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90- 28/05/1985 - 2

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Gilles Deleuze - Cinéma et Pensée cours 90 du 28/05/1985 - 2 Transcription : Pauline GRENIER

En quoi consiste le désir ? Selon Marguerite Duras, qu’est-ce qu’elle appelle au juste le désir ? En quoi le désir est-il comme le feu sous la terre, en même temps qu’il est ce que l’acte de parole porte dans la lumière ? Tout ça bon, faudrait, faudrait, faudrait ! Mais voilà, c’est pour une autre année, alors, comme on ne le fera pas (rires).

Deuxième point. Il y a un deuxième point qui me paraît la, qui me touche beaucoup. C’est, c’est finalement que l’image visuelle chez Marguerite Duras.... Là ! on vient de voir vous voyez ! c’est très harmonieux, j’y pensais pas.
-  On vient de voir la différence du point de vue de l’acte de parole.
-  Du point de vue de l’image visuelle. Je trouve que, l’image visuelle chez les Straub a une très grande valeur - et j’emploie ce mot au sens le plus laudatif et admiratif qu’il soit - a une grande valeur de sécheresse. C’est vraiment les roches sèches. L’image visuelle, encore une fois, c’est le roc, c’est la roche. C’est quand même un truc, c’est quand même un monde où ils manquent d’eau. Au contraire chez Marguerite Duras, tout est mouillé.

Quoi ? (il y a le Gange !) (rire de Gilles Deleuze) Oui ! oui il y a... entre autres ! mais le Gange fait des inondations parce que l’image est mouillée et pas l’inverse, c’est d’abord une image mouillée. Je veux dire que c’est une image liquide. Si on réfléchit là-dessus vous allez voir que on va trouver, je sais pas, on va trouver un trésor. C’est sans doute tout le mérite de marguerite Duras. C’est curieux, hein ! c’est une image mouillée, ça veut dire quoi ? Prenez, prenez rien que "Son nom de Venise dans Calcutta désert". La roche est mouillée. Elle ne cesse pas d’être mouillée. Mais, pourquoi ? pourquoi ça ? C’est pas gratuit quand même ! Ce n’est pas parce que Marguerite Duras aime la mer, et que les Straub, je suppose, faudrait le savoir, détestent la mer. Surtout, que tu serais capable de faire une objection si par hasard les Straub adoraient la mer ! C’est bien, c’est leur vie privée. Mais je pense que dans le fond, même s’ils font semblant d’aimer la mer, dans le fond, ils détestent la mer. Tandis que Marguerite Duras, comme chacun le sait, elle adore la mer. Bon, bon, pourquoi, pourquoi ? Et bien, c’est que, j’ai l’impression que chez elle, il y a un tournant. L’image tellurique tend de plus en plus, et stratigraphique - tend de plus en plus à devenir océanographique. Et ça fait une très grande différence. Qu’est-ce que ça veut dire ? C’est plus exactement l’image stratigraphique. Parce qu’une image stratigraphique, c’est une image qui "enfouit" quelque chose qu’on ne verra pas. Pour Marguerite Duras, ce n’est pas la question "enfouir" qui est là, qui l’intéresse. C’est beaucoup plus ce que la mer efface. C’est pas la même chose. Il y a les enfouisseurs de terre et il y a les effaceurs de mer. Marguerite Duras est une grande effaceuse de mer.

J’imagine Straub, ce serait bien, voyez : Straub et Marguerite Duras, petits enfants, (rires) sur la plage. (rires). Ils font tous les deux un beau château. (rires) Marguerite Duras, elle attend la montée de la marée et elle va filmer ça. Mais les Straub, alors, ils vont, ils vont se ruer sur le château avant que la marée arrive, ils vont le faire rentrer sous terre. Acte de résistance ! Mais c’est curieux parce que, je dirais, ça reste une image stratigraphique mais c’est une image stratigraphique travaillée par quoi ? Et bien, par le fleuve et la mer. Le fleuve et la mer." La femme du Gange",vous savez tout ça, a été tourné à Trouville. Mais c’est pas par hasard. Non. Trouville a servi à tout ce que vous voulez, Trouville c’est Calcutta, c’est Venise, c’est tout ce que vous voulez. Bon. Mais qu’est ce que c’est ce Trouville et cette mer à forte marée ? A quoi ça lui sert ? Eh, bien, ce qui la fascine, c’est vraiment la jonction fleuve / mer. C’est par là que je dis que ce n’est plus exactement une image tellurique, stratigraphique. C’est une image océanographique. La répartition des fleuves et de la mer. Et même, les grands travellings de Marguerite Duras, les travellings autos - Il y a deux grands travellings : "Le Camion" et "Aurélia Steiner".

La seconde partie "d’Aurélia Steiner", ça commence comme, ça pourrait commencer comme pourrait commencer un Straub : sur des roches et des statues, des inscriptions lapidaires, et ça enchaîne sur tout autre chose. Un grand travelling avant en voiture. Le camion, bon, d’accord. Mais, premièrement, le camion, où est-ce qu’il va dans l’image visuelle ? Le camion qui vaut, la cabine avant qui ne vaut que comme image visuelle parce que c’est un espace vide dans le camion. Tandis que, l’image sonore est derrière. Eh, bien, un camion, il va de la Beauce à la mer. Aurélia : le troisième épisode, juste après le travelling auto, c’est le trafic, le trafic fluvial. L’épisode de la péniche. Et enfin, le dernier épisode d’Aurélia, c’est la mer, les vagues. "Agatha et les lectures illimitées". C’est quoi ? L’image sonore, comme d’habitude. Pas de problème, on l’a vu, c’est l’acte d’amour. L’acte d’amour. L’inceste pas du tout comme inceste, l’inceste comme acte de parole. Et il y a un espace désaffecté où la caméra, dans lequel la caméra va s’enfoncer. L’espace désaffecté c’est quoi ? c’est une pièce désaffectée d’une espèce d’hôtel. Toujours à Trouville. C’est un espace vide typique. Voyez, la caméra avance, recule je sais plus très bien, mais toujours, sur ce qu’il y a, de l’autre côté des fenêtres de la pièce désaffectée. Qu’est-ce qu’il y a ? Il y a la plage de Trouville et ses vagues. Si bien que la pièce désaffectée est comme une espèce de navire presque à sec qui attend d’être recouvert par la marée, comme un navire qui va appareillé, qui attend que la marée soit haute.
-  C’est l’image océanique. Nous ne sommes pas rendu à la terre pour Marguerite Duras, nous sommes rendu à la mer. Et sans doute il y a un lien profond entre les deux rapports. Je veux dire entre les deux différences qu’on vient de voir :
-  l’acte de résistance chez les Straub et image tellurique pure, image stratigraphique,
-  acte de désir chez Marguerite Duras, et image océanographique ou fluviale.

Pourquoi ? C’est au croisement du fleuve et de la mer, c’est au croisement du fleuve et de la mer que se fera la communication sans cesse brisée, de l’image sonore comme acte de parole et de l’image visuelle. Au croisement du fleuve et de la mer, qu’est-ce qu’il y a là ? Le chant de la mendiante. Voir et La femme du Gange et India Song ! il y a le chant de la mendiante, le chant de la mendiante, c’est aussi l’acte de parole. Mais la mendiante, elle a parcouru tous les espaces, on ne sait pas comment ! Et on ne saura jamais comment. C’est au croisement du fleuve et de la mer que s’élève le chant de la mendiante. Et qu’aussi communique, de cette manière brisée, de cette manière cassée, l’image sonore et l’image visuelle.
-  Ce serait la seconde grande différence.

Et enfin alors ! Qu’est-ce qui assure la circulation ? On a vu une différence - vous voyez oh ! c’est très bien ! c’est un bon plan. C’est un plan de bachot.
-  Première différence du point de vue de l’image sonore,
-  deuxième différence du point de vue de l’image visuelle. Euh,
-  troisième problème, quelle différence dans le rapport visuel/sonore ? Eh, bien, pour les Straub, qu’est-ce que c’est ? qu’est-ce qui assure la circulation, l’acte de parole et de ce qui est enfoui sous la mer ? On l’a vu ! la résistance comme phénomène politique. Comme phénomène politique qui traverse non seulement la politique, non seulement l’histoire mais qui traverse l’art ! Qui traverse la vie quotidienne, qui traverse notre manière de vivre etc, tout ce que vous voulez. Or, c’est là qu’ils se sont toujours réclamés du marxisme, les Straub conçoivent l’acte de résistance sous la forme de - ou la résistance en général - sous la forme d’une lutte de classe. Elle est à la fois acte de parole et feu central de l’image tellurique et de l’image stratigraphique. Ça veut dire quoi ? Quel est l’acte de parole de celui qui s’élève pour résister ? Et celui qui s’élève pour résister ne fait pas que parler, il cache des armes sous la terre. Et l’artiste, il est pareil.

Si bien que, le rapport de l’image visuelle et de l’image sonore, chez les Straub, se passe conformément au marxisme par la lutte de classe ou par la violence de classe. Pourquoi ? C’est que l’image tellurique là - c’est là que c’est moins clair que ça n’en a l’air. Où ça se complique vous savez ! ça se complique ! Parce que, voyons un peu ce marxisme, qui est très original. Évidemment ! Du côté de l’image visuelle, vous voyez que ce marxisme est profondément paysan. C’est-à-dire les vraies luttes de classe sont paysannes. Ils ont toujours dit ça. Ils le disent explicitement, dans beaucoup d’interviews ; impossible de séparer la lutte de classe des grands mouvements paysans. Impossible de séparer la résistance du maquis, quoi ! bien. Et l’acte de parole lui, comme acte de résistance ? et bien, lui aussi il est bizarre. Car, après tout ! quelle est l’utilité des gens ? La classe, la classe paysanne, elle ne parle pas tellement. Pourquoi que dans le marxisme, il a toujours fallu un certain.. convoquer les intellectuels à rejoindre la classe révolutionnaire ? En tant qu’ils sont les tenants d’un acte de parole possible. Les Straub nous donnent bien une raison :
-  C’est que l’acte de parole comme acte de résistance - peut-être que la situation n’est pas encore mûre pour que ce soit la classe ouvrière et paysanne, qui le tienne.

Comme chez Godard, l’ouvrière est bégayante. Mais il faut un intellectuel, à quelles conditions ? la réponse des Straub, elle a toujours été : il faut que certains membres de la classe supérieure soient traîtres à leur propre classe. Être traître à sa propre classe. Ça c’est une idée qui a... C’est ce qu’ils disent de Fortini, l’auteur italien. Et quel plus beau compliment ! Traître à sa propre classe ! C’est une notion je crois que vous trouvez très profondément développée par Klossowski. Être traître a sa propre classe. C’est pour ça que leur marxisme, il est pas tellement clair que ça. Il y a le côté paysan et puis il y a le côté où le traître a sa classe, ils lui donnent une grande importance. Et, quand même sur quoi ça repose les principaux personnages des Straub ? C’est quoi ? C’est, le bâtard dans "de la Nuée à la Résistance". L’exilé dans "Amerika". Le migrant, dans "Moïse et Aaron". Pour un marxiste pur, c’est des personnages un peu louches : le bâtard, le migrant, l’exilé, c’est pas généralement, c’est pas le prolétariat pur et dur. C’est leur manière d’être marxistes. Aussi si ils sont marxistes, c’est avant tout par rapport à Marguerite Duras parce que elle, elle l’est pas du tout. Elle l’est pas du tout. Elle a fait des efforts comme tout le monde (rires) et (rires) elle n’a pas pu ! bon. Pourquoi elle n’a pas pu ? je sais pas. Et, elle sent bien là, mais là elle rie, elle rie mais comme c’est bien, comme ça nous fait rire aussi, elle a raison de s’amuser. Elle dit qu’elle forme une autre notion. Et en plus elle est plus modeste, elle dit : c’est pas une notion, c’est un sentiment fugitif que j’ai parfois. Sentiment fugitif qu’elle a parfois, elle a parfaitement le droit ! Du moment que c’est beau et drôle. Son sentiment fugitif, c’est que il n’y a pas une violence de classe,- mais il y a une classe de la violence, là on dit tout de suite ah, c’est clair, tous les exclus, tous les exclus du monde entrent dans la classe de la violence. Sauf qu’elle raffine. La classe de la violence, chez elle, ça joint - il y a une page de Bonitzer très spirituelle sur la classe de la violence chez Marguerite Duras. Il dit : ça comprend les lépreux, les vice consuls, (rires) les enfants, les chats. Les enfants et les chats chez "Nathalie Granger" qui constituent en effet la classe de la violence et elle découvre la notion de classe de la violence dans "Nathalie Granger" que les autres bon - le vice consul, c’est celui qui a tiré sur les lépreux - vous vous rappelez, on ne le verra jamais tirer sur les lépreux puisque ça fait partie aussi du feu tellurique, du feu souterrain - il a tiré sur les lépreux. Il n’en pouvait plus le vice consul, il a craqué. Bon. Classe de la violence : il y a les lépreux, le vice consul qui a fait tirer sur les lépreux, on n’y comprend plus rien. Les chats, les petites filles. Les petites filles ça, ça c’est vrai... les petites filles quand on les voit dans le métro, les bandes de petites filles, sont infiniment plus dangereuses que les bandes de loubards. (rires)

Et elle ajoute - Bonitzer l’a oublié ça - elle ajoute, et moi c’est ce qui me fait rire le plus, les représentants de commerce. (rires) Alors pourquoi les représentants de commerce sont-ils là ? Elle le confie dans une note de "Nathalie Granger". Elle confie, je vous le dis pour que vous reteniez au moins quelque chose de cette année. (rires) Elle dit, c’est très curieux les représentants de commerce : ils sont dans une situation pire que le sous prolétariat. Pourquoi ? parce que, le prolétariat et même le sous prolétariat, il n’est pas censé parlé, voyez c’est retour au fait de l’acte de parole. Parler comme le patron. Un O.S. de chez Renault, il peut dire : "vous savez, les Renault c’est de la merde". Même, on pourra pas le renvoyer s’il ne fait pas de tracts, s’il ne distribue pas à la sortie de Renault, il peut dire : c’est moche, n’achetez jamais une Renault". Il n’est pas forcé de parler comme le patron. Suprême humiliation selon Marguerite Duras. Non seulement travailler mais devoir parler comme le patron et que ce soit ça le travail. C’est à dire dire : "ce produit est le meilleur. D’où dans sa page brillante, elle dit : les représentants de commerce, c’est vraiment les damnés de la terre, c’est eux le vrai sous-prolétariat. Et ils sont pris dans une espèce de telle situation que, il y a une compression, une violence comprimée en eux. Vous rendez compte ! Le type qui doit convaincre quelqu’un de quelque chose dont il n’est pas lui-même convaincu. C’est dejà difficile de vouloir convaincre quand on est convaincu - voyez ma situation, ça, c’est la situation du professeur ou de l’avocat ; non l’avocat, il n’est pas convaincu hein. Euh mais enfin la triste situation du professeur, ce par quoi lui, il fait partie d’un honnête sous prolétariat. (rires)c’est convaincre de ce dont on est convaincu, quelle tache ! Alors que quand on est convaincu, on a qu’une envie : se taire. Encore fut-il convaincre de ce dont on est convaincu. Ou alors vous vous rendez compte mais enfin c’est quand même une bonne situation par rapport au représentant de commerce. (rires)

Est-ce qu’y a des profs qui sont des représentants de commerce ? Oh ! Non c’est pas possible. Non il n’y en a pas ! Bon, bon. Alors ! la troisième différence vous voyez, c’est la substitution de ce qui va faire charnière entre l’acte de parole et l’image que j’appelle maintenant fluviale, océanographique ce sera cette violence cette classe de la violence. Chez les Straub au contraire, ce sera, la violence de classe, la lutte de classe. Compte tenu de ce que je viens de dire, et ça j’y tiens beaucoup. Compte tenu du facteur extrêmement complexe de la conception chez les Straub, voilà.

Voilà, ha ! on a bien avancé. Alors il nous resterait le cas Syberberg. Ce que je voudrais d’abord justement pour qu’on est pas le temps de l’envisager, ceux qui prennent des notes, vous mettez après Syberberg trois petits points. Je veux dire c’est presque de la superstition. Si je termine une année ce que je comptais faire, je sens que le malheur arrivera. C’est comme chez les sauvages, il faut garder une boulette qui fasse la transition, une petite boulette qui fasse la transition entre l’année précédente et l’année à venir. Sinon, sinon, sinon... (rires) Alors, non ! ce que je voudrais d’autre part, c’est Raymonde Carasco qui m’avait dit, elle avait peut-être quelque chose à dire sur les Straub, ou sur Marguerite Duras !

(Intervention inaudible)

G.D. : Ha, elle me dit tout le temps ça, que je lui coupe... vous avez bien d’autres choses à dire que moi.

Raymonde Carasco : « Je ne sais pas j’ai un petit peu (inaudible) parce que il me semble que si j’avais des petites choses à dire (inaudible) des petites choses sans (inaudible) et d’autre part (inaudible). Et je sais pas si »

G.D. Ha ! dites moi alors j’ai une question à vous poser. Ça tombe rudement bien, technique. J’ai aucun souvenir d’abord c’est difficile la mémoire du cinéma. J’ai aucun souvenir est-ce que vous avez une idée de comment ils manient la lumière ?

« Les Straub ? »

GD : oui « bah » Je vais vous dire pourquoi

Raymonde Carasco : « J’ai aucune idée mais je leur ai posé la question. »

GD : Ha ! ça tombe bien !

« Je leur ai dit au sujet de son histoire que j’ai vu avec eux il n’y a pas longtemps (inaudible) je leur ai demandé, je leur ai dit (inaudible) dans l’ histoire, c’est la douceur des couleurs et de la lumière »

GD : La douceur !

« La douceur c’est à dire la qualité des roses, des bleus, des mauves qui est impressionnant, très doux. (inaudible) Je leur ai dit : comment vous faites ? est-ce qui a quelque chose, par exemple qu’est-ce que (inaudible). Et puis après ils ont dit (inaudible) finalement la lumière c’est le cadre, c’est la rigueur du cadre et c’est rendu comme ça très nettement. Pour nous la lumière, c’est la rigueur du cadre. Et finalement, ce que j’ai retenu, et qui m’a intéressé, c’est que justement le cadrage qu’ils appellent le cadre, c’est pour eux l’acte premier. »

G.D. :Ouais, ouais ouais

R.C. : « c’est la construction de la lumière »

G.D. : Ouais ouais ouais !

R.C. : « ce qu’ils appellent le cadre évidemment (inaudible) »

G.D. : Ouais, ouais

RC : « mais pour eux c’est l’acte presque constitutif »

G.D. : D’accord !

RC : « on dirait presque de tout »

G.D. : Mais ma question est un peu différente. Ma question c’est, surtout dans le noir et blanc, je voulais dire quels sont les effets de lumière ? Est-ce qu’il y a des contrastes ? Est ce qu’ils accusent les contrastes ?

RC : « (inaudible) la question (inaudible) parce que c’est (inaudible) dans "Anna Magdalena" c’est quelqu’un qui vient (inaudible) » (autre intervention inaudible)

G.D. : Dominique, vous vous rappelez pas, vous ? « Non mais (inaudible) » Non non ! ça m’est égal ! si il y a des contrastes ? Je vous avoue tout, je serai rudement.. il me faudrait y faudrait à tout prix qu’il y ait des contrastes. (rires) Le concept l’exige alors ! (rires) (intervention inaudible)

G.D. : Dans Kafka, dans Kafka il y a des contrastes forts, hein de lumière ? « 

RC : Oui, oui (inaudible) ils ont tourné réellement la nuit. »

G.D. : Ils ont tourné tout la nuit, non ? Puisqu’ils ne voulaient pas de bruit. Presque tout.

(Intervention inaudible)

G.D. : Je sais pas, Caroline Chantier elle disait, non qu’ils auraient tournés..

(intervention inaudible)

G.D. : Ha, c’est en extérieur, oui !

(intervention inaudible)

G.D. : Et c’est très contrasté ? ça c’est bon. Non ? Assez contrasté quand même hein ! (rires) Et tu disais que la réponse..

Claire Parnet : « c’est contrasté Othon »

G.D : Ha ! c’est contrasté Othon. Parce que je vais vous dire...

RC : « la pudeur et ma et... ( intervention en même temps que la première inaudible)

Claire Parnet : le traitement de la couleur est très contrasté comme dans le noir et blanc

G.D. : de la couleur, des oppositions de couleurs.

G.D. : ouais, ouais, ouais !

RC : (intervention inaudible)

G.D. : C’est parfait, parce que c’est la formule quand même d’un contraste ça. Je vais vous dire pourquoi, voilà ma question. Est-ce qu’on peut dire - ça fait rien si on peut pas le dire - Est-ce qu’on peut dire avec prudence, bien entendu, que c’est pas tellement étonnant parce que Duras serait comme, d’une certaine manière, aurait certains liens avec l’école française d’avant guerre ? Et que les Straub, qui ont une forte tradition allemande, auraient quelque chose, auraient un certain lien avec l’école allemande d’avant guerre. Ce qui donnerait ceci. Ceux qui ont suivi là, tout ça, les autres années se rappellent qu’on avait distingué les deux écoles, en disant : c’est pas difficile, prenez l’expressionnisme : c’est la lutte de la lumière et des ténèbres. Et les contrastes sont très importants et ça peut avoir soit la forme des raies de lumière, des alternances ombre-lumière, comme les raies d’une persienne. Je me demande si il n’y a pas des raies de persiennes dans "Amerika"

Claire Parnet : « mais dans Kafka, oui »

G.D. : Ha ! ha ! et ! et ! il y aurait ça ! donc, tout va bien et ce serait une lointaine descendance de l’école allemande.

(intervention inaudible)

G.D. : Oui ! Quoi ?

RC : un de leur maître est Fritz Lang

G.D. : Un de leur maître est Fritz Lang ! oh

intervention inaudible)

Claire Parnet : « le cadre chez Duras, le cadre est très imprécis comme chez Renoir comme la période indienne de Renoir »

G.D. : Oooh (rires)

Claire Parnet :« Et alors je veux tout de suite te prévenir qu’il y a du barrage chez Duras, il y a du barrage chez Gremillon »

Mais c’est excellent tout ça. Ha bon faut pas (inaudible) (rires)

RC : (intervention inaudible)

G.D. : Ha bon !

Claire Parnet : Il y a eu un procès entre temps..

(intervention inaudible)

G.D. : Ha bon ! Donc on verra le même film traité par les deux !

« Ba oui, on a, on a (inaudible) en même temps que le film (inaudible) » Non j’ai pas, non j’ai pas (intervention inaudible) Ha bon. (intervention inaudible)

« Marguerite Duras et elle a fait faire... » Tandis que « à ce moment là effectivement que il disent la (inaudible) est le seul a traité le noir et blanc alors qu’ils ont travaillé avec (inaudible) et ça semble vouloir dire que finalement la dessus (inaudible) que finalement (inaudible) moi je après qu’ils aient fait le Kafka (inaudible)que j’ai interprété un petit peu comme un regret de ne pas avoir fait le noir et le blanc de de disons de Kafka avec (inaudible), en disant (inaudible) la plus part (inaudible) alors quelque chose aura disparu de la planète. Et donc il me semble qu’ils ont un regret sur la qualité des contrastes peut être du noir et blanc dans Kafka ». hein hein ! ha

« ça et, au moment où ils ont dit c’est-à-dire (inaudible) je suis certaine qu’il y du regret pour la lumière dans Kafka. Et même (inaudible) »

G.D. :qui est, bon, bon, bon, bon, bon,

« Et il y a certainement une question des contrastes de tel (inaudible) il me semble que les noirs sont quand même mats. Dans la composition il y a une espèce de lumière brillante que l’on trouve par exemple dans "Etats des choses"

ouais, ouais, ouais, ouais, ouais, ouais, ouais, ouais. Mais y aurait du mat chez Murnau. il y aurait du mat il me semble Tandis que vous voyez si ça marchait pour Marguerite Duras il y a quelque chose qui me frappe. J’avais essayé de trouver la lumière dans l’école française d’avant guerre sous la forme suivante : c’est plus du tout en rapport, ténèbres-lumière. C’est plus du tout le contraste, c’est l’alternance. C’est l’alternance de deux lumières. Pour l’école française, il n’y a que de la lumière. Simplement, et c’est par là que je les rattachais au peintre Delaunay. Il y a la lumière du soleil et la lumière de la lune. Or, constamment ! Marguerite Duras invoque, la lumière de la lune, la lumière lunaire. Chez elle, il n’y a que deux lumières. Il n’y a pas de ténèbres chez elle. Il y a deux lumières, la lumière solaire, et la lumière lunaire. Et il y a l’alternance des deux, qui me parait vraiment une manière où elle se retient - dans c’est dans La femme du Gange. Si vous lisez le texte et les commentaires qu’elle fait, commentaires cinématographiques sur La femme du Gange. Vous trouverez constamment appel à un puits de lumière lunaire. Je me disais ce serait bien comme ça, ça serait. Elle tiendrait d’une certaine manière très lointaine à l’école française. Elle aurait une conception de la lumière un peu à la française. Et les Straub auraient retenus une conception, quelque chose aussi de un peu allemand dans la conception de la lumière. Euh, comme quoi tout s’arrange. Mais bien entendu euh, avec beaucoup de prudence, voilà c’est pas, c’est pas franchement évident. Mais ça me parait en tout cas sûr pour Duras. Alors si vous me dites que c’est sûr aussi pour les Straub tout va bien. La dessus ! Alors je vous en supplie, vous prenez exactement sept minutes de récréation. Sept. Et vous ne me forcez pas à aller vous chercher comme des oies. ... (coupure)

Ambiguïté pour nous. Pas en soit. L’enjeu il n’a pas besoin de nous. Mais par rapport à ce dont nous avons besoin. Car, je résume le texte, on n’a plus le temps. Il faudrait l’analyser, il est très petit, il n’a pas beaucoup de pages. Reviens à dire. Il y a une manière de parler ou finalement parler et voir, c’est à peu près la même chose. C’est une parole qui peut se trouver sous la forme : T’as vu ceci ? hein. Il arrive au cinéma que deux vieilles dames, l’une dit à l’autre : « T’as vu les cavaliers qui chargent ? » Lorsque les cavaliers chargent. Il nous arrive tout le temps de dire quelque chose que soit nous voyons, soit que quelqu’un est susceptible de voir. Lorsque Blanchot dit : "parler se n’est pas voir", il dit parler au sens vrai du terme. Non pas la parole de vérité mais la vérité de la parole. Parce que parler ce n’est pas voir, c’est à dire ; ça n’a rien à voir, avec le visible par qui que ce soit. Non seulement celui qui parle, n’a pas à dire ce qu’il voit, il a à dire tout autre chose. Mais, l’acte de parole n’a pas à dire le visible. Ce que Blanchot exprime, il dit : "quand nous parlons c’est - je cite exactement - « comme si nous étions détourné du visible sans être retourné vers l’invisible. Il veut dire : parler à si peu de chose à faire avec voir que parler ne concerne pas plus l’invisible que le visible. Parler est d’un autre domaine. Et pour lui l’acte de parole pur, c’est précisément lorsque parler, ce n’est plus voir. Ou ce n’est plus énoncer ni le visible, ni l’invisible. Et, le texte est présenté sous forme de dialogue et voilà qu’il dit, qu’il se fait dire : "vous ne voulez pas opposer un sens à l’autre, l’entendement à la vue ?" Réponse : "je ne voudrais pas tomber dans ce piège". Bon, bon.

Et le texte continue, alors cet acte de parole pur, qui ne s’adresse ni au visible ni à l’invisible, pour Blanchot, il va être pris aussi par l’écriture. Et ce sera l’objet même de l’écriture. Et, il dit : c’est très dommage, ... l’Europe - là il reprend un thème je sais pas, peut être péruvien un peu - il dit : oui l’Europe elle a cru au mieux que la parole était une vue affranchie des limitations de la vue. C’est-à-dire une vue illimitée. Et il dit : c’est pas mieux. C’est pas comme ça que la parole se distingue de la vue. Car si vous dites c’est une vue illimitée, vous la rapportez encore aux catégories de la vue. Or la parole ne se reporte pas aux catégories de la vue. Et puis le texte continue et là survient un passage très troublant, page quarante et un. Où il dit à peu près : et bien oui ! c’est un peu comme pour la vue elle-même. Mais ce, "c’est un peu comme pour la vue elle-même", vous remarquerez s’il vous arrive de reprendre ce texte, que il ne le donne pas que comme un cas qui fait balance avec parler. Au contraire, il nous a prévenu, lui il ne veut pas tomber dans le piège d’opposer un sens à un autre. Et pourtant il nous dit, c’est comme pour la vue. "Car parfois il arrive à la vue de renverser la possibilité de voir." Et c’est la fascination, c’est ce qu’il appelle la fascination. Et dans la fascination dit-il, nous ne sommes plus dans la situation "habituelle" de la vue. La situation habituelle de la vue, c’est exactement : voir à distance et par la distance. Voir c’est saisir à distance.

Ça doit vous rappelez des choses parce que cette expression de Blanchot coïncide exactement avec le thème de Bergson, nous percevons les choses à distance, nous percevons les choses là où elles sont. Voir c’est voir à distance, c’est voir à distance. C’est saisir la chose, là où elle est, c’est-à-dire, saisir à distance. Bon. C’est le point commun de la phénoménologie, de Bergson, de bien d’autres auteurs, de Merleau Ponty. Alors dans la fascination, je ne vois pas à distance. Je ne saisis pas à distance. Dans une formule mystérieuse, là comme Blanchot a le secret, il dit : "c’est la distance qui me saisit". Je ne saisis pas la distance mais dans la fascination, c’est la distance qui me saisit.

Si bien que la vue - cette fois ci, c’est la vue elle-même - dépasse aussi le visible et l’invisible. La fascination serait à la vue, ce que en quelque sorte, l’écriture est à la parole. Il ne le donne comme, que comme exemple d’appoint. Je veux dire la fascination, serait comme une introduction visuelle au véritable essentiel qu’est l’acte de parole, en temps qu’il rompt avec le visible comme avec l’invisible.

Moi, non seulement je voudrais tomber dans le piège, c’est-à-dire tout en reconnaissant l’importance de ce texte complètement, je voudrais m’y précipiter dans ce qu’il appelle un piège. A savoir lorsqu’il dit : Non je ne veux pas, je ne veux pas opposer deux (inaudible) je crois à la nécéssité absolue d’opposer deux facultés lorsque parler ce n’est pas voir ! Pourquoi ? L’idée est très simple et là je crois être encore très fidèle, je crois être très fidèle à Blanchot. Cette parole, qui a rompu avec le visible comme avec l’invisible, qu’est-ce que c’est ? Comprenez moi bien c’est, c’est purement une suite logique mais il faut que la viviez, on n’a plus le temps d’expliquer concrètement. Je dirais c’est une parole....

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