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56- 28/02/1984 - 1

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Gilles Deleuze - vérité et temps cours 56 du 28/02/1984 - 1 - Transcription : Alain Guilmot

Alors concernant les... concernant la question du rapport vérité-temps, nous sommes, comme vous l’avez bien remarqué, dans une partie philosophique depuis plusieurs mois ; cette partie philosophique, à mon avis, on va la poursuivre encore deux trois fois, et puis on reviendra à un statut de l’image ; on aura trouvé du cinéma, de la philosophie... pour le moment, on est dans cette histoire enfin qui, euh, enfin, euh, qu’on a prise au niveau des grecs et au niveau de Platon et qui est vraiment l’image indirecte du temps ; et tout le sous-entendu de ce que là on essaie de faire, c’est ... Lorsque le temps... Lorsque le temps est philosophiquement l’objet d’une image indirecte, et seulement d’une image indirecte, ça suppose une certaine conception de la vérité ; si l’image du temps subit des mutations, c’est évidemment le concept de vérité qui est ébranlé qui subit lui-même une mutation. Or, si je résume le point où on en est et sur lequel il me semble qu’on a suffisamment insisté, je rappelle le schéma qu’on était arrivé à dégager avant les vacances. Ce schéma, je voudrais qu’il soit très clair puisque je considère que c’est la même chose adressé à des philosophes ou à des non-philosophes ici ; c’est pas plus compliqué, par exemple pour ceux qui s’intéressent davantage au cinéma, mais prenez le comme des espèces d’images à la lettre, au sens étymologique, des images cinématographiques. Ça va venir dire quoi ce premier stade que l’on étudiait et que l’on poursuivait chez Platon ? Ça va venir dire : et bien le temps, oui, reçoit sa définition fameuse : mesure ou nombre du mouvement.

-  L’on voit bien que, lorsque l’on dit que le temps c’est la mesure ou le nombre du mouvement, c’est une image indirecte du temps en tant qu’elle dérive du mouvement. C’est une image indirecte du temps. Dès lors en quoi consiste le mouvement ? Il ne faut pas que sa définition présuppose le temps. Et bien dans le schéma platonicien, le mouvement, c’est le mouvement d’extension. Ce qu’on appelle le mouvement local. C’est-à-dire : le mouvement qui consiste en ceci : qu’un objet, qu’un quelque chose passe d’une position à une autre. C’est donc le mouvement comme quantité extensive. Vous me direz : ce n’est pas si simple chez Platon. Et bien, oui, non, non ce n’est jamais si simple chez personne. C’est dans le Commentaire qu’on peut durcir les choses. Platon n’a même pas besoin de dire "le mouvement est une quantité extensive" pour une raison très simple, c’est qu’il n’a pas l’idée d’une autre quantité. On me dira : si, il a l’idée d’une autre quantité. Voir, sans doute il a l’idée d’une autre quantité. Il faudra qu’il y ait des changements et des ruptures avec Platon pour qu’on s’aperçoive qu’il y avait l’idée d’une autre quantité. C’est-à-dire il faudra que ce soit dégagé par d’autres chemins et que, par un retour à Platon, on se dise "ah mais est-ce qu’il n’y avait pas déjà ça chez Platon" ? Car c’est par là que c’est très très difficile : d’assigner pour chaque grand penseur ou pour chaque grand auteur ce qu’il y a de nouveau chez lui, en quoi consiste la nouveauté, quelles sont les nouveautés encore en puissance, quelles sont les nouveautés formelles, c’est-à-dire formellement présentées. Tout ça. Peser, l’art de peser les textes, qui est l’art du lecteur, ou du commentateur, est très difficile parce que, dans un texte, il y a toujours l’implicite et l’explicite, il y a toujours plusieurs niveaux coexistant, c’est toujours très très difficile.

Mais je dis juste donc : le mouvement, c’est le passage d’une position a une autre, ce qui implique quoi ? Ce qui implique que le monde est une configuration. Le temps c’est le nombre ou la mesure du mouvement de quoi ? Du monde. Il s’agit du mouvement du monde. Le monde, c’est une configuration en quel sens ? En ce sens que le monde, c’est inséparable de la répartition et de la distribution des points privilégiés qui s’opèrent dans une matière. Qui s’opèrent, pas qui s’opèrent toutes seules, mais que le fabriquant du monde, le Démiurge, impose à une matière. Si bien que le monde se définit comme configuration c’est-à-dire distribution des points privilégiés. Et cette distribution des points privilégiés dans le Timée de Platon apparait, à l’issue d’opérations qui sont celles du Démiurge, du fabriquant du monde, apparait sous une forme extrêmement complexe mathématico-physique, géometrico-physique, fondée, ainsi que je dis les grandes directions, grandes directions me semblant être une théorie géométrique des proportions extrêmement poussée dont on trouvera le développement purement géométrique dans un livre de la Géométrie d’Euclide qui va extrêmement loin et qui va constituer la grande théorie des proportions. Mais d’autre part aussi, il n’y a pas que la théorie des proportions qui permet de fixer les points privilégiés, il y a aussi tout un jeu, et là j’insiste, tout un jeu des plans, des plans les uns par rapport aux autres. Et on verra pourquoi là j’ai tellement besoin d’insister aujourd’hui, ce que je n’avais pas fait les autres fois, sur la notion de plan. Et en effet, ce sont les plans en fonction desquels s’organise le monde qui vont permettre, outre les proportions, qui vont permettre la détermination des points privilégiés. En quel sens ? Par exemple, toute cette astronomie qui commence par distinguer le plan de l’équateur et le plan de l’écliptique. Et, suivant les orientations des plans les uns par rapport aux autres - un plan peut être perpendiculaire par rapport à un autre plan, on verra l’importance de cela, il peut être oblique par rapport à un autre plan - c’est cette configuration de plans qui va définir quoi ? Et bien, le planisphère, le planétarium. Et la distribution des points privilégiés sur ce planisphère. Une fois dit qu’un point privilégié est toujours sur un plan. Et là j’insiste parce que tout cela, ça va tellement peu de soi qu’on va voir comment tout va être remis en question. Mais, dans le platonisme pur, il me semble que c’est ça. Le planétarium est comme fait d’une organisation de plans relatifs les uns aux autres. Et c’est en fonction de cette organisation mutuelle réciproque des plans que se fait l’assignation des points privilégiés, plan de l’équateur, plan de l’écliptique, encore une fois pour revenir à la base du Timée et de l’astronomie du Timée. Dès lors, voyez que le mouvement - j’ai donc d’abord le monde, je viens de définir le monde - le mouvement, euh c’est une, euh, c’est une série de distinctions logiques, chronologiquement, c’est donc donné en même temps tout ça. Le mouvement en sort tout droit. Le mouvement c’est donc le passage du monde ou d’un élément du monde d’un point privilégié à un autre.

Dès lors on comprend, directement, en troisième temps, dans une déduction purement logique : le temps, une fois dit que vous êtes en droit, mais encore fallait-il être en droit, une fois dit que vous êtes en droit de définir le mouvement comme passage du monde ou d’un élément du monde d’une position privilégiée à une autre, ce qui implique un planisphère, encore une fois ce qui implique des plans, les points privilégiés n’existent que sur des plans ; un point privilégié implique un plan ; un plan peut comprendre plusieurs points privilégiés mais de toutes manières, un point privilégié est sur un plan. Et bien, une fois que vous avez le monde ainsi défini comme un ensemble de plans organisés les uns par rapport aux autres, le planisphère, vous avez le mouvement, lui-même position du monde, passage du monde ou d’un élément du monde d’un point à un autre - je dis d’un élément du monde puisqu’il y a toutes sortes de sphères orientées suivant des plans différents qui vont être en mouvement - et le temps c’est le nombre du mouvement du monde, ou la mesure du mouvement du monde, à savoir, il mesure le passage d’un point privilégié à un autre.

Jusque-là supposons que ce soit clair, ce que je viens ... Ce qu’on a vu la dernière fois, c’est quoi ? C’est un schéma très simple, c’est que, et bien euh, bien sûr, bien sûr, tout ça c’est très bien ça ne passe pas si simplement. Parce que, ce qu’on vient de dire cavait d’autant plus qu’on s’éloigne de la Terre. Et des hommes. C’est-à-dire plus on va vers le supra lunaire. La Lune étant la planète la plus proche de la Terre, plus on va vers les limites du monde, plus ce schéma fonctionne, à la fois physiquement et géométriquement. Plus on se rapproche de la Terre et des hommes, plus les accidents surviennent, c’est-à-dire plus se présentent des anomalies de mouvement. Anomalies de mouvement signifiant quoi ? Ben que le mouvement n’obéit plus aux règles que je pourrais appeler maintenant planimétriques. Aux rapports planimétriques, c’est-à-dire aux rapports déterminés par la distribution des points privilégiés sur des plans assignables. Plus il échappe à des relations planimétriques. Déjà la grande anomalie, c’est ça une anomalie du mouvement ; vous comprenez, c’est, c’est... Une fois dit qu’on vient de définir le mouvement comme euh précédemment, c’est ça une anomalie. Et une des grandes anomalies du mouvement dans l’astronomie platonicienne, c’est déjà l’éclipse. L’éclipse au niveau de la Lune, pourtant loin de la Terre. Et plus on se rapprochera de la Terre, c’est-à-dire plus on est dans ce qu’Aristote appellera - puisque c’est Aristote qui va trouver des mots aussi beaux ; on avait, le correspondant existait déjà chez Platon - plus on s’approche de la Terre, plus le mouvement va présenter d’anomalies. Ça veut dire quoi ? Et bien, moins il va suivre les directions, les orientations que lui fixait la distribution planétaire des points privilégiés sur des plans dont les rapports planimétriques, dont les rapports métriques étaient assignables.

-  Et tout notre thème a été celui-ci : plus l’on s’approche de la Terre, plus le mouvement présente d’anomalies et plus le mouvement présente d’anomalies, plus le temps tend, si j’ose dire, va prendre de l’indépendance. Il tend à prendre de l’indépendance et c’est terrible, c’est terrible ; pourquoi ? Il tend par exemple, il tend, il tend à devenir rectiligne, il tend à devenir uniforme. En d’autres termes, il s’abstrait du mouvement. Il s’abstrait du mouvement et des points privilégiés du mouvement. Il devient temps abstrait valant pour lui-même.

Mais je disais la dernière fois, et c’est là-dessus qu’on terminait : s’il est abstrait et devient temps abstrait en tant qu’il s’abstrait du mouvement, en tant qu’il se met à valoir pour lui-même, il affirme aussi une réalité concrète d’un type tout à fait nouveau puisque irréductible au mouvement conçu comme passage par des points privilégiés. Ce qu’il affirme comme réalité concrète en même temps qu’il s’abstrait du mouvement, c’est quoi ? Il renverse les choses.

C’est le mouvement qui devient abstrait, qui ne se rapporte plus qu’à une position quelconque et non plus à des positions privilégiées. Et en ce sens, c’est le mouvement qui dépend du temps. Ce n’est plus le temps qui dépend du mouvement. Seulement, au niveau platonicien et même au niveau aristotélicien, cela ne vaut qu’au niveau des anomalies du mouvement, c’est une situation fondamentalement anomale, je dis anomale au sens grec du terme, c’est-à-dire une situation irrégulière.

Et c’est terrible pourquoi ? Le temps se met à valoir pour lui-même, il tend à renverser sa subordination au mouvement pour se subordonner à un autre type de mouvement, mouvement purement rectiligne. C’est plus le même temps. A la lettre il faut reprendre, à des siècles de distance, le cri de Hamlet, le cri de Hamlet, c’est : "le temps sort de ses gonds". Le temps sort de ses gonds. Et bien, chez les grecs, plus on se rapproche de la Terre, déjà chez Platon, plus il y a place pour Hamlet, c’est-à-dire pour Œdipe, le temps sort de ses gonds et le drame d’Hamlet, ou le drame d’Œdipe, euh ce n’est pas la misérable histoire du père et de la mère, c’est la grande histoire du temps qui sort de ses gonds. Et qu’est-ce que ça veut dire : le temps sort de ses gonds ? Faut le prendre à la lettre. Les gonds c’est quoi ? Les gonds, c’est ce autour de quoi tourne... Nos misérables portes, sont imparfaites parce que ce ne sont que des moitiés de portes. Je veux dire : elles tournent d’à peine 180°. La porte du monde, je veux dire la porte comme monde ou le monde comme porte, c’est une porte-tambour, c’est-à-dire une porte qui tourne, qui fait le tour complet de 360°. Les gonds, à la lettre, le texte anglais, je vous le rappelle, enfin, et toujours en faisant des réserves sur mon accent, "the time is out of joints", ce que nous traduisons, [avec un sourire :] ce n’est pas la peine de rire [rires d’étudiants], c’est euh, d’abord c’est pas poli, si je me mettais à parler japonais, ils ne riraient pas [rires d’étudiants], euh je le ferai mais j’arrive pas à me rappeler, euh "le temps sort de ses joints, le temps sort de ses gonds. Les gonds donc, c’est ce autour de quoi tourne la porte. Qu’est-ce que ça veut dire : la porte tourne ? C’est-à-dire : elle passe d’un point privilégié à un autre. Le gond en Latin c’est quoi ? C’est ’cardo’. Le cardo c’est ce autour de quoi tourne quelque chose, passant ainsi par des points dits ’cardinaux’. C’est le planétarium. C’est le centre du planétarium. Le gond, le joint, c’est aussi le joint des plans. Vous avez un plan nord-sud, un plan est-ouest, vous avez deux plans perpendiculaires qui vont distribuer la porte en quatre cases et, si vous l’étalez, vous avez un passage l’ouest, le nord, l’est, le sud. C’est ça le gond. C’est ce autour de quoi tourne le planétarium ou le mobile en passant de telle manière qu’il passe par des points cardinaux, des positions privilégiées.

Le temps sort de ses gonds. La porte sort de ses gonds. Il n’est plus le nombre du mouvement. Il ne se subordonne plus. Il ne mesure plus le passage d’un point privilégié à un autre, il est sorti de ses gonds. A la lettre : il prend la tangente. Dès lors, c’est le mouvement qui dépend du temps car le mouvement ne peut plus être rapporté qu’à des positions quelconques, qu’à la position quelconque du mobile. Quelle que soit la position du mobile, il n’y aura plus de moment privilégié, il n’y aura plus de position privilégiée. Le temps sort de ses gonds, c’est Œdipe qui prend son chemin d’errance. La plus sémite des tragédies, je vous le disais, d’après le mot de Nietzsche est Œdipe car Œdipe prend son chemin d’errance, c’est-à-dire à la lettre il prend la tangente. Il entre dans un temps qui est sorti de ses gonds, exactement comme Caïn recevait le signe de Caïn et il prenait le chemin de l’errance, c’est-à-dire d’un temps sorti de ses gonds. Et là, c’est le mouvement qui dépend du temps, c’est la longue marche d’Œdipe, la longue marche de Caïn qui dépend du temps. C’est le mouvement qui dépend du temps, et pas l’inverse.

Et je disais, comprenez : mais que les grecs le vivent ça, l’aient vécu, ben oui ils l’ont vécu. Ils l’ont vécu sous quelle forme concrète ? Et bien, sous au moins deux formes très concrètes. Et c’est ma dernière récapitulation : ils l’ont vécu dès le moment où la loi de la petite cité ne convenait plus. La loi de la petite cité, c’est quoi ? C’est la juste rétribution de chacun. La juste rétribution de chacun ou, si vous préférez, la compensation des déséquilibres. La juste rétribution des peines, des fautes et des peines. L’un sort de son droit, ben il y aura un châtiment. Les vivants se paient les uns aux autres leurs injustices suivant l’ordre du temps, c’est-à-dire suivant l’ordre du temps qui mesure un mouvement. Là, le mouvement passe par des positions privilégiées qui sont le rétablissement des équilibres, le rétablissement de l’équilibre, la compensation des déséquilibres et la compensation des déséquilibres, je vous le disais, c’est déjà - et c’est constamment le thème de l’histoire d’Hérodote, c’est le thème de toute l’Ethique dans la petite cité - et c’est le thème, comme on l’avait vu, c’est le thème économique des équivalences. Et comme Eric le racontait là, la dernière fois, si vous cherchiez une formule de cette circulation ou cette compensation du déséquilibre qui fait que le mouvement restaure toujours l’équilibre en passant par ces points privilégiés où s’établissent les compensations, c’est la formule MAM où l’argent c’est le temps, et oui l’argent c’est le temps ; de tous temps, l’argent c’est le temps. Et le temps, c’est l’argent. Simplement, il s’agit de savoir quel temps. Dans la formule MAM - Marchandise/Argent/Marchandise, le temps, c’est le nombre du mouvement, c’est-à-dire, c’est ce qui mesure l’échange des marchandises. Dans ce sens, c’est l’équivalent des marchandises. Il compense le déséquilibre des marchandises. Ou : il instaure l’équilibre des marchandises. Le temps c’est l’argent et l’argent c’est la mesure de l’équilibre des marchandises. Donc au niveau de l’homme. Mais au niveau de l’homme justement, c’est, ce schéma rencontre de plus en plus d’anomalies. Je disais : ce qui est mis en question, c’est la juste rétribution des biens et des maux, la compensation des déséquilibres. Ça veut dire quoi ? Et bien ça veut dire, ben oui, il n’y a plus de compensation. A Hérodote succède Thucydide. Et l’Histoire va être conçue comme un développement déjà linéaire, c’est-à-dire une succession d’états de déséquilibres qui ne peuvent plus être compensés. Une étrange violence est en train de balayer la petite cité grecque. Ça ne peut plus se compenser. Et ce que Eric montrait très très bien à la fin de la dernière fois, je trouvais son intervention d’une clarté comme moi je n’y arrive pas, c’est que chez Aristote, à l’économie de l’Ethique du type MAM se juxtaposait une économie d’une toute autre nature qui était comme l’effondrement de l’autre, même si elle se greffait sur l’autre, elle était a la fois greffée sur la première et elle entrainait son effondrement, et elle prenait comme formule AMA’, c’est-à-dire où la marchandises n’est plus qu’un intermédiaire entre l’argent, et là où on voit bien qu’il n’y a plus du tout compensation des déséquilibres, il y a au contraire, production et accroissement d’un déséquilibre ; en quel sens ? Il faut toujours que A’ soit plus grand que A. En d’autres termes : l’argent produit de l’argent. L’argent produit de l’argent. C’est la chrématistique qui met en cause toute la structure économique de la cité grecque. L’argent produit de l’argent. C’est le temps qui a pris son indépendance. C’est le temps qui ne mesure plus le mouvement des marchandises et leur circulation, au vrai sens de circularité. Les positions privilégiées marquées par les marchandises se sont effondrées. Il n’y a plus que la succession rectiligne et quelconque de A, A’, A’’, A’’’, etc. où toujours A’, A’’, etc. est en croissance, si bien que c’est très bizarre : ce temps abstrait est aussi un temps au sein, dans le sein duquel ne cesse de s’enfanter, de se créer quelque chose que les grecs ... se créer quelque chose de toujours nouveau, comme marqué par le mal. C’était la moindre des choses, et ça se présentait bien ainsi. Ça se présentait bien ainsi. Et la juste rétribution des peines a disparu. C’est encore au temps d’Eschyle que l’homme injuste recevait la rétribution de son injustice c’est-à-dire qu’il y avait restauration de l’équilibre.

Avec Œdipe, il n’y a plus restauration de l’équilibre. Il n’y a plus restauration de l’équilibre. Œdipe, encore une fois, prend ce chemin où c’est le mouvement qui dépend du temps et du développement du temps. Ce temps abstrait et ce temps pourtant producteur. Bon, il suit son chemin infini. On ne peut même pas dire qu’il est châtié. Il y a un vieux reste du châtiment : il s’est aveuglé, il s’est crevé les yeux. Ça fait partie de la vieille Grèce, c’est le côté Eschyle. Parce que les choses ne se font jamais, euh en une fois. Ça, c’est le type rétribution. Mais voilà, il s’est aveuglé, ça ne finit pas là. Et c’est le vieux, ça c’est le vieux, c’est le vieux, c’est l’hommage de Sophocle à la vieille tragédie. Et en même temps, Sophocle ouvre la nouvelle tragédie. La rétribution n’a rien rien réglé. Il prend son chemin, il s’en va, il s’en va en exil. De même, il n’y aura pas de rétribution du meurtre de Caïn. Caïn recevra le signe que lui impose Dieu et ce signe sera au contraire ce signe qui marquera que personne ne doit être touché. Il doit continuer son temps. Mais voilà que le temps devient une espèce de ligne continue. Il est à la fois la pire abstraction puisqu’abstrait du mouvement et la nouvelle réalité concrète.

Donc je résume tout en disant : oui d’accord, le nombre est la mesure du mouvement. C’est une formule que nous pouvons commenter à la lettre et c’est ça le temps comme image indirecte mais attention : si vous demandez les grecs y croyaient-ils là ? Oui et non, c’est très compliqué, oui et non. Plus on s’éloignait de la Terre, plus ils y croyaient, plus on se rapprochait de la Terre, plus le mouvement avait d’anomalies et plus le temps sortait de ses gonds, c’est-à-dire, prenait de l’indépendance par rapport au mouvement. C’était une remise en question totale du concept grec de vérité mais cette remise en question totale du concept de vérité se faisait sous la Lune ; elle se faisait sous la Lune ; c’était le bon temps ; la vérité était supra lunaire. Et il m’a semblé qu’il pouvait être intéressant - là je ne développe pas mais je considère que c’est fait, qu’on l’a fait - de considérer l’ensemble, si je voulais, s’il y avait lieu, ce que je ne propose pas, la possibilité d’un exposé systématique de la philosophie d’Aristote qui pourrait prendre à peu près l’ensemble de l’aristotélisme, je veux dire aussi bien sa physique, sa métaphysique, son économie, son éthique, etc. dans ce schéma, car Aristote, beaucoup plus que Platon, a marqué ce mouvement par lequel, plus on se rapproche de la Terre, plus mes causes accidentelles, plus les anomalies de mouvement interviennent, et comment, dans ces anomalies de mouvement, point un nouveau temps qui ne peut plus être défini comme Aristote définissait le temps, à savoir le nombre ou la mesure du mouvement.

Voilà où on en est. Il faut que ce soit limpide ça. Il faut, vous comprenez, il faudrait presque que là on fasse le mélange, le mélange vrai que, c’est absolument comme si je vous racontais un film de, un film de science-fiction quoi, hein, c’est comme ça, c’est ... Alors il faut que vous l’ayez bien dans les yeux tout ça, pas dans la mémoire, ce monde qui, ce monde, et voilà, et je dis, et je dis ben voilà, je vais vous raconter quelque chose d’autre et qui se passe bien des siècles après et ou c’est très compliqué, très compliqué de peser les différences puisque, bien des siècles après, à savoir au troisième siècle après Jesus Christ surgit un philosophe qui s’appelle Plotin, après Jesus Christ, quoiqu’il n’y ait pas la moindre référence chez Plotin d’un événement qui aurait été Jesus Christ, euh... et qui se produit dans l’Empire d’Orient. C’est intéressant qu’on entre dans une atmosphère d’Orient. Plotin, c’est une famille romaine installée en Egypte et il sera le fondateur de ce qu’on appelle le néoplatonisme. Il faut insister sur "néo" puisque les platoniciens, il y en a eu de tous temps, depuis Platon, jusqu’à Plotin.

Mais voilà que lui, il fait du néoplatonisme, c’est-à-dire il l’invente. Et c’était Plotin, je ne vais pas vous dire, si enfin puisque c’est ça que je voudrais essayer de vous dire : c’est extraordinaire. C’est un des plus grands philosophes qui soient. Et c’est tellement étrange, tellement étrange, seulement il faut, comme tous les grands philosophes, il faut le lire pas seulement avec votre intelligence ou votre culture. Si vous le lisez avec votre culture, d’abord les deux tiers d’entre vous ne le liront pas du tout, euh je parle de tout ceux qui n’ont pas de formation philosophique, alors que mon appel est : le lire comme vous pouvez lire un très grand poète ; c’est pas un poète, c’est un philosophe ; tous les philosophes doivent être traités de la même manière et vois devez les lire comme ça, et vous devez ouvrir comme ça et vous devez voir si ça évoque quelque chose en vous. Et si on joue, et si on joue, on peut toujours jouer à un jeu quelconque, moi je vais vous dire euh, imaginons le jeu : toi, qu’est-ce que tu aimerais avoir écrit ? Une page ? Je veux dire, ça n’a pas d’intérêt si on cite un livre. Chacun de nous a peut-être une page qu’il aimerait avoir écrite, hein ? C’est là un jeu d’idiot. Mais moi c’est Plotin, c’est une page de Plotin. Alors c’est très bien, ce n’est pas un philosophe avec lequel je me sente des affinités et je vous la raconte parce que tout de suite, c’est une page de Plotin qui dit ceci : je ne vous la lis pas parce que, exprès, pour que vous sentiez que ce que je vais dire est tellement moins beau que ce qu’il va dire lui. Il faut que vous alliez voir. Il dit : Et bien je vais vous dire, moi, tout est contemplation, tout est contemplation. Et quand je dis que tout est contemplation, j’entends que la nature elle-même, les rochers et les bêtes sont contemplation. Un rocher est une contemplation. Un animal est une contemplation. Qu’est-ce que ça veut dire ça ? Alors on se laisse entrainer. Tout est contemplation. Les rochers et les ruisseaux. Et l’animal qui vient boire dans le ruisseau. Et il termine, le texte est, seulement une page, il termine en disant : et on me dira, et on me dira : dire que tout est contemplation, c’est une plaisanterie, et je réponds oui. Mais peut être la plaisanterie est-elle contemplation [rires d’étudiants], texte splendide, splendide. On verra qu’il y a dans Plotin des textes aussi splendides. Ils abordent les textes de cette nature. Et je voudrais que vous compreniez que là quelque chose est en train de se faire entendre qui ne vient plus de la Grèce. Et pourtant on n’aura pas de peine à prendre chaque notion de Plotin et a trouver l’équivalent chez Platon mais la différence est encore plus grande que si on ne retrouvait aucune notion. Chaque notion de Plotin, on la trouve déjà chez Platon. Mais elles subissent un déplacement, une transformation, un changement radical tel que, si on ne lit pas avec son cœur, si on ne lit qu’avec les yeux de l’intellect, on ne peut rien comprendre, mais rien comprendre de Plotin. Et c’est vrai de tous les philosophes, c’est vrai de tous les philosophes.

Encore une fois, c’est ce que j’essaie de vous dire depuis le début, si vous ne joignez pas des affects et des percepts (qu’est-ce qu’il nous fait voir de nouveau ? qu’est-ce qu’il nous fait éprouver de nouveau ?), vous ne pouvez pas saisir les concepts. Vous ne pouvez pas saisir les concepts parce qu’à ce moment-là, tout revient au même. A ce moment-là, vous vous retrouvez commentateur de philosophie et vous expliquez que, ah oui que tel texte de Plotin a sa source dans Platon, seulement la source on s’en fout. Voilà. Et qu’est ce qui se passe alors ? Qu’est-ce qui se passe avec Plotin ? Qu’est-ce que c’est, s’il y avait une révolution de Plotin ? Je dis, premier point, premier point : là, il n’y a pas de problème, ça va aller vite.
-  Premier point, c’est le cri de Plotin : non, le temps ne peut pas être défini comme le nombre ou la mesure du mouvement du monde. Voilà que nous est promise une nouvelle conception du temps. L’œuvre de Plotin n’a jamais été publiée par lui, ni même écrite par lui. C’est, comme ça se faisait beaucoup a l’époque, et même avant, ce sont des notes prises par des disciples ; c’est à la lettre des notes de cours prises par des disciples. Alors évidemment, ça dépend du disciple, c’est euh... et ce disciple, je trouve qu’il a eu une bonne idée, il les a organisées en neuvaines, c’est-à-dire en groupes de neuf leçons. Et il a fait six parties. Neuf fois six, cinquante-quatre, cinquante-quatre leçons. Cinquante-quatre leçons, et quelles leçons ! Euh, Neuvaines, je trouve le titre. C’était le vieux titre en français, je dis c’est toujours Neuvaines de Plotin, c’est bien plus joli ; maintenant on dit, en restaurant le terme grec, l’œuvre de Plotin, on l’appelle les Ennéades, Ennéades voulant dire Neuvaines en grec, il écrit en grec. Ennéades veut dire Neuvaines. Bon... Il y a six Ennéades, c’est-à-dire six groupes de neuf leçons. Celle à laquelle je me réfère, c’est la troisième Ennéade, chapitre huit [interruption], trois à sept, trois à sept : le chapitre sur l’éternité et le temps. Et là, il y a deux thèmes : un thème positif, un thème négatif. Le thème négatif, c’est : pourquoi le temps ne peut pas être défini comme la mesure du mouvement du monde, ni même comme ma mesure du mouvement ? Ou le nombre du mouvement ? Et là, je résume, je résume, j’en tire ce dont nous avons besoin uniquement, à savoir : de deux choses l’une - il dit ça souvent Plotin - de deux choses l’une, et puis ça se ramifie en deux nouvelles choses, de deux choses l’une : ou bien vous définissez le temps comme le nombre du mouvement, et bien, allez-y ; oui donc, le temps est par rapport au mouvement comme le nombre par rapport à quelque chose à laquelle le nombre s’applique. Vous dites par exemple : dix chevaux, dix chevaux. Mais vous pourriez dire aussi dix lapins ; il est bien connu que le nombre a une nature indépendante de ce qu’il compte. Dès lors, si vous définissez le temps comme le nombre du mouvement, loin d’assurer sa subordination au mouvement, vous allez être forcé de dire quelle est la nature de ce nombre, c’est-à-dire quelle est la nature du temps. Vous n’avez pas fait un pas. Vous avez prétendu donner la nature du temps en disant que c’est le nombre du mouvement mais vous êtes en pleine contradiction : puisque le nombre est indépendant de ce qu’il compte, donc il y a une nature du nombre que vous n’avez pas vue. La nature de dix, ce n’est pas chevaux. Puisque c’est aussi bien lapins. C’est aussi bien doigts. C’est aussi bien tout ce qui va par dix. Bon, c’est simple mais c’est bien, c’est, c’est très satisfaisant. Ou bien alors vous le définissez mesure du mouvement. Si vous définissez le temps non plus comme le nombre du mouvement mais comme la mesure du mouvement, vous voulez dire que, contrairement au nombre, c’est une mesure attachée à ce qu’elle mesure, et qui est spécifique à ce qu’elle mesure. En effet, si je parle du mètre comme d’une mesure, le mètre est inséparable de ce qui est mesurable en mètre. Vous n’allez pas mesurer en mètre la distance de la Terre au Soleil. Ou vous n’allez pas mesurer en mètre le poids de quelque chose. On prend une mesure. Donc, si vous dites "le temps c’est la mesure du mouvement", vous dites autre chose que lorsque vous dites "le temps c’est le nombre du mouvement". Si vous dites que le temps c’est la mesure du mouvement, vous marquez qu’il y a réciprocité du mouvement mesuré et de la mesure. A ce moment-là c’est aussi bien le mouvement qui mesure le temps que le temps qui mesure le mouvement. Ça ne va pas mieux. Donc le temps, en fait, n’est ni mesure, ni nombre du mouvement. Il faut ajouter - entre parenthèses - "du monde". Il n’est ni la mesure du mouvement du monde, ni le nombre du mouvement du monde. Pourquoi ? Il faut ajouter "monde" puisqu’on a vu que la définition, l’image indirecte du temps d’après laquelle le temps c’est la mesure ou le nombre du mouvement renvoie au mouvement du monde. C’est-à-dire au Planétarium. A une configuration qui fixe les points privilégiés par lesquels le mobile passe. Ça c’est acquit. Et bien, voyez, là ça devient très très important si on essaye de suivre la, ce que Plotin est en train de nous assener. En nous disant "le temps ne peut pas être ni le nombre, ni la mesure du mouvement", il veut nous dire "le temps n’est pas une dépendance du monde". Là ça devient plus, ça devient plus fort. Le temps n’est pas une dépendance du monde. Il ajoute - alors je parle latin là parce que c’est commode, euh uniquement parce que c’est commode - les latins distinguent deux raisons : l’une dite "ratio", "ratio" hein ? Ça s’écrit en latin ratio. Ratio cognoscendi ou raison de connaitre et ratio escendi, raison d’être. Et bien il nous dit "le mouvement - c’est-à-dire le mouvement du monde - c’est bien la raison du temps" ; alors il a l’air de donner raison aux vieux grecs ; "c’est bien la raison du temps" mais attention, ils se sont trompés sur un point, c’est seulement la raison de connaitre le temps. C’est la ratio cognoscendi du temps. Vous ne connaitriez pas le temps s’il n’y avait le mouvement du monde. Ça d’accord. En revanche, le mouvement du monde n’est pas la raison d’être du temps. Le monde dans son mouvement est la raison sous laquelle nous connaissons le temps. Elle est ce qui nous fait connaitre le temps. Encore faut-il qu’il y ait du temps. Ce n’est pas la raison d’être du temps. Ah ce n’est pas la raison d’être du temps, mais alors qu’est-ce que ça va être la raison d’être du temps ?

La raison d’être du temps, vous n’avez plus le choix, euh c’est là aussi là-dessus que j’essaie d’attirer votre attention, que la philosophie elle est faite de ces alternances d’inspirations et de "ne plus avoir le choix". On n’est pas inspiré tout le temps. Ça irait très mal s’il n’y avait pas autre chose. Et presque le plus inspiré des deux moments, c’est le second, c’est celui où on n’a plus d’inspiration. On a une inspiration, ça arrive une fois de temps en temps. Ce qui est important, c’est de s’en servir. Ça veut dire quoi ? Vous êtes inspiré, c’est pour ça que quand vous êtes inspiré, il faut le noter tout de suite, hein, ça dure pas longtemps, ça dure pas longtemps, quoi. Vous êtes inspiré mais, alors, vous êtes triste, vous êtes mélancolique et malheureux si vous êtes inspiré et puis voilà, puis vous ne l’êtes plus. L’art du bonheur c’est être inspiré suffisamment pour, bon gré mal gré, pousser l’inspiration jusqu’à un moment où vous n’avez plus le choix. Supposons que l’inspiration, ce soit monter, la chose la plus fatigante du monde, il faut la pousser, pas très haut au besoin, faut pas aller très haut, faut la pousser jusqu’au point où il y a une descente virtuelle. Si vous ne la poussez pas jusqu’au point où il y a une descente virtuelle, vous êtes foutu ; votre inspiration c’est zéro. Il faut que l’inspiration vous mène au moment où vous n’avez plus le choix, c’est-à-dire [inaudible], vous vous faite descendre, vous n’avez plus le choix. Vous ne pouvez plus dire autre chose que ce que vous allez dire. Après l’inspiration vient la nécessité. Après l’inspiration vient le destin. Il n’y a de destin que pour les inspirés, c’est-à-dire on n’a plus le choix. On n’a plus le choix, c’est, c’est... On est entraîné par la pente. Et bien Plotin, il est entraîné par la pente.

Si le monde ne peut être que la ratio cognoscendi du temps, il faut que le temps ait une ratio essendi, une raison d’être, qui ne soit pas le monde ni le mouvement du monde. Le monde et le mouvement du monde ne nous donnent que la raison sous laquelle nous connaissons le temps. Bon, euh la ratio essendi du temps, alors quoi ? Qu’est-ce que c’est ? Ce n’est plus le monde ; qu’est-ce que c’est ? Réponse dirait (Platon) Plotin : il n’y a pas de quoi t’affoler, tu n’as pas le choix. Vous me direz : si j’ai le choix, peut-être que nous, on a le choix. Du temps de Plotin, il n’y a pas le choix. En gros, on le voit bien : si ce n’est pas le monde, c’est l’âme. Seulement, quelle différence ! Et où que ça va nous mener ça ? On n’en sait rien. Ça, ça alors, c’est la descente à tomber ça, la descente au tombeau. Où ça va nous mener, on ne peut pas le savoir. Il nous faudra à nouveau une nouvelle inspiration peut-être. Il va falloir regrimper. Mais là, je n’ai pas le choix. Le temps rapporté à sa ratio essendi, c’est l’âme, la ratio essendi du temps. Vous me direz, oh il n’y pas lieu d’en faire tellement d’histoires que ce soit le monde ou l’âme. Qu’est-ce que ça peut faire finalement ? Euh, outre qu’une pareille idée me ferait de la peine, il faut la considérer : qu’est-ce que ça peut faire ? A première vue, rien, très peu. Pourquoi ? Parce qu’a première vue, mais je souligne à première vue, Platon l’avait déjà dit. C’est la raison du mouvement et du temps. C’était l’âme aussi bien que le monde. Bien plus : Platon avait une raison pour le dire, c’est que, selon lui, le monde n’était pas séparable d’une âme du monde. Donc, si je prends à la lettre la formule plotinienne dans ce chapitre "temps et éternité", la formule "le temps, c’est la dépendance de l’âme", je dirais en toute conscience : il met l’accent sur un autre aspect de Platon, mais aspect qui était déjà là chez Platon puisque lorsque Platon disait "la ratio essendi du mouvement et du temps, c’est le monde", il entendait aussi bien l’âme du monde. Bon, d’accord.

Et c’est pour ça sûrement que Plotin est dit néoplatonicien. Seulement voilà : lorsqu’il faut attendre le troisième siècle après Jesus Christ pour que Plotin dise "le temps c’est une dépendance de l’âme et non pas une dépendance du monde" ; quand il dit ce "et non pas" ça veut dire évidemment que il n’y a plus l’harmonie spontanée de l’âme et du monde telle qu’elle était chez Platon. Et que donc, pour Plotin, il y a une véritable alternative et que dire chez Platon, dire "le temps découle du monde" ou dire "le temps découle de l’âme" c’était à la limite une seule et même proposition. Chez Plotin la nouveauté est celle-ci : c’est que pour lui, il se fait de l’âme une conception telle que dire "le temps dépend de l’âme" va vouloir dire quelque chose d’absolument différent et sans rapport avec "le temps dépend du monde". Par-là, au moment même où Plotin semble reprendre du Platon, il en change complètement. Il donne, c’est pire que si il s’opposait, et c’est la manière la plus modeste de procèder. Vous savez, c’est toujours comme ça, faut jamais s’opposer hein, faut faire son boulot, fait faire son boulot.

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