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77- 29/01/1985 - 3

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Gilles Deleuze - cinéma cours 77 du 29/01/1985 - 3 transcription : Morgane Marty

Bon, tout ça va à la rigueur... ça va à la rigueur pour moi, je ne sais pas si ça va pour vous ? Le texte de Barthes, j’y ajoute : les deux textes de Barthes se trouvent dans le recueil d’articles qui a paru sous le titre : « L’obvie et l’obtus », Essai critique, tome III, aux éditions du Seuil . Et le premier article concernant Brecht, s’intitule : « Diderot, Brecht, Eisenstein » - est un article court mais plus long que celui de Brecht, pages 86-95 et à mon avis, Barthes ajoute deux choses à Brecht.

-  Première chose, il ajoute un exemple lumineux - qui est peut-être dans Brecht mais ça m’étonnerait parce que Barthes l’aurait cité. Exemple lumineux - en tous cas je ne l’ai pas relu à rapide lecture - il nous dit, oui, pour nous faire comprendre, il nous dit, oui, revenons à Mère Courage. Le sujet c’est bien la guerre de Trente Ans, l’action c’est la guerre de Trente Ans. Mais voilà. Ça c’est pas le gestus. Le gestus c’est quoi ? C’est Mère Courage, prenant la pièce de monnaie qu’on lui donne - elle est cantinière - prenant la pièce de monnaie qu’on lui donne et mordant dans la pièce de monnaie. Ça c’est un gestus social, mordant pour vérifier qu’elle est vraie, et ayant une minute d’inattention. Cette minute d’inattention fera que son gosse s’en va, se perd, et elle y perdra tous ses enfants. Voilà.

Barthes nous propose de considérer cette attitude de la cantinière, ce geste au sens d’un geste, ce geste de la cantinière mordant la pièce de monnaie, comme l’exemple typique d’un gestus social. Du moins ce n’est pas un gestus social lui même - là il n’y a pas lieu de discuter chaque terme de Barthes, c’est pas exactement lui qui est un gestus social, c’est une attitude sociale. Le gestus social - Barthes nous le fait comprendre admirablement - c’est autre chose, c’est la décision de la cantinière. Qu’est-ce que c’est que sa décision ? Sa décision, c’est pas du tout de mettre la pièce dans la bouche. Ça ce n’est qu’une conséquence de la décision. La décision c’est : vivre de la guerre. Le sujet de Mère Courage n’est pas la guerre de Trente Ans mais le gestus de Mère Courage, c’est une femme qui a décidé de vivre de la guerre et qui y perdra tous ses enfants. C’est ça le gestus. Bon l’exemple, bien.

Et voyez pourquoi il peut passer, rapprocher d’Eisenstein, de Brecht, là Barthes parce qu’en effet il nous dit : mais c’est exactement ce qu’on reprochait à Eisenstein. On reprochait à Eisenstein de mal choisir ses sujets. Les soviétiques lui reprochaient déjà : pourquoi est-ce qu’il prend comme sujet "le Cuirassé Potemkine" ? Pourquoi est-ce qu’il prend comme sujet "Octobre" ? On veut qu’il nous fasse des films sur "maintenant". À quoi Eisenstein comme Brecht, remarquerait que le "maintenant" n’est pas où ils croient. Que le maintenant, c’est pas plus Octobre, que "le Cuirassé Potemkine" que ce qui se passait au moment même d’Eisenstein. Que de toute manière le vrai maintenant c’est tout à fait autre chose, le vrai maintenant c’est le gestus. Une femme décide de vivre de la guerre. Et l’attitude qui correspond - et sans doute, est-ce qu’il y a un discours cohérent à ça ? Il y a sûrement un discours : le discours de la Mère Courage. Le discours de Mère Courage est le discours de quelqu’un qui a décidé de vivre de la guerre. Et on peut concevoir tous les arguments d’un pareil discours. Il peut être très très cohérent.

Seconde chose que Barthes ajoute, c’est que dans le gestus ainsi compris, il y a surgissement de ce qu’il appelle "l’instant prégnant", ou si vous préférez, le moment privilégié. On pourrait dire aussi bien le "vrai présent". Et que cet instant prégnant, ce moment privilégié, ce vrai présent, c’est l’émergence du sens.
-  Le sens commence au gestus social. Je lis, entre parenthèses - "à l’instant présent". D’où le trio, dans l’article de Barthes : Diderot, Brecht, Eisenstein - puisque comme le montre très bien Barthes - Diderot avait fait en peinture, une théorie de l’instant prégnant. Et, dans sa conception, faudrait pas aller loin, dans sa conception de la comédie bourgeoise, c’est bien évident que chez Diderot - il y a une conception en somme très curieuse de la comédie bourgeoise chez Diderot - c’est bien évident qu’il y a quelque chose, qui anticipe lointainement sur un gestus social. jusqu’à maintenant, bon, d’accord. D’accord... Alors qu’est-ce qu’il fait là ? Il a fallu que je force déjà beaucoup, il a fallu que je force les textes, il a fallu que je force ces deux très beaux textes pour dégager l’idée que le gestus c’était : le discours cohérent ou la décision correspondant à l’attitude. Je dis pas que ça n’y est pas - j’espère que ça y est. A vous de vérifier, ou de pas vérifier.. hein ? Je dis que c’est pas si simple - même si vous n’allez pas aller vérifier, je vous préviens : c’est pas si simple. C’est vrai, est-ce que ça y est vraiment ? ou est-ce que c’est moi qui tire à moi, parce que ça m’arrange, un bout de phrase ? est-ce que c’est bien l’esprit du texte ? Car il y a dans le texte, aussi bien de Brecht que de Barthes, une toute autre direction, et celle-là elle me gène abominablement. C’est l’idée que, le gestus, serait lié particulièrement au sens, parce que ce serait un geste signifiant, à la limite même, symbolique.

Pourquoi, je reprends l’exemple, mordre la pièce, c’est un geste symbolique - c’est ce que tout le monde a toujours appelé un geste symbolique - et voilà que Barthes insiste énormément - que c’est l’endroit où surgit le sens. L’endroit où surgit le sens - bon, Je veux bien - mais l’endroit où surgit le sens, alors : l’instant prégnant, l’endroit où surgit le sens - tout ça me gène. C’est à dire j’ai l’impression que j’avais cru comprendre quelque chose et puis que tout d’un coup : non ! c’est pas ça, qu’il parle d’autre chose, qu’il parle d’instant prégnant, de geste symbolique, toutes choses que je comprends mal, qui ne me disent rien, mais ça pourrait être à d’autres - ça j’y vois aucun inconvénient, vous remarquerez je ne fais aucune objection - je dis juste : là, bien là, je peux pas dire, je vois même pas de quoi il parle. Du coup je me dis, qu’est-ce qu’il faudrait faire, malgré la différence absolue des deux thèses, j’insiste, mettre ça en liaison avec un texte, beaucoup plus insolite encore, un texte de Barthes, ce texte que je vous annonçais et qui donne son titre au livre, un texte intitulé « L’obvie et l’obtus », qui va peut-être nous faire avancer et qui d’une certaine manière va peut être aussi concerner le gestus.

Moi je n’en sais trop rien, puisque je suis gêné par quelque chose dans ce texte de Barthes, autant aller voir ailleurs si ça s’arrange. Ah, voilà j’ai perdu là.. Non, ça s’appelle pas " L’obvie et l’obtus" c’est dans "L’obvie et l’obtus", c’est publié sous le titre : "le troisième sens", « Le troisième sens - notes de recherche sur quelques photogrammes d’Eisenstein. » Et ce texte est célèbre chez beaucoup de [...](coupure)

[...]avec le texte précédent qui commentait le gestus chez Brecht, etc... Qu’est-ce que nous dit ce texte alors ? où là je vais être très très, très incertain puisque c’est celui auquel je ne comprends rien. Barthes nous dit : il y a un premier niveau de l’image. Il y a un premier niveau de l’image qui ne fait pas problème - enfin, il dit en tout cas : c’est pas de ça dont je m’occupe - c’est le niveau de la communication. Un niveau informatif : la communication. Et si je comprends bien, la communication, c’est ce que représente l’image. C’est la dénotation, c’est le niveau informatif. Exemple : le couronnement d’Ivan le Terrible - en d’autres termes, en très gros, on peut dire ce premier niveau, on voit ce que c’est - c’est pour emprunter, pour reprendre nos mots précédents :
-  c’est le sujet ou c’est l’action. En effet, le sujet d’une œuvre ou le sujet d’une séquence, le couronnement d’Ivan le Terrible, admettons que ce soit de la dénotation de l’information - déjà il y a énormément de choses qui me gènent là dedans, mais, je comprends, d’accord je comprends. il nous dit : deuxième, il y a un deuxième niveau. Deuxième niveau, c’est dit-il, un niveau symbolique. Donc voilà déjà que ça va se compliquer puisque le niveau symbolique, c’est pas celui que je croyais. Un niveau symbolique. Comment est-ce qu’il définit le niveau symbolique ? et bien il le définit d’une drôle de manière, il dit : c’est le niveau de la signification, non plus de l’information, c’est le niveau de la signification.

Et qu’est-ce que c’est ? Et bien, dans la scène du couronnement "d’Ivan leTerrible", il y a le couronnement, et puis il y a, faisant partie du couronnement, la pluie de pièces d’or sur la tête du tsar. Deux personnages, d’un coté et de l’autre du tsar, font ruisseler sur sa tête, - on voit enfin pour ceux qui se rappelle "Ivan le Terrible", c’est une très très belle image - "la pluie des pièces d’or". Déjà je comprends plus rien. Il en fait un niveau spécial. Je demande en quoi - pour vous dire j’ai pas honte de pas comprendre alors, je demande en quoi - c’est pas, c’est pas une objection, là, ça me gène - je demande en quoi la couronne n’est pas symbolique, est informative et la pluie des pièces d’or, elle est symbolique ? Je ne vois absolument pas, ce que je vois c’est tout autre chose - que dans l’organisation de l’image, elle serait quelque chose qu’on a vu, donc je vais très vite - on peut dire que la pluie des pièces d’or et leur tintement, et la chute des pièces d’or sur le tsar est une harmonique de l’image. C’est à dire que par rapport à une tonique ou par rapport à ce que Eisenstein appelle en terme simple "par rapport à la dominante de l’image", je peux dire que la pluie des pièces d’or, c’est une harmonique et je ne vois pas en quoi, elle est elle même plus symbolique que la couronne, le sceptre, etc... Je ne vois pas ! Bon ça c’est... Mais, donc je ne vois pas lieu comme en plus, je n’ai pas le sentiment que dans l’image cinématographique il n’y ait la moindre dimension de communication ou d’information, ça m’arrangerait plutôt que l’on m’accorde que les deux là, n’en font qu’un - que ces deux premières dimensions, n’en font qu’un.

Bon. Mais, dit Barthes, il y a un troisième sens. il y a un troisième sens. Et là alors on retrouve tout Barthes. C’est je veux dire, c’est un texte extraordinairement émouvant parce que tellement tellement, c’est tellement lui avec son génie à lui. C’est vraiment à un niveau ! enfin c’’est je ne sais pas quoi, c’est une espèce d’impression mais c’est pas de l’impressionnisme - c’est quelque chose qu’il sent. Il sent et son écriture c’est dire ce qu’il sent, c’est : il a senti quelque chose. Euh, il prétend pas que tout le monde le sente, il dit : c’est très bizarre, "je sens qu’il y a un troisième niveau".

Alors on l’attend aux exemples, puisqu’en effet ça va partir d’exemples. Et je donne le plus frappant parce que si je commençais par l’exemple qu’il donne, au début, on serait, il me semble, encore plus perdu. Je donne le plus frappant. Il dit, dans "Le Cuirassé Potemkine", il y a des attitudes. Bon ça, ça nous convient, on retombe dans un domaine... il y a des attitudes, les fameuses attitudes eisensteiniennes avec lesquelles se confondent les images signées Eisenstein. C’est un grand cinéaste d’attitudes. Par exemple, dans la grande scène du deuil, toutes les attitudes de chagrin. Ce sont des attitudes. Mais disons que - oui, j’ai oublié l’essentiel - les deux premiers niveaux, que distingue, Eisenstein - acceptons de les grouper sous le terme : "sens obvie", dérivé du latin obvius, obvius c’est : "ce qui vient au devant", ce qui vient au devant. Sens obvie.

Et bien, les attitudes de chagrin ont un sens obvie. Par exemple : toute une série, toute une série de plans où vous voyez des femmes dans des attitudes de chagrin. Et à cet égard Eisenstein est l’équivalent d’un très grand sculpteur et d’un très grand peintre. Voilà. Et puis voilà que Barthes commence à dire des choses si étranges, si étranges... Il dit : j’ai eu l’impression que j’aurai beau dire : attitude de chagrin, ça ne rend pas compte de certaines choses, dans certaines images. Et il prend l’exemple d’une pauvre vieille qui crie son désespoir - image de la vieille femme clamant son désespoir, criant son désespoir. Et il dit : vous pouvez considérer - Barthes dit, vous pouvez considérer - elle est coiffée d’une espèce de toque - et vous pouvez considérer la suite des images, c’est une attitude de désespoir parmi les autres - attitude de désespoir, c’est le sens obvie. Et puis - survient ou peut survenir, dit Barthes - une image qui vous fait une drôle d’impression. Dans quelles conditions la voyez-vous ? ça je reporte ce problème à plus tard. "Comme si il y avait un plus, un trop. C’en est trop." Qu’est-ce que c’est ce « c’en est trop » ? Un supplément, un supplément à l’attitude. Il donne la production des images et en effet il y en a une où cette vieille qui clame son désespoir, a sa toque qui semble - vu l’angle où elle est prise - la toque semble presque rejoindre les sourcils. Il suffit en effet que la tête que l’objectif la prenne d’un certain plan, la toque semble descendre presque au niveau des sourcils, ou bien elle-même va hausser les sourcils. Vous avez donc la raie de la toque, les sourcils qui touchent presque la toque et enfin la bouche complètement en arc de cercle - ensuite elle ne le sera plus - qui reprend la ligne de la toque. Alors, il donne un exemple, il donne le photogramme cinq, ce qu’il appelle le photogramme cinq - vous le verrez dans l’article si vous allez le voir - et puis le photogramme six, il dit : dans le photogramme six, ça a disparu. Quelque chose c’est posé un instant - voyez l’instant prégnant, on retrouve déjà un thème, l’instant prégnant - un instant quelque chose s’est posé : un plus du sens obvie.

Mais qu’est-ce que c’est ? Alors, nos réponses abondent, on pourrait dire : c’est un détail décoratif. On pourrait dire, c’est une rime visuelle, il y a des rimes visuelles, il y a une rime entre la bouche et la toque. Et dans les autres photogrammes, dans les autres images, il n’ y a pas de rimes, ou il n’y a pas cette rime là. Non il ne dit rien de tout ça. Il veut qu’il y ait là une dimension, une dimension radicalement nouvelle, par rapport aux deux précédentes qui étaient du sens obvie. Et "ce quelque chose" de tout à fait nouveau, il va l’appeler l’opposé de obvie : sens obtus. Sens obtus. Il essaie, alors les phrases, les phrases sont admirables, les phrases sont très très belles - dans ce texte, c’est pas les phrases qui font problème. Il dit : c’est très curieux, on a l’impression que tout d’un coup un court instant, elle s’est déguisée. La vieille s’est déguisée, et pourtant - c’est très compliqué ce qu’il veut dire, cette page est très très compliquée. Et pourtant, c’est surtout pas une parodie. C’est pas une parodie de chagrin, elle est dans son chagrin. Mais si je comprends bien ce que veut dire Barthes, c’est comme si son chagrin l’avait déguisée. Au sens où par exemple Proust peut dire, dans des pages très célèbres, que la vieillesse avait déguisé le visage des personnes qu’il retrouve au bout de dix ans, vingt ans. C’est comme si la vieillesse les avait déguisés. Là c’est comme si le chagrin l’avait déguisée. C’est donc pas une parodie mais, nous dit-il, un déguisement. Je lis : « la basseur de la ligne coiffante -la basseur de la ligne coiffante - anormalement tirée jusqu’aux sourcils, comme dans ces déguisements où l’on veut se donner un air loustic et niais » - je veux dire c’est très, c’est très admirable en même temps c’est très amusant, c’est très rigolo, on se dit en même temps tiens pour Barthes se donner un air loustic et niais ça euh ! ça doit être comme ça ! Pour moi ce ne serait pas ça enfin... c’est très curieux. « La montée circonflexe des sourcils passés étain vieux. La courbe excessive des paupières baissées mais rapprochées comme si elle louchait, et la barre de la bouche entrouverte répondant à la barre de la coiffe et à celle des sourcils, dans le style métaphorique : comme un poisson à sec ». Un poisson à sec. Tout cela nous donne l’impression d’un déguisement assez pitoyable. Le chagrin l’a déguisée ". j’arrive pas à dire mieux : le chagrin l’a déguisée et puis il continue, il dit - surtout c’est pas du tout, croyez pas que, il s’agit pas de dire qu’elle singe la douleur - c’est le contraire, c’est comme au sommet du chagrin que le chagrin la déguise. Et, à ce sommet, qui nous serait ouvert, ce serait comme un angle obtus. C’est à dire apparaîtrait dans cette ouverture, un sens obtus.

Je termine sur deux points. Il donne d’autres exemples tirés de Eisenstein. Ces exemples m’apparaissent alors du coup, si peu, si peu convainquants que je crois que - d’ailleurs on le sent dans la manière - c’est au niveau de la vieille femme qu’il a eu, qu’il a eu l’émotion. Mais, je dois signaler par honnêteté qu’il donne d’autres exemples toujours empruntés à Eisenstein au point qu’il nous dit : peut-être qu’Eisenstein a été le seul, à atteindre à cette dimension - que dit-il - j’appelle le sens obtus et dont lui même ne cache pas, quand il cherche à la définir - il avait défini les deux autres dimensions par information et signification - il définit cette troisième dimension par la signifiance, empruntant le mot à Julia Kristeva, à la signifiance et il le définit de la manière suivante : c’est un signifiant sans signifié. Donc, toute cette image de la vieille dame que le chagrin déguise, c’est un signifiant sans signifié. Voilà ma première remarque.

Deuxième remarque - et vous le reconnaissez je crois que c’est le seul critère concret qu’il donne - vous le reconnaissez à cette impression de déguisement. Vous pourriez dire aussi, là je vois, je vois un petit peu ce qu’il veut dire. La tension le déguise, la réflexion le déguise. Par exemple vous voyez quelqu’un qui est tout seul et qui pense très profondément à quelque chose. Vous pouvez avoir l’impression, vous direz : il est complètement "absorbé" et cette manière d’être absorbé en lui-même le déguise, on ne le reconnaîtrait pas. Peut-être que c’est quelque chose comme ça ? il est à "ne pas le reconnaître" - Il faudrait forger un mot : il est déguisé de soi-même.

Il y avait, je me rappelle, une splendide interview qui était en vidéo, de Kerouac, le plus grand, l’un des plus grands auteurs américains. A la fin de sa vie Kerouac qui n’en pouvait plus, d’alcoolisme, de maladie, etc... Kerouac parlait là très librement, il avait à la canadienne, une formule du Canada français "Je suis tanné de moi-même" j’en ai marre quoi, je suis tanné de soi-même (...) tanné de soi-même, de moi-même. Et de la même manière qu’il était tanné de lui même, on est souvent déguisé de soi-même. Bon, ce serait ça. Bon. Vous voyez tout de suite ou je veux en venir.
-  Ma première question c’est : est-ce que ce n’est pas une manière de dire, c’est le gestus ? Est-ce qu’il y a pas un lien entre "le gestus" et ce sens "obtus", que découvre Barthes dans un tout autre texte ou bien est-ce que je rapproche les deux textes ? Mes raisons de les rapprocher c’est quoi ? c’est les deux arguments qui me gênaient déjà dans le premier texte : l’instant prégnant, qui est repris dans ce second texte, et le sens, qui est repris dans ce second texte puisque le sens obtus ce sera le vrai sens. Je dis pas le sens vrai mais ce sera le vrai sens.

Deuxième remarque, le sens obtus : d’après ce que nous dit Roland Barthes, ne se laisse pas voir au cinéma. Il ne se laisse pas voir au cinéma. Ma perplexité devient de plus en plus grande, c’est à dire alors, quoi ? on ne voit pas l’image de la.. - faut croire que non. Pourtant, les autres exemples qu’il donne, on les voit. Ça ne semble pas le gêner. Il dit : on le voit pas, bien plus il dit : on peut pas le voir. Pourquoi ? Alors ça commence à m’importer parce que on aura quelque chose à en tirer. Il faut passer par là, il faudra passer par une théorie du photogramme. Il dit : c’est une dimension du photogramme. C’est pas une dimension de l’image. Là alors, on le retrouve pleinement - c’est très marrant ce texte parce que il y a des moments où vraiment, on peut pas le lire sans penser qu’il est là - il y a des moments où il dit : forcément "bein moi, vous savez, j’aime pas le cinéma". Effectivement, le cinéma il s’en fout - "j’aime pas le cinéma", mais d’une part la photo ça l’intéresse, - alors c’est pas du tout qu’il confonde une photo et un photogramme - mais ce qui l’intéresse dans le cinéma, c’est le photogramme. Il parle avec, il parle avec beaucoup d’émotion de ceux qui coupent un petit bout, comme ça, les cinéphiles, qui coupent un petit bout là, pour le garder chez eux, si bien qu’on a des films ou l’image saute, parce qu’il manque deux trois photogrammes qu’un pirate a emportés. Bon alors, ça va bien, c’est -il dit : c’est une donnée, c’est une dimension du photogramme. Et comme le photogramme c’est pas la même chose que la photo - mais là c’est très curieux, pourquoi c’est pas la même chose que la photo ? A mon avis l’argument qu’il donne est très peu convainquant. Moi je pense que c’est pas la même chose que la photo mais, je trouve pas que son argument soit... enfin supposons, hein ? Le photogramme évidemment, ça n’est pas la même chose que la photo, bon. Qu’est-ce que c’est ? C’est le filmique pur. C’est à dire c’est ce qu’on ne voit jamais au cinéma, d’après son... c’est à dire c’est pas du cinéma, c’est du filmique. Le filmique est différent du film. Le filmique est aussi loin du film que le romanesque du roman. Le filmique très paradoxalement ne peut-être saisi dans le film en situation en mouvement. Le filmique ne peut pas être saisi dans le film en mouvement. En d’autres termes le filmique s’incarne dans le photogramme à l’état pur.

Si le propre filmique - le propre filmique - si le propre filmique, entre parenthèses ( le filmique d’avenir) - c’est à dire il explique que tout le cinéma c’est moche parce qu’il a jamais atteint le filmique, donc euh... « Si le propre filmique, c’est à dire le filmique d’avenir, n’est pas dans le mouvement, mais dans un troisième sens inarticulable - à savoir : le sens obtus. » Bon, il est au-delà du mouvement - le filmique est au-delà de l’image-mouvement. Bien. Le filmique est au-delà de l’image-mouvement, il réside dans le photogramme. Ça implique toute une série de thèses : que le photogramme soit en dehors ou au-delà de l’image-mouvement, ce qui me parait pas du tout évident , que d’autre part ce dont il parle ne soit pas vu dans le film en mouvement - je vois vraiment pas pourquoi. L’image de la femme avec sa toque est pas vue,- je vois vraiment pas pourquoi il dit ça ! Et lui alors comment il l’a vue ? Je veux dire : est-ce que vraiment il aurait été jusqu’à couper un petit bout ?Et pourquoi il aurait choisi ce petit bout ? Ou alors il a vu tout le" Cuirassé" - ça, il en serait peut-être même capable - il a vu le Cuirassé photogramme par photogramme ! C’est possible, c’est possible même si tout ça ça ne parait pas évident.

Et enfin j’enchaîne pour que l’on reparte là dessus la prochaine fois : donc, Raymonde Carasco publie dans Le cinéma en l’an 2000, un numéro spécial, c’est ça ? Cinéma en l’an 2000 - un numéro spécial de la revue d’esthétique, un article, le titre c’est quoi ? je ne l’ai pas en mémoire. Tu te rappelles le titre ? Oui c’est ça, "l’image-cinéma qu’aimait Roland Barthes" donc elle publie un commentaire où elle fait sienne la thèse - bien plus, non seulement elle fait sienne la thèse de Barthes : l’affirmation que il y a un filmique irréductible au cinéma et saisissable uniquement, si je comprends bien dans le photogramme - mais elle en rajoute. Elle en rajoute car elle dit : "attention, non seulement cet élément filmique pur est au-delà de l’image mouvement mais il est, aussi, au delà de l’image-temps". Et elle précise : "attention, Barthes avait déjà dit que c’était au-delà de l’image-temps - mais au sens simple du temps chronologique, de la succession". En effet, si c’est un photogramme, c’est extrait de la succession, des images. Donc c’est au-delà de l’image-mouvement, ou ça parait être au-delà de l’image-mouvement et au-delà de l’image du temps chronologique, ou ce que Barthes appelait "le temps logique". Mais Raymonde Carasco veut plus. Elle veut que ce soit non seulement au-delà de l’image-mouvement et au delà du temps chronologique, mais au-delà de ce qu’elle appelle la Durée. Ou si vous préférez, au-delà de tout temps intérieur et au-delà de tout temps non chronologique. C’est à dire j’appelle temps non chronologique, un Temps qui ne se résout pas à la succession. A part cette addition, elle me semble pleinement d’accord avec Barthes, à savoir : il y aurait un filmique irréductible au cinéma. Alors la prochaine fois c’est, je vous avoue, c’est : l’ensemble de cette seconde thèse de Barthes et de cette reprise par Raymonde Carasco - que je ne comprends absolument pas. Donc au début de la prochaine séance on fait notre interview, si elle veut bien, et puis on passera aux conclusions par d’après ce qu’elle.... et notamment il nous faudra un statut du photogramme.

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La voix de Gilles Deleuze en ligne
L’association Siècle Deleuzien