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81- 12/03/85 - 3

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Gilles Deleuze : Cinéma et pensée cours 81 du 12/03/1985 - 3 transcription : Nadia OUIS

Donc c’est une théorie très complexe, puisque encore une fois, je n’en ai donné que tout à fait les bases. Eh bien il nous reste à voir... C’est maintenant, je passe à une confession : vous dire pourquoi tout cela me trouble. Bien entendu, je ne fais aucune objection. J’ai pas d’objections à faire. j’ai des troubles, un état de trouble à vous raconter. Ça me met dans un trouble, alors bien sûr ça pourra avoir l’air d’être des objections, mais ne vous y trompez pas, ça n’a rien à voir avec des objections. En d’autres termes tout ça est...voilà, voilà, bon ! Passons aux objections mais récréations, hein...Pas ! Euh ! Non ! Ecoutez euh...[rires], j’ai fait un lapsus absolu, passons à...comment on réagit à tout ça. [rires]. Non c’est une catastrophe, ce lapsus, mais c’est un lapsus, hein, n’oubliez pas ! ça ne veut rien dire. Alors ceux qui fument, hein, là-bas.

Car comme vous y êtes très sensibles, c’est le dernier problème que je voudrais aborder, comme vous y êtes bien sensibles, il y a quelque part un fossé, qu’il faut bien combler. Il faut bien qu’il trouve le moyen de le combler. Car, encore une fois, c’est parce que le cinéma est, en fait, cinéma de narration, que les images sont assimilables à des énoncés. Et on l’a vu : ces énoncés se présentent comme les énoncés analogiques, iconiques, c’est-à-dire fondés sur la ressemblance et impliquant un jugement de ressemblance. D’autre part, et en même temps, ils sont soumis à des syntagmes et paradigmes qui sont des processus de langage et qui, eux, sont des codes. Il faut bien que d’une manière ou d’une autre, le fossé entre l’analogie et le code soit comblé. Car analogie et code s’opposent strictement dans la mesure où l’un procède encore une fois par détermination de ressemblance, et l’autre procède par traitement d’élément conventionnel. Si bien que l’opération qui consiste à combler le fossé entre les deux va être très très délicate. Aussi bien chez Metz que chez Umberto Ecco qui a une position qui n’est pas la même que celle de Metz - mais enfin ce serait infini de raconter tout ça - donc, il me semble que, dans une première étape, ils montrent que leur problème c’est que finalement l’analogique et le code s’opposent moins qu’il ne semble au premier abord. Et ça beaucoup d’auteurs l’ont dit.

-  Et, premier argument, l’analogique lui-même renvoie toujours à des codes. Pourquoi ? Parce que la ressemblance, elle est très variable, elle varie avec le code par lequel on juge. Exemple de tout ça : un enfant, un dessin d’enfant, un enfant juge de la ressemblance de son dessin ; quand il dessine un cheval, ou quand il dessine un bonhomme, quand il dessine son papa. Il a certains critères de jugement de ressemblance, il n’est pas sans critère de jugement, ils sont tout à fait différents du critère de jugement d’un adulte. On pourrait dire que toute image analogique renvoie à des codes sociaux culturels qui sont chargés d’évaluer la ressemblance entre une image et son référent, comment on dit. Notamment chez Umberto Ecco, il y a une longue étude de cet aspect. Mais vous voyez que c’est qu’un premier pas, parce que les codes sociaux culturels de jugement de ressemblance, ils ne sont pas spécifiques au cinéma, c’est des codes sociaux culturels d’une société donnée. Donc ça ne nous suffit pas - puisque nous ce que nous réclamons, non, ce que nous...je dis un nous fictif - ce que les sémio-criticiens, ce que la sémio-critique réclame, c’est autre chose. C’est combler le fossé qu’il y a entre l’image analogique en tant qu’image cinématographique et un code spécifique au cinéma. Il faut trouver un code spécifique au cinéma, le code spécifique au cinéma on l’a trouvé : c’est le syntagme, et les autres : montage, etc. Mais comment combler ?

Et c’est là qu’intervient la grande thèse de Metz à laquelle Comtesse faisait allusion tout à l’heure - qu’on peut exposer tout à l’heure, à savoir que heureusement, dit-il, (Ecco aura une autre solution) Et la solution ce sera : je la résume beaucoup hein, qu’est ce que la grande thèse de Metz ? Heureusement ! Dieu merci : Dans une image analogique, il y a toujours quelque chose d’autre que de l’analogique. Dans une image analogique, il y a toujours quelque chose d’autre. Et c’est sur ce "quelque chose d’autre" que va porter le code spécifique. En d’autres termes il n’y pas d’image analogique pure. L’image analogique comporte toujours quelque chose de non analogique. Voilà ce qu’il vous dit en p 252 suivantes, "Essai sur la signification au cinéma" : “Ce n’est pas parce qu’une image est visuelle que tous ses codes le sont”. (il répète). “Ce n’est pas seulement de l’extérieur que le message visuel est investi par la langue”. Comment ça " de l’extérieur" ? Oui le message visuel est investi par la langue : par exemple la légende d’une photo. “Mais c’est de l’intérieur et dans sa visualité, laquelle visualité n’est intelligible que parce que les structures en sont partiellement non visuelles”. Il veut dire une chose toute simple, et il conclut : “Donc l’au-delà de l’analogie, ce sont les formes au sens de Hjelmslev - peu importe un linguiste - c’est-à-dire les structures”. Et il termine : “tout n’est pas iconique dans l’icône”. Il veut dire une chose très simple : réflechissez : un tableau, un tableau classique : portrait d’une femme. La ressemblance, déjà la ressemblance varie, le jugement de ressemblance varie d’après les sociétés. Ça c’est le code non spécifique du jugement de ressemblance. Mais comment la ressemblance est-elle "atteinte" par le peintre ? Disons que le portrait de la femme est une image iconique, analogique. Comment le peintre parvient-il à la ressemblance ? Il atteint la ressemblance par des moyens, qui, eux, ne ressemblent en rien avec les moyens qui produisaient les même qualités ou les qualités semblables sur le modèle. Je veux dire - comment dire ? -que l’incarnat, je pèse mes mots, l’incarnat et la présence là du sang sous la peau, est produit naturellement sur le modèle par tel et tel phénomène que je serais incapable de préciser. L’incarnat reproduit par le peintre emploie évidemment des moyens picturaux, à savoir : comment produire de l’incarnat ? Ça a été un grand problème de la peinture. Ça a été un immense problème de la peinture à savoir, comment faire de la chair ? Il y a un livre récent qui a paru là récemment, très très bon, très intéressant, très amusant, sur ce point, sur ce thème de l’Incarnat, comment faire de la chair ? Ça traverse la peinture du Moyen-âge à l’après-impressionnisme, c’est-à-dire, les deux grands, Van Gogh et Gauguin, après l’impressionisme redécouvrent ce problème fantastique : comment faire de la chair ? Ils le redécouvrent sur des bases nouvelles. De quelle manière alors ?

On pourrait dire, il est évident que l’incarnat de Van Gogh ou le “faire de la chair” de Van gogh a très peu de choses à voir avec le “faire de la chair” du Titien. Ce sont des moyens complètement différents. En tout cas ces moyens de faire de la chair qui ressemblent à la chair du modèle ne ressemblent pas eux aux moyens par lesquels la nature dans la chair du modèle produit cet incarnat. Voyez c’est tout simple, reprenez la formule “tout n’est pas iconique dans l’icône”, tout n’est pas analogique dans une image analogique, évidemment ! Et lorsqu’il dit : “le message visuel est investi par la langue” non seulement de l’extérieur lorsque je mets une légende, mais de l’intérieur et dans la visualité même qui ne m’est intelligible que parce que les structures en sont partiellement non visuelles". Il est bien évident que la structure picturale est bien non-visuelle. Elle est non-visuelle dans quel sens ? En ce sens qu’elle implique non seulement des rapports de couleurs, vous voyez les couleurs ? Et les rapports de couleurs ? Peut-être que vous les sentez, peut-être que vous les comprenez, mais un rapport de couleur, vous ne le voyez pas par définition - “sont produites par des rapports de couleur et bien plus”, par bien autre chose que des rapports de couleur, par même des rapports "harmoniques" de type quasi musical, que vous ne voyez pas davantage et qui pourtant, qui font l’image même, et qui justifient à la lettre que, constamment : “tout n’est pas iconique dans l’icône”.

Donc vous voyez comment ils pourront passer de l’idée de l’image analogique à un code qui marque les règles d’usage qui vont s’appliquer à l’image analogique. Si il peut y avoir - voilà exactement il me semble la réponse ultime de la sémio-critique - si il peut y avoir des codes, à commencer par la syntagmatique, qui s’appliquent à l’image analogique et s’il peut y avoir des codes spécifiques et intérieurs, pas seulement des codes socio-culturels généraux - si il peut y avoir des tels codes c’est parce que toute image analogique comporte quelque chose qui n’est pas analogique. Si bien que alors, il vont former leur conception très consistante entre quoi et quoi ? C’est comme si vous aviez deux lignes, c’est comme si vous aviez deux lignes. Je dis :
-  “énoncé narratif de type iconique”, première ligne : “énoncé de type iconique” - ce qui revient au même, narrativité, ou dysnarrativité peu importe ou on pourrait dire aussi bien et vous allez voir pourquoi j’ajoute ça : “scène manifeste”. En complémentarité vous avez, correspondant à énoncé iconique, vous avez : code spécifique qui s’applique à ce qui n’est pas iconique dans l’image. Vous pouvez aussi bien l’appeler la structure, le signifiant, la chaîne signifiante, bon, tout ce que vous voulez ! Par exemple le syntagme ce sera la chaîne signifiante qui constituera en même temps la structure profonde. Voilà, tous ces termes pourront être employés. A la narrativité correspondra le récit, le récit étant l’organisation de la chaîne signifiante, l’organisation des syntagmes ect... ou à la scène manifeste, vous avez la scène profonde équivalent de la structure profonde. Lâchons le mot pour ceux qui le savent, mais là je le commente même plus : la scène primitive. Et une fois de plus, la linguistique aura noué ses noces avec la psychanalyse. Et l’on nous dira que, ce que Metz fera plus finement, ce sera ensuite, ce que les disciples de Metz, tantôt les uns font tantôt les autres ne font pas, c’est très curieux - non c’est pas très curieux, il y en a que ça dépasse - et vous aurez la révélation psychanalytique ultime : que en même temps qu’une structure syntagmatique qui constitue la chaîne signifiante au cinéma et en même temps et par là même, le cinéma n’a jamais eu qu’une scène par delà toutes les scènes qu’il filme, et que la seule scène cinématographique, c’est la scène primitive, autant vous dire le "crime originel".

Et, lorsque je vous ai dit mon admiration pour un livre comme celui de Jean-louis Schaeffer, "L’homme ordinaire du cinéma", ça n’empêche pas que, chez beaucoup d’auteurs, même les meilleurs vous trouvez, par exemple chez jean-louis Schaeffer, cette idée que le cinéma est inséparable "d’un crime qui nous touche", et qui nous concerne tous. Quel est ce crime ? Eh bien ce crime c’est la scène primitive. Je me demande avec effroi, car j’ai l’impression qu’il y en a parmi vous qui - mais ça, c’est une chose très gaie - qui sont restés si intacts et si purs de toute psychanalyse que vous ne savez pas ce que c’est que la scène primitive. Mais reportez-vous à un dictionnaire de psychanalyse parce que je vais pas vous ôter toutes vos surprises et vos découvertes. Et c’est là qu’il y aurait un rapport fondamental entre le cinéma et le crime sous la forme de : le cinéma n’a jamais eu à tourner, comme disent certains psychanalystes, qu’une seule chose sous toutes les versions que vous voulez : la scène primitive. C’est-à-dire cette scène prodigieuse dans laquelle l’enfant assista - à quoi au juste on sait pas très bien - assista à une scène fondamentale qui devait le marquer toute sa vie et dans laquelle il produit sa propre castration. Opération qui continue à fonctionner au coeur même du cinéma, ne serait-ce que sous la forme du cadrage, vous reconnaissez facilement l’opération de la castration.

Eh bien, parce que...je veux dire, j’exagère pas tout ça, tout ça a été dit, tout ça a été écrit. Mais je veux dire, c’est là où se fait ce lien psychanalyse/linguistique qui non seulement s’est fait du côté de la linguistique, du côté de la psychanalyse, et a éprouvé le besoin de se faire autour du cinéma. Voilà ! eh bien écoutez, maintenant je n’ai plus que des troubles. Mes troubles ont encore augmenté avec cette histoire de la scène primitive, mais enfin voilà. Alors je vous dit un premier trouble : mon premier trouble, je résume tous mes troubles ! Tous mes troubles d’un coup je les résume par cette histoire qui me tourmente ; mais c’est un cercle vicieux. Non, pardon : ne serait-ce pas un cercle vicieux ? Ne serait-ce pas un cercle vicieux ?

-  Parce qu’enfin je ne vois aucune raison d’appeler une image cinématographique un énoncé, si elle n’est pas soumise à la syntagmatique. Mais je ne vois aucune raison pour laquelle elle serait soumise à une syntagmatique quelconque si elle n’était pas traitée comme un énoncé.

Ça m’embête ça, oui ça m’embête et je me dis alors, quoi ? Est-ce que le même cercle vicieux apparaissait chez Kant ? Et bien oui ! Peut-être, peut-être, mais les post-kantiens ne l’ont pas épargné. et puis c’est pas sûr que chez Kant il y avait ( ?) mais ça c’est mon trouble des troubles.

Je passe à mon premier trouble, je rappelle notre ( ?) et j’arrête ! Voilà voilà, je vous dis des impressions. Mon premier trouble comme il y a trois choses,
-  le fait de la narration,
-  l’approximation de l’énoncé iconique,
-  les règles d’usage langagier,

j’ai trois troubles. Je ne vais pas en avoir plus, je ne parle pas du petit détail psychanalyse/linguistique, c’est pour rire ça, c’est pas des troubles là, au contraire, c’est de la gaieté.
-  Premier trouble donc c’est cette histoire de narration. Parce que ma question c’est : est-ce-que la narration est une donnée de l’image cinématographique, même historiquement acquise ? Est-ce que c’est une donnée apparente de l’image cinématographique ? Vous sentez que ce que j’arrive mal à digérer, c’est l’élimination du mouvement. Je dis une chose simple - enfin simple pas plus que les choses qui me semblent simples - le caractère, le trait distinctif de l’image cinématographique c’est l’automatisme c’est-à-dire, c’est qu’elle se meut. C’est qu’elle est image-mouvement. Ca n’a rien à voir avec de la narration ça. Rien à voir, il peut y avoir de la narration comme il peut ne pas y en avoir, je ne vois aucune aucune raison. Et, je suis stupéfait, comme je vous le disais, je suis vraiment étonné, c’est une stupéfaction pas feinte du tout, la manière dont la sémio-critique flanque en l’air le mouvement. Puisqu’elle est très consciente du problème et nous annonce juste qu’il y a un regard sémiotique, qui n’a rien à voir avec le regard cinéphilique, le regard cinéphilique que je suppose étant une appréhension du mouvement, et le regard sémio-critique étant au contraire une suspension du mouvement. D’où cette histoire toujours : mais alors mais c’est qui le photogramme ? Mais j’ai essayé de montrer - voir nos séances précédentes - que le photogramme, il me semble, n’était absolument pas détachable du mouvement, que c’était même ça, sa différence avec la photo, donc on revient pas là-dessus. On m’objecterait le photogramme pour moi j’ai essayé d’expliquer que le photogramme est exactement une différentielle de mouvement, vraiment au sens mathématique du mot, et donc n’était absolument pas séparable du mouvement ! Et c’était ça, qui faisait que ce n’était pas une photo.

Alors je dis moi dans le cas de la sémio-critique, on oublie à la fois que la narration est une donnée comme immédiate de l’image historiquement acquise, d’accord, mais c’est une donnée apparente de l’image, c’est une donnée manifeste de l’image, et c’est - et il n’y a pas du tout contradiction - un effet de la structure langagière qui sous-tend cette image, c’est les deux. Mais il me semble maintenant, il me semble que la seule donnée apparente de l’image cinématographique, du moins dans le cinéma dit classique, on verra après pour l’autre, dans le cinéma classique en gros, c’est le mouvement et absolument pas la narration. Donc la narration n’est pas une donnée manifeste de l’image. A plus forte raison je ne peux pas dire que ce soit un effet d’une structure langagière qui s’exerce, qui s’exerce sur l’image. Pourquoi je ne peux pas le dire ? Puisque (parce que) c’est des points qu’on n’a même pas encore vus. Mais je me demande quand est-ce-que survient la narration dans l’image ? Là je rappelle juste, c’est juste pour vous donner des points de comparaison, quoi, pour que ce soit clair, encore une fois je ne prétends pas du tout avoir raison. Je dis une chose très simple, on l’a vu toutes les dernières années, pour ceux qui n’étaient pas là donc, je résume :

Si vous vous donnez l’image-mouvement, vous vous donnez aussi quelque chose de très spécial qu’on appelle l’intervalle de mouvement. Si vous rapportez l’image-mouvement à l’intervalle de mouvement, si vous rapportez l’image-mouvement à un intervalle de mouvement - très bizarrement, non pas très bizarrement, très normalement - vous avez -comment dirais-je ? Une spécification de l’image qui se produit. L’image-mouvement se spécifie. L’image-mouvement rapportée à l’intervalle de mouvement se spécifie. Je ne me donne rien en tout cela de la narration. Elle se spécifie en trois types d’image fondamentaux : l’image-perception, l’image-action, l’image-affection.
-  Je dis la narration est uniquement la distribution des images-perception, des images-affection, et des images-action conformément à un schème dit sensori-moteur.

Vous aurez une narration si les perceptions, affections et actions s’enchaînent suivant le schème sensori-moteur. C’est pas compliqué. Vous me direz, mais qu’est-ce-que c’est le schème sensori-moteur ? C’est le mouvement rapporté à l’intervalle, je n’introduis rien de nouveau, j’introduis que le thème du mouvement et de l’intervalle de mouvement. je dis donc - voilà ce que je voulais dire -
-  la narration est pour moi ni une donnée apparente, ni une donnée manifeste de l’image cinématographique, ni un effet de structure langagière, mais, et c’est tout à fait différent, une conséquence de l’image-mouvement. Le mouvement étant la seule donnée manifeste de l’image et produisant comme sa conséquence, une narration lorsque cette image-mouvement se spécifie selon les trois grandes espèces d’images : image-perception, image-action image-affection, de telle manière à constituer un schème sensori-moteur.

Donc pour moi, j’engendre la narration à partir uniquement du mouvement et de l’intervalle de mouvement comme caractères et comme étant les seuls caractères de l’image cinématographique. Donc je peux dire que la narration n’a jamais été un fait même dans le cinéma d’Hollywood. La narration n’a jamais été un fait cinématographique. La narration est une conséquence du fait cinématographique suivant : ce fait étant que l’image cinématographique, c’est une image-mouvement, qui rapportée à l’intervalle de mouvement donne des images-action, des images-perception et des images-affection. La combinaison des images - qui n’a rien à voir avec un syntagme alors, la combinaison d’images - la combinaison d’images-action, d’images-perception, d’images-affection constitue, suivant le schème sensori-moteur, une narration. C’est-à-dire il y a une histoire. L’histoire consiste en ceci : Comment quelqu’un réagit-il à une situation ? Vous comprenez ?

Donc mes premiers doutes portent sur le "fait" même d’une narration, ma réponse étant que la narration n’est pas un fait ni à Hollywood, ni ailleurs. Est-ce que la dysnarration est un fait ? Ceux qui ont suivi ce qu’on a fait l’année dernière, savent que d’avance pour moi, pas plus. De même que je disais : la narration n’est pas un fait mais découle de l’image-mouvement et de la spécification de l’image-mouvement d’après les trois grandes espèces, je dirai : le fait moderne de la dysnarration n’est absolument pas un fait, pas plus qu’il n’est l’effet d’une structure langagière qui serait paradigmatique au lieu d’être syntagmatique. Mais la dysnarration est la conséquence immédiate de la montée de l’image-temps. Et lorsque l’image-temps s’affranchit de l’image-mouvement, lorsque le cinéma accède à une image-temps directe, et non plus à une représentation indirecte du temps qui dépendrait de l’image-mouvement, lorsque le cinéma produit des images-temps directes, alors en découle nécessairement une dysnarration, pour une raison simple : c’est que le schème sensori-moteur est brisé. le schème sensori-moteur qui était la seule règle d’après laquelle pouvait se repérer la narration.

En effet on a vu les autres années et j’ai repris cette année, le thème : il y a deux images-temps directes au cinéma qui sont fondamentales :
-  une qui est la série du temps, c’est-à-dire au-delà de la succession empirique du temps, une qui est la série du temps, suivant l’avant et l’après, mais c’est pas une succession, c’est l’avant et l’après devenus qualité du temps, on l’a vu dans les histoires de fabulation, tout ça, l’avant et l’après.
-  Et puis l’ordre du temps, à savoir la coexistence de tous les rapports de temps tels qu’on la trouve par exemple chez un auteur comme Welles, d’une autre manière chez un auteur comme Resnais, d’une autre manière chez un auteur comme Robbe-Grillet.

Et c’est la construction de ces images-temps directes, qui a pour conséquence immédiate la dysnarration, exactement comme la construction des images-mouvement et de leurs espèces, avait pour conséquence immédiate la narration. Ce serait ma première remarque, mon second trouble s’enchaîne mais on s’arrête là, on partira de ce second trouble la prochaine fois. A savoir que de même me paraissait très douteux qu’on puisse traiter la narration comme un fait cinématographique, me paraît très douteux que l’image cinématographique soit comme un énoncé analogique, soit même comme une image analogique. Voilà vous réfléchissez à tout ça, hein ? Et puis on recommence tout si vous avez pas bien compris.

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