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- 12/03/1985 - 2

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Gilles Deleuze : Cinéma et pensée cours 81 du 12/03/85 - 2 transcription : Charlène Thevenier

« Et bien vous m’avez eu, je suis mort, j’en peux plus. Alors continuons, continuons car ça ne fait que commencer. Alors là je vais très vite, je vais très vite car tout est simple après. Je me dis bon mais qu’est-ce que c’est ces règles syntagmatiques et paradigmatiques ? Faut encore dire ce que c’est, hein ? Et bien surtout que - Metz y attache d’autant plus d’importance - je vous dis que, le principale secret de cette discipline : la sémiocritique, va consister dans la grande syntagmatique. Ah... il s’agit donc d’étudier les règles d’usage, règles d’usage auxquelles les images cinématographiques sont soumises. Ça va donc peut-être devenir un peu plus concret. Et voilà qu’il a beaucoup varié dans sa classification, il dit que sa classification est ouverte, qu’il faut la remanier, tout ça, mais dans le stade le plus clair, il distingue huit syntagmes. Huit ! hein, on est pas sortis ! huit syntagmes...

-  Seulement qu’est ce qu’un syntagme ? Un syntagme au cinéma, il lui donnera le nom aussi bien, de segment autonome. C’est-à-dire là il est en pleine légitimité, il construit sa terminologie. Qu’est-ce qu’un segment autonome ? si vous voulez, en très gros - on dit des choses vraiment au plus simple - un segment autonome, c’est une séquence. C’est-à-dire une suite de plan qui réagissent les uns sur les autres. Vous me direz à la limite : toutes les séquences réagissent les unes sur les autres, oui, plus ou moins - qui réagissent directement les uns sur les autres. Donc, on distinguera autant de syntagmes qu’il y a de segments autonomes.

-  Premier syntagme : le plan unique. Vous me direz ça... c’est lorsque le plan unique vaut pour lui même. Metz ne cache pas - c’est déjà un trouble - que c’est une catégorie fourre-tout, comme on dit. C’est à dire que ce premier syntagme, le plan unique, réunit les choses les plus diverses. Exemple : un gros plan peut être un syntagme de ce type, mais un plan séquence peut être un syntagme de ce type... Entre un gros plan et un plan séquence... et là il insiste, dans tous ses textes, il dit : « c’est une catégorie que je n’ai pas bien analysée, mais il va de soit que dans ce premier syntagme, il y a toutes sortes de syntagmes très différents. ». Donc c’est bien...

-  Deuxième, deux et et trois : ce sont les syntagmes qu’il appelle "non chronologiques". Il distingue deux sortes de syntagmes non chronologiques, l’un qu’il appelle parallèle. Le montage rapproche... Malins comme vous êtes, vous bondissez ! Le montage mais qu’est-ce que c’est que ça ? Qu’est ce que ça vient faire là ? Est-ce que le syntagme suppose le montage ? ce serait très grave, ce serait affreux. Si le syntagme présuppose le montage, tout son truc saute. Parce que il ne fallait pas nous parler du syntagme, du paradigme. Fallait d’abord nous parler du montage, si c’est le montage qui fait les syntagmes et les paradigmes c’est grave ! Je vous rassure : il y a pensé. Ce n’est pas une erreur. C’est-à-dire comme je cherche à dire vraiment ce qu’il trouve dans toute cette histoire, il faut au moins rendre le maximum d’hommage à Christian Metz. Je veux dire il y a un type de querelle, on va voir au fur et à mesure, qui paraitrait des fausses querelles, parce qu’il a des réponses très... on verra sa réponse tout à l’heure. Mais enfin dans le cas du syntagme parallèle il nous dit : « le montage rapproche et entre-mêle deux ou plusieurs motifs, qui reviennent par alternance, voilà. » Exemple : scènes de la vie des riches et scènes de la vie des pauvres, images de calme et images d’agitation. Remarquez, c’est très important : ces syntagmes ne sont pas pris dans une même action, ce serait un autre cas quand il sont pris dans une même action. Vous avez simplement des scènes de vie de riches et des scènes de vie de pauvres, qui sont pas liées. Qui ne sont pas liées, ça formera un syntagme en parallèle. Images d’agitation/ images de calme, la ville et la campagne, la mer et les champs de blés, ce sera un syntagme parallèle.

-  Deuxième type de syntagme a-chronologique, non-chronologique. Voyez, il n’y a pas de relation chronologique entre vos images de mer et vos images de terre, vos images de campagne, vos images de ville, il n’y a rien de chronologique. En effet, il n’y a pas d’action commune, qui ferait dire : là c’est avant et là c’est après.
-  Deuxième type : le syntagme qu’il appelle" en accolade". S’il l’appelle syntagme en accolade c’est, il me semble, un syntagme qui serait considéré constitué par plusieurs exemplaires indépendants d’un même motif. On en trouve notamment, parce qu’il en donne d’autres exemples, et moi j’en vois un exemple très net, je crois bien chez Dovchenko, où il y a dans je ne sais plus lequel Dovchenko plusieurs images typiques qui se succèdent comme ça, qui marquent l’extrême froid. Alors, vous avez une première image, un pauvre vieux qui est en train de, de vraiment... d’être sur son banc. On voit bien qu’il a froid. L’image d’après, un cheval qui ne peut plus avancer sous la neige et que le paysan bat. Troisième image... de même. Des images qui seraient des images typiques de froid et qui se succèdent, ce serait le syntagme en accolade. Voyez donc, nous avons déjà trois syntagmes :
-  Le syntagme plan unique, encore une fois avec tout ce que vous voulez là-dedans, c’est un faux syntagme, un pseudo syntagme, puisqu’il est divisible en toutes sortes de syntagme.
-  Et puis le syntagme parallèle
-  et puis trois : le syntagme en accolade.

-  Quatre : le syntagme de simultanéité. C’est le syntagme descriptif, la description comme élément de narration. Exemple : cela peut être une suite d’images qui vous montrent une maison. Une maison, il y a un travelling le long de la maison et puis le jardin, le jardin qui dépend de la maison. C’est un syntagme de simultanéité puisque le jardin et la maison sont supposés coexister, être simultanés.

-  Cinquièmement : syntagme alterné. Voyez qu’il ne faut surtout pas confondre avec le syntagme parallèle, car le syntagme alterné ne va pas être non chronologique, il va être chronologique. Syntagme alterné qui se définit par plusieurs consécutions, consécutions différentes. Une suite d’images sur des poursuivants, une suite d’images sur des poursuivis. Une suite d’image sur... par exemple si vous pensez à « Naissance d’une nation » (qui a fait de fameux syntagmes alternés), images sur les assiégés, images sur ceux qui viennent au secours des assiégés. Vous avez un syntagme alterné, très différent encore une fois du syntagme parallèle de tout à l’heure. Puisque là il y a une action commune. Une action commune à consécutions diverses. C’est le cinquième, le syntagme alterné.

-  Sixième : syntagme à consécution continue. Cette fois-ci il n’y a pas plusieurs, euh... c’est une scène. Ce qu’il appelle plus précisément une scène.

-  Enfin, sept et huit : syntagmes à consécutions discontinues. Soit parce que, le banal d’une action est supprimé, il y a ellipse sur le banal. Soit parce que ne sont présentés que certains épisodes de l’action. Le septième cas sera dite : séquence ordinaire, le huitième cas sera dite : séquence à épisodes.

-  Voilà la grande syntagmatique.

Vous me direz : passons à la grande paradigmatique. Voyez donc, il a défini, il tient sa promesse, bien ou mal ça n’importe pas. Sa promesse c’était définir des règles d’usage qu’on pourrait appeler syntagmatiques et qui portent sur les énoncés analogiques, les énoncés iconiques du cinéma ; et vous comprenez, c’est que enfin, c’est toujours prématuré, c’est déjà à ce niveau... comment, comment il s’en tire de ce cercle ? De ce cercle tout à fait vicieux... c’est un énoncé parce que c’est soumis à des syntagmes et c’est soumis à des syntagmes parce que c’est un énoncé. C’est pour cela qu’il a absolument besoin, comme donnée de base, de cinéma de narration. Et, bon bon bon, alors nous attendons la grande paradigmatique ou, il n’y en a pas, et ça va être très intéressant. Il n’y en a pas pour une raison très simple. C’est que, comme il dit : dans la langue, la paradigmatique peut être très importante et aussi importante et même plus importante que la syntagmatique. Mais au cinéma, comment vous voulez ? La paradigmatique, elle a d’autant moins d’importance qu’elle est infinie. Vous vous rappelez ?
-  La paradigmatique c’est le rapport des unités présentes, à savoir les segments autonomes, avec d’autres absents. Et qui pourtant sont comparables à certains égards. Mais comme il dit très bien : dans une langue, c’est déterminable. Je reprends mon histoire : billard/ pillard, la paradigmatique c’est la relation B et P. Tu as dit billard ou tu as dit pillard ? Il y a un choix à faire. Si je dis, j’ai dit billard, ça ne veut pas dire pillard. Billard aurait pu être là. Mais le nombre de comparaisons que j’ai à faire un monème étant donné - par exemple billard - le nombre de comparaisons que j’ai à faire est limité, (...) va me renvoyer en pillard, quoi d’autre ? Si il y avait un mot : fillard, c’en serait un second. Voyez, pour un mot... je dis le mot mousse, bon je suis renvoyé à pouce. »

-  « pouce, mousse... gousse ? »

-  « oui, très bien, gousse. Oui ! Quelques-uns... mais chaque fois, c’est limité. C’est limité pour une raison très simple : c’est que les phonémes d’une langue sont eux mêmes limités, c’est que que même les unités distinctives d’une langue sont limitées dans leurs rapports les uns avec les autres. Alors je peux prendre ma deuxième syllabe et faire le même jeu, toute manière c’est limité. C’est par sa propre limitation que la paradigmatique à acquis une telle importance en linguistique. C’est à dire : il y a un nombre de choix déterminables à faire. Comme dit très bien Metz, à plusieurs reprises il revient sur ce thème. " Et bien oui : la sémiologie du cinéma risque d’être axée sur la syntagmatique plus que sur la paradigmatique. Ce n’est pas qu’il n’existe aucun paradigme filmique - non ça bien sur il y en a. Mais justement, il y en a trop. C’est à l’infini quoi. Je site, pour ceux que ça intéresse : tome I de « essais sur la signification au cinéma », page 102, page 118 : « un plan ne prend son sens que dans une faible mesure par opposition paradigmatique avec les autres plans qui auraient pu apparaître au même point de la chaine, puisque ces derniers sont en nombre indéfini. ». Ou bien page 73, la paradigmatique, ça ne va pas fort, page 73 à nouveau, vous trouvez la même thèse : « le paradigme d’image au cinéma est fragile, approximatif, souvent mort-né, aisément modifiable, toujours contournable. C’est seulement dans une faible mesure que l’image filmique prend son sens par rapport aux autres images qui auraient pu apparaitre au même point de la chaine. En effet ces dernières ne sont pas dénombrables. ». Voyez, justement parce que ce n’est pas une langue. Grande syntagmatique mais toute petite paradigmatique, voilà.

Lorsque, lorsque surgit quelque chose, vous me suivez encore ? Ce qui surgit, et là je ne peux pas... sinon là aussi c’est pour tenir compte de tous les points, même les plus forts de la conception sémiocritique. Ça paraît bizarre que ces auteurs qui veulent tellement être, pas simplement à la mode, mais suivre le cinéma dans ses formes les plus modernes. C’est quand même curieux qu’ils soient tellement partis de ce fait de la narration du cinéma d’Hollywood et qu’ils s’y soient tellement accrochés. Et Metz, dès ses premiers livres, tombe sur le cinéma dit, enfin qu’on a appeler nous par commodité, moderne. Or le lieu commun le plus évident concernant ce cinéma c’est que : la narration y est compromise. Déjà avec le nouveau réalisme, avec la nouvelle vague, précisément c’est la rupture avec le cinéma de Hollywood. Alors, est-ce que ça veut dire que la sémiocritique se cantonne dans le cinéma de Hollywood ? Ce serait quand même bizarre, évidemment non. Mais qu’est-ce qu’il va dire ? Metz, en effet consacre tout un texte, un long texte, à ce cinéma. Dont on dit qu’il rompt avec la narration, et voilà ses premières réactions, à lui, Metz. C’est toujours lui qui parle, vous ne me faites rien dire de plus. La réaction de Metz c’est qu’il prend un exemple célèbre, dans « Pierrot le fou ». Une scène très belle qui est la fuite du couple de l’appartement par la gouttière, et ils s’engouffrent dans une voiture qui va prendre les quais sur la Seine. Or c’est une scène très curieuse parce qu’il y a des retours en arrière. Ils sont, le couple est en voiture sur la Seine, et Godard fait revenir à la manière dont ils descendent par la gouttière, reprend et caetera, c’est-à-dire c’est une scène à progression et rétrogradation, qui semble complétement briser le cours de la narration. Et là Metz a une position très ferme qui consiste à dire : rien du tout. Ce cinéma n’est pas moins narratif qu’un autre, simplement il est absolument narratif. Donc là il maintient la position intransigeante de : "le cinéma est narratif". Le fait Hollywoodien subsiste. Le cinéma est narratif et le reste, et le restera. Simplement il dit : « le cinéma moderne nous force à inventer de nouveaux syntagmes. » et en effet il avait bien prévenu, la liste des syntagmes, elle est, elle est ouverte. Et là alors il invente un drôle de syntagme pour la séquence de Godard ; il dit « Jean-Luc Godard, dans le passage qui nous occupe, il invente un nouveau syntagme. Un nouveau type de séquence, qu’il faudrait appeler une séquence potentielle. Qui représente un type syntagmatique nouveau. Mais qui reste, de bout en bout, une figure de la narrativité. » Bien, il sent bien que ça ne va pas. Ça va le potentiel, qui expliquerait les rétrogradations et les variantes. Puisqu’il y a répétition, il y a rétrogradation, retour à la scène avec des variantes. Il y a répétition et variantes, c’est cela qui vient briser la narration. Et voilà que c’est parce que ses disciples agissent que ... Metz a eu beaucoup de disciples et les disciples sont une bonne chose, qui agissent toujours. Et les disciples, ils ont eu une idée, ils ont trouvé un complice diabolique. Ce complice diabolique c’était Robbe-Grillet, et Robbe-Grillet, il leur a lancé un mot : le dys-narratif. Et Robbe-Grillet il a dit « le cinéma moderne il est dys-narratif, et avant tout mon cinéma à moi, Robbe-Grillet, est dys-narratif. ». Ca leur a plu parce que c’est une manière de dire que c’est pas non-narratif. C’est dys-narratif. Donc il y avait des chances pour que l’on puisse conserver l’idée de narration. Et ces disciples de Metz, je crois là que c’est très normal de leur rendre un très grand hommage, parce que ils ont poussé des analyses extraordinaires, qui me paraissent moi extraordinairement difficiles. Mais ils ont poussé très loin des analyses. Pour, et notamment rendant, rendant ce type ... pour les appliquer avant tout au cinéma de Robbe-Grillet. Et quel est leur schéma ? Et ces disciples, c’est particulièrement André Gardies, Château et Jost. Jost particulièrement à fait une oeuvre très considérable sur tous ces problèmes. Moi j’en reste toujours au plus rudimentaire : qu’est ce que c’est leur idée de fond ? Bien, si vous m’avez suivi, elle s’impose leur idée de fond.
-  C’est dire eh bien oui, avec le cinéma moderne il y a un changement, il y a un changement fondamental de nature structurale. C’est-à-dire : c’est le paradigme qui l’emporte sur le syntagme. Il y a eu mutation structurale, c’est une véritable mutation structurale. La structure n’est plus syntagmatique ou à prévalence syntagmatique, la structure est passée à prévalence paradigmatique. Ça veut dire quoi ? Là, je vais très vite parce que leurs analyses sont extrêmement complexes. Je renvoie à deux livres : Gardies « le cinéma de Robbe-Grillet » édition Albatros et Chateau et Jost : « nouveau cinéma, nouvelle sémiologie » 10/18. Eh bien, une structure à prédominance syntagmatique, qu’est-ce qu’elle assure ? Elle assure l’accumulation du récit, l’accumulation des épisodes du récit. L’accumulation des épisodes et l’évolution. En effet vous vous rappelez : le syntagme c’est la combinatoire des éléments. Le syntagme est par nature progressif. Il assure le déroulement du récit. L’engrangement du récit et son ouverture. Sa conservation du passé et son ouverture sur le futur. Donc il favorise une narration dite classique. Vous vous rappelez, le paradigme, c’est la comparaison d’unités présentes avec des unités absentes comparables sous quelque aspect. Et il est réglé par la commutabilité. Qu’est-ce que c’est que la commutabilité ? Je vous le rappelle, il y a commutabilité entre deux éléments u et u’ lorsque vous avez trois, euh - deux syntagmes. Deux syntagmes différents v, u, w et v, u’, w. Vous direz à ce moment là que les deux syntagmes qui ont comme un v et w, qui ont comme différence u et u’, sont commutables. Je reprends un exemple de la dernière fois pour que ce soit très clair : les bandes du vieux billard... vous savez qu’un billard à des bandes ? Les bandes du vieux billard sont commutables. Vous avez cette fois ci : v w u et v w u’. Les bandes du vieux billard/ les bandes du vieux pillard. On est d’accord ? Supposez un récit à prédominance paradigmatique, qu’est ce que vous allez avoir ? Et bien la pleine rigolade. Pourquoi ? Normalement, du point de vue paradigmatique, c’est des restes de sélection, c’est-à-dire vous avez des choix à faire. C’est-y billard ou c’est-y pillard ? Tu as dit billard ou pillard ? Mais, ce qui me permet de choisir, c’est l’avancée syntagmatique. Je dis, oh la la ! Ce vieux billard il avait des bandes. Jusque là quelqu’un qui n’entend pas n’a pas les moyens de choisir. Avec ce vieux pillard il avait des bandes. Si bien que j’ai crevé la bande du billard. Voilà. Il n’y a pas le moyen de choisir encore. Mais crever, crever le tapis d’un billard... ah je me dis : ça doit être billard, c’est pas pillard qu’il est en train de dire. Parce que crever la bande du pillard ça pourrait se dire et caetera. Je continue. L’avancée syntagmatique me donne des raisons de choisir entre les commutables. Si vous avez une prédominance - je sens que c’est compliqué ce que je dis, là je vais pas développer tout ça, y en a marre. Si vous avez pas, si vous avez une faible syntagmatique, si j’ose dire : vous êtes possédé. Si vous avez une syntagmatique, bien voilà : vous avez une paradigmatique d’autant plus forte que non seulement vous aurez des commutables mais qu’il y aura permutation des commutables. Vous n’aurez aucun moyen de choisir, en d’autres termes ce que vous aurez c’est quelque chose d’indécidable entre les deux commutables. Vous aurez quelque chose de proprement indécidable entre les deux commutables à savoir : t’as dit billard ou pillard ? J’ai dit les deux à la fois. Ah bon... ah tiens, j’ai dit les deux à la fois, ça va faire une drôle d’histoire : les bandes du vieux pillard sont les bandes du vieux billard. Et bien oui, c’est comme ça. C’est comme ça, c’est les deux. Bon, merde alors, j’ai perdu la clef ! J’ai la clef, je retrouve la clef. Avec une syntagmatique normale, vous n’avez pas tellement de problème ; vous aviez la clef, vous la perdez, vous la retrouvez. Vous avez engrangé, et avancé, fait évolué syntagmatiquement votre opération. Si votre syntagmatique se met à vaciller, vous avez trois formules commutables : j’ai la clef, j’ai perdu la clef, j’ai retrouvé la clef. Aucun moyen de choisir entre les trois, il y a permutation des commutables. Vous avez une syntagmatique pauvre avec une paradigmatique riche. Boris a trahi Jean. Boris a sauvé Jean. Jean a trahi Boris. Si vous avez une syntagmatique forte, ça peut s’arranger. Tout ça c’est des épisodes successifs comme dirait Metz, c’est un syntagme à consécution discontinue, à épisodes. Si vous n’avez pas de syntagmatique, hein ? Si vous n’avez qu’une paradigmatique forte ? Ouais, Jean a trahi Boris. Non, Boris a trahi Jean. Et oui... et puis Jean il a sauvé Boris. Et puis merde, Jean et Boris, c’est la même personne. Vous avez reconnu avec l’exemple de la clef, « Trans Europ Express », un passage de « Trans Europ Express » de Robbe-Grillet. Avec Boris et Jean vous avez reconnu le plus grand thème du plus beau film de Robbe-Grillet : « L’homme qui ment ».

=> On dira que la dys-narration se définit par une structure à paradigmes et à paradigmatique forte et à syntagmatique pauvre ou écrasée. Si bien que dès lors le récit ne s’accumulera plus et n’évoluera plus mais procédera par répétition et permutation des commutables. Pourquoi répétition en plus de permutation ? Parce que la répétition, c’est la permutation zéro. Même pas, c’est la permutation un. Alors je dis bien que, ça va se compliquer énormément parce que, comment obtenir une paradigmatique qui écrase la syntagmatique ? C’est ça que les disciples de Metz - et Metz se rangera à leur avis, et dira lui même que sa première solution, qu’il suffisait d’ajouter des syntagmes pour rendre compte de ce cinéma moderne, était insuffisante. Voyez que la réponse est plus complexe chez ses disciples puisqu’ils vont dire : oui, il y a eu une véritable mutation structurale du récit, mais cette mutation en gros, elle vient de la prévalence qu’a prise la paradigmatique. Mais alors sur quoi repose... là-dessus le problème rebondit. Et là ils vont se déchainer évidemment. Sur quoi repose ce primat pris par la paradigmatique, alors que la narration semblait exiger au final, la syntagmatique ? Si bien qu’ils seront amenés à faire intervenir toutes sortes d’éléments et notamment ce qu’ils appellent des paramètres et des micro-paramètres. Dont déjà, très curieusement, Metz parlait pour dire : ce sont des éléments qui n’ont pas d’importance significative dans l’image cinématographique. Mais ces micro-paramètres, notamment le costume - on en revient aux vêtements, notamment le costume - va être appelé à jouer un rôle, mais un rôle fondamental. Notamment dans le cinéma de Robbe-Grillet et c’est l’injection des paramètres dans l’image qui va jouer un grand rôle dans le renversement de la subordination paradigmatique/syntagmatique. Mais tout ça j’ai pas le temps. Bon je voulais juste vous indiquer cette voie.

Donc, voyez, ils pourront dire qu’ils collent absolument avec le cinéma moderne puisqu’ils introduisent un nouveau régime. Ce dont ils ne veulent pas entendre parler, c’est d’un cinéma non-narratif. Ils diront : bien oui, le cinéma non-narratif, c’est le cinéma expérimental. Et le cinéma expérimental c’est pas notre faute, c’est un fait qu’il est marginal. Et en d’autre termes, depuis Hollywood, depuis le fait du cinéma, à savoir, la constitution d’un cinéma de narration, c’est pour cela que la sémiocritique est très peu favorable dans la répartition de la critique d’aujourd’hui du cinéma, la sémiocritique est très peu favorable au cinéma expérimental. En revanche elle est très favorable aux formes, qu’elle appelle "formes modernes de narration", c’est à dire au dys-narratif. Un cinéma dys-narratif qui selon elle, définit le cinéma moderne. Et alors on a pas tout à fait fini, car dans leur prudence, puisque ça il faut le mettre à leur acquis. C ’est très interessant, j’ai dit la base élémentaire, si vous lisez le livre de Joste et Chateau là, sur Robbe-Grillet (vous aurez une tête grosse comme ça...) parce que ils sont amenés à faire une paradigmatique très riche, alors une paradigmatique, vous verrez c’est pas bien une paradigmatique, ça vous ferait regretter les axiomatiques et mathématiques les plus poussés. Bon, mais enfin, mais on laisse, on laisse tomber.

=> Syntagmatique, paradigmatique, qu’est-ce que c’est, on l’a vu des règles d’usage. Des règles d’usages, autant dire, pour donner leur nom maintenant : des règles d’usage c’est-à-dire des codes. C’est des codes, hein. Je recommence : il ne faut pas confondre la langue et le code. Metz le disait déjà depuis le début. Que la langue se compose d’une double articulation avec deux sortes d’éléments, les éléments distinctifs et les éléments significatifs, ce n’est pas un code. Le code c’est les règles d’usage qui déterminent les combinaisons et sélections de ces éléments, ça c’est un code. Donc la paradigmatique et la syntagmatique sont des codes. Immédiatement vous voyez bien qu’ils n’ont pas le choix, ils n’ont pas le choix. Il va bien falloir qu’il y ait beaucoup de codes. La paradigmatique et la syntagmatique, la grand syntagmatique dont Metz se demandait à un moment si ce n’était pas le code exclusif du cinéma, très vite il y renonce. Bien plus, il y a toutes sortes de codes qui viennent s’exercer sur l’image cinématographique. La syntagmatique n’est qu’une règle d’usage parmi les autres et là aussi Metz laissera la liste ouverte mais distingue formellement cinq grands codes. Ah, la la la la ! je n’en peux plus.

Il y a par exemple, là on va faire la liste des codes.

⁃ Premier code : la grande syntagmatique ⁃ Deuxième code (qu’il ne cite pas) : la paradigmatique. Il y en a toujours, même dans le cinéma à prédominance syntagmatique il y a une petite paradigmatique, dans d’autres cas il y en a une grande. Mais vous avez déjà là deux codes. ⁃ ⁃ Troisième code : il y a, nous dit Metz, le code qui est traditionnellement désigné sous le nom de "ponctuation filmique". Il y a le code de ponctuation. Entre parenthèse, fondu, volet (vous voyez le vieux procédé du volet dans le cinéma muet), iris (vieux procédé aussi généralement abandonné), filage (je passe vite, j’aurais du le supprimer parce que je ne sais pas ce que c’est... bon. Enfin certains d’entre vous le savent.). Bon, code de ponctuation. On passe. Il y a... bon ça c’est un troisième code.

⁃ « non filage c’est quand la caméra passe très très vite, comme ça... ça fait un... ça fait un... » ⁃ « ah bon, c’est pas un panoramique ça ? » ⁃ « ah non. Le panoramique, on distingue encore quelque chose alors que le filage on ne distingue plus rien. » ⁃ « alors c’est pour ça qu’il ne le met pas dans le mouvement d’appareil... » ⁃ « oui, c’est même pas un mouvement d’appareil... » ⁃ « Ah, d’accord. D’accord. » ⁃ « des images qui coulent. » ⁃ « euh, quatrième, troisième, je sais plus... »

⁃ Quatrième code : les mouvements d’appareils. ⁃ Qui forment un code spécifique. Travelling (ça on s’y retrouve), panoramique, trajectoire à la grue, caméra à la main, travelling optique type zoom, etc... c’est le code des mouvements d’appareils. ⁃ ⁃ ⁃ Cinquièmement : il y a aussi un code, ou un ensemble de codes (puisque ces codes se divisent aussi en sous-codes), il y a aussi un code particulièrement important qui vient organiser les relations de la parole et de la beauté visuelle. ⁃ Ouf il était temps ! il était temps car ça a pas du vous échapper. Toute l’histoire cinématographique comme énoncé soumis à des paradigmes, c’est à dire à des règles langagières. Soumise à des syntagme, c’est-à-dire à des règles langagières, se faisait sans la moindre allusion au parlant. Bien plus, la syntagmatique exigeait que l’on ne tienne pas compte du parlant. C’est pas qu’elle s’appliquait seulement au muet, elle s’appliquait à l’image conçue comme énoncé analogique par ressemblance. Donc c’est pas question du parlant. Comme la syntagmatique excluait toute considération sur la parole au cinéma, il faut bien qu’il y ait un code du parlant cinématographique, c’est-à-dire un code audio-visuel. Alors le code audio-visuel c’est quoi ? Et bien, voyez : voix in, voix off, tout ce que vous voulez. Bon, et bien d’autres, tout ça on verra. Enfin bon.

⁃ ⁃ Sixièmement : Et puis il y a tous les codes de montage. ⁃ Là aussi il était temps. Tous les codes de montage. Voyez ce qu’il veut dire ? Non seulement il y a plusieurs codes mais c’est évident que ces codes se présupposent. Comparez la syntagmatique et le montage... c’est deux codes nous dit-il. Confondez surtout pas car, si vous reprenez la liste des syntagmes, vous pouvez avoir l’impression que le montage est déjà présupposé. Oui, il est souvent présupposé, pas toujours. Car, si vous reprenez la liste, il est évident que le premier syntagme, le plan fourre-tout, le plan unique, lui ne présuppose pas le montage. Mais, tel que je vois, tous les autres présupposent le montage. Si vous faites un syntagme en accolade, si vous faites un syntagme alterné, le montage est là. ⁃ Oui, mais l’idée de Metz (là il faut pas non plus lui chercher de critiques qui lui tomberaient à tort), l’idée de Metz elle est toute simple : tous les codes cinématographique se présupposent et s’entre-mêlent et renvoient les uns aux autres. Simplement, en droit et abstraitement vous pouvez les définir différemment ⁃ => Car c’est vrai que beaucoup de syntagmes présupposent le montage, mais qu’est-ce qui me fait dire que c’est quand même deux codes le syntagme et le montage ?
-  Premièrement que : il y a des syntagmes indépendamment du montage
-  et deuxièmement que le montage excède les types de syntagmes, puisque le montage excellera dans quoi ? Dans la jonction des différents syntagmes.

Donc les critères du montage comme code ne sont pas les mêmes que les critères de syntagme. Et vous pouvez très bien concevoir, à la manière de Eisenstein, un montage métrique, un montage rythmique, un montage harmonique. Alors que vous n’avez pas de syntagme harmonique, rythmique, métrique. Et en même temps, le montage à certains égards présupposera lui-même des syntagmes, les syntagmes présupposeront le montage, etc...

Donc ces cinq codes, ils ne cesseront pas de se mêler et il y en aura bien plus, il y en aura bien d’autres. Il y en aura bien d’autres parce que comme dit toujours Metz : c’est pas fini parce que le cinéma en temps que formation culturelle, il est soumis à des codes non cinématographiques. Il est soumis à des codes non cinématographiques, par exemple un code moral. Et les codes moraux au cinéma jouent beaucoup. Il est soumis à des codes picturaux, à des codes sculpturaux, etc... qui sont pas des codes spécifiquement cinématographiques. Lorsque un moment à Hollywood, il y a un code moral qui dit : un baiser ne doit pas durer plus de tant de temps, c’est un code moral, qui n’est pas spécifiquement cinématographique et qui pourtant régit le cinéma de narration de Hollywood. Donc vous avez tous les codes non spécifiques, qui pèsent sur le cinéma comme formation culturelle et puis vous avez les codes spécifiques, les codes spécifiques, ce sont les règles d’usages qui portent sur l’image iconique ou analogique en tant que telle, c’est à dire en tant que cinématographique, donc voyez qu’il y en a cinq ou six.

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