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83-26/03/1985 - 1

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Gilles Deleuze : Pensée et cinéma cours 83 du 26/03/1985 - 1 transcription : John Stetter Relecture : Stephanie Lemoine

[....] parce que quand même je trouve un peu grotesque la manière dont à la télé s’est présentée, sous la forme : "être ou ne pas être raciste". Qu’est-ce que c’est ? Et ça revient à des choses comme : Est-ce que vous seriez contente si votre fille épousait à un blanc ou à un noir, ou à un jaune ? Alors, je ne sais pas bien, j’ai le sentiment confus que le problème du racisme ne se pose pas exactement à ce niveau là. En revanche, je ne connais pas encore de questionnaire qui soit assez bien fait, politiquement, sur le thème par exemple : « l’égalité ». L’égalité des hommes. Où la mettez-vous ? À supposer que tout le monde réponde :" oh, moi je suis pour l’égalité, même Le Pen", mais la question c’est pas si on est pour ou contre, c’est comme l’existence de Dieu, l’égalité, tout dépend de ce qu’on entend par Dieu. Il n’y pas de réponse à « Est-ce que vous croyez en Dieu » ? Ça dépend de ce que vous appelez Dieu. L’égalité c’est un peu pareil. Alors, un bon questionnaire, il me semble, consisterait à dire : Vous croyez certainement, y compris à Le Pen, vous croyez certainement à l’égalité des hommes, ça c’est sûr, vaut mieux ne pas avoir de procès, alors, mais expliquez-nous un peu, où elle est pour vous l’égalité des hommes ? Alors, j’ai entendu de l’archevêque de Lyon une réponse qui a été intéressante qui est la réponse de l’église, très prudente, mais très intéressante : « il y a une égalité en dignité ». Nous ne savons pas ce qu’il en est de l’intelligence, c’est pas à nous de le décider, nous ne savons pas ce que...etc. Mais de toutes manières, il y a une égalité en dignité, ça c’est une notion ecclésiastique : « l’égalité en dignité ».

En effet, il y a là je crois, moi mon rêve ça serait d’arriver à un questionnaire, alors que les mouvements antiraciste pourraient envoyer à Chirac, qui serait très ennuyé s’il répondait pas, pourraient envoyer à... toutes sortes d’hommes politiques, car je suis frappé que dans beaucoup de cas, la déclaration : « nous ne sommes pas racistes » est considérée comme suffisante. Mais c’est pas vrai, c’est pas suffisant, il faut dire en quoi on ne l’est pas [raciste]. Encore une fois, c’est pas...moi j’crois que c’est pas parce que je serais très content, a supposé que je le sois, que ma fille épouse un noir, c’est pas pour ça que je serais pas raciste, non, c’est pas pour ça....c’est pour autre chose. Voilà, bon ! Mais enfin, je demande tout de suite si certains d’entre vous souhaitent que nous consacrions une partie de []. A mon avis, je vous dis, c’est inutile, vu la nature de notre travail ici, dénoncer le racisme, non, je ne crois pas qu’il y ait lieu de le faire ici. En revanche, comment participer effectivement dans la lutte contre le racisme actuellement ? Je dois vous dire que mes idées sont pauvres, parce qu’outre celles de tout le monde, celles de tous les mouvements antiracistes, je n’aurai de réclamation que pour la constitution d’un questionnaire de grande divulgation, portant notamment et adressé aux partis politiques.

Parce que...Ce qui rend la période...Je sais pas ce que vous vous pensez, maintenant je pense que au cas où les élections soient perdues par les socialistes, moi je ne crois pas que la réaction se fera en douceur, je crois pas que comme certains le pensent, certains disent : « Oh les socialistes ils font des pas vers le centre », tout ça, « à certains égards il y aura pas des changements fondamentaux ». Moi je crois au contraire que si les élections sont perdues, enfin perdues dans des conditions graves, il y aura une réaction très très dure, à tous les niveaux, ça se fera pas en douceur du tout. J’sais pas ce que vous pensez à cet égard, cela dit, cette question est importante quant à notre attitude à chacun. On est... si on pense, comme moi, que en cas de perte des élections, la réaction sera très dure, ça implique une certaine attitude, dès maintenant par rapport au gouvernement socialiste, qui est par là même que si l’on pense que la réaction se fera de manière plus hypocrite. Bon, m’enfin tout ça c’est... Bon comme moi je crois qu’il n’est pas nécessaire, sauf si quelqu’un ici le trouve nécessaire, qu’il n’est pas nécessaire de faire un arrêt dans notre travail pour parler d’une question sur laquelle nous sommes à ma connaissance, strictement tous du même avis. Pas de remarques ?

Deuxième point de l’ordre du jour : « fumer ou ne pas fumer » ? Enfin, je signale qu’en effet, ça a l’air de rien mais ce n’est pas sain de respirer la fumée des autres que fumer soi-même. Respirer la fumée des autres c’est dans l’atmosphère, c’est terrible, y compris pour le fumeur, c’est pour ça que je n’avais qu’une solution : « fumez, mais un par un » [rires]. Mais, on s’aperçoit que c’est toujours le même [rires], donc ça ne va pas non plus, donc là vous avez bien fumé, vous arrêtez quand vous n’en pouvez plus. Il suffirait qu’il y ait des coutumes, mettons que...il faudrait qu’il n’y pas un seul, mais quinze, lorsque quinze craquent en même temps, on fait un arrêt et ils vont fumer dans la cour, et nous on continue, ils rattraperont quand ils pourront, voilà ! Toutes les combinaisons sont permises. Mais, je tiens à signaler que ceux qui protestent contre le haut niveau de fumée dans cette salle, ne le font évidemment pas par méchanceté, ni par mauvais caractère, mais par une réaction physique de panique. D’où respectez-les, car le fumeur, lui, n’est pas respectable. (rires)

Troisième point de l’ordre du jour : on travaille, on travaille un petit peu...Vous êtes très mal là, faut qu’ils s’poussent... Alors je souhaiterais que notre séance là aujourd’hui soit à nouveau très douce, et comporte deux parties : la fin de la partie difficile, et le début de la partie facile, laquelle partie facile va s’étendre après les vacances, puisque c’est la dernière séance avant les vacances.

[Musique dans la salle : « Ainsi Parlait Zarathoustra » de R. Strauss, Prologue du Filme « A Space Odyssey » de S. Kubrick][Rires] Mais, c’est pas de la musique douce ça. Bah voilà ! C’est exactement ce que je voulais dire [rires]. Ben ! Bon dieu c’est à qui ça ? C’est à toi ? [Participant : mais non, absolument pas !]

À qui est-ce ça ? [Participante : mais, c’est peut-être très bien ! c’est bien quand même] Ah, oui, alors, oui vous préférez ça ? (rires)

[Participante : Non, non, je ne préfère pas ça, mais enfin c’est quand même assez agréable un petit moment] Ah la-la ! Rire et moi ça me retire mes idées...

Ouais alors voilà, je voudrais que bon...Je sais pas, moi je serais content... C’est pas l’important que vous compreniez tout, c’est que vous preniez conscience de certains problèmes qui me paraissent très importants dans la question sémiologique et sémiotique. Alors, je traîne un peu là, j’essaie de vous faire comprendre.

On a vu donc cet auteur un peu insolite parmi les linguistes, Gustave Guillaume, nous proposait une idée. Et vous sentez déjà que c’est compliqué parce que cette idée : Est-ce que c’est dans la linguistique le maintient d’une certaine tradition que les linguistiques d’habitude récusaient ? Est-ce que c’est au contraire une nouvelle manière de poser les problèmes de linguistique ? Ou est-ce que c’est les deux à la fois ? Il se peut très bien que ce soit les deux à la fois. En tout cas, le point de vue très particulier, consistant en ceci, à nous dire, d’une certaine manière, il y a une matière pré-linguistique. Y a une matière pré-linguistique ; c’est pour ça que je faisais le rapprochement avec Hjelmslev. Lorsque Hjelmslev, si pur linguiste qu’il soit, nous dit « il y a la forme et la substance, dans le langage, la substance étant une matière formée », mais ajoute que dès lors il y a bien sur un mode quelconque, sur un mode très compliqué, une matière non-linguistique non-formée que le langage présuppose, une matière non-linguistique non-formée ; et je dis Hjelmslev, lui reste très discret sur cette matière. Elle est comme un présupposé de la linguistique. Tandis que Gustave Guillaume, lui est beaucoup moins discret. Il y a, nous dit-il, « un signifié de puissance ». Et ce « signifié de puissance » est véritablement une matière pré-linguistique.

Voyez tout de suite la réaction des linguistes, qui vont dire, Guillaume a beau être un excellent linguiste sur ce point il réintroduit toute la vieille métaphysique. Une condition préalable au langage qui serait comme une matière non-formée linguistiquement, comme une matière pré-linguistique, et qu’il appelle « le signifié de puissance ». Et on a vu que le « signifié de puissance » il l’appelait aussi parfois un « psychisme de puissance ». Et qu’il le présentait sous quelle forme ? Il le présentait sous la forme de « mouvement-pensée ou de mouvement de pensée ». Et peut-être, comprenez bien, peut-être de tel mouvement, un tel « signifié de puissance », n’existe pas indépendamment de la langue. C’est possible. Il n’existe que par et dans la langue. Mais, même s’il existe seulement par et dans la langue, il existe comme présupposé par : la langue. Présupposé en droit, présupposé idéalement par la langue. Ce « signifié de puissance » est donc de toute manière un mouvement et il correspond au sens, au sens d’une unité linguistique. D’où son idée fondamentale, « une unité linguistique n’a qu’un seul et même sens, quelque soit son emploi dans le langage ». Alors, en tout cas donc, ça m’a assez avancé, pour savoir qu’il n’y a pas lieu de chercher un terme ou un concept qui dirait ce sens unique pour une unité linguistique. Encore une fois, c’est un mouvement comme mouvement de pensée. Et là-dessus, chaque unité linguistique, ou plutôt, ouais, une unité linguistique a donc ce signifié de puissance pour sens, mais d’après ses emplois dans le langage, elle va opérer sur ce sens ou sur ce mouvement des coupes ; et à chaque emploi correspondra une coupe de ce mouvement ou une visée particulière, dit-il parfois, une visée particulière sur ce mouvement.

Exemple. on l’avait vu, l’article « un », l’article indéfini : « un », « une ». Il n’a qu’un signifié de puissance, un seul sens, c’est le mouvement de la particularisation, l’article indéfini particularise. C’est le mouvement de la particularisation. Et l’article indéfini est un signe ; il renvoie a un signifié de puissance qui constitue son sens. Mouvement de la particularisation. Mais les emplois du signe de l’article indéfini dans le langage vont être chacun ou vont donner aux signes, à l’article, chaque fois, une visée particulière sur le sens, c’est-à-dire, sur le mouvement de la particularisation, ou vont constituer un point du vue particulier sur le mouvement de particularisation. Ça peut être quoi ? Par le mouvement de la particularisation, on pourrait aussi bien dire, si vous voulez, c’est le mouvement par lequel quelque chose, « un quelque chose », s’arrache à un fond. « Un loup survient ». « Un Indien surgit ». C’est ce mouvement et Guillaume analyse, a une très belle analyse sur le rapport qu’on forme là, et l’article indéfini va tirer quelque chose hors du fond. Mais tout dépend. Si je me donne donc comme signifié de puissance le mouvement de particularisation, tout dépend à quel niveau on le met. Ce sera toujours « un ». Le signifié de puissance, c’est ce mouvement de particularisation. Mais, je peux fixer un emploi de l’article indéfini que j’appellerai près de l’origine. Près de l’origine, ça veut dire que c’est près de ce qui est général, puisque le mouvement de particularisation c’est ce qui va du général au particulier, près du général. Je peux le fixer à la fin, tout près de la particularité extrême. Là, « un homme est mortel ». C’est-à-dire un homme quel qu’il soit est mortel. « un homme est venu ». Là, c’est près du maximum de particularisation. Vous voyez, je devrais distinguer comme trois termes : le signifié de puissance, c’est le mouvement-pensée ou le mouvement de pensée, le mouvement pré-linguistique ou le mouvement non-linguistique non-formé qui constitue le sens ; ici, le mouvement de particularisation. Le signe, c’est « un » rapporté à ses différentes occurrences dans le langage, il est à tous les niveaux des coupes possibles du mouvement de particularisation, c’est-à-dire, du mouvement qui va du général au particulier. Donc, à chaque position correspondra une valeur du signe, du signe « un », en tant qu’il opère une visée sur le mouvement de particularisation, sur le signifié de puissance, on dira que le signe, se charge d’un signifié des faits, en tant qu’il opère une visée particulière sur le mouvement de pensée, c’est-à-dire, sur le signifié de puissance, il se charge d’un signifié des faits qui dès lors est attaché à tel point de vue. « Un homme est mortel » se définira par et en fonction à certain signifié des faits, et le signifié de fait ne sera pas le même dans « un homme est venu » tandis que le signifié de puissance sera le même. Vous comprenez, c’est clair ça ? Vous allez voir, je vais lentement parce que les conséquences, quand on arrivera aux conséquences, elles me paraissent énormes pour la linguistique, aussi bien que pour la philosophie. Mais, on va, et je disais avec « le » c’est la même chose. On prend maintenant l’article défini : « le », « la ». L’article défini, son signifié de puissance, ou le mouvement-pensée qui constitue son sens, est différent. C’est la généralisation, c’est-à-dire, c’est le mouvement qui va du particulier au général. Donc lui, il commence par le particulier et il s’èlève vers le général. Vous voyez, ça sera la même chose. L’article « le » n’a qu’un seul signifié de puissance. Dans chacun de ses emplois dans le langage il opère une coupe ou un de point de vue sur le mouvement de la généralisation, c’est-à-dire, sur le signifié de puissance. Par là même, il se charge dans chacune de ses positions, il a des positions, c’est même ça le terme important chez Guillaume, il a des positions prises sur le mouvement qui constitue le signifié de puissance. En tant qu’il est pris à telle ou telle position, il a un signifié des faits. Alors, le plus près de l’origine du mouvement de la généralisation, c’est-à-dire, le plus près du particulier, j’ai quelque chose comme : « l’homme qui est venu », lorsque je dis « l’homme qui est venu hier », au niveau de la destination, c’est-à-dire, le maximum de généralité, j’ai une formule du type « l’homme est mortel ». Vous voyez, c’est toujours mes trois points : le signifié de puissance pré-linguistique ; l’unité linguistique qui a des positions sur le mouvement impliqué dans le signifié de puissance ; le signifié des faits qui correspond à chacune de ses positions.

Et vous pourrez toujours établir des correspondances, et Guillaume établit des correspondances entre mes deux séries. Par exemple, je rapproche « un homme est venu » et « l’homme qui est venu hier ». Il y a correspondance. Je rapproche « un homme quelconque est mortel » et « l’homme est mortel ». Mais ce rapprochement est parfaitement valable à ceci près que ce sont deux positions, l’une de l’article indéfini, l’autre de l’article défini, ce sont deux positions comparables, mais deux positions prélevées sur deux mouvements tout à fait différents, et même dans ce cas deux mouvements opposés : mouvement de particularisation et mouvement de généralisation. Si bien que dans un cas « un homme est venu » le « un » sera une position, comment dire, d’extrémité de l’article indéfini, tandis que « l’homme qui est venu » sera une position d’origine de l’article défini. Pourquoi ? Puisqu’ils ne sont pas prélevés sur le même mouvement.

La même opération, ce qui rend passionnante l’œuvre de Guillaume, et je ne prétends pas faire un cours là-dessus, je dis très vite, c’est qu’il va faire la même opération que je viens de résumer sur l’article, il va faire la même opération sur le « nom », ce qui l’amènera en gros, les distinctions se multiplient, c’est extrêmement précis, mais c’est très amusant en même temps, en gros il dit : il avait les deux articles correspondants à deux mouvements : défini et indéfini. Pour le nom, il va distinguer trois termes, qui vont aussi renvoyer à des signifiés de puissances, c’est-à-dire, à des mouvements : le substantif, l’adjectif et l’adverbe. Ils seront les trois formes fondamentales du nom. C’est très original tout ça, c’est une classification, moi qui aime beaucoup les classifications vous pensez mon plaisir... Alors je laisse ça, parce qu’après on aurait pu concevoir une autre année, ça nous prendrait un trimestre de raconter tout ça. Et puis il s’intéresse aussi aux verbes, et là ça m’intéresse pour une question vous allez voir. C’est que ne vous a pas échappé, que toute son analyse renvoie, ce n’est pas par hasard que je l’avais choisi pour dire un petit quelque chose, toute son analyse de l’article renvoie à un signifié de puissance qui se présente en termes de mouvements, mouvement-pensée.

Je dirais en prenant un mot qui est commode : « procès » ou « processus », le signifié de puissance dans le cas de l’article est un procès, est un procès de mouvement. Tandis que, je laisse de côté son analyse du nom. Il y a un texte un des plus difficiles, un des plus beaux de Guillaume, sur le verbe. Alors soit vous essayez de le lire en bibliothèque ceux que ça intéresse, ça s’appelle Époques et niveaux temporels dans le système de la conjugaison française, Cahier de Linguistique Structurale, Numéro 4, Université de Laval, Canada. A mon avis, dans mon souvenir, ils ne l’ont même pas à la Nationale, non. Que faire ? Bon. Sinon, ou bien vous vous le faites envoyer, moi on m’avait envoyé une photocopie. Sinon, il vous reste, je vous disais que le livre à cet égard d’Edmond Ortigues : Le discours et le symbole chez (inaudible) était un livre très remarquable et il consacre tout un chapitre, le chapitre 6, La conjugaison du verbe d’après Guillaume. Et c’est peut-être lui qui a raison, je ne vois pas tout à fait comme lui mais... En gros, moi comme j’ai simplifié énormément ça n’a aucune importance. Je vous voudrais juste que vous (retourniez ?) (inaudible) et même vous corrigerez ce que j’aurais dit si vous lisez Ortigues. Bon, moi je voudrais ( en retenir ? )... Ce qui m’intéresse dans le cas du verbe, c’est qu’il opère ce qu’il appelle lui-même « une Chrono-genèse ». C’est-à-dire cette fois-ci que le signifié de puissance du verbe, c’est, il me semble, un procès de temporalisation.

Ce signifié de puissance du verbe, il ne peut pas nous donner déjà les temps d’un verbe, puisqu’il s’agit de faire la genèse des temps. Les temps du verbe seront quoi ? Ce seront des signifiés, des faits, ce seront des malheurs pris par le signe linguistique verbal, lorsqu’il opère une visée ou lorsqu’il prend une position sur le mouvement de temporalisation ; en d’autres termes, il faut une « chrono-genèse des temps ». Cette chrono-genèse elle ne peut pas supposer les temps. Donc, quel va être l’instrument ? Quel va être le moyen de la chrono-genèse ? Ça va être les modes, et encore, une certaine organisation des modes très, très curieuse. Quel est le grand mouvement auquel renvoient les verbes ? Tout comme on cherchait les mouvements auxquels renvoyait l’article. Et sa réponse avait été : l’article renvoie tantôt au mouvement de particularisation, tantôt au mouvement de généralisation, comme signifié de puissance ou mouvement-pensée. Là, il invente des notions, le verbe renvoie tantôt à un processus qu’il appellera « d’incidence », tantôt à un processus qu’il appellera de « décadence ». Qu’est - ce que c’est que « l’incidence » ? C’est que tout verbe marque une tension, tout verbe a une tension qui lui est immanente ; c’est la notion de tension. L’incidence, c’est la survenue d’une tension, c’est l’exercice d’une tension sur une matière. Et la décadence, c’est le contraire, c’est la tension accomplie, la tension exténuée, la tension épuisée ; sur laquelle on a dès lors un point de vue extérieur. La tension épuisée, on l’appelle procès de décadence. Et voilà, la première étape de la chrono-genèse.

Incidence : « chanter » à l’infinitif . Je simplifie énormément, je voudrais juste[inaudible]. L’infinitif exprime la tension interne du verbe. La tension exténuée, c’est la décadence. Nous on la met de l’autre côté. Cette fois-ci la tension exténuée vous l’avez non plus dans l’infinitif, mais dans le participe passé : « chanté ». Vous remarquerez que la tension expirée peut être reprise ; je vous disais toute à l’heure, être reprise d’un point de vue extérieur, et c’est ce qui ce passe pour l’infinitif, lorsque vous dites « avoir chanté ». Vous reprenez d’un point du vue extérieur la tension. Là déjà je réussi un mouvement qui justifie de mettre sur la même ligne provisoirement [Inaudible : et quoi encore ?] une position-séquence, c’est-à-dire, qui réunisse et prolonge l’incidence dans une décadence en train de se former, une séquence qui sera représentée par le participe présent « chantant ».

Le premier niveau de la chrono-genèse portera donc sur : incidence/décadence, comme signifié de puissance, et les trois positions clefs, les trois points de vue du signe linguistique verbal, sont : l’infinitif, le participe passé et le participe présent, qui se chargent dès lors d’un signifié des faits. Vous voyez c’est le même principe. C’est ce qu’il appellera la première étape de la chrono-genèse ; à savoir, c’est un mode comme nominal du verbe, il dit c’est le mode le plus proche de l’état du nom auquel je n’ai fait qu’une rapide allusion toute a l’heure. Et puis, deuxième étape de la chrono-genèse, ce sera le subjonctif. Qu’est-ce qu’amène le subjonctif ? Il amène des choses très, très nouvelles par rapport à la première étape, il amène l’introduction des personnes. Mais surtout, il amène, il double l’incidence et la décadence d’un autre mouvement. Là, les textes de Guillaume sont très, très complexes. Il emploie parfois, me semble-t-il, les termes « ascendance », « descendance », un mouvement d’ascendance ou un mouvement de descendance, qui surviendrait au niveau du subjonctif. Et signifiant quoi ? C’est que le subjonctif, l’ascendance, ça serait le rapport du terme de l’unité linguistique avec un virtuel, ça serait le procès du virtuel, ce serait ça le signifié de puissance, ou du possible, considérant ces deux notions comme équivalentes. C’est-à-dire que le procès d’ascendance à la limite considérait la totalité du possible. Exemple : « que j’aime », subjonctif présent, où je considère non seulement l’amour comme possible, mais je le considère en référence à une totalité du possible « que j’aime ».

La descendance, ce serait quoi ? Guillaume veut nous dire quelque chose comme ceci : même dans le possible, même sans faire intervenir encore le réel, même dans le possible, il y a des possibles inconciliables. Je dirais par exemple, c’est un autre point de vue, d’un certain point de vue je peux dire : « la vitesse », « la sécurité », quoi d’autre ? Je ne vois rien d’autre à ajouter, « la vitesse », « la sécurité », etc..., forment la totalité des possibles du point de vue de l’idéal de la voiture. Et puis je dis, et ça ne s’oppose pas, j’appellerai ça le point de vue de l’ascendance, et cet exemple il est sous ma responsabilité, il est pas dans le livre, et puis je dis, attention, même du point de vue du possible, plus vous aurez de vitesse, plus vous risquez, moins vous risquez. Comme c’est un risque vous n’aurez pas de sécurité. Plus vous aurez de sécurité moins vous aurez de vitesse. Supposez que ce soit vrai. Ne dites surtout pas c’est pas vrai, aucun intérêt à ce moment là faudrait que je trouve un autre exemple, ce qui nous fatiguerait tous. Là, tout n’est pas, comme dirait Leibniz, tous les possibles ne sont pas compossibles, tous les possibles ne sont pas conciliables. Donc, vous avez un mouvement par lequel on (se met) (s’élève)(inaudible) le tout du possible et un autre par lequel les possibles se dissocient. Le premier moment c’est « que j’aime, » et le second moment c’est « que j’aimasse ». Et il y a des pages sublimes, très, très belles de Guillaume pour montrer pourquoi les formules du subjonctif imparfait tendent à disparaitre en français. Parce que selon lui, c’est pas parce que c’est des formules dont les sons sont barbares, il dit au contraire si les sons sont barbares c’est parce que c’est une formule qui implique une contradiction. La tension là implique une contradiction ; il y a comme une espèce de double tension contraire. Vous voyez sur cette ligne, il y a alors deux subjonctifs qui renvoient à ce que j’appelle en gros, mouvement d’ascendance et mouvement de descendance, dans le virtuel ou dans le possible. Troisième niveau, et c’est bien une chrono-genèse. Là, j’aurais subjonctif présent et subjonctif imparfait, à chacun il l’engendre bien. Ce qu’il engendre, il faut le lire en horizontal ; la chrono-genèse, il faut la lire en vertical. A chaque étape de la chrono-genèse, vous voyez qu’il a engendré des unités verbales définies comme des positions sur un procès-pensée. Alors,
-  au premier niveau, il a défini trois positions : infinitif, participe présent, participe passé.
-  Au second niveau, il a défini deux positions principales : subjonctif présent, subjonctif imparfait.
-  Au troisième niveau, là surgit l’actuel ou le réel. C’est pour ça que c’était très important de montrer que dans le subjonctif on restait pratiquement dans le virtuel et le possible, même quand se dessinaient des incompatibilités propres au le subjonctif imparfait.

Alors, bon,le présent qu’est-ce qu’il va faire lui. Très curieux pourquoi il va introduire le présent dans ce domaine ? Il va sauter à une position clé [Inaudible]. Et vous allez voir que le présent reprend à sa manière le mouvement d’incidence/décadence et le mouvement d’ascendance/descendance. En effet, si je comprends bien, il nous dit quelque chose comme : « tout moment actuel est présent ». Tout moment actuel est présent. Et en même temps, chaque présent se définit par différence avec l’ancien actuel qui n’est plus présent et le futur actuel qui n’est pas encore présent. Donc d’un certain point de vue je peux dire le présent c’est tout l’actuel, le tout de l’actuel, et en même temps, le présent c’est ce qui différencie l’actuel de ce qui a cessé de l’être ou de ce qui ne l’est pas encore. En fonction de quoi je peux mettre sur ma ligne, ce que vous sentez dés lors qu’elle va être la ligne de l’indicatif, vous aurez les trois lignes : mode total du verbe, mode subjonctif du verbe, mode indicatif du verbe avec position clé du présent. Et j’aurai une position d’incidence « je chantais » l’impératif, heu pardon, l’imparfait ! L’imparfait. Qu’est ce que je dis ? J’aurai en position, au contraire, une position de décadence « je chantais » l’imparfait. En effet, lorsque je dis « je chantais » j’ai fini de chanter. Mais, également du côté du passé j’aurai une position d’incidence : « je chantai », le passé simple. Le passe simple lorsque je dis « je chantai » ça veut dire que je me suis mis à chanter dans le passé, et là vous avez une position d’incidence liée au passé et à la dimension du passé. Du côté du futur, vous avez un futur d’incidence, « je chanterai », « oui, oui, je chanterai », « demain je chanterai », et puis vous avez une position de décadence. Vous allez me dire « j’aurai chanté. » Haha ! Non, vous n’avez pas compris. Les auxiliaires « j’aurai chanté » impliquent un auxiliaire où l’auxiliaire est une forme de passé, l’auxiliaire est toujours une reprise. Ça ne peut pas être « j’aurai chanté », c’est « je chanterais » ! Vous me direz c’est le conditionnel, bah c’est pas un mode, c’est un faux mode, « je chanterais », il est en position de décadence ou de descendance, puisque les deux vont jouer, ça va devenir tellement compliqué que les deux vont jouer, je dis en position de descendance puisque, en effet, lorsque je dis « je chanterais » au conditionnel, ça veut dire que si dans les événements possibles il n’y a pas un in-compossible qui arrête ma chanson. Là je ne mets plus en position dite d’ascendance, dans un tout du possible, « je chanterai », vous voyez, au contraire, dans la possibilité qu’il y ait des inconciliables dans le possible : « Je chanterais si vous me le demandez assez gentiment. » « Si » « si » etc. « Je chanterais ».

Alors tout ceci dit, je voudrais juste en tirer une confirmation. Vous voyez à quel point ça donne une linguistique d’un type très, très curieux. A chaque fois je peux reprendre mon thème. Ce qui est nécessaire ce n’est pas que les exemples soient très clairs. Ce qui me suffit c’est que la masse des exemples que j’ai donné provoquent en vous une familiarité avec cette idée. C’est la familiarité avec l’idée qui m’importe que vous l’ayez. A chaque fois il définira un signifié de puissance qui, comprenez bien, surtout n’est pas une essence, n’est pas un concept ; mais un dynamisme ou un procès, un processus, processus de pensée qu’il appelle le signifié de puissance. Une unité linguistique est un signe qui a pour sens le signifié de puissance. Mais en tant que signe, l’unité linguistique implique qu’elle occupe une position prélevée sur le procès. Pas une et une seule, une position parmi un ensemble de positions possibles : l’ensemble des positions possibles de l’article indéfini « un » ; l’ensemble des positions possibles de l’article défini « le » [...]

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L’association Siècle Deleuzien