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5- 13/01/81 - 2

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Deleuze - Spinoza cours du 13/01/81 - 2 transcription : Carmela Chergui

Deleuze : .. Il se retire des affaires du père, il se retire de la vie sociale et mondaine,

-  Richard Pinhas : Alors, Reprenons les cas de figure très, très simples, à savoir il y a un rapport direct qui peut arriver, qu’est ce qu’il se passe si on ne le fait pas, alors , tu as évoqué deux cas, soit tu .. Soit, il n’est pas nécessaire de quitter sa mère et, bon dans le cas d’Oreste, ça a des conséquences encore plus graves, que le fait de( bruit), plus graves, pas qu’au niveau d’Oreste, des conséquences extrêmement graves au niveau de, du devenir d’Athènes, enfin c’est énorme quoi..

-  Deleuze : Oui, Ah bah oui parce que les rapports se composent il y a un enchaînement des rapports

-  Richard pinhas : les harmoniques de ta puissance de composer, au sens propre, officiel la puissance d’exécuter alors, la force physique en tant que virtuose du tambour la pièce de musique, euh ...la pièce de musique, il lui manque une harmonie terrible..

-  Il lui restera sa vérité éternelle non effectuée...Ah oui est-ce que tu veux dire, est-ce que tous les rapports doivent être effectués ?

-  Oui alors là je rejoindrais Comtesse... s’il y a un ordre des filiations chez Spinoza, cet ordre évidemment n’a rien de symbolique, c’est un ordre qui de proche en proche, fait que la Nature, comme pour Spinoza la Nature elle même est un individu qui englobe tous les individus, ben, il y a un ordre de composition des rapports, et il faut bien que tous les rapports soient effectués, oui, ça on peut dire, nécessairement la nécessité de la Nature, c’est que, il n’y aura pas de rapport non effectué, en effet, tout le possible est nécessaire, tout ce qui possible est nécessaire, ce qui signifie tous les rapports ont été, sont, ou seront effectués.

Etudiante-Il y a un exemple...

-  Ah, sans aucun symbolisme ça, ça va de soi..

-  Etudiante-Il y a un exemple assez curieux chez Clastres, enfin dans la chronique des indiens Guayaquis, quand à un moment il décrit une femme, dont l’enfant est tué, et le père apprend quelle est la personne qui a tué l’enfant, et il va à ce moment là se venger, sur quelqu’un d’autre, de la famille de cette personne.

-  Oui oui...
-  Etudiante-Et c’est très curieux parce que ça continue comme ça, disons à peu près trois ou quatre fois, et on sait pas où ça se passe mais il y a un moment où ça s’arrête , c’est à dire que ça pourrait très bien continuer et bon dans une tribu, on pourrait très bien penser que.. .
-  Oui, c’est comme si on était arrivé au bout d’une composition des rapports , bon, là ça tombe, ça va reprendre après, c’est très juste ça...Et c’est toujours comme ça dans les rapports d’association. Vous concédez de proche en proche et puis il y a un moment où le rapport ne passe plus. C’est fini, là, il s’est détendu, à force de servir de se déplacer, il s’est détendu ; Tandis que Spinoza il est très...

-  quoi ?(intervention incompréhensible d’un élève)

-  Si, sii , les rapports eux mêmes c’est les rapports eux mêmes qui ont leurs limites d’application, de déplacement, ça se distingue, alors ils ont plus à être effectués, le même rapport, il ferait pas de l’éternel retour Spinoza, le même rapport ne sera pas effectué deux fois. Il y a une infinité d’infinités de rapports, la nature entière c’est la totalité des effectuations de tous les rapports possibles donc nécessaires. Ca c’est l’identité chez Spinoza l’identité absolue du possible et du nécessaire...
-  Là vous comprenez j’ai fait une allusion à cette histoire de prophétisme parce que j’y étais poussé... Spinoza il dit une chose très simple, à cet égard, qui sera reprise d’ailleurs par Nietzsche, par tous ces auteurs dont on peut dire que en effet, ils sont, en ce sens, des auteurs qui ont poussé le positivisme le plus loin possible. Et là je reculerai pas, à propos de Spinoza devant même un mot comme physicalis. Euh, ils ont été très loin dans ce sens parce que voilà en gros l’idée qu’ils se font : Ils disent d’accord il y a des lois, ces lois c’est des lois de la nature, donc quand on parle de révélation divine il y a absolument rien de mystérieux ni de religieux là dedans, la révélation divine c’est simplement l’exposition des lois. Il y a une exposition des lois.
-  Or vous voyez ce que Spinoza appelle une loi, une loi c’est une composition de rapports. Dans une loi vous avez toujours une composition de rapports. Et c’est ça que vous appelez une loi. Et c’est ça qu’on appellera « loi de la Nature ».
-  Maintenant, Spinoza dit « les gens ils sont bornés". Alors quand on est très bornés, et ça il le dit en toutes lettres dans le traité théologico politique, quand on est très borné, on comprend pas les lois comme des lois. Alors comment on les comprend ?
-  On me dit, prenez un petit enfant à l’école, la maîtresse lui révèle : 2 + 2 = 4, 2 + 2 = 4, c’est typiquement une composition de rapports. Vous avez le rapport 2 +2, vous avez le rapport 4 , et vous avez, rapport d’identité entre le rapport 2 + 2 et le rapport 4, alors bon... le petit enfant il comprend rien. Quand vous comprenez rien, comment vous entendez une loi ? Vous l’entendez comme un ordre. Vous l’entendez comme un commandement. Le petit enfant il se dit, oh la la, euh, faut pas que j’oublie ça, euh.. 2 + 2 = 4, 2 + 2 = 4, et il a rien compris, il comprend la loi nature comme...une loi morale. IL FAUT QUE ! Et si tu dis autre chose, tu seras puni !
-  Bon vous me direz, « mais c’est vrai ça procède comme ça », oui ça procède comme ça en fonction de notre entendement borné, si nous saisissions les lois pour ce qu’elles sont, pour des compositions de rapport, et des compositions physiques de rapport, des compositions de corps, si nous saisissions les lois comme des compositions de rapports entre les corps, des notions aussi étranges que commandement, obéissance, mais nous resteraient complètement inconnues...

-  C’est dans la mesure, où nous percevons une loi que nous ne comprenons pas, que nous l’appréhendons comme un ordre. « Tu feras ceci », Dieu n’a strictement rien interdit, explique Spinoza, à Adam. Il lui a révélé une loi, à savoir, que la pomme se composait avec un rapport qui excluait mon rapport constituant. Donc, c’est une loi de la nature, exactement comme l’arsenic induit les parties du sang à prendre un autre rapport. Elles se composent avec cet autre rapport qui exclut le mien, qui exclut celui de mon sang. Adam ne comprend rien à rien, et au lieu de saisir ça comme une loi il saisit ça comme...un interdit de Dieu !
-  Alors quand je saisis les choses sous forme de « commandement/ obéissance », au lieu de saisir des compositions de rapport, à ce moment là oui, je me mets à dire « ah.. c’est le père », « ah... Dieu est comme un père... » et, évidemment, je transmet, à la fois je réclame un signe - c’est là que l’analyse du prophétisme chez Spinoza.. le prophète pour spînoza, je vous disais c’est essentiellement celui qui, ne saisissant pas les lois de la nature, va juste, dire tout le temps : « où est le signe qui me garantit que l’ordre est juste ? »

-  En effet, si je ne comprends pas que 2 + 2 = 4 ça détermine une composition de rapports, je comprends ça comme un ordre, « interdit de dire 2 + 2 = 5 », comme je comprends rien à la loi, je réclame en revanche un signe, pour être sûr, que ce qu’on m’ordonne de faire, eh ben, c’est bien ce qu’on m’ordonne de faire..

-  Donc le prophète, il est interpellé par Dieu, nous raconte l’ancien testament, il ne comprends rien, sa première réaction, c’est : « Dieu, donnes moi un signe, que c’est bien toi qui me parle », et ensuite, quand le prophète a le signe, il va lui même émettre des signes. Ca va être un langage du signe. Et le langage du signe, ben, en quoi ça se relie ? Vous allez mieux comprendre peut être ce que veut dire Spinoza, il oppose réellement, je crois que c’est même un des points les plus forts, qui serait un des points les plus modernes de Spinoza. En quel sens c’est un positiviste ? Aujourd’hui on dirait, c’est une forme de positivisme logique très, très curieuse, et physique, physico-logique, il oppose l’expression et le signe, pourquoi ?

Il dit tout le temps, Dieu s’exprime, les attributs expriment, les modes expriment... Mais justement il oppose ça au signe. C’est que, le signe est toujours, on dira en langage logique savant, le signe est toujours équivoque. Il y a une équivocité du signe. C’est à dire, le signe signifie mais il signifie en plusieurs sens. L’expression, par opposition, là, l’expression, elle est uniquement et complètement univoque. C’est le sens, il n’y a qu’un seul sens de l’expression, c’est le sens suivant lequel les rapports se composent.

-  Si bien que Spinoza, si je voulais résumer à la lettre, une des thèses du Traité théologico-politique, je dirais Dieu s’exprime, selon Spinoza, Dieu procède par expressions, et jamais par signe. Il y aurait comme deux langages. Un faux langage qui est le langage des signes, un vrai langage qui est le langage de l’expression. Le langage de l’expression c’est la composition des rapports à l’infini. Alors, tout ce que consentirait Spinoza c’est que, précisément parce que, nous ne sommes pas philosophes, parce que notre entendement est borné etc., etc., on a toujours besoin de certains signes. Il y a une nécessité vitale des signes parce qu’on comprend très peu de choses dans le monde.

-  Alors il y a une nécessité vitale des signes. C’est comme ça que Spinoza justifie la société. La société c’est l’instauration du minimum de signes indispensables à la vie. Donc il y a bien des rapports d’obéissance et de commandement. Ah bah oui... si on avait la connaissance, il n’y aurait pas besoin d’obéir ni de commander. Mais il se trouve qu’on a une connaissance très limitée. Donc tout ce qu’on peut demander à ceux qui commandent et qui obéissent, c’est de pas se mêler de la connaissance. Si bien que toute obéissance, et commandement portant sur la connaissance, est nul et non avenu.

-  Ce que Spinoza exprime, dans une très belle page du Traité théologico-politique, à savoir que, il n’y a qu’une liberté absolument inaliénable, c’est la liberté de penser. Là, dans un texte qui pour l’époque, est très, est très fort. Si vous voulez, les deux domaines, si il y a un domaine symbolique, c’est celui de l’ordre du commandement et de l’obéissance.
-  Ca c’est le domaine du symbolique. Le domaine des esprits c’est le domaine des signes.
-  Le domaine de la connaissance, c’est un autre domaine, c’est le domaine des rapports c’est à dire des expressions univoques.
-  Pourquoi faut il malgré tout un minimum de symbolisme ? Il faut un minimum de symbolisme parce que votre connaissance est étrangement finie, limitée. Et que bien plus, il faut vivre avant que vous l’ayez perfectionnée.
-  Mais, voie de conséquence immédiate, tout ordre, tout commandement, toute obéissance dans le domaine de la connaissance, est nul et non avenu. Pour le reste, obéir quant à la pratique, aux actions, oui oh oui et après tout les signes d’une société, alors le problème social, il se posera comment, le problème politique, quel est le régime politique où les signes sont les moins nocifs ? C’est à dire, empiètent moins, empiètent le moins sur la puissance de pensée et nous font faire le moins de bêtises possible, c’est à dire, laissent toutes ses chances à l’homme libre ?

-  Et sa réponse finale c’est que c’est finalement la démocratie, ce régime le plus satisfaisant. Bon, mais ça dépasse pas ça, alors, vous voyez.
-  En ce un sens, oui je corrige un peu ce que je viens de dire, je maintiens que pour Spinoza dans le domaine de la connaissance, tout rapport symbolique est absolument exclu, chassé, éliminé, que la seule dimension permanente du symbolisme c’est les signes prophétiques ou sociaux, et les signes prophétiques ou sociaux, eh ben oui, il en faut, plutôt pas prophétiques, le moins prophétique possible.

-  Il en faut parce que, nous ne sommes pas menés par la raison. Si on était menés par la raison, c’est à dire par la puissance de pensée ou de connaître, il y aurait aucun besoin de signes d’aucunes sortes. Alors en ce sens il va jusqu’à dire ah bah oui, le Christ c’est bien, c’est à dire en tant que juif, excommunié de la synagogue, et non chrétien, il présente du Christ une image alors qui est assez proche de celle de, de Nietzsche plus tard. Vous savez c’est l’opération qui consiste à imaginer, à essayer de séparer une espèce de personnalité du Christ, la personne du christ indépendamment des églises.

-  Il dit oui, que le Christ, bah oui, c’est un des hommes les plus doux et les plus sages, qui ait jamais eu lieu sur cette terre. Les églises en ont fait quelque chose d’abominable, de très terrible, bon, selon Spinoza, mais il parle tout le temps, du Christ ouh, non, là, pas tout le temps, quelque fois il parle du Christ ou de l’entendement divin. Le Christ c’est l’entendement divin, alors en deux sens, parce que lui, c’est par le Christ que passe la révélation des rapports, ça il le dirait très volontiers, mais d’autre part le Christ, il est à cheval sur deux choses. C’est le Christ qui a fait une économie des signes les plus raisonnables, finalement, qui nous permettent le mieux de vivre. Il a un bizarre christianisme personnel, Spinoza. Euh, très curieux, enfin c’est compliqué, tout ça.

-  Bon, voilà, mais on a pas fini, quelle heure il est ? Midi ? Vous êtes fatigués ? Non ? Non, j’arrête très vite, aujourd’hui.. .
-  Comtesse : Est-ce que tu dirais que la substance infiniment infinie est l’exprimée des expressions minimum ?

-  Non, parce que ça la rendrait, je sais pas, toi, ce que tu dirais mais, ça la rendrait à mon avis ça la rendrait, si je prends ta formule même, « la substance est l’exprimée des expressions », alors, les expressions seraient donc, si je comprends bien, les modes, et en effet, les modes sont des expressions, les modes, c’est des expressions de la substance. Et, ça aurait un danger je crois, euh, le danger ça serait de faire de la substance, quelque chose d’impassible et de ..., et, et de presque passif.

Alors, cette formule , « la substance est l’exprimée des expressions » à mon avis elle ne pourrait être présentée, elle ne pourrait être tenue, que si tu t’engages en même temps dans une analyse de ce que tu appelles "l’exprimé", où ce serait finalement l’exprimé qui serait véritablement actif dans les expressions.
-  Alors ça me paraît dangereux parce qu’il faut à ce moment là changer beaucoup le sens spontané de « exprimé », en t’écoutant on a l’impression, « c’est l’exprimé des expressions » , ça veut dire ça résume des expressions dont la substance résulte pas des modes. C’est elle qui produit les modes donc là c’est un exprimé qui finalement constituerait les expressions, en ce sens ça peut se dire, oui..

-  Comtesse- - Ou que la substance soit l’inexprimable des signes.

-  Non, parce que là, alors, à nouveau, si tu me permets, moi je dirais c’est un contresens, ce serait là, contrairement à la formule précédente, ce serait un contresens absolu sur Spinoza puisque, pour Spinoza, il n’y a pas d’inexprimable en droit. Il y a un inexprimable en fait qui vient uniquement de notre entendement limité, mais, il n’y a pas d’inexprimable en droit.
-  Dieu ne réserve absolument rien en lui d’inexprimable. C’est le contraire d’une théologie négative, dans ce qu’on a vu au tout début de l’année, la théologie négative nous dit très bien ça, de Boeur à Schelling, la théologie négative vous la reconnaissez en ceci qu’on nous dit : en Dieu, il y a un fond, qui en tant que fond, ou un, bien mieux qu’un fond, un sans-fond, qui dans l’expression de Jacob Boeur, il y a un sans-fond, qui comme tel est inexprimable.
-  Et Dieu pour s’exprimer, doit sortir de ce sans fond qui continue à le travailler dans le fond. Il y a toute une dialectique négative, de la théologie négative qui est très belle, mais qui est l’antispinozisme à l’état pur. Il y a absolument rien, pour la théologie négative, il y a, au sein même du plus profond de Dieu, il y a quelque chose d’inexprimable, qui va abîmer toute la mystique, tout ça. Pour Spinoza, en droit, c’est à dire si je ne tiens pas compte des limites de fait de tel ou tel entendement, en droit, Dieu s’exprime et son expression est absolument adéquate à son être. Il n’y a absolument rien d’inexprimable en Dieu. C’est ce que Spinoza veut dire en disant la connaissance est adéquate. La connaissance est adéquate au connu, c’est à dire qu’il n’y a rien dans le connu, qui excède la connaissance. Oui ?

-  Etudiant-Excusez moi, je connais pas Spinoza...( ) c’est pas un discours très matériel je trouve que c’est d’un positivisme effrayant, ennuyeux et terne , ça n’a rien de libérateur, d’abord je trouve que ce modèle de physique, pris dans ce sens absolu, c’est une utopie, pure et simple. ça n’existe plus nulle part, je veux dire, ça n’existe nulle part dans la nature, c’est les rapports qui obéissent le moins à des compositions, c’est l’utopie savante à l’état pur, c’est le monde neutre du laboratoire dans lequel on s’imagine que les grenouilles, que les hommes réagissent par des ( ?) je veux dire, c’est la théorie atomiste qui permet de se débarrasser de toutes les dimensions soit arbitraires, soit subjectives, soit en fait énigmatiques, dans le langage et dans la poésie par exemple, quand vous rapprochez Nietzsche de Spinoza dans un sens positiviste, là je crois quand même, c’est à dire que chez Nietzsche, il prend le risque de laisser, d’abandonner lui aussi le monde physique dans lequel( ?), au profit d’une expérience complètement énigmatique par laquelle il est possible de formuler autrement les rapports de l’être et du vivant, je voudrais pas dire mais, moi, ce côté positiviste de savant, ça ressemble...

-  moi c’est drôle, ça me semble très matériel.

-  Etudiant- l’excitation qu’il y a autour de la biologie, par exemple, le rêve du discours neutre qui permettrait de se débarrasser de la véritable dimension, qui est l’énigme, en fait, le problème avec le symbolisme, le symbolisme, est tout de même autre chose que le commandement, que l’obéissance, de l’ordre de l’obéissance...
-  Je parle pour lui...pas pour lui...je suis navré, pas pour lui.
-  Quand on réduit le symbolique à la dimension d’obéissance, je suis désolé c’est une restriction...

-  Ah oui, c’est une restriction même, voulue, c’est une restriction très volontaire.

-  Etudiant-Oui alors par exemple dans le monde des animaux, quand il montre des animaux, c’est symbolique, le physique tout ça n’existe pas, n’est pas exprimé, la langage, enfin, c’est pas du tout ça, enfin deux animaux, deux loups se battent, par animaux se contentent d’une bataille, d’une expression de soumission symbolique.

-  Voilà, écoutez moi bien

-  Etudiant-le problème c’est qu’il y a un intérêt métaphysique. Là le problème, c’est qu’il y a peut être un intérêt supérieur de l’espèce, qui ne s’exprime pas, que la physique est incapable, du moins dans le domaine de la physique...

-  Je vais vous dire, attendez ...attendez...(l’étudiant continue de parler) ce que vous dites m’intéresse énormément parce que c’est presque une épreuve de l’utilité là, de ce qu’on fait ici. Alors ça m’intéresse énormément tout ce que vous venez de dire. Vous avez dit beaucoup de choses. Mais, écoutez moi bien là, je voudrais à votre tour, parce que je vous parle très sincèrement.
-  Vous me dites, vous dites, je ne connais pas Spinoza. Ca me convient. Parce que, mon rêve ça serait que.. cette étude, ce cours serve presque à deux sortes de personnes à la fois. Celles qui connaissent Spinoza et celles qui ne le connaissent pas du tout.
-  Alors ça, c’est très bien, je souhaite qu’il y ait ici beaucoup de gens qui n’ont même jamais lu Spinoza. Je voudrais qu’ils se mettent à le lire. Mais seulement si ça leur plait. Et puis, mais il m’en faut aussi qui le connaissent, sinon euh.. c’est ça qui m’empêche de dire des choses qui euh.. là dessus vous me dîtes que vous, personnellement, ne connaissant pas Spinoza, en m’entendant vous me faites confiance et puis vous vous dites, ah bah oui si il le dit c’est que Spinoza a bien du dire ce genre de choses. Et vous me dites « eh ben mon impression c’est que.. » vous avez dit deux choses, successivement, c’est que ça n’est absolument pas libérateur, non vous avez dit trois choses :
-  ce n’est absolument pas libérateur,
-  deuxièmement c’est utopique à la manière d’une utopie scientiste, et ,
-  troisièmement, ça tue finalement toute la dimension vraiment symbolique, qui n’est pas celle de l’ordre et du commandement, mais qui est celle du poétique.

Voilà il me semble en gros vos trois réactions. Alors là ne voyez de ma part aucune insolence, à ce que je vais vous dire : parmi ceux qui suivent, ce cours, c’est très normal que, encore une fois il y en ait qui n’aient jamais lu Spinoza. Si au bout de, quand même beaucoup d’heures, c’est pas la première fois que vous venez, ah c’est la première fois ? alors euh, bon, mais, si vous étiez venu depuis plusieurs fois, je vous dirais, c’est presque les conventions qu’on a passé tous ensemble, vous venez à un cours, si ce dont il est question dans ce cours vous parait non-libérateur et plutôt abstrait et sans grand intérêt, surtout, euh, ça va de soi que, il faut pas revenir, quitte à ce que vous reveniez m’entendre quand j’aurai changé de sujet, pour voir si ça vous convient. Donc, je ne peux absolument rien objecter à votre réaction si vous me dites, moi, ce que vous me dîtes de Spinoza, ça me fait un effet non libérateur.

-  En revanche, moi je vais vous dire : c’est là où il y a un problème : c’est que moi, tout ce que je raconte, ça me paraît à moi extraordinairement libérateur, extraordinairement concret. Alors, je me dis, pour moi, c’est non utopique et libérateur au plus haut point. Alors je me dis ça devient de plus en plus intéressant puisque vous et moi, on est fait pareil, euh, en apparence, et vous ça vous paraît étouffant et abstrait. Moi ça me paraît très gai, très concret, très libérateur.
-  Je prends le dernier point : manque de poésie, vous dîtes. Des poésies il y en a tant, pour moi, Spinoza est vraiment, dans la philosophie un des plus grand poètes qui aie jamais existé. Alors ça me trouble encore plus. Votre réaction sincère à vous, c’est, c’est vraiment pas poétique et, vous invoquez l’exemple des animaux. Alors je me dis ben oui, il y a quelque choses qui est à la fois dans notre rapport vous moi, il y a quelque chose de raté, que j’ai pas su vous faire sentir, vous faire passer à vous, cet espèce de souffle étonnant de poésie.
-  Parce que voilà ce que je voudrais dire à cet égard. Vous avez pris vous même l’exemple de certains animaux. En disant quand même, même chez les animaux il y a une dimension symbolique du comportement. Et ça ne se ramène pas à des compositions de rapports. Parce que, les compositions de rapports, ça écrasent toute poésie.

-  Je voudrais juste vous faire sentir, pas du tout pour vous persuader, parce que, mais presque pour les autres, moi, je dis au contraire pour moi, ça me paraît, cette vision, cette composition de rapports que à travers les choses, ce sont des rapports qui se composent ou non, ou qui se décomposent, ça me paraît extraordinairement poétique.

-  Puisque vous aimez les dimensions symboliques de l’animal, je prends un exemple typique de la dimension symbolique. Des animaux se menacent, et c’est une menace qu’on appelle symbolique. Bon, c’est à dire retroussement de babines, chez les loups il y a des dimensions symboliques comme ça. Euh.. dans tous les rapports hiérarchiques, vous savez tout le monde sait ça, les rapports de hiérarchie, alors ils se battent pas vraiment, et, il y a le mâle, le vieux mâle, qui se retrousse les babines, le poil se hérisse, bon... Ca, c’est un certain type de langage, qui semble être un langage de signes. Bon et puis, il y a un moment où une bataille, dont on ne sait pas très bien si elle est symbolique ou si elle est déjà passée à un stade réel, s’ébauche. Et puis, il y en a un des deux qui se couche, et qui présente son ventre ou qui présente son cou, et à ce moment là, le mâle gagnant s’en va. Et, comme disent tous les éthologues, c’est typiquement une présentation symbolique. L’animal pose sa défaite, avoue sa défaite, en tendant la veine jugulaire. Et, à ce moment là il n’est pas attaqué. Le mâle qui a gagné s’en va. Ca paraît éminemment symbolique.

-  Ben oui, mais, je ne dis pas que Spinoza a raison, mais vous vous ne pouvez pas dire, que, il néglige de pareils phénomènes au contraire, puisque toute sa conception des rapports est faite pour rendre compte de ça. Qu’est-ce que fait le petit loup, quand il tend, quand il se couche, et tend son cou ? Il révèle au loup mâle, dirait Spinoza, il révèle tout son corps sous un nouveau rapport. Un certain rapport. Tout à l’heure, le petit loup il courait auprès des louves. Le gros loup, il n’aime pas ça . Bon. Il y avait quoi là ? Si j’essaye de traduire en termes Spinozistes, je dirais que l’affrontement des deux corps se faisait sous des rapports non composables. Supposons un cas, une horde de loups, il n’y a qu’un mâle, chef, qui a toutes les femelles. Le petit loup il court derrière les femelles ça ne va pas. Il y a comme des rapports là, qui vont se heurter. Les rapports qui vont se heurter, ils se heurteront vraiment quand les deux corps sont en contact. Tant que l’arsenic est à dix mètres de moi, il ne me décompose pas. Si je l’avale il me décompose. Le petit loup, bon, il est là. Les deux corps, le corps du vieux mâle et du petit loup, vont se heurter. C’est du point de vue d’une logique des rapports que s’établit ce qui nous paraît un langage de signes : les babines qui se retroussent, le poil qui se hérisse, etc. à savoir c’est exactement du type, j’arrive sur quelqu’un, et je fais ça (geste), c’est symbolique, c’est symbolique.

-  Qu’est ce que c’est ? Je présente mon corps sous un certain rapport. C’est ça que Spinoza il.. et ne me dites pas que c’est pas comme ça...j’essaie de faire sentir, même au besoin à d’autres que vous, ce qu’il y a de profondément poétique dans cette vision.
-  Lorsque le petit loup qui ne s’estime pas le plus fort, se couche et tend sa veine jugulaire, admirez ce qui à mon avis est très très poétique qui s’est fait, il présente, d’un coup, tout son corps, sous un tout autre rapport. Il y a eu une espèce de changement. Le petit loup se dérobe devant la confrontation des deux rapports opposés, il recule devant cette opposition de rapport, il se couche, il tend sa veine, il présente son corps sous un rapport éminemment composable. Et c’est précisément pour ça, que le grand loup, c’est pas du tout pour des raisons, dirait Spinoza, c’est pas du tout pour des raisons symboliques.

-  C’est parce que le petit loup présente alors son corps sous un rapport éminemment composable avec celui du grand loup que le grand loup ne le mord pas, c’est donc une composition, on pourra l’appeler tout ce que vous voulez, poétique, lyrique, les rapports qui se composent forment une nature, mais la nature la plus lyrique du monde. Lorsque vous, vous n’en retenez que l’aspect scientiste, c’est que vous coupez ces compositions de rapports de ceci : que les rapports se composent physiquement suivant des lois, mais que l’effectuation des rapports se fait dans des corps concrets, et que ces corps concrets ont toutes sortes de démarches, d’allures qu’est ce que j’appellerai, « l’allure » d’un corps, notion éminemment poétique, « l’allure » d’un corps, c’est très typiquement la facette sous laquelle un corps se tend, c’est à dire pour présenter tel rapport plutôt qu’un autre.

-  Prenez une scène, euh, prenez une scène d’amour, prenez une scène de séduction, une jeune fille séduit un jeune homme, ou inversement, vous me suivez ? Quoi de plus poétique ? Or, si vous considérez les corps, si vous considérez le langage des signes qui a lieu, bien sùr il y a des signes qui viennent de notre entendement borné, mais, il y a aussi quelque chose d’autre, c’est les signes les plus grossiers, c’est pas ceux là qui sont intéressants. C’est pas ces signes... c’est pas les clins d’yeux, c’est pas non, c’est pas ça mais c’est ce qui est intéressant dans les scènes de séduction quand elles sont sincères et vécues, c’est toutes ces facettes du corps, toute une espèce de danse involontaire, c’est jamais ce qui est volontaire qui est intéressant, un tremblement de voix, un regard involontaire, tandis que si il s’agit de.. comme on dit si vulgairement faire de l’œil, c’est pas intéressant, ça, ça fait pas partie d’une scène de séduction, mais, c’est à chaque moment le corpsquichange de facette, car, comme les rapports ontnécessairementeffectuésdans des corps, ils ne s’effectuent pastous seuls,ça on l’a vu, ils s’effectuent fondamentalement dans des corps.

J’appellerais, c’est pas un terme spinoziste mais il aurait pu le faire, euh, parce que , oui.. vous êtes mon Blyenberg à moi, c’est, la facette d’un corps, c’est l’aspect sous lequel le corps présente tel rapport plutôt que tel autre... Et ça peut être un mouvement minuscule de hanches, ça peut être... voyez, prenez la manière dont les gens disent bonjour, c’est très intéressant la manière dont les gens disent bonjour. Il y a pas deux personnes qui disent bonjour de la même manière, dire bonjour à quelqu’un, c’est un bon cas, dire bonjour à quelqu’un, c’est exactement, enfin en termes spinozistes, c’est quoi dire bonjour à quelqu’un ? Deux corps s’approchent l’un de l’autre, ouh la la.. comment qu’ils vont se recevoir l’un l’autre ? Comment ils vont atténuer le choc ?

-  Alors il y a des gens qui disent bonjour à distance. Ca, c’est le bonjour schizo. Le bonjour schizophrène, c’est (geste, rires) tu franchis pas cette limite, et au besoin, si vous êtes bien, le schizo il vous donnera la main comme ça (rires), il faut pas franchir la limite, ce serait au delà de cette limite de corps, les rapports se composent plus. Les rapports vont se décomposer, donc c’est très, très, très variable toutes ces histoires. Il y a au contraire les, les comment dirais-je, les toucheurs. L’accolade, le bonjour à l’accolade euh, qu’est-ce que ça peut être, les maniaques, faut.. « ah t’existes, ah t’es bien là euh... », ou bien non, ça serait le bonjour hystérique, ça. Le bonjour hystérique, c’est la pure présence. Tu seras jamais assez présent. « Touches, comme je suis présent, tu vois je suis là, tu m’as vu ? je suis là. Oui, tu m’as bien vu ! c’est vrai ! Tu m’as vu ? mais c’est moi, einh, et c’est toi ! » Voilà, ça, c’est le bonjour hystérique, vous voyez ? Alors, choisissez vous même, et, il n’y a pas que ça, il y a pas que ce problème de distance, entre les corps. Il y a des problèmes de présentation de facette.

-  Je me rappelle un monsieur, qui me disait toujours bonjour, ça me fascinait - j’ai jamais pu trouver... Il disait bonjour, c’est très curieux, il collait sa main, sur sa hanche. Elle sortait de sa hanche. Et, il pivotait sur sa hanche, et, il fallait, euh...aller chercher la main sur la hanche, euh..(rires) ça faisait comme ça.

-  et les gens qui tendent deux doigts, ça existe, ça, c’est bien connu, il y a des pages de Proust admirables sur le salut du prince de Guermantes, le prince de Guermantes qui a un salut tellement sec et admirable, là, que on se recule parce qu’on a peur de recevoir sa tête en plein dans l’estomac, quand il vous salue, avec une espèce de grande politesse exagérée ..

-  Il y a ceux qui font des démonstrations de joie telles qu’ on les croit pas on se dit, mais c’est pas croyable, ils peuvent pas être tellement contents de me voir, faut pas, faut pas exagérer...

-  Et dans le thème du bonjour, qu’est-ce que vous auriez, vous, dans une analyse spinoziste, vous auriez plusieurs points. Il faudrait tenir compte d’une première variable. Alors si vous me dites que c’est pas poétique, moi, je vais m’expliquer en dernier sur ce point. Pas poétique.

-  Mais je dis, il y aurait au moins trois variables dans le bonjour, dans une théorie spinoziste du bonjour. Vous auriez l’approche des corps. C’est pour ça qu’il peut dire, il n’y a pas d’idée, abstraite, tout est question du pas particulier, les rapports qui se composent , c’est vrai, vous avez l’approche des corps. Comment deux corps s’approchent-ils c’est à dire s’évaluent-ils, du point de vue des petites perceptions dont je parlais la dernière fois, est-ce qu’ils s’évaluent comme dangereux, c’est évident que dans l’univers schizophréniste, toute approche d’un autre corps est dangereuse, bon, donc maintien à distance.

-  Vous avez ce thème, donc quelle est la bonne distance de deux corps ? Ca, c’est une première variable. Elle peut varier, d’après les corps, d’après toutes sortes de choses, c’est un peu comme si je disais il y a une bonne distance pour voir, mais c’est pas la même bonne distance pour vous voir vous, ou pour voir un tableau. C’est pas la même, il y a des variations de distances suivant la nature des corps en rapport.
-  Donc ça a serait un premier type de variable : La distance entre les deux corps.
-  Deuxième type de variable, les facettes sous lesquelles se font, la rencontre des deux corps. Par quel bout ils se prennent ?

-  Et là j’appelle facette encore une fois, la manière dont un corps se présente et se présentant, le profil sous lequel il se présente, et se présentant présente tel ou tel rapport. Il est évident que le petit loup qui gronde, et le petit loup qui découvre sa veine jugulaire, ne présente pas son corps sous le même rapport. Le rapport a changé. Et je plaide pour l’extraordinaire mobilité du corps humain, mais également du corps animal, pour présenter des facettes à une vitesse, là le thème de la vitesse, le thème spinoziste de la vitesse ressurgirait à une vitesse multipliée. La manière dont un corps peut tout à coup changer de vitesse, en passant d’une facette où il présente un rapport de soumission, c’est un rapport la soumission, c’est toujours soumission à quelque chose à quelqu’un, il présente un rapport de soumission et il passe à une autre facette, où il passe à un rapport de, au contraire, de provocation. Là aussi c’est une question, c’est en rapport avec la distance des corps.
-  Par exemple un type m’arrive dessus et dit : « qu’est ce que t’as dit, toi, tu veux mon poing sur la gueule ? »je dis « oh non non non non » et puis il s’en va, il s’en va, et alors je fais le malin, je dis « ah, hin, hin, le pauv’type, » mais je le dis pas trop fort, « pauv’type, einh, t’as eu peur, einh ? » alors il revient et je dis, « oh, non.. » (rires) vous voyez, perpétuellement en même temps que les distances changent, les facettes du corps changent.

-  Et enfin troisième variable, quel rapport se compose avec quel autre ? C’est très variable ça, il n’y a pas deux cas semblables. Tantôt c’est telle zone, telle région de rapport, quel rapport se compose plutôt qu’un autre tout ça, rien que dans la rencontre de deux corps, alors j’ajoute pour en finir avec cette question : poétique ou pas ? Libérateur avant toute chose, tellement, tellement libérateur que c’est une manière de vivre. Et il n’y a pas de manière de vivre qui ne soit libératrice. Si je comprends bien, vous, lorsque vous dites, c’est pas libérateur, vous voulez dire j’ai rien à en faire pour ma vie, il n’y a pas de mal à rien avoir à faire de Spinoza pour sa vie. C’est que, vous avez à faire avec quelqu’un d’autre. Vous aurez à faire avec d’autres.

-  Mais, je dis poétique ou pas. Bah, à mon avis là aussi on pourrait dire, il y a deux sortes de poésie, tout comme je disais au début, il y a l’ontologie et puis il y a la théologie négative, il y a une poésie qui est vraiment la poésie de la lumière, et puis il y a une poésie qui est la poésie de l’ombre. Bon. Mettons. On peut trouver d’autres types de poésie. Il va de soi que si Spinoza a une poésie c’est une poésie de la lumière crue.

-  Il y a aussi des peintres de la lumière et des peintres de l’ombre. Rembrandt c’est un grand peintre de la lumière. Et comme dit Claudel dans le texte que je citais, "ce qu’il y a de prodigieux chez Rembrandt, c’est que c’est la lumière qui sépare". Ca ne veut pas dire que tout va bien, au contraire, c’est la lumière qui sépare. C’est la lumière peut être aussi qui réunit mais il se trouve que c’est la lumière qui désagrège, dit Claudel à propos de Rembrandt. On pourrait dire ça de Spinoza aussi, c’est la lumière qui décompose, chez lui. Tout se fait en pleine lumière, c’est une poésie de la lumière crue. Il n’y a jamais une ombre chez Spinoza.

-  Alors si pour vous la poésie est fondamentalement rattachée à une dimension symbolique, c’est à dire, ombreuse, c’est à dire où il y a toujours un excès, de l’inexprimable sur l’expression, où il y a toujours un plus finalement ou un moins, c’est pareil, un signifiant en plus ou un signifiant en moins, c’est pareil. Je dis que actuellement, simplement, beaucoup, parce que certains d’entre vous peuvent y penser, les théories, beaucoup de théories du signifiant et de la dimension symbolique, sont des théories qui interprètent toutes sortes de phénomènes dans les termes de la plus pure théologie négative. Je ne dis pas que ce soit mal, c’est comme ça, alors à coup sûr, là il y a une espèce de.. « est-ce qu’on peut aimer les deux ? » oui, sûrement, si.. au nom d’un troisième alors.. au nom d’un troisième point de vue, vous pouvez aimer les deux..

-  Mais, à un certain niveau, c’est évident que Spinoza c’est le contraire de cette poésie de la théologie négative, de cette poésie de l’ombre, etc... Dire que, il n’y a pas de poésie, moi ça me paraît très... Pour moi il y en a une immense...une immense... alors moi, je dirais, au point où on en est faut pas s’en faire, personne, ni vous ni moi nous n’avons raison, vous vous me dites et moi ça me fait un effet bon vous ça vous fait un effet, eh bon, que dire ? Je ne peux pas vous contrarier je ne peux pas vous dire que vous avez tort, vous me dites : moi ça me fait un effet plutôt lourd, asphyxiant, enfermant, utopique et non poétique. Ah...

Etudiant-Le problème c’est pas ça, le problème, c’est..(réponse inaudible)

-  J’ai déformé, moi ? c’était pas mon intention. Non mais pardonnez moi parce que, ça je tiens énormément à ça , à aucun moment même si j’ai déformé, je ne me suis moqué...

-  Non, vous avez objectivé.

-  Ah, d’accord
-  C’est à dire c’est la même chose, le débat est là dessus, il est sur l’objectivation...là vous avez opposé votre démarche en effet , actuellement il y a deux clans...

(l’élève continue à parler mais on entend mal ce qu’il dit)
-  mais au fond vous avez une réaction typique, je déteste..

-  C’est à moi ou à Spinoza que vous dîtes ça ?

-  Etudiant-Ce qui a été dit ça venait sûrement d’un point du vue religieux,

-  je ne vous ai pas prêté cette idée, mais ça ne fait rien

-  non moi non plus je ne crois pas..

-  Etudiant : ce qui me gêne c’est que finalement le point de vue philosophique, le point de vue existentiel et tout ça, c’est le point de vue savant typique c’est à dire, pour lequel les rapports existentiels s’expriment, peuvent s’expriment en toute neutralité, la lumière crue, peut aussi bien être la lumière de laboratoire(...) il y a un mot que vous n’avez pas relevé justement(...) c’est l’énigme, c’est le propre de l’énigme. Quand Nietchze parle parle du (...), il ne s’agit pas de ça. Cette lumière crue dans ma tête, on a l’impression que les rapports atomiques(...)peuvent se décomposer de manière rationnelle je vois très bien(...)comment vous essayez de marginaliser la théorie de Spinoza, ou plutôt comment vous essayez de la marginaliser par rapport à vous même(...) vous faites comme si on pouvait se débarrasser de ce carcan mathématique monstrueux, y compris du caractère atypique de la philosophie à cette époque, vous parlez de le poétiser, en insistant sur des observations marginales, par exemple, vous avez décrit le truc du combats des animaux, par exemple vous avez décrit les rapports de séduction, les bonjours les... c’est des observations marginales par rapport à (...), le problème central c’est si dans une philosophie(..)il y a un tel carcan mathématiques dans la présentation du discours, si il y a un telle rhétorique mathématiques, c’est, vous pouvez tout de même pas oublier, oublier de dire à quel point ça se situe, le savant fait de la poésie dans son laboratoire (..) c’est à dire dire, son regard ne cessera jamais d’être objectif, de viser à une neutralité parfaite, autrement dit : il sépare, le projet c’est un désengagement total de l’acte existentiel(...)là, là c’est que Nietzsche ne se désengage pas, il plonge dans cette abîme de l’existence et puis là, il y rentre. Et lorsque je vous décrivais(...)toute votre description, d’un savoir qui peut s’objectiver à tout moment.

-  Je ne peux vous dire que très rapidement deux choses avant que l’on en finisse aujourd’hui. C’est d’une part, que si il s’agit de nous dire que Spinoza et Nietzsche ce n’est pas la même chose, d’accord. C’est pas la même chose. Dire qu’il y a des différences énormes entre Spinoza et Nietzsche, oui. Mais, vous ne pouvez pas me reprocher de parler de Spinoza plutôt que de Nietzsche. Ce contre quoi je proteste en tous cas, enfin je proteste comme ça, c’est l’idée qu’il y ait la moindre atmosphère de laboratoire chez Spinoza. En quoi, et, je me défends surtout de ce que vous dîtes..

-  Etudiant-Cette histoire d’araignées moi ça m’a..

-  Mais cette histoire d’araignée, il ne l’a pas écrit, cette histoire d’araignée, il ne l’a pas écrit c’était sa récréation,...

-  Etudiant-Mais c’est ridicule cette histoire d’araignées, il fait des combats d’araignées, il est dans sa petite chambre...

-  Ben.. il faut bien qu’il s’amuse, écoutez (rires). Euh, je dis juste que, Spinoza, quand à la question : est-ce que en effet là c’est un reproche qui me touche d’avantage ? est-ce que je prend certains textes de Spinoza, qui sont malgré tout des textes marginaux, et que je leur donne une importance disproportionnée ? à ça je répondrais pour tout le monde que, il me semble, que quelque soit l’appareil géométrique, vous, vous semblez avoir du coup bien évalué pourquoi il employait une méthode géométrique. Moi, ça me paraît, à la fois évident qu’il emploie une méthode forte géométrique, mais, ça me paraît très complexe de voir pourquoi.

-  C’est un peu comme si vous me disiez, alors je reviens à mes peintres abstraits, oh ben ces peintres abstraits qui font des ronds, des carrés, des triangles, il n’y a pas de poésie, il n’y a pas de vie.

-  Or il se trouve que quand même tout le monde sait que ce sont en effet de très grands peintres , c’est à dire qu’il faut croire que leur carrés ne sont pas simplement des carrés, au sens géométrique brut, mais que, en faisant ces carrés géométriques ils font passer quelque chose de très bizarre, par quoi c’est de la peinture, et pas de la géométrie. Eh ben, je dirais la même chose de Spinoza. parce que sa méthode géométrique, il l’applique à un livre où il nous parle de quoi d’un bout à l’autre ? A mon avis, on pourrait dire autre chose mais à mon avis, l’éthique est un livre qui ne parle d’un bout à l’autre que de la Vie et de la Mort. Et non pas la vie et la mort en laboratoire, mais la vie et la mort telle qu’elle nous arrive et telle qu’elle peut nous arriver.

-  En ce sens, tous les textes que je peux tirer de Spinoza, à condition de les citer, tous les textes que je peux tirer sur ce problème, qu’est ce que c’est que les manières de vivre, pas du tout en laboratoire, mais dans la vie et dans la société telle qu’elle est, à l’air libre, c’est à dire dans la lumière, qui est pas du tout la lumière des laboratoires, qui est, qui est la lumière des Pays-Bas au 17eme siècle, qui est aussi bien notre lumière que la lumière. Telle manière de vivre, telle manière de mourir, ça me paraît le contraire du problème marginal chez Spinoza.

-  Alors lorsque je fais le clown sur un truc comme bonjour, c’est parce que, c’est pas plus une clownerie que ce que Spinoza vient de nous expliquer sur "lever le bras". C’est exactement ça l’histoire de lever le bras, elle comporte autant de variables que celle que j’ai essayé de faire pour bonjour, et elle a un avantage, c’est montrer que la composition des rapports n’est pas un truc qui se fait dans le cerveau d’un savant, c’est les rapports, il nous attendent pas pour se composer ou se décomposer. -C’est ce qui se fait dans la lumière de la vie. Et la vie ne cesse pas et la vie c’est précisément ce processus de la composition et de la décomposition des rapports. Il se peut que Spinoza aie tort, mais ça me paraîtrait injuste d’en faire une espèce de savant, qui contemple les gens comme des insectes. Si il joue avec les araignées c’est parce qu’il faut bien se reposer, on a tellement de rapports sur le dos que c’est plutôt gai de regarder un peu les rapports des autres. Ca oui, ça oui, mais c’est pas lui qui écrit sur les araignées. C’était un plaisir qui.. et d’autre part, dernier point, peut-être que c’était faux.. Peut être que c’était faux peut être que ça n’est pas vrai puisqu’on ne sait ça que par un tiers, tiers hautement suspect, d’ailleurs, et qui n’aimait pas Spinoza, donc et qui veut peut être le discréditer alors j’ai eu tort de raconter l’histoire parce que...

-  (intervention d’un élève sur Nietzsche)

-  Oui, ça , Nietzsche, oui, les araignées qui se... (fin de séance)

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