume. Et le sculpteur qu’est-ce qu’il fait ? Il taille sa figure, c’est-à-dire il constitue une configuration en faisant varier l’orientation des plans de taille d’après des règles bien déterminées suivant l’œuvre à obtenir.

Le démiurge est un sculpteur chez Platon. C’est-à-dire il travaille en volume. Le planétarium est un volume. Il implique ses intersections de plans, dont les uns sont perpendiculaires aux autres ou obliques par rapport aux autres. C’est rudement important ça. Ce que les égyptiens cachaient va devenir au contraire la forme même du temple grec, le temple grec va remplacer la pyramide égyptienne. Ca va être le triomphe du cube, ça va être le triomphe des intersections de plans. Le planétarium est un multi plan. Encore une fois :
-  la configuration platonicienne, vous comprenez, la forme ou la configuration platonicienne, c’est l’ensemble des rapports planimétriques.

Je peux reprendre la formule de tout à l’heure qui s’est enrichie entre temps. Ce sont des rapports planimétriques entre positions privilégiées. Planimétriques voulant dire : les rapports entre les différents plans auxquels appartiennent respectivement, les positions privilégiées considérées. Et la sculpture grecque est connue pour être un véritable planétarium, à savoir : les règles de proportions géométriques et les règles de rapports planimétriques entre les différents plans qui engagent la figure. Et ça va être tout un système d’harmonie, c’est à dire de proportions Euclidiennes, qui vont non pas être appliquées mais qui vont ressurgirent de la statuaire, comme ils ressurgissaient de l’astronomie. Donc lorsque je disais la forme, c’est une configuration - comprenez que c’était beaucoup plus compliqué que ça n’en avait l’air, puisqu’encore une fois la configuration, je peux maintenant la définir, comme,
-  la distribution des positions privilégiées ou des points remarquables, sur des plans différents qui entrent dans des rapports planimétriques et déterminables, déterminables par les règles de proportions.

Bon qu’est-ce que ça veut dire ça ? Ca veut dire que, l’image n’est plus plate. J’ai acquis mon volume mais je l’ai acquis comment ? Oh ! C’est curieux hein ! Il y a que [inaudible] là, là ouais, là, c’est ça qui doit oh ! Voyez ? Vous voyez. [rires] Non. C’est pareil. Bon ! [il dessine sur le tableau] Ca c’est mauvais ! Déjà. Bon. Mais en gros si j’avais, la merveille égyptienne, qui allait se retrouver le bas-relief, le monoplan, qui allait se retrouver dans la figure plus complexe de la pyramide. Les Grecs. [...] Voilà ou bien, ça là, P1, l’avant plan. Voyez aussi la différence avec l’Egypte, c’est que dès que j’ai posé en effet, un plan privilégié, un plan P1, il ne peut pas se confondre avec le fond. il n’y a plus de fond ! les Égyptiens, ils nous amenaient un fond qui était Co ! Plan, co-plan ! [rires] co-plan à la figure, à la forme. Les Grecs... Faudrait aller là, faudrait, il y a plus de fond. [bruit de craie sur le tableau] Ils vous flanquent un plan qui est devenu un avant plan pourquoi ? Parce qu’y se réfère à d’autres plans. Il y a que des plans ! Vous avez un plan, perpendiculaire, vous avez des plans obliques, vous aurez des plans parallèles, vous aurez tout ce que vous voulez, ça vous donnera le cube. il y a plus de fond c’est-à-dire Il y a pourtant une profondeur, puisqu’il y a un avant-plan et qu’il y a plusieurs plans, ben c’est là qui faut faire attention.

Est-ce qui a une profondeur ? Non ! Je ne crois pas, je ne crois pas. Nietzsche mais il veut dire tout à fait autre chose alors - dit dans une phrase splendide : "comme les Grecs manquaient de profondeur". [Rires] A d’accord, c’est vrai à la lettre. Ils ont le cube mais ils ont pas de profondeur. C’est bien autre chose la profondeur. Ou bien ils diront notre profondeur c’est celle du cube mais qu’est-ce que c’est que la profondeur du cube ? Et vous comprenez la profondeur c’est une idée si, si, si, obscure, si peu claire forcément ... Qu’est-ce qu’ils ont ? Mettons que, l’avant plan, c’est comme le surgissement de la figure chez les Grecs, tout se détermine donc avec l’avant plan puisque les autres plans vont être définis par rapport à lui. L’avant plan, c’est ce à quoi les autres plans sont, ou bien perpendiculaires ou bien obliques, ou bien parallèles. Vous avez donc ce que les Egyptiens ignoraient à peu près, je dirais : avant plan c’est la première détermination. Une fois que vous l’avez comme première détermination - donc vous n’avez plus le monde Egyptien. Puisqu’il y a rupture avec le fond. Je vous disais mais il n’y a plus de fond ! Ben oui il y a rupture avec le fond. Il y a un avant-plan, qui vous permet de définir d’autres plans. Les autres plans c’est ceux qui sont ou parallèles ou perpendiculaires ou obliques, à l’avant-plan. Ça vous donne le cube. Ça vous donne la sphère.

Est-ce qu’il y a une profondeur ? ... je ne sais pas ! Si il y a une profondeur, elle est réduite à un plan. je dirais la profondeur c’est le plan perpendiculaire à l’avant-plan. Voyez dans ma figure c’est une hauteur, mais parce que ma figure est en deux dimensions. En fait c’est, c’est ça pure, euh, pure perspective. Ca c’est un angle droit, vous voyez euh si c’est là mon avant-plan, mon plan perpendiculaire c’est ceci. Je dirais bon, vous voyez ? Vous comprenez ? hein ? Il faut bien comprendre ça. Alors, mais une médiane. Hein, je dirais d’accord mais, puisque la forme, puisque la forme c’est une configuration, tout sera toujours sur un plan. Pas sur le même encore une fois, ils sont pas Egyptiens, ils ne sont plus Egyptiens. Tout sera pas sur le même plan. Mais tout sera sur un plan dont le rapport sera déterminable avec l’avant-plan.
-  En d’autres termes, la profondeur se sera un plan.

En d’autres termes qu’est-ce qu’ils ont fait ? Ils ont emprisonné la profondeur. La profondeur c’est quelque chose de tellement dangereux qu’ils l’ont emprisonné dans leur cube. Mais ça va, ça va avoir des conséquences énormes parce que, ils en ont fait une dimension de la forme, du profond, ils en ont fait une dimension de la forme. Évidemment qu’ils font une géométrie dans l’espace. Mais la troisième dimension c’est quoi ? La troisième dimension, elle est homogène aux autres dimensions. Et pourquoi que la troisième dimension elle est homogène aux autres dimensions ? Parce que, elle se définit par un plan, elle se définit par un plan perpendiculaire à l’avant-plan ! Voilà, ce qu’ils en ont fait. C’est bien par là que ils sont Apolliniens. Nietzsche ne le présente pas comme ça - on peut le présenter de tant de façons très différentes - Apollon,/ Dionysos. Ils sont Apolliniens, mais comme le dit Nietzsche : "Dionysos gronde". La profondeur, elle est pas contente de s’être laissée emprisonnée dans le cube. Elle gronde. C’est le grondement dionysiaque ! Mais enfin le cube flotte là dessus, le cube il flotte...Il a emprisonné la profondeur, emprisonné la profondeur, ça veut dire la réduire à un plan.

J’en voudrais une confirmation philosophique. C’est évident dans la sculpture. Dans la sculpture c’est évident pourquoi ? Car la sculpture grecque, comme Worringer l’a montré de manière définitive, la sculpture grecque c’est le prima de l’avant-plan. C’est le prima de l’avant-plan. Alors. Tout. En effet, tout s’organise en fonction de l’avant-plan et tous les autres plans sont déterminés dans leur rapport harmonique avec l’avant-plan. Et c’est la grande rupture avec la sculpture égyptienne.

Mais alors comprenez. Parlons philosophie maintenant. Qu’est-ce que ça veut dire faire de la philosophie, pour Platon ? C’est pas difficile, faire de la philosophie c’est diviser les choses d’après des concepts. C’est faire des divisions. C’est faire des divisions qui ont pour règles, des concepts et des idées. Comment une chose se divise-t-elle ? C’est ça faire de la philosophie. C’est pour ça que Platon, il emploie tout le temps la métaphore du charcutier, du boucher. Il dit : c’est comme la boucherie ! Il s’agit de trouver les articulations ! Ah ! Les articulations ! Les articulations ça nous va tout à fait, c’est les articulations de la forme organique ! C’est les divisions, les subdivisions ! Il faut couper les choses d’après les plans qui les traversent. C’est la vision planimétrique. C’est ça, ce que fait le boucher.

Faire de la philosophie c’est diviser. Je prends une notion et je demande qu’est-ce que c’est ? Par exemple la notion d’art. [Interruption de l’enregistremment]. Dit-il comme ça, et comment il l’a trouvé ? Des arts de productions et des arts d’acquisitions. Ah bon. Et puis, mais qu’est-ce que c’est l’acquisition ? il y a deux acquisitions. On peut acquérir par échange. Acquisition par échange, on peut acquérir par capture. Bon, qu’est-ce que c’est que l’échange ? Qu’est-ce que c’est que la capture ? On continuera, on divisera... Jusqu’à quoi ? Tant qu’on pourra ! Et à chaque fois c’est comme si on avait un plan et qu’on découpait deux plans, dans le plan. On appellera ça il a un nom ; là je donne le noms grec parce que c’est important. C’est, le procédé [il écrit au tableau] : cata, pas de problème, cata ça veut dire d’après, selon, hein. Cata plathos. Cata plathos, c’est la division selon la largeur. C’est la division selon la largeur. [...] En fait ! plathos, c’est l’avant-plan. La largeur, l’avant-plan.

Et Platon nous le dit à la fin du « Sophiste », la division opère d’abord "cata pathos", d’après la largeur. Et puis il ajoute, mais faut pas oublier, [il écrit au tableau] elle opère aussi cata, accent grave, cata mècos. Mècos c’est quoi ? Dans les dictionnaires, on le traduit tout comme on traduit plathos par largeur, on traduit mècos par longueur. Tout ce que je veux dire c’est que je crois chez Platon ou que chez les philosophes c’est beaucoup plus rigoureux que ça. Cata plathos c’est l’avant plan. Et, cata mècos, c’est, un plan perpendiculaire. C’est à dire je divise une chose, d’après deux plans, à l’avant plan ça me donne une droite et une gauche. Cata mècos, suivant le plan perpendiculaire, ça me donne, un avant et un devant et un derrière. En d’autres termes, la division est volumineuse. La division comme opération de la philosophie est volumineuse. Elle opère cata phlatos et cata mècos. Qu’est-ce que je veux dire, pourquoi que je vous ai dis ça ? Voyez, voyez qu’est-ce qu’il a fait Platon ? Quelle horreur ! Quelle horreur ! Ce qu’il a fait mais vraiment comme comme on raconte une légende. Il a emprisonné le dragon. Il a réduit la profondeur à un simple "mècos". Oh. Il a réduit la profondeur à un simple mècos mais facile à dire car les grecs ils ont un mot pour la profondeur. Et c’est pas mècos ! Vous savez c’est le dernier mot grec que je voudrais que vous reteniez parce qu’on en aura besoin. C’est...[il écrit au tableau] bathos ! bathos ! B. A. T. H. O. S. C’est l’expression "cata bathos", elle existe aussi. Mais en vrai elle n’existe pas chez Platon. Chez Platon vous trouvez le mot bathos, au sens de la profondeur. Vous ne trouvez pas "cata bathos", selon la profondeur. Vous trouvez "cata bathos" et ça ça doit nous vous ouvrir des horizons et vous expliquez d’avance pourquoi j’insiste et je traîne tant sur ce point, vous trouvez cata bathos à partir d’un plan [inaudible] Pourquoi vous ne le trouvez pas chez Platon ? Euh enfin il faut mieux que je sois prudent, ou que si vous le trouviez, ce serait une fois par hasard [rires] mais à mon avis vous le trouvrez pas. Vous trouverez encore une fois bathos parce que c’est un nom courant mais c’est pas ça qui m’intéresse vous le trouvrez pas cata bathos. Vous trouverez cata plathos et cata mècos, c’est parce qu’il a réduit le plathos au mècos. Qu’est-ce que ça veut dire ? Réduire le pathos au mècos ? Bah, c’est euh c’est une opération, c’est, c’est une inévitable escroquerie, c’est l’escroquerie grecque. Je veux dire, c’est par là, c’est, c’est, c’est génial en même temps. Une profondeur, vous voyez. Je vous vois en profondeur là, ça veut dire quoi ? Ca veut dire que, entre autre, que, vous vous recouvrez les uns les autres. Là je vois, bon, il y a un système de recouvrement. Vous me suivez ? Donc moi j’ai mon avant plan, voilà c’est ça, mon avant plan, je fais mon petit dessin voilà. Alors euh, une craie, de la moustache, euh [inaudible], une tête, je fais les yeux, mon avant plan. Ma profondeur. [...] Voyez ! Là, les formes se recouvrent. Hein !? L’un est caché derrière l’autre ou un bout de l’un est caché derrière l’autre. Bien. Seulement ! C’est moi qui suis là ! Il y a toujours quelqu’un pour qui ma profondeur est une longueur. Et donc celui qui est là. Il y a toujours quelqu’un pour qui ma profondeur est une longueur. Simplement, à charge de quoi ? A charge que pour lui, il y est une profondeur, qui pour moi est une longueur.
-  En d’autres termes, la profondeur est une longueur possible. Mais elle ne peut pas devenir longueur sans cesser d’être profondeur, c’est à dire sans qu’une autre profondeur prenne sa place. Mais c’est vrai la profondeur est une longueur possible. Il faut ajouter possible. En tant que profondeur réelle elle est irreductible à la longueur. Mais une fois connue, la conception platonicienne de la configuration, de la configuration volumineuse définie par les plans et leurs intersections. Comprenez bien ! Il ne pouvait concevoir le profond, la profondeur, le pathos, que sous la forme d’une longueur, sous la forme d’un mècos.

-  La profondeur était domestiquée, par et dans le cube. La profondeur n’était rien d’autre que le plan perpendiculaire à l’avant-plan. C’est-à-dire une longueur. Donc, c’est très important. Mes deux résultats pour le moment, c’est :
-  les grecs autant que Platon, conçoivent nécessairement la forme comme une configuration multiplane. La multiplicité des plans est constitutive du planétarium, c’est-à-dire, consiste en rapports harmonieux et assignables et géométriquement déterminables entre plans orientés différemment. Tout point ou toute dimension, appartient à un plan. Donc, la profondeur, appartient à elle-même est ramènée à un plan. Qu’est-ce que ça veut dire ? Ca veut dire, la forme, comme configuration chez Platon, [il frappe du point sur la table tout au long de la phrase] ne peut être spirituellement ou sensiblement qu’une forme rigide solide. Elle est géométrico-physique. Tout ça s’enchaîne.

-  Le caractère solide ou rigide de la forme,
-  le caractère planimétrique ou multiple,
-  et la réduction de la profondeur à la longueur c’est-à-dire, à un plan, à un plan perpendiculaire à l’avant plan ;

tout cela définit à la fois et l’art grec et la philosophie grecque, au temps de Platon.

Il faudrait y ajouter un quatrième et dernier caractère. Vous suivez tout ça ? Vous me suivez ?... C’est euh ? Ca vous en retenez comme ça hein... Et le dernier caractère est tout aussi important. C’est la lumière, c’est la même chose. La lumière, elle est à son tour, dépendante, du cube, c’est-à-dire du planétarium et de ses rapports planimétriques, et de ses rapports planimétriques.

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