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79- 26/02/1985 - 3

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Gilles Deleuze - Pensée et Cinéma cours 79 du 26/02/1985 - 3 Transcription : Zemiri Claudie

....Générale.

Première interprétation : La linguistique est première mais ne peut se développer que dans la mesure où elle dégage certains processus qui s’appliquent à la langue mais ne s’appliquent pas "qu’à" la langue, qui s’appliquent aussi à d’autres choses que des langues. Cette autre chose que des langues, on les appellera des langages. Il y a donc des langages sans langue.

Dire que la linguistique est un cas particulier de la sémiologie, c’est dire la linguistique est dans la sémiologie, la discipline qui s’occupe de la langue et de tous les processus qui dépendent de la langue. Ce n’est qu’un cas particulier de la sémiologie, signifie que certains processus qui s’appliquent à la langue concernent aussi d’autres choses que les langues. Quoi ? La musique, la peinture, la mode, la cuisine, toutes choses qu’on appellera alors, langages sans langue. A la limite un tel rapport de la linguistique et de la sémiologie est fondé sur quoi ? Il est fondé sur la notion de signifiant et de chaîne signifiante. Il n’a aucun besoin, en principe, même s’il s’en sert parfois, il n’y a aucun besoin en principe de faire appel aux notions de signes ou même d’images. C’est une sémiologie sans image, sans signe. C’est une sémiologie du signifiant. On réservera le mot sémiologie pour ce premier cas.

Autre interprétation possible de la formule : la linguistique n’est qu’un cas particulier cette fois-ci, n’est qu’un cas particulier de la sémiotique car on réservera le mot sémiotique pour ce second cas. Cette fois-ci il faut comprendre
-  la sémiotique est la théorie des images et des signes.

Il ne présuppose rien, elle ne présuppose rien du langage. Elle montrera simplement comment le langage et la langue se forment nécessairement en fonction de certains rapports des images et des signes. Cette fois-ci, cette sémiotique se passera radicalement de la notion de signifiant, ne connaîtra que les notions d’images et de signes. Et en tirera un air comme délicieusement démodé et s’appellera vraiment sémiotique. Sémiotique dont la linguistique ne sera plus qu’un cas particulier. Si bien que maintenant, j’emploierai les deux mots : Sémiologie et sémiotique, avec le sous-entendu suivant : la sémiotique est d’inspiration langagière, je dis pas qu’elle soit linguistique puisque la linguistique n’en fait plus partie ; la sémiotique est d’inspiration langagière. Non ! Là ! Pardon, là ! La sémiologie, la sémiologie est d’inspiration langagière. La sémiotique trouve son inspiration dans les images et le signes et ne présuppose rien du langage.

Dans ma confidence personnelle évidement, c’est la première partie qui m’a moi... la seconde partie m’intéresse énormément et la troisième comme elle découle de la première et de la seconde, pas de problème ! pas de problème ! et la troisième, elle va de soi, alors... Donc aujourd’hui, aujourd’hui et la prochaine fois j’aurai besoin de... à mon avis d’une séance et demi, ça va être les lieux communs, une série de lieux communs sur la linguistique. Je commence donc par la première question et tout de suite quand même il faut trouver quelque chose qui moi, m’intéresse. Je me demande si cette premiére question, ça s’est pas déjà passé une fois, une fois dans un tout autre domaine, évidemment dans la philosophie. Car je vais vous dire la première chose, vous me répondrez que ça nous aide pas à comprendre, j’aimerai que ça vous aide à comprendre. Christian Metz est kantien. Et Dieu ! Quel plus beau compliment lui faire ! Ce qui m’étonne c’est qu’il n’a pas l’air de le savoir, mais il est profondément kantien. Qu’est-ce que veut dire "être kantien" quand on s’occupe de cinéma ? Voilà.

Lorsque Kant invente, crée une philosophie qu’il va appeler la philosophie critique en donnant à "critique" un sens assez spécial, le bouleversement qu’apportera la philosophie, la tentative kantienne permettra à beaucoup d’auteurs de diviser l’histoire de la philosophie en une période très critique avant Kant et une période critique et postcritique, donc après Kant. Or, au plus simple comment se distingue les deux périodes ? La vieille période précritique, si on fait une lecture rétroactive - une lecture rétroactive ça n’est légitime que lors des conditions de grande prudence - mais une fois que Kant est là, on peut se dire et bah qu’est-ce qu’était Platon ? qu’est-ce qu’il faisait Platon, alors... Platon c’était l’après critique. C’était le grand moment d’une philosophie très critique. En quoi on reconnaissait ce grand moment d’une philosophie très critique ? Platon demandait " qu’est-ce que... ?". Et il pensait même que faire de la philosophie c’était demander "qu’est-ce que... ?", "qu’est-ce que ceci ?", "qu’est-ce que cela ?". Bon, par-là, il dirait c’est pas le genre "qu’est-ce que ou ainsi..." il a fallu beaucoup de gens parce qu’il y a beaucoup de gens qui ne sont pas d’accord avec la question "qu’est-ce que... ? Est-ce que c’est la bonne question ? Il ne suffit pas de poser les questions dans la vie, encore il faut qu’elle soit la bonne question, vous comprenez ? Qu’est-ce qui vous dit que c’est bien de demander "qu’est-ce que... ?" Peut-être que c’est pas ça qu’il faut demander ? Furent de grands moments dans la philosophie, les ruptures avec les questions "qu’est-ce que ?" par exemple Leibnitz un de ces jours, il a dit : il faut pas demander "qu’est-ce que ? " il faut demander "pourquoi... ?". C’est que c’est pas pareil comme question.

Alors Socrate, il se trouve dans un monde où les gens se demandent "qu’est-ce que... ?". Il demande "qui... ?" Qui c’est qui ... qui c’est qui est juste dans la Cité ?". Socrate, il arrive, il rigole, il dit : "qui c’est qui est juste dans la Cité ? Ça veut rien dire, c’est pas une question. Surtout, vous ne saurez jamais qui est juste dans la cité si vous avez pas d’abord demandé : qu’est ce que la justice ? Mais oui, ça va de soi ! pas du tout, ça va pas de soi ! C’est ce qu’on appelle les sophistes, c’est des gens qui disent : pas du tout ! Qu’est-ce que la justice ? Mais c’est des questions d’abstraction ! On peut jamais répondre à une question comme ça ! C’est des questions sans réponse ! C’est des fausses questions. Il faut maintenir la question " Qui est juste ?". Et c’est au niveau de "qui est juste ?" que là tout se passe et que la réflexion doit passer et que les épreuves doivent passer.

Socrate, il continue : "si tu ne me dis pas : qu’est-ce qui est... qu’est-ce que la justice ?" Bon c’est dire que c’est original, c’est original en quel sens ? La question précritique "qu’est-ce que ? " se définit par la distinction de l’apparence et de l’essence. Bien.
-  L’essence, c’est l’universel et le nécessaire.
-  L’apparence, c’est le variable.

Revenons au cinéma, les images cinématographiques, c’est l’apparence. Vous êtes là et vous regardez votre cinéma, c’est l’apparence ! Qu’est-ce que le cinéma ? Et on vous répond, c’est ce que vous cherchiez de tout temps. Ce serait assez socratique, c’est la réjouissance, c’est ce que vous cherchiez de tout temps : la langue universelle, la langue universelle et nécessaire. Qu’est-ce qui définit cette essence ? Il faut que quelque chose définisse cette essence sinon ça ne va plus ! — Les images qui défilent devant vous, c’est l’apparence.
-  L’essence, c’est la langue universelle, ces images renvoient à une langue universelle. Qu’est-ce que cette langue universelle ? La réponse soviétique apparaît peut-être platonicienne, c’est le montage.
-  C’est le montage qui définit le cinéma comme langue universelle qui s’incarne dans l’apparence des images-mouvements.

Vous voyez image et mouvement c’est l’apparence dont l’essence est la langue universelle. Or ! Je voudrais que vous saisissiez : la proposition le cinéma est une langue, à savoir la langue universelle, cette proposition n’a de sens que d’un point de vue que j’appelle précritique où en effet la question qui s’impose c’est "qu’est-ce que... ?" C’est-à-dire implique la distinction et que tout passe par la distinction apparence - essence. Sautons par dessus des siècles lorsque Kant arrive, qu’est-ce que la philosophie critique. Par quoi se définit-elle ? Je sentais bien que plus rien ne passera par apparence et essence. Bien plus Kant s’engagera dans une voix où il montrera qu’il n’y a ni apparence ni essence. Alors il n’ y a plus besoin de...plus besoin d’invoquer une question qui passe ou qui présuppose. Alors qu’est-ce que ça va être sa question ? C’est extrêmement fort, sentez que c’est... ça à l’air de rien une fois que c’est fait, mais encore fallait-il y penser. Il y a des faits. Alors quand on vous dit, pour ce qui savent de la philosophie que Kant il a subit une certaine influence de l’empirisme, c’est évident, de qui il a appris : il y a des faits ; ça c’est une proposition empirique totale.
-  Il n’y a pas d’apparence, il n’y a que des faits.

C’était déjà une position très originale, vous comprenez rien n’est donné, dés que vous pensez rien n’est donné, il faut pas vous dire : faits, apparence tout ça, c’est des trucs empruntés aux sens commun, c’est pas vrai, c’est pas vrai... Déjà c’est un acte philosophique qui fait que certains philosophes ont... il y a des faits ! Et c’est des faits qu’il faut partir. Cherchez un équivalent dans la philosophie platonicienne vous ne trouverez rien ! Mais rien dans le platonisme pour situer une notion comme celle de "fait". C’est une notion... il faut penser les philosophies comme des trucs qui supportent comme des greffes et qui en supportent pas d’autres. La notion de "fait" c’est un corps étranger par rapport à tout le platonisme. En revanche c’est pas du tout un corps étranger par rapport à ce que l’on appellera l’empirisme. Il en a retenu ça Kant, quitte à transformer beaucoup la notion de fait, ça c’est son affaire. Il y a des faits.

Nous allons demander dès lors, à propos d’un fait, qu’est-ce qu’on peut demander ? Qu’est-ce qu’on est en droit de demander à propos d’un fait ? Et bien je vais vous le dire, parce-que Kant il l’a dit. Il dit : un fait on peut demander, à quel condition est-il possible ? Voilà ! Vous comprenez cette fantastique révolution au couple "apparence-essence" se substitue le couple "fait-condition de possibilité". Un "fait" est un "fait", d’accord, quels sont les conditions qui le rendent possible ? Je prends un exemple : la géométrie est un fait, la géométrie est un fait, je peux même le dater ce fait ! Euclide. Supposons qu’Euclide organise la géométrie en une discipline existante, la géométrie est devenue un fait. La physique est un fait - Newton. Supposons que - c’est trop sommaire mais peu importe c’est pour vous faire comprendre - Newton fait de la physique un fait. Kant dit, c’est très vrai, la géométrie est un fait, la physique est un fait. A quelles conditions la géométrie est-elle possible ? Quelles sont les conditions de possibilité du fait ? A quelles conditions la physique est-elle possible ? C’est une belle...

Alors vous allez me dire quelle différence y a-t-il entre "condition de possibilité" et "fait" et pardon et "essence". Pourquoi est-ce que chercher les "conditions de possibilité" de la géométrie, ça n’a rien avoir avec chercher une "essence" de la géométrie ? Si vous dites à Kant : "quelle est l’essence de la géométrie", il dira cette question n’a pas de sens. Je ne demande pas quelle est l’essence de la géométrie car la géométrie n’a pas d’essence. Je demande à quelle condition la géométrie est-elle possible, elle qui est un "fait". Quelle différence y a t-i l ? C’est que ce qu’on appellera des "conditions de possibilités" ce sont des règles d’usages. Règles d’usages de quoi ? Pas de la géométrie ! Règles d’usages de certaines de nos facultés (Deleuze tousse) qui sous ces règles rendent possible la géométrie, de même pour la physique.

Si les "conditions de possibilités" sont des règles d’usage d’un quelque chose qui rend possible le fait considéré, vous voyez bien qu’il n’y a rien de commun entre une "essence" et une "condition de possibilité". Pourquoi ? Ne serait-ce que parce que une "essence" ou comment dirai-je, une idée objective, ce qu’on appellera en philosophie une objectité, tandis qu’une "condition de possibilité", c’est une règle d’acte subjectif . On va donc de la notion de "fait" à la notion de "règle d’usage" ou de "condition de possibilité". Accordez-moi que de ce point de vue, on peut dire qu’en effet, il y a une coupure philosophique entre la métaphysique fondée sur "essence-apparence" et la philosophie critique fondée sur cette "condition de possibilité" ? En quoi Christian Metz est-il kantien ? Christian Metz est très prudent. Et là je tiens, il faut faire hommage à sa prudence il surveille de très, très, très prés ses mots. Or, il nous dit - et si j’essayais de résumer sa thèse de la manière la plus générale - ça serait ceci : "se demander si et en quoi le cinéma est une langue est un faux problème".

Les pionniers du cinéma se sont empêtrés là-dedans, ils ont répondu hâtivement c’est une langue universelle. Et cette réponse ne tient pas debout, cette réponse ne tient pas debout parce-que cette question est mal posée. Il ne fallait pas demander en quoi le cinéma est une langue. Il fallait demander en quoi et à quelles conditions plutôt, et pas en quoi, à quelles conditions le cinéma peut-il être considéré comme un langage ? Ah ! Bah là ! C’est rigolo parce que ça implique quoi ? Ca implique quoi ? Si, vous sentez qu’il est kantien mais à ce moment là il faut vraiment qu’il soit kantien ? Il est vraiment kantien. Cela implique : dégagement d’un "fait" et ça implique à mon avis, des "conditions de possibilités". Enfin ça implique que ces "conditions de possibilités" pourront s’exprimer sous forme de règles d’usage.

Vous comprenez ensuite toute la philosophie de ce point de vue, toute la philosophie dépendra de Kant, à commencer par la linguistique ; parce que comme la linguistique va attacher une importance fondamentale, aussi bien au niveau de Pierce, que de Wittgenstein, à l’idée de règle d’usage ; que c’est même par la notion de "règle d’usage" que sera défini le sens, le sens d’une proposition, il faut voir à quel point tout cela est kantien, je peux pas dire que c’est pas nouveau, Kant s’occupait pas de la linguistique mais que ça a une descendance kantienne, c’est évident. Donc, je reprends Metz est très prudent, s’il est très prudent il faut qu’il parte d’un "fait". Sinon à quelles conditions le cinéma - je voudrais juste que vous sentiez si je pose la question non plus en quoi le cinéma est-il une langue mais à quelle condition le cinéma peut-il et doit-il être considéré comme un langage ? Je peux pas la poser innocemment. Il faut que j’ai su dégager un "fait". Un "fait" dont je demande les conditions de possibilités et en effet, en effet si Metz est aussi kantien que je le dis, parce que c’est exactement ce qu’il fait. Il part d’un "fait". C’est l’autre le fait, c’était Euclide et Newton. Qu’est-ce que vous voulez que ce soit au cinéma le "fait" ? Le "fait" : c’est Hollywood. Hollywood est au cinéma ce qu’Euclide est à la géométrie. (rires) Qu’est-ce que ça veut dire le "fait Hollywood" ? Il ne cache pas alors que ça pose des tas de problèmes, mais c’est pas difficile tout ça. Mais ça pose des tas de problèmes. Il veut partir d’un "fait" vous comprenez, il n’a pas le choix, s’il veut faire de la recherche de « conditions de possibilité", il faut bien qu’il trouve un "fait". Seulement alors à quel prix ? à quel prix ça va être la question : c’est est-ce que ça va pas être une ? c’est pas la peine, ça peut être que Hollywood, le "fait" le seul "fait" du cinéma. Pourquoi ? Le fait c’est que le cinéma s’est historiquement constitué, exactement tout comme je pouvais dire le "fait" de la géométrie c’est que Euclide a constitué la géométrie, il l’a constitué comme science donc comme un "fait". Et bien ! Hollywood a constitué le cinéma comme un "fait". Pourquoi ? Sous quelle forme ? Il a crée, il a imposé le fait d’un cinéma narratif et jamais Metz - qu’on ne me fasse l’objection d’une évolution sur ce point, il n’y aura jamais aucune évolution de Metz. A savoir la sémiologie dont il rêve, doit partir d’un "fait" intouchable, à savoir la constitution d’un cinéma narration qui s’est imposé comme un cinéma type par Hollywood. Le fait d’une narration cinématographique. Et il continue à être très prudent. Il dit voyons, le cinéma c’était pas forcé - mais de la même manière je pourrais dire, c’était pas forcé qu’il existe une géométrie - il dit que c’était pas forcé que le cinéma soit. Au début même, on ne peut pas dire que le cinéma des frères Lumière ou que le cinéma de Méliès, on ne peut pas dire que ce soit un cinéma de narration mais le fait est, que quand on commence à parler de cinéma comme étant autre chose qu’une technique de reproduction ou qu’un procédé féérique, c’est sous les espèces d’un cinéma de narration que s’est constitué Hollywood.
-  Donc le « fait » c’est : le cinéma est narratif.

Si bien qu’il ne faudra pas s’étonner - à mon avis, là il n’y a pas contradiction - qu’une réflexion qui se veut très neuve, comme celle de Metz, s’applique sur le fait le plus commun, le plus vieillot si vous voulez, au point que quand même, personne d’entre vous ne prend Metz pour un imbécile, il vaut mieux se garder les objections qui viennent tout de suite, à savoir : il y a un cinéma non narratif, et de plus en plus, et qui a pris plus en plus d’importance car à ce niveau d’objection, il y a toute chance pour que ça ne gène pas beaucoup Metz.

On verra, en tout cas : il dit bien : il y avait d’autres directions possible, ne serait-ce par exemple, les documentaires qui sont pas exactement narratifs ou bien du cinéma abstrait : c’est pas narratif du tout. Il dit que ça n’empêche pas précisément, comme Hollywood a constitué le fait du cinéma narratif, du même coup il a marginalisé les autres potentialités du cinéma, elles ont été complètement marginalisées. Et si on lui maintenant : le cinéma a cessé d’être narratif, il faudra distinguer deux choses - je le dis d’avance - sa propre réponse à lui ou il niera, il dira : c’est pas vrai, c’est une apparence pour esprit faible, c’est pas vrai que le cinéma a cessé d’être narratif ou bien certains de ses disciples diront : oui, d’une certaine mesure le cinéma a cessé d’être narratif, mais ça change rien au shéma.

Donc ça, on laisse de côté. Voilà donc qu’il part - vous voulez des textes ou bien vous me faites confiance ? euh ! Je veux bien là, j’ai amené les textes parce que c’est c’est tout de même très curieux cette histoire ! Vous comprenez qu’est-ce qui est curieux là-dedans ? (Rire). Ça a l’air, de rien... c’est énorme ! C’est énorme ! De prendre comme fait le « fait de la narration » parce qu’à ce moment là l’image cinématographique n’est plus une image- mouvement Il faut le faire ! Moi ce qui me soucie, c’est pas qu’il y ait eu d’autres directions que le cinéma narratif, ça il s’en sort facilement, mais je dis ; à quel prix nous dit-il, le « fait » c’est la constitution d’un cinéma de narration, à quel prix ? Plus rien, plus rien ne nous rappelle que l’image cinématographique se meut.

Et en effet pour Metz, l’image cinématographique ne se meut pas. Elle n’est pas automatone. Ce, sur quoi nous avions fondé toute notre première partie au premier trimestre. Elle n’est pas automatone . Elle n’est pas automatique. Elle n’est pas auto-mouvement. Ah ! Je n’en veux pour preuve que : Comment se distingue selon Metz la photo et l’image cinématographique ? Moi je vous disais une chose très simple, à égalité de simplicité, c’était pas une idée forte eh bah ! C’est que ça bouge, ça n’est pas très original mais ça m’intéressait puisque ça me permettait de rappeler que l’image cinématographique, c’était l’image-mouvement, c’était pas l’image d’un mouvement, elle était automatone c’est-à-dire c’était l’image-mouvement.

Lorsque Metz se demande quelle est la différence entre l’image cinématographique et la photo, voilà la réponse et c’est sur la signification au cinéma, tome I, page 53. « Tout se passe... » Je vous demande de bien écouter « Tout se passe comme si une sorte de courant d’induction reliait quoi qu’on fasse - un courant d’induction » c’est pas le mouvement. « Tout se passe comme si un courant d’induction reliait quoi qu’on fasse... » Quoi qu’on fasse : qu’est-ce que ça veut dire : dans les images, elles ne remuent pas d’elles mêmes ! quoi qu’on fasse, les images entre elles, comme si il était au-dessus des forces de l’esprit humain celui du spectateur ou comme celui du cinéaste, de refuser un fil dés lors que deux images se succèdent. C’est-à-dire elles se succèdent, non pas parce qu’elles bougent, elles se succèdent parce qu’on ne peut pas leur refuser un fil, ah bon ! "Car la photographie, proche parente du cinéma ou très vieille et très vague cousine de Bretagne ? point d’interrogation, n’eut jamais le projet de raconter des histoires. Quand elle le fait, c’est qu’elle écoute le cinéma par le roman photo. Je relis hein ! Parce que ça me paraît, ça me paraît très curieux. « S’il y a une différence entre l’image cinématographique et la photographie, c’est parce que la photographie n’eut jamais le projet de conter des histoires.

En d’autres termes : court circuitage absolu du caractère mouvant de l’image cinématographique. L’image cinématographique n’est pas définie comme image-mouvement, elle est définie comme image narrative. La narration c’est le « fait » du cinéma exactement comme le postulat des parallèles est le « fait » d’Euclide ». Et dans le même texte, page 53 - on ne pouvait pas, vous comprenez parce que c’est une phrase là qui me laisse tellement rêveur - vous voyez où il veut en venir ? Mais encore une fois ma question moi, c’est à quel prix ? « Passer d’une image à deux images, c’est passer de l’image au langage ».

Plus rien à dire, il n’y a plus rien à dire, il n’y a absolument rien à dire. Passer d’une image à une image, passer d’une image à une autre image, c’est pas parce que ça bouge, c’est passer d’une image au langage. Vous comprenez ? en effet, une fois qu’il s’est donné comme « fait » la narration, et non pas le mouvement, si l’image cinématographique est narrative, si c’est ça son caractère distinctif avec la photo cela va trop de soi, passer d’une image à une image, c’est passer d’un énoncé narratif à un autre narratif. C’est passer de la narration au langage, c’est passer de l’image au langage puisque l’image était déjà langage, elle était narration.

Si bien que ne nous étonnera pas, lorsque bien des années après, les disciples de Metz inventeront et se réclameront d’un nouveau regard qu’ils opposeront explicitement au regard cinéphilite, ils s’en prendront et feront une critique très, très ironique de ce qu’ils appellent et de ce qu’ils dénoncent comme étant le regard cinéphilique. Et sans doute est-ce qu’ils règlent les comptes avec l’idée d’une conception du cinéma et le propre du regard sémio -critique par opposition au regard cinéphilique c’est que, disent-ils explicitement par exemple Raymond Bellour : il suspend le mouvement, il suspend le mouvement. C ’est forcé, je ne vois comment il ferait autrement, comment il ferait autrement, une fois dit qu’il s’est engagé dans cette voie : « le fait de la narration ». Si c’est la narration qui distingue, encore une fois, l’image cinématographique et la photo, c’est donc pas le mouvement. Donc il y a tout lieu de dégager un nouveau regard, un regard aigu, le regard sémio-critique par excellence, anti-cinéphilique puisque le regard cinéphilique est appréhension du mouvement dans l’image.

Ah ! Bon alors où on en est ? Qu’est-ce que ça veut dire ça ? Alors quoi ? suspendre le mouvement ça veut quoi ? Ça veut dire qu’ils vont regarder le film photogramme par photogramme ? C’est intéressant c’est là qu’on retombe dans notre histoire, et en effet les fameuses analyses textuelles de films sont le plus souvent centrées sur les photogrammes. On retombe dans notre histoire que nous avions frôlé avec Barthes et avec l’intervention qu’avait bien voulu faire Raymonde Carasco, à savoir : l’extraction du photogramme comme véritable, comme véritable condition filmique extra cinématographique.

J’essaie de résumer, je dirais que la démarche de Metz dès son début - et c’est un point qui encore une fois quelque soient les variations et les approfondissements que Metz apportera à sa théorie, c’est un point qui restera invariable - comporte trois enchaînements, trois notions :
-  • Premièrement : un fait
-  • Deuxièmement : une approximation
-  • Troisièmement : une assignation de condition

Mais j’ai peur que tout soit joué si on lui accorde le « fait », parce qu’enfin, je reviens à mon histoire, Kant. Kant dit : la géométrie euclidienne est un « fait », je demande quelles sont ses conditions de possibilité ? Ce qu’il appelle « fait » c’est quelque chose de très particulier puisque ça a comme caractère l’universel et le nécessaire. Dés lors, il opère autour de deux questions : Quid facti, pour parler comme en latin, vu que lui-même et les kantiens parlent latin, quid facti ? quid juris ? Quid facti : c’est qu’en est-il du « fait », quel est le « fait » ? Quid juris c’est qu’en est-il du droit, à savoir quelle sont les conditions de possibilités ? Et vous voyez que lorsque Kant invoque dans toute sa philosophie la notion d’un tribunal, c’est ça qu’il veut dire. Le tribunal c’est la question...

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La voix de Gilles Deleuze en ligne
L’association Siècle Deleuzien