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78- 05/02/1985 - 1

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Gilles Deleuze : Pensée et Cinéma cours 78 du 05/02/19885 - 1 transcription : Laura Cécilia Nicolas

ces vacances semestrielles(...) qui le sait ? Mais enfin Il y en a bien ici qui fréquentent d’autres départements ? Non ? Ou qui vont à d’autres cours, parfois ? Non. Non ! Tout est clair.

Donc nous ferons une recréation active, où il s’agira pas du tout pour vous de prendre du café en face, mais où je demanderai à trois messagers volontaires - trois - à cause des contradictions possibles - à trois messagers d’aller en face et de me rapporter la date des vacances. La question étant, comprenez son importance : Est-ce qu’elles commencent le 11 ? Donc est-ce que nous sommes dejà en vacances après cette séance ? Ou est-ce qu’elles commencent le 14, auquel cas nous avons encore une séance ? Ce n’est pas du tout indifférent, ce n’est pas une question indifférente, c’est une question très importante. Mais quand même j’ai le sentiment qu’il y en a, ici, qui devraient le savoir. Vous pensez que c’est le 11 ? Moi aussi je pense que c’est le 11. On peut décider le 11 et si ce n’était pas le 11, ça ferait trois semaines. Cela parait raisonnable mais en fin il vaut mieux une confirmation. Non, toi je ne t’y enverrais pas parce que tu me dirais que c’est le 14. Tu n’es pas un bon messager. Quoi ?... Alors, 3 d’entre vous, se le feront confirmer... et voilà, c’est une bonne chose de faite. Très bien. Il fait froid, non ?

Continuons. Je voudrais juste que pour vous tous, soit très clair la poursuite, la manière dont s’enchaînent les différents éléments de notre recherche actuelle. Voilà exactement ce que je voudrais que vous ayez présent à l’esprit pour notre séance d’aujourd’hui.

On a cherché pendant un certain temps, une caractéristique formelle de la série. Encore une fois, il ne s’agissait pas de reprendre pour les appliquer les caractères d’une série musicale, il s’agissait au niveau du problème des images, de construire nous mêmes, nos critères de séries - bien entendu, en nous servant de certains thèmes empruntés à la musique mais sans plus.

-  La définition formelle de la série nous l’avons obtenu sous la forme : une suite d’images réfléchies dans un concept, un genre ou une catégorie - ou plutôt dans quelque chose faisant fonction de concept, de genre ou de catégorie. De quelque chose de l’ordre des images.

A cela nous ajoutions deux remarques :
-  ce concept, ce genre ou cette catégorie peut être parfaitement individualisé, personnalisé.
-  Et, deuxième remarque, la série ainsi définie comme suite d’images réfléchies ou se réfléchissant dans un genre, concept ou catégorie pouvait être construite de deux manières :
-  construction horizontale ou alors le genre apparaissait comme une limite,
-  ou bien construction verticale ou le genre constituait lui-même une série autonome, si bien qu’il y avait superposition de deux séries.

Les exemples nous étaient fournis par ou dans l’oeuvre de Godard,
-  la construction horizontale étant du type : suite d’images qui se réfléchit dans un genre, ce genre intervenant comme limite, exemple : la théatralisation comme limite d’attitude quotidienne, dans par exemple : “Une femme est une femme”.
-  L’autre type de série, la construction verticale, apparaissait lorsque la limite ou lorsque le genre, au lieu de fonctionner comme limite d’images précédentes, se développait lui-même en une série, en une suite d’images se juxtaposant à la première suite et c’était le cas des deux suites superposées, soit dans : "Passion" ou alors le genre donnait lui-même une suite picturale ou para-picturale, ou bien encore plus nettement dans : “Prénom Carmen” où le genre donnait par lui-même, une "suite" musicale dans laquelle se réfléchissait l’autre "suite" d’images. Il y avait donc superposition de séries, là : donc construction verticale de la série.

Voilà, cela c’était de l’acquit à moins que pour certains il y ait lieu de revenir à ce moment vous n’avez qu’à le dire. Mais je disais on n’avait pas par là régler tous ces problèmes par ce formalisme de la suite ou par cette détermination formelle de séries cinématographiques ou de séries d’images. On n’avait pas tout régler parce qu’il restait un problème : non plus : " quelle est la forme de la série ? " mais quel est le contenu de la série ? Quel est le contenu des séries ? non plus quelle est la forme des séries. Et du point de vue du contenu on avait constitué, construit à travers certains textes - qu’on avait examinés la dernière fois, qu’on avait commencé à examiner la dernière fois - on avait construit un second type de définition : donc définition matérielle et non plus formelle.
-  Une série, cette fois-ci apparaissait comme une suite d’attitudes, réfléchie dans un gestus.

Remarquez que les deux déterminations, heureusement, se font écho, même se renvoient l’une à l’autre. Cela on avait juste assez avancé pour le pressentir. Je veux dire :
-  étant donné que la série est une suite d’images réfléchies dans un genre, la question du contenu est : "quel type d’image se laisse réfléchir dans un genre ?

Première réponse - qu’on n’a pas du tout creusé mais qui est pour nous une hypothèse de travail
-  la suite d’image qui est normalement ou régulièrement vouée à se réfléchir dans un genre, ce sont des images qui présentent des attitudes de corps. Mais, prises dans leur contenu, donc en tant qu’attitudes, elles se réfléchissent dans quoi ? Nous disions :
-  elles se réfléchissent dans ce que nous convenons d’appeller "un gestus, une gèste". Et là, à nouveau, nouvelle correspondance - c’était une raison pour nous de dire : “nous sommes dans la bonne route” - car en effet, nouvelle correspondance entre le genre ou le concept, d’une part
-  du point de vue de la définition formelle
-  et le gestus du point de vue de la définition matérielle. Pourquoi ? Parce qu’ il nous avait semblé que le gestus, chez l’auteur même auquel nous empruntions la notion, à savoir Brecht, se trouvait au moins implicitement lié à l’idée d’un discours cohérent correspondant à des attitudes, le discours cohérent impliqué, le discours virtuel impliqué par une attitude de corps. Ou plus précisément, disait Brecht : "la décision", supposée par l’attitude. Si bien qu’on pouvait mettre en correspondance assez étroite nos deux définitions : la définition formelle et la définition matérielle. Encore une fois j’insiste sur ça, mais ça devrait être très très clair tout ça.

Et nous tenions alors une, comme une espèce de double différence. Je veux dire, la série devenait une espèce de filtre étroit très délicat, un filtre très tenu qui passait ou qui zigzaguait "entre" des choses, des données dont il se démarquait, il zigzaguait entre ce qu’il n’était pas. Voyez où nous en sommes : S’il est vrai que la série est formellement suite d’images qui se réfléchit dans un genre, mais n’importe quelle image ne peut pas se réfléchir dans un genre ? S’il est vrai que la série est une suite d’attitudes qui se réfléchit dans un gestus, la série est un vide entre les choses qui ne sont pas elle, et avec lesquelles il ne faut pas la confondre.

Donc en troisième point, il faut la définir par un ensemble de différences, de distinctions qu’elle entretient avec ce à quoi elle ne doit pas être confondue. Et au point où nous en étions nous pouvions dégager, ces choses avec lesquelles il ne fallait pas confondre, ni la série, ni les éléments mis en jeux par la série. Eléments mis en jeux par la série c’est l’image en tant qu’elle se réfléchit dans un genre et attitude en tant qu’elle se réfléchit dans un gestus. Il y a une avantage littéraire pour nous de tout ceci, cette fois-ci avantage littéraire, ce sera de nous permettre de définir ce qu’on appelle “une geste”, la geste. D’une manière il me semble beaucoup plus différente de celle dont on le fait d’habitude. Je veux dire, un certain nombre de critiques littéraires se sont intéressés à ce qu’on appelé “une geste”. Dans l’origine semble être scandinave, il y a aussi des gestes grecques.

Et la geste c’est quelque chose qui ne se comprend pas avec l’épopée, c’est quelque chose qui ne se comprend pas avec le mythe, c’est quelque chose qui ne se comprend pas avec la tragédie, bien qu’une épopée comporte des éléments de gèste, la tragédie aussi et ce qu’on appelle “la geste”, “une geste” c’est un genre très spécial en littérature, d’où l’intérèt pour nous d’essayer de trouver une définition à ce terme et pour le moment celle que l’on a, c’est une histoire où des attitudes se réfléchissent. La geste ce serait comme le discours, le discours dans lequel se réfléchissent une série d’attitudes. Mais donc je reviens toujours à la question en tant que distincte de quoi ? Vous voyez, j’ai dans trois niveaux
-  nécessité d’une définition formelle de la série,
-  nécessité d’une définition matérielle de la série,
-  nécessité d’une définition différentielle de la série (par différentielle j’entends uniquement assigner les différences de la série à ce qui ne fait pas série, à ce qui n’est pas série. C’est clair ? Je me sens très clair ce matin. Vous avez raté le plus clair. C’est dommage.

Alors de quoi doivent se distinguer la série et les termes de la série tels qu’on vient de les caractériser ? De deux choses, je crois. D’une part l’attitude doit se distinguer de tout état vécu, l’attitude doit se distinguer du vécu. Et le vécu, cela a deux sens. Très généralement, là je ne me réfère a rien, comme ça : par convention le vécu on peut l’envisager de deux façons. Ou bien (...) COUPURE

C’est une question. Mais on voit ce que veut dire le vécu d’un personnage réel. Votre vécu, le mien. Ou bien c’est un vécu supposé, vécu supposé d’un personnage fictif, et à ce moment-là le vécu correspond à un rôle. Par exemple, un personnage fictif sur l’écran ou au théâtre, joue un rôle, le rôle d’un personnage qui a du chagrin. Le chagrin est le vécu du personnage fictif, en tant que ce personnage fictif est le rôle d’un acteur. Je dis : l’attitude doit être distinguée de ces deux aspects du vécu. Vécu réel comme vécu fictif. Pourquoi je dis ça ? Parce que c’est évident. Une attitude ce n’est pas du vécu. On prend constamment des attitudes dans le vécu. Mais une attitude n’est pas du vécu. D’autre part, si l’attitude doit être distinguée du vécu, de la même manière le gestus doit être distingué de l’histoire. Ou ce qui revient au même de l’action. Et là aussi l’histoire a deux sens. Tantôt histoire signifie l’intrigue d’une fiction, tantôt l’histoire signifie l’historicité des actes de l’homme. Et bien le gestus se distingue de l’histoire dans un sens comme dans l’autre. Pourquoi ? Parce que ce n’est pas une action. Il n’entre pas dans le schème ou dans l’enchaînement des actions et des réactions, soit fictives soit historiques à proprement parler. On l’a vu la dernière fois, suivant la remarque de Barthes, le gestus de "Mère courage" n’est pas "la Guerre de Trente Ans".

Donc voilà j’ai mes trois déterminations :
-  détermination formelle,
-  détermination matérielle,
-  détermination différentielle.

Et voilà que la dernière fois alors, cette clarté absolue étant donnée, la dernière fois nous entrions dans l’obscur. Il s’agissait en effet pour nous d’essayer de comprendre ce lien attitude/gestus, en tant qu’il se sépare d’un coté du vécu et d’un autre coté de l’histoire, d’un autre coté de l’histoire ou de l’action. Et là alors on entrait dans un domaine beaucoup plus obscur où il s’était passé ceci. Après un examen rapide du texte de Brecht qui déjà soulevait pour nous beaucoup de problèmes, on était passés à un commentaire de Barthes. Ce commentaire de Barthes nous convenait dans la mesure où il nous disait un peu près, tantôt dans une phrase rapide, le gestus : c’est une coordination d’attitudes, tantôt le gestus : c’est un geste signifiant. Mère Courage qui mord la pièce de monnaie pour vérifier qu’elle est bonne. Mais voilà cela nous avançait beaucoup mais cela ne nous avançait pas en même temps, cela nous avançait sur place. C’était une confirmation qu’il y avait un lien fondamental entre attitude et gestus, indépendamment et du vécu et de l’historicité.

Si bien qu’on passait à un tout autre texte de Barthes, où Barthes cette fois distingue le sens obvie et le sens obtus. Et avec beaucoup d’hésitation je disais : est-ce qu’il n’y aurait pas quand même un lien, entre ces deux textes et est-ce que le sens, ce qu’il appelle d’une manière très mystérieuse, il nous avait semblé - "le sens obtus de l’image", est-ce que ce ne serait pas ça, une manière de caractériser le gestus ? Et pourquoi on se disait ça ? Et parce que dans tous les exemples de Barthes, le problème était bien centré - et c’était même notre raison de confronter les deux textes - le problème était bien centré sur la notion d’attitude. Il s’agissait d’images qui représentaient ou qui présentaient des attitudes. Et ce sont dans ces images que Barthes distinguait un sens dit obvie et un sens dit obtus.

D’où pour nous, quatre questions que dès lors je ne vais pas traiter toutes seules.

La première question, qui est très subsidiaire, je les donne toutes les quatre et puis on va voir comment on se débrouille. Première question très subsidiaire :
-  est-il juste de ne pas rapprocher les deux textes de Barthes et d’établir un lien entre eux ? Une fois dit que Barthes n’établit pas de lien entre ces deux textes. Je dis que cette question est subsidiaire parce qu’en somme on ne pourra y répondre qu’à la fin des autres questions. Donc loin d’être la première, ce sera la dernière. Elle ne fera plus de difficulté. On répondra oui ou non qu’après nos réponses aux autres questions.
-  Deuxième question : qu’est-ce que Barthes et en quoi consiste, ce sens obtus invoqué par Barthes ? J’ai essayé de dire pourquoi je comprenais ou même je voyais très mal ce dont il parlait. Donc c’était embêtant pour moi. Après la relecture du texte je vois encore moins bien, alors donc c’est de pire en pire.
-  Troisième question. Donc, deuxième question : qu’est-ce que c’est ce sens obtus ? Même je comprends bien, si je ne demande pas des définitions, des impressions. Puisqu’en effet Barthes n’invoque pas de définitions, des impressions. Il dit : "c’est comme ça". Et très bien. On me demande que ça : d’essayer de comprendre ce qu’il voit ou ce qu’il est en train de voir. Troisième question, où la thèse de Barthes devient-elle bien ferme : le sens obtus de l’image étant supposé compris et il est dans un rapport privilégié avec le phonogramme. Non seulement il est dans un rapport privilégié avec le phonogramme mais il ne peut être saisi que par son rapport dans le phonogramme. Ça c’est une thèse très ferme, très claire. On ne sait pas ce que c’est ce sens obtus, mais nous dire : "vous savez que de toute manière vous pouvez le saisir que dans le phonogramme, ça c’est très clair. Beaucoup de questions se posent pour nous à ce troisième niveau. À savoir : "bon, est-ce que ça veut dire que le sens obtus de l’image serait une caractéristique de la photographie" ?

Ce n’est pas ce que veut dire Barthes. Mais alors quelle différence entre un phonogramme et une photographie ? Ce sera important pour nous là de profiter de notre série de problèmes là, pour essayer d’avancer dans cette question obscure. Il me semble qu’un phonogramme n’est pas une photographie : quelle différence y a-t-il entre un phonogramme comme élément cinématographique et une photographie ? Barthes soulève le problème et l’execute dans une petite note que là aussi, manifestement, il laisse dans un état insuffisant, lui le sachant très bien. Et toujours dans ce même groupe de questions : du fait que le sens obtus est en liaison fondamentale selon lui avec le photogramme, Barthes en tire l’idée que dès lors, le sens obtus et le photogramme constituent le filmique à l’état pur. Le filmique à l’état pur au delà de tous les films, c’est à dire un filmique pur, comment dire, supra cinématographique. Et il va jusqu’à dire que le cinéma n’a pas commencé, que le cinéma reste dans son enfance parce qu’il n’a pas dégagé, ni atteint à cet élément pur, le filmique dont le secret renvoie au photogramme. Qu’est-ce qu’il peut vouloir dire ? Voyez donc cette troisième question porte sur le rapport du sens obtus avec le photogramme et quel est le statut du photogramme ? Est-ce qu’on peut invoquer le photogramme pour ériger la notion d’un filmique supra cinématographique.

-  Quatrième question : ce filmique pur, ou si vous préférez, le sens obtus tel qu’il apparaît dans le photogramme, ce serait précisément un filmique pur parce qu’au delà de l’image-mouvement, ce serait un au-delà de l’image-mouvement, si bien que le filmique ne pourrait pas se définir par l’image- mouvement (là aussi la thèse de Barthes est très ferme), bien plus ce serait un "au-delà de l’image-temps" du moins au sens de succession temporelle ou temps chronologique, un "au-delà de l’image-temps-chronologique". Et voilà que dans la suite de Barthes, Raymonde Carasco commentant l’article de Barthes sur le sens obtus, veut aller encore plus loin et nous dit que ce filmique pur est non seulement au-delà de l’image-mouvement, au-delà de l’image-temps-chronologique, mais au-delà de l’image-temps tout court, de toute image-temps, c’est à dire ce qu’elle appelle, je crois, au-delà de la durée intérieure, au-delà de la durée. Ou si vous préférez, en fonction de ce qu’on a fait l’année dernière, moi ce que j’appellerais : "au-delà du temps-non-chronologique".

Voilà ce sont ces trois points - et le premier et le quatrième qui en dépend - mais ce sont ces trois points qu’on va traiter d’après notre méthode excellente donc, on refait une espèce d’interview. Alors voilà, à la fois ce n’est pas du tout pour m’imiter. Je voudrais que vous acceptiez de répondre aux questions, ce qui n’exclue que vous en posiez d’autres vous mêmes, que vous fassiez vos propres développements. ; . DELEUZE : il s’agit de sentiment...

Raymonde Carasco : Bon, je crois qu’effectivement on rentre dans des, disons dans l’obscur. Comment découvrir l’obscur ? comme dirait Blanchot. Il me semble que, moi j’ai eu un espèce de rapport amoureux à ce texte, au texte de Barthes, qui m’a permis de cristalliser en quelque sorte, toute une recherche que j’avais faite d’un texte de Richter paru dans les Cahiers il y a longtemps, sur ce texte.

DELEUZE :

Raymonde Carasco : On a l’air de prendre la fuite quand on dit ça. Bon, moi je crois que ça relève de l’affect pour un texte, le texte de Barthes, cet affect de l’ordre amoureux (à l’ordre de Barthes peut être), de ce qui pouvait susciter ce texte, le plaisir du texte, bon, ceci dit c’est une fuite de dire ça. Je ne suis par sure, quand vos dites “je ne vois pas”. C’est à dire, si vous me demandez, "montrez-moi sur l’image, le sens obtus". Bon, je ne suis pas sûre que ça relève de l’ordre du voir, effectivement. Même ce que dit Barthes, puisqu’il dit lui-même (...). Il me semble que, ce que dit Barthes, il dit : “ça se décrit pas”. Il faut l’image. S’il n’y a pas d’image, on ne peut pas lire le texte comme ça, sans l’image en face. Ça veut rien dire s’il n’y a pas d’image, donc ça quelque chose à voir avec le voir, au moins au sens immédiat du terme. Mais il dit après, finalement (il dit très bien, pour ce qui connaissent le texte peuvent peut être m’aider) l’image c’est entre le dire et le montrer. Il dit que c’est un geste anaphorique, c’est une monstration pure, qui n’a pas un geste sans signification déterminée, c’est une monstration pure qui désigne non pas un ailleurs du sens, mais quelque chose qui est au-delà, des sens déjà répertoriés, posés, connus. Moi, je ne sais pas comment faire parce qu’il me semble qu’il dit lui même : ça ne se décrit pas, - j’ai fait une erreur tout à l’heure - mais ça se dit. Donc ça relève : pour dire le sens obtus, il faut écrire. Ça passe par l’écriture, par une espèce d’acte poétique qui écrit son texte. Deleuze : inaudible

Bon la bouche tirée, les yeux fermées qui louchent,( ) sur le front, elle pleure Il me semble que ça, l’énigme qu’il y a dans ce texte de Barthes, c’est quelque chose dont il dit qu’on le voit en quelque sorte par dessus l’épaule", comme quand on regardait par dessus de quelqu’un qui écrit, donc c’est quelque chose qui est entre le "voir", parce qu’il faut l’image (c’est un photogramme) et le montrer (un geste). Peut être qu’il y a un rapport là, très interne au gestus. Moi je pense là à ces deux textes, ces deux poèmes de Hölderlin qui disent : “l’homme est un signe” et généralement on traduit “est un signe” (je ne connais pas du tout l’allemand). Et (...) traduit "est un signe" par “est un monstre”, donc au sens de monstration. Moi je crois que c’est la question du signe qui est posée là, donc d’un signe qui est visuel, qui part de ce visuel, d’image visuelle et qui serait en quelque sorte, bon, est ce qu’on peut dire un signe principe, un signe pur ? un signe dont le sens et la signification n’est pas encore indéterminée, et donc peut être, encore indéterminée, pas encore indéterminée. Bon, je dis comme ça, je ne sais pas si ça éclaire quoi que ce soit.

DELEUZE : ( inaudible) ... D’où est ce qu’on peut passer à la deuxième question : comment vous vous débrouillez pour qu’il y est un enchaînement entre les deux.... ? c’est très joli vous dites que ce n’est pas exactement de l’ordre du voir c’est comme ci l’oeil est montré. On est censé le voir pendant le déroulement du film ou il faut arrèter et attendre d’en avoir le photogramme ?

R.C. : Bon, alors, excusez-moi d’abord tout à l’heure, mais la phrase de Verny c’était importante, c’était : "L’homme est un monstre privé de sens, est un signe". Mais, excusez-moi, l’étymologie ça dirait plutôt monstre. Donc, c’estt une étymologie, après (...) qui ne se démontre pas et que c’est "monstre" et non pas "signe". (...) Bon, mais c’est davantage... c’est privé de sens, donc ce n’est pas la question du sens. Alors je reviens à la question que vous me posez. Si je lis, comme tout le monde, Barthes, si je suis dans la lettre de Barthes, je suis obligée de répondre : pour Barthes (et il faut tenir ça, je crois qu’il faut d’abord le tenir, et même non seulement d’abord mais tout le temps). Il faut d’abord et tout le temps tenir la littéralité de Barthes, à savoir : on ne le voit que sur le photogramme, en tout cas, ce qui est important, que sur un photogramme. On peut le voir sur un seul photogramme et en dehors du film. C’est ce que dit Barthes et bon, je ne peux pas dire autre chose que ce qu’il dit. Bon, ça c’est Barthes. moi, je me permets de voir autre chose. Bon, il dit très bien qu’il a vu ça, dans une image des "Cahiers du cinéma". C’est à dire, en dehors du film. Et que quand il rentre dans le cinéma, il ne le voit plus.

Deleuze : il l’a vu sur une photo ...

R.C. Il l’a vu sur une photo. Moi, mon hypothèse, mon sentiment à moi, c’est que s’il avait l’oeil un petit peu plus exercé, c’est à dire, s’il avait travaillé à la table de montage, s’il était cinéaste, et s’il avait travaillé à la table de montage, photogramme par photogramme, la vieille, et bien peut être qu’il la verrai dans le film en mouvement. Et moi je pense que du sens obtus, après avoir lu Barthes, je crois en avoir vu des fois dans des films,

Deleuze : dans le déroulement du film .. ;

voilà, ça c’est une différence avec Barthes. Ceci dit je crois que cette différence n’est pas essentielle, c’est le troisième niveau en quelque sorte, c’est que je crois que de toute façon, qu’on puisse le voir, ou que Barthes ne le voit pas, je ne crois pas que ça change l’affirmation initiale de Barthes, ce qui me paraît, la question du photogramme effectivement, à savoir qu’on peut le voir simplement dans un seul photogramme et non pas entre deux, ou entre plusieurs. Que le sens obtus, il n’est pas du frottement, de la collision ou de la mise en série-mouvement de deux ou de plusieurs. Donc ça me paraît à la fois une question intéressante ça, parce que moi je ne le sens pas comme ça, comme Barthes. Mais, au même temps, je me dis que ça n’enlève rien, ça n’enferme absolument pas, la question du texte de Barthes de l’obtus, qu’il définit très clairement sur un seul photogramme. Et pas du tout comme intervalle, collision, choc. Donc il me semble que...

DELEUZE : puisque vous acceptez

Raymonde Carasco : Bah là dans la mesure ou j’ai disons fondu en quelque sorte le sens sur ce texte de Barthes pour lire (...), c’est évidemment sur ça que j’ai fondu. C’est à dire, ce n’est pas tellement la croissance ou l’analyse de l’image qui m’intéresse, bon, mais c’est effectivement, l’entité, je ne sais pas si c’est un concept ou une catégorie, l’entité du filmique, je ne crois pas que ce soit un concept, ni le sens obtus. Mais il me semble donc que le sens obtus et le filmique, donc qui seraient le fondement du sens obtus, la notion qu’il produit à la fin du texte, la dernière fois, qui est la plus serrée : c’est ça qui m’intéresse, qui nous intéresse à tous. Bon, le reste c’est l’écriture c’est le plaisir du texte, mais c’est l’impression de Barthes, mais comme même je tiens ça, je tiens, c’est à dire : le sens obtus et le filmique dans son lien fondamental ou radical au photogramme. C’est ça qui me paraît important chez Barthes, sinon ça n’a pas d’intérêt. Bon, je ne sais pas qu’est-ce que j’ai dit. Mais je vais dire autrement.

DELEUZE : INAUDIBLE.

R. C. : En tout cas, c’est à mon avis, si le sens du texte de Barthes ou bien c’est intéressant et il dit quelque chose d’important pour la pensée du cinéma et c’est ça, ou bien il ne dit rien et il faut le déplacer ou trouver autre chose. Mais bon, il me semble évident que c’est ça et que c’est ça ou rien.

DELEUZE : Pour vous quelle différence entre le photogramme et une photographie ?....inaudible

R. C. : Bon, là, je réponds tout de suite que je ne sais pas répondre et que je sais bien que c’est l’os et que c’est la question. Bon, je vais essayer de dire des choses qui, dont je sais, et que je ne pense pas la différence (hélas) photogramme et photographie. Moi je n’aime pas du tout la photo. Je suis le contraire de Barthes : je déteste les photos, je n’aime pas les photos. Bon, alors, ça ne m’intéresse pas, je n’ai jamais lu des textes dessus, bon.

DELEUZE : inaudible

R. C. : Bon, cette chose dite. Il y a une chose que je serais un petit peu capable de formuler, des banalités aujourd’hui : c’est que je comprends bien ce que c’est non pas un photogramme, mais l’entre deux photogrammes, par rapport au cinéma. C’est à dire : si je n’avais lu le texte de Barthes, si je l’oublie, si on me pose une question, qu’on me dit : qu’est-ce que c’est, pour toi le cinéma et qu’on me dit qu’est-ce que c’est l’élément cinématographique ? je dirais : "le cinéma c’est le montage". Et ce qui m’intéresse et pour qu’il y ait montage, le montage c’est toujours en (...) hors-cadre (pas du tout le hors-champ) mais finalement le choc, la collision d’un élément figurative, d’image visuelle, photogramme si on peut, et puis, le troisième, qui se produit et qui n’est pas de l’ordre du visible, de l’image, du photogramme et qui serait peut être de l’ordre du concept. En tout cas, le troisième terme ? Donc si on me demandait quel est l’élément cinématographique ? je répondrait c’est l’intervalle, au moins, entre deux photogrammes. Mais c’est le hors-cadre compris (ah je crois que j’y suis maintenant), c’est le hors-cadre compris d’abord dans la succession horizontale des photogramme, comme au moins l’intervalle entre deux phonogrammes, le choc d’entre deux photogramme.

DELEUZE : entre le photogramme ou l’image ?

R.C : Entre deux images ou phonogrammes je les identifie, là. Si je prends, si je sors un photogramme (comme fait Barthes) ou si je le fixe à la table de montage, il me semble que le cinéma commence ou naît du choc entre les plans, entre les images, mais au niveau élémentaire, entre deux photogrammes. Ça commencerait là, ça naîtrait là. Bon, alors, ça n’est pas ce que dit Barthes.

DELEUZE : INAUDIBLE.

R.C. : Comme même je voudrais terminer, c’est que ce qui m’intéresse quand même dans Barthes c’est ce qu’il appelle la lecture verticale à l’intérieur du photogramme. Et lorsqu’il prend lui même la phrase de Eisenstein au sujet du contrepoint ou de montage audiovisuel, et où il dit que finalement on peut transporter ce que Eisenstein dit du montage audiovisuel, c’est à dire, d’images et sons, du cinéma sonore dès 28, dans le fameux manifeste d’Alexandrov, lorsqu’il dit finalement que ce qui est nouveau c’est la verticalité qu’introduit le son lorsqu’il tombe sur l’image dans un concept...

DELEUZE : Ce n’est pas "Le manifeste" ?

R. C. : Non, c’est un texte du 38. Mais comme même il y dejà ça. L’idée d’un montage contrabaltique, je crois que le terme contrabaltique. Je crois que le terme est employé par Eiseinstein...

DELEUZE : INAUDIBLE.

R.C. : Et c’est comme même ça qui invoque... Bon, c’est comme même ça ce qui me paraît central. Parce que pour moi, ce qui m’intéresse, c’est Barthes et Eisenstein Le troisième sens, le sens obtus et (...). Et donc le centre de gravité fondamental (donc dans le texte de montage audiovisuel, je m’excuse là pour la confusion, c’est une confusion de ma part, donc je retire complètement, c’est dans "Les Cahiers du Cinéma" 222 ou 218), le sens, le texte que Barthes cite dans "le troisième sens" est de Eisenstein.

DELEUZE : INAUDIBLE.

Raymonde Carasco : Je crois qu’il s’appelle "Montage 38". "Le centre de gravité fondamental du montage audiovisuel se transfère en dedans du fragment, dans les éléments inclus dans l’image elle même. Et le centre de gravité n’est plus l’élément entre les plans, le choc, mais l’élément dans les plans : l’accentuation à l’intérieur du fragment." Et prenant ce fragment, cette citation de Eiseinstein écrite semble t il en 38, au niveau du montage audiovisuel, il dit : "finalement, je déprends ce fragment et moi je le déplace sur le photogramme, étant entendu qu’il n’y a pas de son et que le sens obtus tomberait sur l’image visuelle comme le sceau, sur le dedans du fragment, et permettrait donc une lecture verticale (comme il dit) du photogramme.

DELEUZE : INAUDIBLE.

Raymonde Carasco : Ça c’est le centre, à mon avis, de ce qui est intéressant chez Barthes, c’est à dire sa proposition de théorie du photogramme à partir du filmique. C’est pour ça que ça m’intéresse.

DELEUZE : INAUDIBLE.

R. C. : Au delà de l’image-mouvement ce n’est pas la peine, je crois de... Ça découle, disons, de ce que dit Barthes. Au delà ou en deçà.

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