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80- 05/03/1985 - 2

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Gilles Deleuze - Pensée et cinéma cours 80 du 05/03/1985 - 2 - transcription : Nadia OUIS

Vous chercherez en vain, en apparence, vous chercherez en vain une deuxième articulation. Vous pouvez traiter les plans comme éléments d’une première articulation, qu’est-ce-qui peut faire fonction de deuxième articulation ? Les plans sont des unités significatives. Bon, d’accord, supposons. Supposons que les plans soient équivalents de monèmes, en encore, ça ferait difficulté, mais supposons. Qu’est-ce-que ce serait les phonèmes ? Evidemment il y a une réponse sur laquelle on risque de se précipiter : les photogrammes. Les photogrammes seraient les phonèmes. Ça tient pas debout une seconde. Puisque les photogrammes sont les éléments constituants, les éléments matériels constituants sous la forme de temps par seconde et ne peuvent pas être saisis pour eux-mêmes. Sauf dans la condition d’un photogramme- plan , ou alors vous démentez à nouveau une des conditions du langage, puisque vous avez fait passer de la seconde à la première articulation. Ainsi donc, dans l’unité, dans le monème vous distinguez les phonèmes, dans l’image-plan, vous ne distinguez pas les photogrammes. A moins encore une fois de les faire passer - de toute manière ça ne répond absolument pas aux conditions d’une langue, des deux articulations telles qu’elles sont dans la langue.

Vous comprenez ? Aussi personne n’a eu l’idée baroque de traiter le photogramme comme l’équivalent d’un phonème. Ce serait comme une espèce de vague métaphore. Quelqu’un pourtant, quelqu’un de très grand, a dit il y a bien deux articulations, ou bien a fait semblant de le dire et çà on va revenir tout à fait aux textes, qui sont vraiment difficiles mais vraiment beaux, c’est Pasolini, rien que pour embêter les sémioticiens. Il a dit, les signes, il y a deux articulations - mais il est trop malin évidemment pour invoquer le photogramme - il dit : « l’équivalent du phonème c’est les objets présents dans le plan, les objets cadrés dans l’image. » Umberto Ecco s’exclame et dit : « Pauvre Pasolini ! ». Pourquoi ? Parce que Umberto Ecco dit : « les phonèmes, c’est-à-dire, les éléments de la seconde articulation ne sont pas significatifs et ne peuvent en aucun cas faire partie du signifié ». Les objets compris dans le plan font parfaitement partie du signifié de l’image : à première vue Ecco a raison. Pourquoi et comment et de quel droit Pasolini peut-il répondre à Ecco : « Pauvre Umberto Ecco ! » Ce problème nous passionnera la séance prochaine. Mais, pour le moment on arrête là, on arrête là en disant à première vue - et vu le mystère du texte de Pasolini, que nous laissons de côté pour le moment - à première vue, il semble évident que le cinéma n’est pas une langue. Bien.

Quand nous demandions : qu’est-ce-qu’une langue ? En un sens, si modernes que soient les réponses - par exemple la réponse de Martinet - c’était une question pré-critique, c’était une question platonicienne. A savoir : parmi tous les caractères apparents d’une langue, quel est caractère essentiel ? En acceptant cette question pré-critique :
-  Qu’est-ce-qu’une langue ?

Nous avons répondu :
-  Le cinéma n’est pas une langue.

Et Metz enchaîne là-dessus pour dire : le tort des premiers qui aient réfléchi sur les rapports cinéma / langue, c’est d’avoir posé le problème au niveau de la langue ! Eisenstein ne fait qu’une métaphore lorsqu’il dit : « le cinéma en tant que constitué par le montage est une langue ». C’est une simple métaphore parce que ça ne considère pas le caractère spécifique d’une langue. Le caractère spécifique d’une langue étant la double articulation, vous suivez ? Je suppose pour les ... encore une fois je ne peux pas faire autrement tout ceux qui savent ça, ben...

Bien. Je passe à une toute autre question. Je ne m’interroge plus sur ce qui fait l’essence d’une langue, je m’interroge sur les règles d’usage d’une langue à savoir à quelles règles d’usage sont soumises les unités de la langue ? Voyez je retrouve ma notion de règle d’usage. C’est un autre ordre de question. Que ce soit des phonèmes ou des monèmes, ils sont soumis à certaines règles d’usage. Je ne cherche plus l’essence, je cherche les règles subjectives. Pas du tout de la subjectivité de quelqu’un qui parle, il s’agit pas de la parole mais d’une subjectivité langagière. Donc quelles sont les règles d’usage des phonèmes et des monèmes ? La réponse est qu’il y a deux sortes de règles d’usage :
-  les unes seront dites syntagmatiques,
-  les autres seront dites paradigmatiques

A quels actes correspondent-elles ? On appelera syntagme : toute conjonction d’unité relative. Je veux dire phonème, monème ou autre chose, c’est pas forcément des unités absolues, on appelera syntagme toute conjonction d’unité relative présente, présente dans un énoncé. Et à ce moment-là on parlera du syntagme correspondant à l’énoncé. On dira qu’il y a un syntagme UV si U et V sont présents dans grand E. Grand E désignant un énoncé. Une telle activité est une combinaison, c’est un acte de combinaison.

(coupure du son) Défaire, Dé-faire ne formerait jamais un syntagme u et v minuscules. Dé-faire, ne formerait jamais un syntagme si on ne pouvait pas constituer une place grand U et une place grand V, constitutives d’une règle syntagmatique. A savoir décoller, dévoiler qui sont du même type que défaire. D’accord ? J’essaye vraiment le plus bas, très bien bon, bon, bon... Remarquez que problème immédiat si vous m’avez suivi : je dis le mot « déterminé » est-ce que c’est un syntagme du type UV ? Est-ce qu’il y a deux monèmes ? Pas sûr ! Je pourrai montrer qu’il y a deux monèmes pour déterminer que si je découvre une règle qui engage et qui forme une place grand U et une place grand V tel que D soit à X comme Dé est à terminer. Une fois dit que dans déterminer le rapport syntagmatique entre U et V, (...) le rapport Dé et terminer est pas du même type que le rapport dé/faire. D’accord ? d’accord d’accord tout ça, voilà.

Ce qui m’importe c’est que le syntagme renvoie à une règle syntagmatique. C’est pour ça que les linguistes parlent généralement, non pas du syntagme, mais plus profondément ils disent : La syntagmatique. Metz ira plus loin encore, il parlera pour des raisons que j’expliquerai, de "la Grande Syntagmatique", qui éveille en moi pas du tout une objection, une hilarité très grande, parce que j’entends quand on me dit la Grande Syntagmatique : j’entends la grande demoiselle, "la grande demoiselle est morte", bref, c’est du Bossuet. La grande syntagmatique, ça me fait rêver. La grande syntagmatique... Est-ce qu’elle est morte la grande syntagmatique ? Enfin, c’est la syntagmatique ! Vous voyez ? Bon ! compris ça ? Chaque fois que vous faites une phrase, les règles d’usage sont des règles syntagmatiques. Vous le saviez pas hein ? (rires) Et si avec ça, vous faites aussi du paradigme ? C’est que...le paradigme...Vous vous rappelez
-  le syntagme c’est la conjonction d’unités relatives présentes,
-  le paradigme c’est la disjonction d’unités présentes avec des unités absentes comparables à tel ou tel égard, comparables sous un égard quelconque.

Par exemple comparable du point de vue du sens. Ou comparable du point de vue du son. Exemple : enseigner/instruire - exemple donné par Saussure - enseigner/instruire : je vous dis une phrase, « il m’a enseigné », vous auriez pu dire « il m’a instruit », qu’est ce que ça changeait ? Vous avez fait un choix. Toute unité présente c’est-à-dire que vous avez choisi, implique ce rapport disjonctif avec d’autres unités possibles que vous n’avez pas choisies, que vous avez éliminées. A chaque fois que vous parlez c’est comme ça, à plus forte raison quand vous cherchez un mot.

Ou bien le paradigme va concerner des unités dont le SON se ressemble, et pas du tout le sens. Ou bien dont le SENS se ressemble et pas du tout le son. Je reprends mon exemple, mes deux exemples : "tu as dit cochon ou cosson ?" "Qu’est ce que tu racontes, c’est les bandes du pillard ou les bandes du billard ?" Cette fois-ci il ne s’agit plus d’un acte de combinaison il s’agit d’une acte de sélection. Il n’est plus fondé sur la continuité, il est fondé sur la ressemblance. Le critère est, ce que les linguistes appelent « la commutation ». Il y a commutation si la substitution de deux unités U et U’, produit une différence à signal. Quand je dis « à signal » ça veut dire par exemple qu’il y a des différences des types d’intonation qui ne produisent pas de différences à signal. Les différences de prononciation ne font pas partie de ce jeu-là. Voyez ? Martinet analyse longuement un exemple paradigmatique entre les deux énoncés suivants qui sont commutables : « il dessine une carte / il dessine une carpe », fondé cette fois-ci sur le très différentiel phonématique T sur P. Les bandes du vieux pillard, les bandes de vieux billard sont fondés sur la différence phonématique B sur P.

Tout va bien ? c’est très clair ? Bon...

On dira que les règles d’usage des phonèmes et des monèmes sont des règles syntagmatiques et des règles paradigmatiques. Les unes déterminant les concaténations ou les consécutions légitimes des unités présentes, les autres déterminant les choix légitimes entre une unité présente et une unité absente. Je vous rappelle qu’au cours du premier trimestre, on a vu comment Jakobson s’appuyait sur ces deux aspects, pour dégager deux pôles de l’aphasie comme maladie du langage. Maladie du langage à prédominance trouble de combinaison, c’est-à-dire trouble syntagmatique, maladie du langage fondée sur trouble de sélection, c’est-à-dire trouble paradigmatique. Et selon Jakobson il y aurait deux pôles de l’aphasie qu’on pourrait appeler - je crois qu’il le fait pas mais enfin ça n’apporte rien - qu’on pourrait appeler aphasie syntagmatique et aphasie paradigmatique.

Je reviendrai sur ce point problème très délicat et puis je vous laisse tranquilles après tout ça, quel rapport y-a-t-il entre la syntagmatique et la paradigmatique ? Deux thèses s’affrontent :
-  la thèse la plus fréquente, je dis pas la plus...la thèse la plus fréquente qui consiste à donner le privilège à la syntagmatique, l’acte essentiel, la règle d’usage essentielle c’est la combinatoire. Et le paradigme est seulement un moyen qui permet de former des classes d’unité ayant les mêmes possibilités combinatoires. Donc subordination de la paradigmatique à la syntagmatique.
-  Thèse plus rare, mais qui est celle de Martinet. Ça s’organise assez bien, l’acte fondamental du langage, ce sont les choix. A tous les niveaux, au niveau phonématique, au niveau monèmatique. Ce sont les choix. Et un syntagme ne peut pas être constitué si on ne considère pas les autres unités qui auraient été possibles. Donc une sorte de primat de la paradigmatique, qui est très très intéressant dans les thèses de Martinet.
-  Position moyenne, ce qui n’exclut pas le plus grand génie, indépendance des deux dimensions qui est très bien représenté par Jakobson, avec les deux pôles, avec les deux pôles, avec les deux pôles indépendants.

Bon. Où je veux en venir ? Voilà. Comprenez, qu’est-ce-que va être la thèse de Metz ? Enfin on est en mesure pour terminer cette séance, de dire ce que signifie l’énoncé de la grande thèse de Metz, à savoir : le cinéma langage sans langue. Cela veut dire que l’image cinématographique n’est pas une langue et ne forme pas et n’appartient pas à une langue car on n’y trouvera aucun phénomène de double articulation. Donc elle n’a aucun des éléments qui définissent une langue. En revanche, elle a des règles d’usage de nature surtout syntagmatique, secondairement paradigmatiques et qui définissent cette fois-ci non pas des éléments linguistiques, mais des règles d’usage langagières. En d’autres termes relation syntagmatique et relation paradigmatique sont des règles d’usage qui définissent le langage. La double articulation est un état d’éléments qui définit la langue. vous trouvez nécessairement du syntagme et du paradigme dans la langue. Mais vous ne trouvez pas exclusivement dans la langue, du syntagme et du paradigme. Les règles d’usage langagières, syntagme et paradigme, peuvent s’appliquer à d’autres éléments que les éléments de la langue et dans ces cas on parlera d’un langage sans langue.
-  Un langage sans langue est un produit culturel qui présente ou qui se soumet aux règles d’usage syntagmatique et paradigmatique, bien qu’il ne présente pas les éléments de la langue.

Il y aura donc des langages sans langue. Si la mode ou si le vêtement sont soumis à des syntagmes et paradigmes, alors c’est un langage sans langue. Si la musique est soumise à des syntagmes et paradigmes alors c’est un langage sans langue, indépendamment de la question de savoir s’il y a des phonèmes ou des morphèmes et une fois dit qu’il y en a pas. C’est pas du tout les mêmes niveaux, ce qui définit le langage ce sont les deux règles d’usage fondamentales. C’est entendu que dans la langue ces règles d’usage portent sur les éléments de la langue, mais elle peuvent très bien porter sur d’autres éléments que les éléments de la langue. Les éléments de la langue se définissant par la double articulation. Mais syntagmes et paradigmes n’exigent en rien la double articulation. Ils s’appliquent aux éléments de la double articulation, ils n’en dépendent pas. Donc vous pouvez très bien, non pas parler d’une langue cinématographique, mais vous devez parler d’un langage cinématographique. S’il est vrai que l’énoncé cinématographique - voyez-d’où son enchaînement : tout est fondé !- S’il est vrai que la narration qui a comme élément des énoncés, énoncés analogiques donc qui sont pas des énoncés de langue, énoncés iconiques, énoncés analogiques. Si aux énoncés analogiques ou iconiques du cinéma s’appliquent effectivement des syntagmes et paradigmes, le cinéma est un langage. Il a fait passer la question du rapport cinéma / langue / langage du statut platonicien au statut Kantien.

A quelles conditions le cinéma peut-il être considéré comme un langage ? Réponse : s’il est vrai que l’image cinématographique peut-être réduite à un énoncé non linguistique c’est-à-dire à un énoncé analogique et si, à ce titre, cet énoncé analogique est soumis à des règles syntagmatiques et paradigmatiques.

Vous avez l’air at-té-rés ! (Rires)

En tout cas, on peut pas lui refuser la rigueurà ce niveau. La rigueur est payée à quel prix ? Tout ce qu’on a vu avant, tout ce qu’on a vu avant. Nous en sommes exactement là donc il faudra une autre séance : qu’est-ce-que c’est que les syntagmes et paradigmes proprement cinématographiques ? C’est-à-dire qu’est-ce-que c’est que La Grande Syntagmatique ?

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