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54- 31/01/1984 - 2

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Gilles Deleuze - vérité et cinéma cours 54 du 31/01/1984 - 2 transcription : Antoine Storck

Évidemment ça, évidemment, évidemment, mais t’étais plus loin tout à l’heure, ça c’est acquis. Encore une fois, la crise de l’Image-Mouvement ne signifie pas qu’il n’y ait plus de mouvement, ça signifie, entre autres choses, que ces mouvements ne sont plus résiduels, et que, ils ne constituent pas une action. Ça, c’est, c’est presque le point de départ, je veux dire - il ne faudrait pas que tu reviennes au point de départ parce que t’étais déjà plus loin tout à l’heure. Moi ça m’va, parce que j’ai le sentiment que, ben oui, tout, tout s’éclaire, je sais pas si pour vous ça, c’est clair, mais en effet, lui ce qu’il veut, c’est prendre le problème d’à côté, il est en plein dans le problème d’à côté, il me semble. Je dis pas que ce soit un mauvais problème... Revenons à notre histoire : c’est pour ça que je disais, heu, si on revient au point de départ, ça n’est plus des situations sensori-motrices, ce sont des situations optiques et sonores pures, bon. Des situations optiques et sonores pures, ça veut dire quoi ? Il faut voir tout de suite à quoi ça nous engage, là, de ce nouveau point de vue, qui va être le sien. Il va de soi que les éléments de l’image... entrent dans des rapports tout à fait nouveaux. Pourquoi ? Parce que précisément, les éléments, les rapports entre éléments d’une image, ne sont plus réglés par un schème sensori-moteur.

Lorsque le schème sensori-moteur a fondu, on se trouve dans une situation optique-sonore pure. Il va de soi que, dans une telle image, les éléments entrent dans des rapports, irréductibles à ceux qu’ils avaient... tant que, ce qui leur imposait des rapports, c’était le schème sensori-moteur... Tout ce que tu vient de dire... sur, en effet, à mon avis, tout ce que tu viens de dire, le problème que tu poses, et si tu introduisais le discours indirect libre là, ça revenait à nous dire : les éléments de l’image chez Ozu ont des rapports autonomes, irréductibles à ceux que leur dicterait un schème sensori-moteur. Ils prennent, en effet, une liberté de rapport étrange. Cette liberté de rapport... on la connaît, sous sa forme la plus simple, c’est les faux raccords... Les faux raccords d’une image à une autre, sont fondamentaux, alors, ça peut être des faux raccords de direction, ça peut être des faux raccords de regard, ça peut être tout ce qu’on veut, mais, ça indique bien, que déjà, d’une image à l’autre, le rapport n’est plus le même, parce que les rapports ne répondent plus à des exigences sensori-motrices.

-  Donc, il naît une espèce de race nouvelle de rapports, qu’il faudrait appeler des rapports libres ou autonomes, entre éléments de l’image. Et alors, Ozu, il est resté dans le muet longtemps, mais pensez que... c’est la même chose chez Bresson, c’est la même chose chez Dreyer... où eux aussi, dans la mesure même où, ils font un cinéma qui, se manifeste déjà, par la rupture et l’écroulement des relations sensori-motrices, par l’arrivée, la montée de situations optiques et sonores, la pensée que, immédiatement déjà, les éléments de l’image, c’est-à-dire les éléments optiques, et les éléments sonores vont entrer dans des rapports tout à fait différents, des rapports que leur imposait, le schème sensori-moteur...

-  D’où en effet, ce nouveau cinéma a complètement transformé les données, du rapport du visuel et du sonore, dans des directions très diverses... que ce soit les fameuses conceptions de Bresson, sur le rapport du sonore et du visuel de l’image. Mais, dans tout ce cinéma, chez Dreyer, dans tout ce cinéma... l’image peut entrer en effet, l’image peut avoir ou peut instaurer entre ces éléments, de nouveaux rapports,que au contraire, les exigences sensori-motrices refoulaient, empêchaient de dégager.

Si bien que j’dis, il prend le problème d’à côté, et c’est parfait, heu, personne n’a un petit bout de craie ?... ... Ah, voilà un petit bout de craie par terre... Ah non, non, je vais le faire avec mon doigt, si vous voulez...

Voyez, si je mets, si je mets là, l’image sensori-motrice, tout ça, je vais montrer, l’image indirecte du temps. Qu’est-ce qu’ils tirent l’un de l’autre ? Le montage voilà. Quand j’avais, et c’est là dessus, que je terminai la dernière fois, lorsque j’accède à des situations optiques et sonores pures. J’ai une situation optique et sonore pure, c’est-à-dire, ébranlement ou écroulement du schème sensori-moteur... je dis cette fois-ci, je vais avoir trois flèches, comme ça, vous voyez... à partir, de ces situations, optiques et sonores pures, et ben une flèche... elles vont m’ouvrir sur des images-temps directes, et, ça va être, la nouvelle, ou les nouvelles conceptions du montage, ce que Lapoujade proposait d’appeler, finalement, du montrage plutôt que du montage. Le montage, il est pas forcément, sans doute, il est souvent limité, mais il disparaît pas, simplement c’est un montage d’un tout autre type, c’est en fait un véritable montrage qui va, à partir des situations optiques et sonores pures, nous faire pénétrer dans des images-temps directes.

C’est ce que, la dernière fois, je disais, appelons ça, des chronosignes. Mais, autre direction simultanée, la situation sensori-mo, la situation optique et sonore, ne se contente pas, de m’ouvrir par montrage des images temps directes. Qu’est-ce qu’elle fait aussi ? Elle fait autre chose, qui cette fois ci, correspondrait pas à l’ancien du montage, correspondrait beaucoup plus à l’ancien découpage... Elle va induire entre ses propres éléments comme image... des rapports tout à fait nouveaux, soit d’une image à l’autre, soit à l’intérieur d’une même image, puisque, ces rapports ne vont plus être soumis aux exigences du schéma sensori-moteur...

Et c’est, là que je dis, non seulement, l’image optique et sonore pure, nous introduit à, des images temps directes, elle nous introduit aussi à une image lisible. Par lisibilité, j’entends, ces nouveaux rapports entre éléments de l’image ou entre deux images, ces rapports comme devenus libres entre, le sonore et le visuel... qui sont absolument nécessaires, qui se concluent nécessairement encore une fois.
-  Si l’image a cessé d’être sensori-motrice, les éléments de l’image entrent dans des rapports originaux, ça va être tous les décalages entre le sonore et le visuel, ça va être, au niveau même du sonore, tous les décalages sonores entre eux, ça va être, à chaque fois, il y a décrochage, décalage, pourquoi ? Parce que ce qui fait que ça s’accroche, c’est le schème sensori-moteur. Donc, il va y avoir tout un système de décrochement mutuel, du visuel par rapport au sonore, du sonore par rapport au visuel... du sonore par rapport au parlé, du parlé par rapport au sonore, etc, de la couleur par rapport à la forme, tout ce que vous voulez.

En d’autres termes, l’image va entrer dans une nouvelle "analytique" de ces éléments. Et ça, je disais c’est plus une image-temps, c’est l’image lisible, ça n’est plus du chronosigne, c’est du, disons, puisqu’ici, il nous faut, là, un terme technique, c’est du, du lectosigne... Bon, et puis enfin, lorsque la situation, l’image, devient optique et sonore pure, il y a encore une troisième direction qui, cette fois ci, correspondrait beaucoup plus, à - je disais, montage-découpage, ben, elle correspondrait beaucoup plus au phénomène de," l’ancien cadrage" ou de la prise de vue.

-  Cette troisième direction, c’est que, l’image optique et sonore pure, va s’ouvrir sur - de même qu’elle s’ouvrait sur... des images-temps directes - sur, des rapports autonomes entre ses éléments, elle va s’ouvrir en troisième lieu sur... des fonctions noétiques de la caméra, c’est-à- dire... des fonctions de pensée de la caméra... Mais, je disais, bon, pour avoir des points de repères, d’un point de vue terminologique, appelons les des noosignes, puisqu’en grec noos c’est l’esprit. Donc je dis que l’image optique et sonore pure est en rapport
-  avec des chronosignes, c’est-à-dire, des images-temps directes,
-  avec des lectosignes, c’est-à-dire, de nouveaux rapports entre éléments de l’image,
-  avec des noosignes, fonctions nouvelles de la caméra pensante...

Voyez, alors là je mets en effet, toutes mes catégories de signes, à ce niveau là, puisque l’image optique et sonore pure, on peut l’appeler en effet, opsigne, sonsigne. Opsigne et sonsigne, qui s’ouvrent vers, des chronosignes, vers des lectosignes, vers des noosignes. Alors, ce que je dis, c’est que, ce que vient de dire, lui, je m’disais, mais pourquoi que, il veut pas de mon histoire ? Et pourquoi il en veut une autre ? C’est évident qu’il a pas pris la même bifurcation... À partir, on est d’accord sur ceci : Ozu invente des images optiques et sonores pures. Moi, la première chose qui m’intéressait c’était, en quoi - c’était, ma flèche du haut - en quoi elle nous révèle une image- temps directe ? C’est-à-dire, j’allais de l’image optique sonore, à l’image-temps directe. Et ben, lui, lui, il disait c’est curieux, non, ça nous convient pas ! Mais c’est étonnant, parce que, eux, ce qui les intéressait, c’était l’autre flèche. C’est pour ça qu’ils me ramènent le discours indirect libre. Avec le discours indirect libre, ils peuvent très bien nous dire, ben en effet, lorsque l’image, est une image optique et sonore, elle s’ouvre sur, de nouveaux rapports entre ces éléments optiques et sonores. Il y a une nouvelle analytique de l’image, il y a une lisibilité de l’image.

D’où toutes ces histoires sur comment le personnage, qui est-ce qui voit dans l’image, etc. Il dirait aussi bien qui est-ce qui entend ? D’où vient le bruit ? D’où vient et dans quel rapport entre le son, le visuel, tout ce que vous voulez. C’est-à-dire, ce qu’il l’intéressait c’était la ligne là, la seconde ligne, celle qui va de l’image optique et sonore à ce que j’appelais les lectosignes, c’est-à-dire les rapports originaux entre éléments de l’image. Si bien qu’à la limite, un autre aurait pu faire toute son intervention sur le troisième aspect... Voyez ce que je veux dire, tandis que, moi, toute mon histoire, quand j’étais parti dans, du côté de la première flèche, de ce point de vue, j’avais besoin absolument de distinguer, les espaces vides et les natures mortes. Mais si je passe à la seconde flèche, de l’image optique et sonore au lectosigne, j’ai plus du tout besoin de cette distinction. J’aurais besoin d’une toute autre, et j’aurais besoin d’un système d’autres distinctions, à savoir, dans quel nouveau rapport, entrent les éléments sonores et les éléments visuels de l’image, que ce soit une nature morte, ou que ce soit un espace vide.

Vous saisissez, là je sens, on touche quelque chose de, on n’avance pas du tout dans nos affaires, mais je crois qu’on fait mieux,, c’est évident que... mais, je suis quand même content d’avoir compris, la bifurcation des deux problèmes, elle se faisait là. Alors moi, dans mon esprit, je comptais envisager d’abord, l’image-temps, ensuite l’image lisible, ensuite l’image pensée. Bon, eux, il y va de soit que, il semble que ce qui les intéressent beaucoup plus immédiatement, c’est l’image lisible avec ces nouveaux rapports, entre les éléments visuels. Et vous voyez encore une fois pourquoi ce sont de nouveaux rapports ?

-  ils ne sont plus sélectionnés par le schème sensori-moteur, ils ne sont plus triés par la sensori-motricité. Donc, ils vont entrer dans des rapports tout à fait paradoxaux, si vous pensez au dernier Godard, par exemple, le rapport du musical, du sonore et du visuel, hein, ça va être des rapports complètement étonnants, du point de vue de la sensori-motricité, impossibles même, du point de vue de la sensori-motricité. N’oubliez pas que dans l’avant dernier Godard, dans "Passion", l’ouvrière bégaie et le patron tousse, c’est-à-dire, c’est le signe d’une sensori-motricité malade et Godard l’a jamais raté, ça ! ça pourrait être aussi bien un pied-bot, ça pourrait être n’importe quoi, non, la toux du patron et le bégaiement de l’ouvrière, évidemment, sont essentiels à un cinéma, non seulement alors du coup, je dirais, c’est pas seulement un cinéma de visionnaire, c’est aussi un cinéma où l’image visuelle - c’est ça qu’il faut que vous compreniez, heu, d’où le rôle du texte chez Godard, etc - c’est que c’est l’image visuelle et l’image sonore qui, en tant que telles, doivent être lues... Ça veut pas dire qu’elle est transformée en texte, mais ça veut dire que du coup, le texte, lui, peut être vu et entendu. D’où, il va y avoir des rapports libres entre le texte, par exemple, le texte électronique chez Godard, les éléments visuels, les éléments sonores, tout ça : rapports libres, c’est-à-dire affranchis des exigences de la sensori-motricité...

Donc, si eux, ils veulent pas de la distinction, dont moi je veux, c’est parce qu’ils se sont flanqués dans un embranchement où il n’y a aucun besoin de cette distinction, ils sont dans un autre problème. Alors, évidemment vous me direz, mais c’est très joli, toi tu peux faire le malin, parce que tu tiens les trois problèmes. Oui, je peux faire le malin et uniquement cela (rires dans la salle) parce que, ce que j’appellerai, une confirmation d’un autre ordre... c’est, si quelqu’un parmi vous me dit- mais, ça, je repousse de toutes mes forces l’idée qu’il dise : tes trois problèmes ils sont, ils sont mauvais, ils sont mal posés. Mais évidemment, heu, ça me serait très agréable aussi, si, si l’un d’entre vous dit : mais il y a un quatrième aspect que t’as pas vu du tout, y’a un cinquième aspect que t’as pas vu du tout. Sauf que j’ai qu’une peur, c’est que si on m’rajoute un aspect, c’est que mes trois aspects sont, sont mal posés. Heu, mais si vous voulez, si en restant sur cette, cette chose qui est pas une discussion, qui est une espèce de, de recherche collective, je trouve là, dans ce qu’on fait aujourd’hui - c’est, heu, pour vous montrer à quel, à quel soin, je crois, il faut, chaque fois que vous avez une idée, essayer de bien déterminer le problème dans lequel elle s’inscrit...

Je reprends, à moins que quelqu’un d’autre veuille intervenir. Je reprends, avant de passer, alors, à l’autre aspect, le temps passe, mais ça fait rien, je crois pas qu’on perde notre temps là. Je reprends, peut être que ça va être plus clair, là maintenant. Ce que je disais parce que ça m’amusait, la dernière fois, j’y ai réfléchi depuis, je disais on pourrait parler de quatre âges du burlesque. On va retrouver notre truc, et puis je me disais j’ai été un peu vite là, c’est bête, heu, j’essaie de les reprendre. Je dis bon, supposons alors vous pourriez m’en trouver 6, 7, 8, peut être, moi j’en vois 4 grands, quatre âges du burlesque[coupure]

De folie, il reste des schèmes sensori-moteur, et que bien plus, tous les schèmes sensori-moteurs les plus divers, c’est-à-dire toutes les séries causales s’entrecroisent. Je dirais c’est, c’est le fameux burlesque qui trouve son fil dans la poursuite, dans, heu, c’est tout, c’est tout les, heu, c’est tout le burlesque , et ben bon, tout ce que vous voulez. Voyez ce burlesque là, tout le temps, il y’a, vous avez des croisements de séries causales qui correspondent à autant de schèmes sensori-moteurs, et tout ça alors essaime dans l’écran, multiplie, se multiplie, se renforce, se percute, bon. Voilà, ça, je dirais c’est le premier âge du burlesque dans lequel, qui a formé tous les grands burlesques.

-  Le deuxième stade, c’est quoi ? Et ben, dans le deuxième stade, je dirais, c’est ce premier stade, répond exactement à l’image sensori-motrice... Le deuxième stade, évidemment, la sensori-motricité continue, elle continue. Et, bien plus, mais elle continue en s’épurant, en raffinant beaucoup. Je cite des cas : Harold Lloyd invente une sensori-motricité verticale vous me direz, il l’invente ? Non, c’était pas la première fois, en tout cas, il en tire une structure, sensori-motricité verticale, sensori-motricité d’escalade. Je dis pas que ça existait pas avant, lui, il en tire des parties, un parti inégalé, dans l’ancien burlesque.

Laurel et Hardy inventent une sensori-motricité décomposée dans le temps, ce qui me paraît une grande invention.... ... À savoir, l’un tape sur quelqu’un, ou sur l’autre, l’autre encaisse, c’est le principe un coup pour l’un, un coup pour l’autre, c’est cette décomposition temporelle qui est fantastique, enfin qui est un des éléments, un des grands éléments du burlesque de Laurel et Hardy.

Buster Keaton invente quelque chose d’extraordinaire qu’on a appelé "le gag trajectoire", c’est-à-dire un plan séquence très long où se poursuit en une trajectoire unique, des mouvements les plus divers... Par exemple, heu, il descend, je dis n’importe quoi, je ne me souviens plus très bien, il descend une colonne de pompier, là vous voyez, comme dans une caserne de pompiers, il tombe sur la voiture des pompiers qui partaient juste à ce moment là, la voiture va le faire culbuter, etc... il va tomber sur un cheval, et il va y avoir, en un plan unique - ce qui était littéralement prodigieux pour l’époque - il y a un plan célèbre comme ça, où dans un long plan, dans un long plan séquence, heu, il arrive d’un train, il fait tomber la machine à eau, non il fait, il déclenche la machine à eau qui va noyer les bandits, enfin. Mais tout ça, le plan séquence c’est, il y a, y a toute une variation de mouvements, pris dans une unité de trajectoire. Ça, c’est le grand, grand... du grand Buster Keaton, je dis donc, au second stade, il garde évidemment la sensori-motricité, il la pousse dans des formes, encore une fois, de plus en plus fines, de plus en plus épurées. Et chacun a sa signature : y a une sensori-motricité Charlot, y a une sensori, tandis qu’avant y avait pas tellement, y avait la grande signature Sennett, mais, heu, heu, bon, chacun a sa signature, hein, a ses schèmes sensori-moteurs, ce qui fait notamment un des éléments fondamentaux du burlesque qu’on appelle la démarche.

Mais qu’est-ce qui définit ce second stade ? C’est pas simplement que, il garde la sensori-motricité, c’est que, je disais, il introduit l’élément affectif.... Il introduit l’élément affectif et, il va régler les schèmes sensori-moteurs, il va régler les schèmes sensori-moteurs sur des règles et des types affectifs... Et cette arrivée de l’affectif dans le burlesque, va rien diminuer au burlesque, ça va pas être un mélange entre le burlesque et le mélodrame, ca va être une nouvelle forme du burlesque... Et elle va se faire sous deux, sous les deux pôles opposés, que vous pouvez imaginer. Si le lieu de l’affectivité ou l’expression de l’affect, c’est comme on l’a vu, comme on l’avait vu en détail, à la Toussaint, si c’est le visage, et ben, c’est le moment où le gros plan va s’introduire dans le burlesque... Il va s’introduire sous quelle forme ? Les deux grands visages, qui sont comme les deux pôles opposés, de Chaplin, et de Keaton. Et pourquoi je dis les deux pôles opposés ? Parce que - l’un c’est, on l’avait vu tout ça, je reviens pas là dessus, je le cite pour mémoire, l’un c’est l’affect comme réflexion, comme réflexion impassible ce qui est le premier pôle de l’affect,
-  et l’autre, c’est l’affect comme montée et descente intensive... et c’est le visage, cette fois ci, c’est le visage de Chaplin. Mais, mais chacun invente son élément affectif. C’est dans ce second stade, entre toutes les créatures lunaires du burlesque. Toutes les créatures lunaires du burlesque, les grandes créatures lunaires du burlesque c’est, Laurel. Ce qu’on peut appeler : les lunatiques, qui sont chacune des formes d’affectivité, l’être lunatique de Laurel, l’être lunatique de London, perpétuellement pris dans des sommeils irrésistibles et ses rêves éveillés. Là, l’élément affectif est très, très fort aussi.

Et encore, vous retrouverez l’être lunatique du burlesque, avec Harpo Marx, sous la double forme des pulsions dévorantes et de la paix céleste, c’est-à-dire la paix de la harpe. Bon ça se serait comme le second stade. L’élément affectif devient la règle des activités sensori- motrices, lesquelles activités sensori-motrices, dès lors, s’épurent, connaissent une finesse, une - je sais pas comment qualifier tout ça - une pureté, une pureté tout à fait nouvelle par rapport au premier âge. Mais enfin, j’essaie de dire, faut pas dire c’est mieux, faut dire, bon ben voilà c’est

Puis je disais y a un troisième stade. Y a un troisième stade qui bien sur, coïncide avec le parlant, avait besoin du parlant, mais, mais, mais, mais le parlant, d’accord, ça l’a rendu possible, mais c’est pas simplement le parlant qui a fait, ça a rendu possible, rien de plus... Et c’est quoi cette fois ci ? Je disais c’est, non plus l’introduction de l’affect, des valeurs affectives dans la sensori-motricité, mais c’est l’introduction des images, vraiment des images mentales. Toujours la sensori-motricité reste, mais je veux dire, les actions et réactions vont être encadrées, par quoi ? Des images mentales. Qu’est-ce qu’il faut appeler images mentales ? Des images mentales c’est des images de relations logiques, c’est-à-dire les actions et réactions, la sensori-motricité qui reste et qui subsiste, mais plus que, à la lettre, une "trame" qui passe par dessus et par dessous toute une chaîne, un cadre, mental. Un cadre constitué par des images mentales...

-  Et qu’est-ce que c’est que, ces images mentales, qui ont comme rôle, qui ont comme objet des relations logiques ? Évidemment, elles sont parlées, elles sont parlées. Et, elles vont être parlées de deux manières, ce qui va assurer une sorte de troisième âge du burlesque, elles vont être parlées d’une part, par Groucho Marx et par Fields, et par W.C.Fields... la relation logique, l’image mentale trouvant la matière qui lui est essentielle de tous temps et dans toutes les discipline à savoir : le non-sens... le non-sens... Mais aussi, et à mon avis on dit pas assez à quel point Chaplin a été absolument fondamental dans un usage très spécial du parlant. On se contente de dire bien souvent, on se contente de dire que, il a mis longtemps avant d’y passer, qu’il n’y est passé qu’à regret, dès qu’il y est passé, il a fait du parlant un usage tout à fait insolite, qui à mon avis n’a jamais pu être repris depuis - cette fois-ci, c’est pas comme Fields ou Groucho Marx, ce qu’on pourrait appeler, une image mentale sous forme de l’argument non-sens, et c’est une image mentale sous forme du discours, une image discursive.

Et vous remarquerez que les grands films de Chaplin parlants, sont des images où finalement, la parole est complètement subordonnée à une forme discursive, c’est-à-dire d’envers, même lorsqu’il est court, un grand discours de Chaplin, est discours qui se veut et se vit comme provoquant. Alors, on peut toujours dire, oh ! c’est des discours très faibles, tout ça, rien du tout, rien du tout, ils valent pas par leur contenu. C’est pas le contenu du discours qui vaut, c’est son rôle comme image, comme nouveau type d’image. Chaplin, alors que les autres lançaient, alors que Fields, Groucho Marx, lançait l’image non-sens... c’était réellement une image, chez Groucho Marx ou chez Fields, Chaplin, lui, lançait à la faveur du parlant, l’image discursive, l’image discours. C’est le discours de Monsieur Verdoux qui découvre, à la fin et qui va être vraiment "une" image, un type d’image, ça sera Chaplin. C’est, le discours de la fin du « dictateur », dont il est complètement idiot de dire que c’est un discours vaguement humaniste, c’est un discours de provoc, c’est un discours provocateur. C’est un discours provocateur, à savoir, qui consiste à nous dire, regardez, regardez-vous, regardez-vous, dans votre société, dans l’état de cette société. Dans "Limelight", c’est le discours, le grand discours à la vie, où l’image discursive là, ça donnera lieu à cette image, où en même temps que Chaplin parle, pour encourager la petite là, qui a perdue, heu, la petite paralysée, à retrouver l’usage de ses jambes, il mime les états de la vie - on voit très bien que l’image discursive, est une véritable image cinématographique.

Bon, ça, c’est quelque chose, il me semble, de absolument nouveau, dans les deux cas d’ailleurs, que ce soit l’image non sens, ou l’image discursive de Charlot, de Chaplin, dans les deux cas, ça vous permet de définir un troisième stade du burlesque, cette fois ci, tout se passe comme si,
-  voyez le second stade, c’est, l’image sensori-motrice, enfin, je durcis ça, mais j’aime tellement les classifications que, ça m’plait moi ça, enfin moi ça m’amuse, c’est l’image sensori-motrice qui se règle, qui trouve sa règle dans l’élément lunaire affectif.
-  Troisième stade, c’est l’image sensori-motrice qui trouve sa règle dans l’image mentale, c’est-à-dire dans l’image des relations logiques, soit sous forme du non-sens, soit sous forme du discours.

D’où, qu’est-ce qui restait ? tout ça, enfin on en est à l’après guerre. Qu’est-ce qui va se passer ? Là si on trouve confirmation, en revanche que, que, et plus qu’on trouve de confirmations, plus notre schéma risque d’être bon. Qu’est-ce qui va se passer ? Ben, ce qui va se passer c’est que plus j’allais dans les trois stades précédents - quand même il faut pas exagérer, plus la sensori-motricité perdait de son importance. Elle était là bien sur, mais elle tendait à perdre de l’importance au profit soit, des images mentales, soit, chez Field il y a plus tellement de sensori-motricité, il y a encore de grandes poursuites en voitures, il y a tout ça. Mais enfin, même l’élément affectif tendait à diminuer dans la sensori-motricité. Mais ça restait, ça n’avait pas mis en question encore la sensori-motricité.

Qu’est-ce qui se passe après la guerre ? Est-ce qu’il y a encore du burlesque ? La réponse est oui. Et là aussi, c’est tellement beau quand les choses se font à peu près en même temps, car, deux grands burlesques qui naissent, deux grands burlesques. En Amérique, Jerry Lewis, en France, Tati... faudrait comparer les dates exactes, mais enfin, en fait, Tati, il est venu tard au cinéma, Jerry Lewis très tôt, je vois pas les dates exactes, et puis peu importe. De toute manière, il n’y a pas d’influence de l’un sur l’autre, aucune influence, il y a mieux qu’une influence, il y a quelque chose de commun. Qu’est-ce que c’est ce quelque chose de commun ? Pour la première fois c’est un burlesque qui n’est plus sensori-moteur, absolument plus sensori-moteur. Le personnage burlesque se trouve devant des situations optiques et sonores pures. Vous allez me dire : mais qu’est-ce qu’il y a de drôle dans une situation ? On voit bien ce qui fait rigoler dans une situation sensori-motrice, hein, des trucs qui se tamponnent, bon, y a tout ce que vous voulez. Dans une situation optique et sonore pure, qu’est-ce qui peut faire rigoler ? Il se trouve que c’est, aussi rigolo qu’une situation sensori-motrice... Alors, bien sur, le personnage y continue à bouger, bien plus, il a une démarche, ça va plus être le même type de démarche, aussi bien chez Lewis que chez Tati. Il se trouve alors dans des situations sensori, optiques et sonores pures.

Dans le cas de Tati, c’est la vitrine... la vitre, la vitre, ça impose que je suis devant une situation optique et sonore pure, ou bien le hall d’exposition, ou bien le hall d’attente. On sait que ce qui nous fait le plus rire chez M. Hulot, c’est M. Hulot, dans un hall d’attente, dans un parc d’exposition ou en train de regarder une vitre, bon. Qu’est-ce qui se passe ? Inutile de dire que Tati fait ainsi ce dont on parlé. On pourrait dire que Tati, autant qu’Ozu, autant que Bresson, est un de ceux qui a recréé complètement le problème des rapports visuels/sonores. Et une bande sonore de Tati, c’est pas rien. Et le rapport entre la bande sonore et la bande visuelle, c’est pas rien. Bon, qu’est-ce qu’il fait ? Justement, il fait jamais rien, hein, il fait jamais rien, il y a des accidents, des accidents de vitrines, ouais, il y a le type dans "Play time" , qui est tellement étonné de la silhouette de Hulot, que il voit même plus la vitre, alors que c’est un fonctionnaire habitué à tout ça, là, et qui se cogne le nez, après qui a un gros pansement. Bon, bon, il y’a,la distribution des sons et des bruits dans, le hall d’attente

de "Playtime", dans le parc d’exposition de "Trafic", le parc vide, le parc plein, etc. Je disais, le, le, le, le parc d’exposition pour Tati c’est aussi essentiel que le parc d’attractions pour Fellini. Et pour des raisons semblables, c’est que Fellini trouve dans le parc d’attractions des situations optiques et sonores pures, exactement comme Tati trouve dans le parc d’exposition, de "Trafic" une situation, situation sonore et optique pure, la situation d’attente, le bruit des fauteuils qui se fait, tout ça, heu, l’optique le sonore et ça va donner quoi ça ?

Et, c’est très bizarre. Je passe à Jerry Lewis. Pareil, le personnage burlesque, là, est dans une situation telle que, d’avance il ne sait pas quoi faire. Tout à fait nouveau dans le burlesque. Chez Jerry Lewis alors, il le pousse dans une autre direction que Tati, il ne sait absolument pas quoi faire, quoi qu’il se passe, il sait pas quoi faire. Comme disent les américains, et comme c’est dit dans un film de Jerry Lewis, il en fait trop. Qu’est-ce que ça veut dire qu’il en fait trop ? Vous voyez ses gestes qui sont perpétuellement inhibés, les sons qu’il émet c’est des, c’est des sons inarticulés, ses gestes sont inhibés, empêchés, il veut toujours faire quelque chose qu’il arrivera jamais à faire. Bon, mais qu’est-ce qui se passe ?... Ce qui se passe, c’est que, dans cette impuissance motrice - tous les deux sont, tous les deux finalement n’ont que leur démarche. Mais, impuissance motrice. Dans leur impuissance motrice, tous deux, qu’est-ce qu’ils font ? Ils agissent pas, comment dire : il y a quelque chose qui prend en charge l’action qu’ils ne peuvent plus faire, il y a quelque chose qui prend en charge l’action... quoi ? C’est pas difficile, en quoi c’est du burlesque moderne ? Mettons, c’est une onde, un faisceau. Le hasard va faire que, ils se flanquent toujours sur une onde ou un faisceau, qui va se substituer à l’action qu’ils ne peuvent pas faire. Et cette onde et, ou ce faisceau, qui prend en charge leur action, va provoquer, la catastrophe, c’est-à-dire va pousser jusqu’au désastre ou jusqu’à la catastrophe, la situation optique et sonore pure... Si bien qu’en un sens, il suffit que M. Hulot arrive pour que la maison se détraque, la maison, tiens, électronique. Même chose chez Jerry Lewis, il suffit qu’il entre dans une pièce pour, se mettre en plein, sans le vouloir, sur le faisceau qui va entraîner l’écroulement de la situation sensori-motrice. Vous voyez que, à un schème sensori-moteur, le nouveau burlesque va, substituer quoi ? Parce qu’on peut appeler, en effet - alors là ça devient trop facile - mais il faut dire en effet, c’est un burlesque de l’électronique. Et les burlesques précédents c’étaient des burlesques de l’outil et de la machine. Là ça devient très facile c’que je dis, mais c’est pour, heu, heu, relancer un peu. Le burlesque de l’électronique, c’est quoi, de l’âge électronique  ? C’est essentiellement ça, l’âge électronique, et ben, c’est pas les vieilles machines. Les machines de Chaplin, hein, elles, par exemple, la grande machine à nourrir des "Temps Modernes" elle devient folle, elle est comique, elle se dérègle. Les trains des Marx, les trains dans tout l’ancien burlesque, tout ça, je parle même pas de ça, bon, c’est vraiment le burlesque de la machine.

Le burlesque de l’âge électronique, c’est très différent, très différent parce que, c’est pas que la machine se détraque, c’est au contraire dans sa froide rationalité, dans sa froide technicité que, la machine va tout dévaster. Alors on va dire, ben oui, c’est bien connu ce thème, c’est, la machine se retourne contre l’homme. On peut toujours dire ça, c’est pas faux, mais c’est pas ça, c’est pas ça... Pensez dans Jerry Lewis, par exemple, à la liste de ces machines électroniques et son goût - dont on parle toujours pour l’électronique - dont il se sert beaucoup dans sa propre technique puisqu’il fait du montage immédiat. Mais ce qui est intéressant c’est que je cite, l’attaque par les tondeuses, y a les tondeuses électroniques qui attaquent, y’ a les trucs de, grands magasins, voyez les p’tits, les p’tits chariots de grands magasins qui s’ébranlent en ordre, c’est ça qui est important, en ordre, pour dévaster le magasin. C’est pas du tout la machine détraquée, hein, ça.

Et puis, y a le plus beau dans, de Jerry Lewis, l’aspirateur qui absorbe tout, c’est-à-dire l’aspirateur qui absorbe les marchandises, les vêtements des clients, les clients et le revêtement, dans mon souvenir, et le revêtement du sol, ou le revêtement des murs, bon, l’aspirateur énormément glouton, l’aspirateur électronique, bon. Et vous voyez que là, y a un rapport très bien : situation sensori, situation optique et sonore pure du personnage burlesque, situation qui ne se prolonge pas en mouvement. Il est là, dans son hall d’attente. Qu’est-ce qui va se substituer au mouvement défaillant ? Il va toujours traverser un faisceau, il va toujours traverser un faisceau énergétique. C’est plus du tout l’ancien temps, l’âge industriel, l’âge des machines. Dans l’âge des machines, il faut bien être quelque part le levier, il faut être source d’énergie, dans l’âge électronique, ça a été dit mille fois, ça a été dit, il faut se placer sur un faisceau énergétique. C’est la différence entre les danses anciennes et les danses modernes, il faut se placer sur une onde... L’art de Jerry Lewis, tout comme l’art de Tati, c’est fondamentalement, se placer sur une onde. C’est-à-dire que, je pourrai résumer ça aussi bien en disant, c’est pas difficile, à la situation sensori-motrice se substitue le décor.

-  Pourquoi ? Parce que le décor, c’est précisément la situation, optique et sonore pure. Il y a plus de situation sensori-motrice, il n’y a que des décors. Le hall d’exposition est un décor, le hall d’attente est un décor, la maison de, du "Tombeur de ces dames", Jerry Lewis, vous savez, la fameuse maison restée célèbre, la maison vue en coupe, la maison des jeunes filles, vue en coupe, décor, pur décor. C’est par là même que Jerry Lewis est si proche de la comédie musicale, qui elle aussi, opérait par, situation uniquement optique et sonore , décor, et substituait à l’action, quelque chose de tout à fait différent, à savoir de la danse. Et ben là, vous avez un burlesque, qui opère par situations optiques et sonores pures, donc, n’est ce pas, décor qui ne se prolonge pas en action, au lieu de la situation sensori-motrice, vous avez le décor, et au lieu de l’action vous avez quoi ? Vous avez le faisceau énergétique qui entraîne le personnage, qui emporte le personnage, qui au besoin le fait, essaimer. Les messieurs Hulot essaiment, partout, vous savez, dans les films, surtout dans les derniers films de Tati, il y’a des Hulot partout. Tout d’un coup, les fait essaimer, les fait s’agglutiner un moment avec d’autres personnages, s’unir à un personnage et se séparer de lui. En d’autres termes, le décor remplace, la situation sensori-motrice, et ce qui remplace l’action c’est quoi ? Quelque chose comme le chassé-croisé. Et parmi les plus belles choses dans Jerry Lewis - tout comme chez Tati, de deux manières pourtant complètement différentes - vous avez les chassés-croisés, c’est-à-dire les personnages qui se rencontrent, qui s’agglutinent et se quittent. Là, c’est du grand, c’est de la grande image cinéma. Heu, bon, c’est pour ceux qui se rappelleraient donc dans "Mon oncle", une des plus belles images, c’est dans "Mon oncle", les petits pavés, les petits pavés, bon, ça devient une espèce de truc dément, il faut marcher sur les petits pavés, pas marcher sur l’herbe. Et alors, se fait un fait un très curieux ballet des petits pavés, où Hulot, grand, là, déséquilibré, donne la main à quelqu’un d’autre, mais ils sont sur le même petit pavé, il y a agglutination. Ils se sont flanqués sur le même faisceau, donc il y a agglutination des personnages, puis c’est comme si l’un des deux décollait avec peine du faisceau. Et c’est tout le temps comme ça.

Et chez Jerry Lewis, une des choses les plus belles, c’est les agglutinations de personnages et qui, à un moment se collent, et puis se séparent. Et l’essaimage aussi, les fameux essaimages, si M. Hulot essaime en toutes sortes de Hulot, bon, c’est par exemple là, "Trafic", où y a des Hulot partout, mais, déjà dans "Playtime", y a des Hulot partout. Chez Jerry Lewis aussi, il y a la prolifération des oncles, ou bien il y’a la très étrange prolifération-résorption de trois sur un sofa, etc... C’est en ce sens que je dis, plus de situation sensori-motrice, plus de situation motrice, rien que des décors... plus d’action, rien que des chassés-croisés.

Seulement il se trouve que, cette nouvelle formule, que je dirais la formule électronique, de ce quatrième âge du burlesque fait que - entre les décors et les faisceaux énergétiques, ou entre les décors et les chassés-croisés- il y a une espèce de complémentarité, il y a une espèce d’entente qui est tout à fait.. et je crois que c’est le burlesque de notre âge parce que, c’est, c’est vraiment comme ça. Je dirai donc comme une dernière confirmation presque, à ce niveau, on voit aussi, que le burlesque d’après guerre, et dieu que ça ne veut pas dire que, il rend moins ou mieux, il rend caduc les trois âges précédents, mais tout comme il y avait eu des âges, ben, il cessera pas d’y avoir des âges, on attend le prochain. En tout cas, ce que l’on peut dire, c’est que ces images encore une fois, ces images, je reviens à mon thème, qu’est-ce qu’un décor ? Ben, c’est une description, qui supprime l’indépendance de son objet. Ainsi pour renouer avec tout ce qu’on a fait depuis le début de l’année, une description pure, c’est-à-dire, une description qui remplace son objet, c’est ça un décor, un décor qui vaut comme décor, et c’est une situation optique et sonore pure... Il supportera plus d’action, ce sera un burlesque sans action, ce sera un burlesque de faisceaux énergétiques et de chassés-croisés. Le faisceau énergétique, il va pas former une action entre personnages, il va reformer, ces chassés-croisés où les personnages, se rencontrent, se soudent, se séparent.

Tandis que le faisceau énergétique contiguë, pensez à, aux images splendides de "Mon oncle", là où il y a la bonne, qui veut pas traverser le faisceau énergétique parce que il donne le cancer, tout ça, les deux pauvres, les deux pauvres idiots là enfermés dans leur maison, ils peuvent plus sortir du garage, ou j’sais pas quoi, tout ça, c’est pas simplement par le matériau que c’est un comique électronique, c’est un comique électronique parce que, c’est le comique de notre âge, et que, on vit comme ça.

Pourquoi que, que on croit plus à l’action ? C’est pas que l’on croit plus à l’action, mais c’est parce que, on vit tous comme ça, on vit plus avec des actions, on vit avec des chassés-croisés, on vit avec des faisceaux, on vit avec des ondes. C’est ce que l’on appelle, l’onde à faible amplitude. Jerry Lewis c’est, heu, c’est du comique ondulatoire, c’est du burlesque ondulatoire et plus, et plus du burlesque d’action. Jerry Lewis et Tati c’est du burlesque ondulatoire. La démarche même, d’ailleurs, c’est une onde à faible amplitude, c’est une onde à faible amplitude, dès qu’il apparaît, il trouve le moyen de se flanquer... C’est exactement : "Les vacances de M. Hulot", il ouvre la porte, et il fait entrer c’est, la grande onde, le faisceau énergétique de la tempête et du vent. Y’a rien d’autre dans ce nouveau burlesque. Pourtant, d’une certaine manière, on rit comme on n’a jamais rit. Vous avez pas l’air pourtant, mais enfin hein, on rit beaucoup, on rit plus qu’on n’a jamais rit, pas, non, autant qu’on n’a jamais rit, hein.

Si vous voulez comprendre, là, je suppose, que vous l’avez dans l’esprit l’image, hein, Hulot entre dans son petit hôtel de plage, hein, où il y a tous les gens là, les uns qui écrivent, les autres qui etc. Il ouvre la porte vlan, vous m’direz, mais ça, ça existait avant... ça peut exister, il y a le fameux, il y’a, il y’a le fameux typhon de Buster Keaton, c’est sous forme de puissance de la nature, c’est très, très différent. Ça reste un burlesque et c’est pris dans un burlesque d’action, ça, c’est pris dans un burlesque sensori-moteur - là, plus du tout, là plus du tout. Je dis, on vit tous comme ça, ben oui, on vit tous comme ça. Notre problème, c’est que nous sommes trop fatigués, heu, nous ne sommes jamais trop fatigués. Mais notre âge nous a tellement fatigués, et puis tout ce qu’on nous dit nous fatigue tellement, tout ça, là. Ça vous fatigue tellement que, d’une certaine manière, nous nous sommes reconvertis, nous avons cessé d’être agissants, nous sommes devenus un peu des voyants. Et moi, je crois que c’est pas une perte en action parce que, ou bien alors, on est devenus et je parle aussi bien pour moi, je, on est devenu complètement abruti, c’est fini, bon, on est bon pour l’hôpital, heu, situation Godard, prénom Carmen, , c’est déjà beau quand on arrive à, bon, cette manière de toucher.

On est des voyants, ça s’oppose pas, les deux s’opposent pas même, c’est Beckett quoi, c’est un voyant et il faut qu’il se tape sur le crâne parce qu’il est pas sûr d’exister. Pourquoi ? Parce qu’il n’agit pas. Il y a plus d’action, y a plus d’action, est-ce que ça veut dire qu’on s’en fout de tout ? Rien du tout, rien du tout, rien du tout, heu, parce qu’on s’en fout pas du tout, et même peut être que ce côté visionnaire, ce côté un peu voyant, est un côté extrêmement, en effet, c’est ce que je suggérais, est, est une forme nouvelle de la politique.

Bon, mais heu, alors, on est des voyants, on est dans des situations de pensées, les meilleures années de notre vie, elles se passent, quoi ? Dans des halls d’attente, hein. Qu’est-ce qu’on a à faire dans un hall d’attente ? On est dans des situations optiques et sonores pures, hein, tout juste si on entend le numéro. On dit : ah, tiens, hein, exactement comme les situations que nous présente Tati. Et puis, qu’est-ce que on fait, qu’est-ce qu’on fait ? Et ben,[...]

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