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84- 16/04/1985 - 3
Gilles Deleuze - Pensée et cinéma cours 84 16/04/1984 - 3 transcription : Mauricio Martorell [...] ne poursuivant pas de buts commun.
Et, dit-il, où est-ce que ça se réalise le mieux, la société de conversation ?
Cela devient plus sérieux : c’est la démocratie.
La démocratie, dit Simmel, cela ne pourrait se définir que par l’importance qu’il y ait une sociabilité formelle par opposition aux associations matérielles.
À savoir, ce serait une association d’égaux, dont l’acte fondamental serait la conversation et le jeu de la conversation.
C’est là qu’intervient la coquette. Qu’est-ce que c’est la coquette pour Simmel ? Je vais vous lire le passage, parce qu’il est charmant... Qu’est-ce qu’il dit sur la coquette ? À l’entendre, la coquette - c’est ça qui me gêne, c’est dans le même texte - la coquette, ce serait la pure démocrate : « Si la question érotique entre les sexes tourne autour du consentement et du refus - » ça, c’est l’association, l’association sexuelle. Oui ou non ? « Si la question érotique entre les sexes - » là, il y a lutte, intérêt, désir... « Si la question érotique entre les sexes tourne autour du consentement et du refus, c’est l’essence même de la coquetterie féminine » le texte est écrit, il y a longtemps.. [Rires] « C’est l’essence même de la coquetterie féminine que d’insinuer à la fois le consentement et le refus, d’attirer un homme sans que ce soit décisif, et de le repousser sans lui retirer tout espoir. La coquette porte son pouvoir séducteur à son comble en laissant l’homme en suspens, à deux doigts de parvenir à ce qu’il désire sans que cela ne devienne trop sérieux pour elle-même. Ainsi - là ça devient important - elle montre en badinant la forme simple et pure du choix érotique, et elle peut combiner ces deux pôles opposés dans une conduite cohérente » - vous pouvez achever - elle peut maintenir le « oui » et le « non », parce que la dissociation du « oui » et du « non », c’est oui ou c’est non, ne peut venir que d’un contenu social, ou d’un contenu érotique - ne peut venir que d’un contenu. Mais la forme même de l’érotisme va faire surgir l’alternative du “oui” et du “non” en maintenant les deux aspects, les deux côtés de l’alternative comme deux zones sur lesquelles se situeront les actes de parole correspondants, dans un système interactif. « Ainsi, elle montre en badinant la forme simple - » Encore une fois, au nom de son contenu, le choix érotique réclame que l’on dise “oui” ou “non”, mais au nom de sa forme, le choix érotique implique au contraire que l’on ne dise ni “oui” ni “non”. C’est la démocratie. Oui, la coquette, c’est la démocrate érotique. On dira la même chose de la conversation. C’est pour ça que dans une conversation, qu’est-ce qu’il y a de grossier ? Dire « j’ai raison », vouloir imposer son avis. Ça, c’est très grossier dans une conservation... On ne fait surtout pas ça, Il y a des règles du jeu, des distances, des rapprochements, etc... Et vous voyez que ce qui est important c’est que, chaque fois, les interactions passent entre personnes saisies indépendamment des intérêts qui les uniraient ou des contenus qui les associeraient. C’est en tant que personnes indépendantes que l’interaction s’exerce, en tant que personnes dispersées. Si bien que la solution de Benveniste du « je-tu », qui implique la dépendance réciproque des deux personnes, ne peut pas me convenir. Je me sens pur interactionniste pour les besoins de la cause, à savoir : l’acte de parole ne se définit pas par la relation préalable du « je » et du « tu », c’est-à-dire de personnes supposées interdépendantes ;
D’où qu’est-ce que ça a été ? Je prends un exemple. J’avais terminé là-dessus la dernière fois. Je vous disais : il faudrait chercher des exemples où un même thème est traité, à la fin du muet et au début du parlant. Moi, j’en voyais deux - et, ben oui, j’ai oublié de vous demander : je vous avais supplié de consacrer vos vacances de Pâques à en chercher d’autres. Mais vous me l’auriez dit si vous l’aviez fait. Prenons deux thèmes, j’en vois deux : la dégradation et la collaboration. Collaboration police-pègre. Vous la trouvez en plein dans quelques images inoubliables de "la Grève" d’Eisenstein. Les espions des patrons vont sortir le peuple des tonneaux de ses tonneaux (c’est-à-dire, le sous-prolétariat) pour briser la grève. Je dis, il faudrait de longues analyses de la grève. je dis, voyez ce film, il est muet et il répond aux lois de développement d’une situation conformément à un schème d’action et de réaction. Il y a une société qui a une nature - le capitalisme - les patrons y ont des ouvriers, et quand les ouvriers protestent, on fait venir le sous-prolétariat, on tire de ses tonneaux le sous-prolétariat. C’est souvent arrivé en Amérique, c’est souvent arrivé dans la Russie tzariste, il n’y a plus de sous prolétariat en URSS. "M le maudit", revenons à "M le maudit" : dans des images encore plus célèbres que celles que j’invoquais tout à l’heure. Qu’est-ce qui se passe ? Il y a le point problématique, puisque les interactions tendent vers : nous faire voir un point problématique dans le champ perceptif. Le point problématique, c’est : où est et qui est M ? qui est l’assassin des petites filles ? Et voilà. Deux [mot indéchiffrable] vont se former : la police et la pègre. Et, c’est le grand coup de génie de Lang, ce qui fait de "M le maudit" un des plus beaux films dès le début du parlant, vous vous rappelez : une phrase commencée dans le lieu de la police est achevée dans le lieu de la pègre. Du type : « Il faudrait l’arrêter », commence le chef de la police, et le chef de la pègre fait écho : « l’arrêter est devenu indispensable pour nous ». Et puis ça continue comme ça. Vous me direz : est-ce que on ne pouvait pas le faire sans le parlant ? Au niveau d’un exemple, oui, il y a des rimes visuelles, est-ce qu’on ne pouvait pas le faire avec des rimes visuelles ? On verra tout à l’heure le problème des rimes visuelles. A mon avis, on ne pouvait le faire dans le muet que sous forme action-réaction. Mais l’interaction entre la pègre et la police dans une situation qui n’est plus une situation structurale - ça, ce n’est pas une situation structurale, c’est exactement ce que l’École de Chicago appelle une “situation de circonstance”. L’interaction pègre-police dans une situation de circonstance - ce qui ne veut pas dire que cette collaboration ne soit pas très profonde - en tant qu’elle se fait entre personnages indépendants - tandis que le peuple n’est absolument pas indépendant du patronat dans la grève. Là, c’est [l’apport] du parlant. Et puis je me sens plus sûr de moi pour dire - pardon de vous avoir fait passer pour toutes ces abstractions, mais, à mon avis, si j’avais donné l’exemple immédiatement, on ne pouvait rien en tirer, on n’en tirerait rien. A savoir, ce que je veux conclure ce qu’il me semble c’est un cas typique où l’acte de parole, comme composante "auditive" de l’image visuelle, fait voir dans l’image visuelle une interaction, et non pas un enchaînement d’action-réaction. Deuxième exemple : la dégradation. Là, c’est intéressant aussi que certains membres de l’École de Chicago se soient beaucoup intéressés aux cérémonies de dégradation. Version muette : "Le dernier des hommes" de Murnau. Le portier d’un grand hôtel, qui a la plus vive conscience de tenir une fonction enviable, tout à fait remarquable, une fonction clé d’un grand hôtel. Le portier du grand hôtel, vieillissant, va aller de déchéance en déchéance : il va passer par une très grande discussion, il va se faire injurier par - en muet, il y a une activité [mot indéchiffrable] - par le directeur de l’hôtel, et finira gardien des lavabos. Vous ne pouvez pas citer une plus grande dégradation que cette dégradation qui mène un homme de l’admirable porte-tambour d’un grand hôtel à la porte des lavabos qui s’enfonce. Et là, j’insiste là-dessus, Murnau a fait toutes les rimes : tous les rimes plastiques, tous les rimes visuelles, entre le jeu des deux portes, etc. Ceux qui l’ont vu savent que c’est l’un des plus grands films du muet. Et je dirais, à la lettre, il descend une pente... Et c’est même pourquoi ce film peut se passer de sous-titres, il n’y a pas de sous-titres dans "Le dernier des hommes", tellement la pente descend, action-réaction, action-réaction. Tout ça, dans la structure du grand hôtel. C’est-à-dire, il n’y a pas de point problématique, c’est une structure constituante, c’est inexpiable. À aucun moment, on se dit, il y a problème. L’autre exemple, au début du parlant, "L’ange bleu" de Sternberg. C’est une dégradation encore plus douloureuse, puisqu’elle concerne un professeur. Un professeur de lycée, qui a la plus vive conscience de l’importance de son métier, mais qui va être séduit par une mauvaise femme, entraîné à devenir saltimbanque et la mauvaise femme et le directeur iront jusqu’à le ramener dans la ville où il exerçait son métier de professeur, pour attirer du monde, en disant cela raménera des spectateurs, à la limite de l’abjection. Il retourne mourir dans sa classe, voilà. Qu’est-ce qu’il y a de spécial là-dedans ? Est-ce que le muet pouvait faire ça ? Par définition, il y a quelque chose que le muet ne pouvait pas faire. La question c’est, qu’est-ce que ça entraîne que ce qu’ils ne pouvaient pas faire ? C’est les deux cocoricos célèbres. Une première fois, le professeur rompt avec le lycée et décide de suivre la femme aimée, la dangereuse Lola-Lola et dans le banquet de mariage, il pousse son fameux cocorico, qui est comme la manière dont il se fait admettre par la troupe. Et l’acteur est formidable, là il pousse un cocorico d’abord timide, quand il voit que ça marche, tout le monde l’applaudit, il a beaucoup de talent, il lance un cocorico plus clair, qui est comme le passage réussi du lieu “lycée” au lieu “cabaret”. Et puis il tombe de dégradation en dégradation, d’abjection en abjection ; il revient dans la ville où est le lycée ; on le force, il n’en peut plus, il est fini, il est foutu, on le force en lui cassant des œufs sur la tête en plein spectacle à repousser à nouveau son cocorico, qu’il va évidemment pousser sur un tout autre ton il y a là une recherche sonore ; et ce second cocorico, cette fois, présente le passage en sens inverse, du lieu “cabaret” au lieu “école”, puisque, tout de suite après ce second cocorico de l’abjection, il essaie au passage d’étrangler Lola-Lola, mais, surtout, il se précipite dans la rue et il va mourir dans sa classe. Si vous y ajoutez que toute la structure du film est faite sur lieu vide / lieu occupé, d’un côté et de l’autre, c’est-à-dire : lieu silencieux / lieu bruyant. Le cabaret bruyant et même la loge de Lola Lola bruyant - tout le monde y passe - et puis la loge de Lola Lola vide, quand elle n’y est plus, quand il n’y a déjà plus personne dans la loge. De même, la salle de lycée, la classe de lycée vide, et la classe de lycée , habité, animée - il me semble que l’on trouvera la confirmation que les deux cocoricos forment l’interaction des deux lieux indépendants, lycée / cabaret, qui n’a pas cessée de courir à travers tout le film, et que c’est l’acte de parole - c’est en ce sens qu’il faut le traiter comme un acte de parole - c’est l’acte de parole, le cocorico du professeur, qui fait voir l’interaction d’un lieu à l’autre, l’interaction qui cette fois-ci - vous voyez, ça confirmerait presque ce que je dis - cette fois-ci, ce n’est pas une interaction entre personnages indépendants, dispersés ; c’est une interaction dans le même personnage. Alors, presque, là, je conclus, on n’en peut plus Ce que je voudrais conclure, quitte à ce que vous disiez des choses, vous, un peu, là-dessus. Je peux un peu mieux exprimer mon shéma, mon second shéma. Le premier stade du parlant n’a nullement introduit une image audiovisuelle au cinéma. Ce n’était pas son affaire et, en plus, il ne pouvait pas en avoir l’idée. En revanche, il introduit une composante auditive dans l’image visuelle. Or, une image visuelle à composante auditive n’est pas une image audiovisuelle ; elle a parmi ses composantes, du sonore. Dès lors, la composante auditive introduite dans l’image visuelle a un effet sur l’image visuelle : elle nous fait voir l’interaction, elle nous fait voir les interactions. Conséquence de l’autre côté : en même temps que les interactions sont vues, l’image visuelle en tant que visuelle commence à dominer [ ). En d’autres termes - je pousse, mais ça je ne pourrais le justifier que la prochaine fois - la composante entendue fait voir, et non seulement fait voir, mais - nous le verrons, ça reste à traiter la prochaine fois - voit elle-même et est vue elle-même. Et, inversement, l’image visuelle, du coup, tend à devenir lisible pour son compte en tant que visuelle. Est-ce qu’il y a des remarques ? [Question ] : quand je dis j’ai raison convaincre est infécond [Réponse :] Non seulement convaincre est infécond, mais convaincre est malpoli, mal élevé. Qui a jamais voulu convaincre ? Oui, oui, non seulement infécond, mais c’est grossier. À moins qu’il y ait un intérêt. Oui, dans une société de contenu, dans une association de contenu : l’avocat, lui, il a un intérêt à convaincre, c’est son métier. Mais, dans un cours, par exemple, qui fait partie des sociabilités pures, aucun intérêt à convaincre. Garabito ? il est là , Garabito ? tu viens me voir ! PAGE \* MERGEFORMAT 5 |
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