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73-18/12/1984 - 1

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Deleuze - cinéma cours du 18/12/1984 - 1 transcription : Ezequiel Romero Diaz

Terminer assez rapidement j’espère, notre programme que nous trainons depuis le début. - Deuxième point : faire une récapitulation de ce programme avec bibliographie.
-  Et troisième point, car, je serai alors en mesure de vous expliquer ce que j’attends de vous.

A la suite de quoi, peut être, vous ne reviendrez plus (les gens rient) voilà. Alors je termine d’abord, donc :
-  Premier point : je termine cette histoire là, sur le cerveau.L’image cérébrale, tant du point de vue de la science que du rapport vécu, que du cinéma. Si vous vous rappelez : j’ai essayé de dire deux choses très simples, même en forçant les choses, qu’il me semblait que - ce n’est pas une mutation brusque - mais que certains accents s’étaient déplacés dans notre rapport scientifique avec le cerveau ou dans notre rapport vécu avec le cerveau.

Parallèlement, vous complétez de vous même, le cinéma qui s’est toujours, qui a toujours présenté une partie de lui-même très importante comme cinéma du cerveau - pensez au grand texte de Eisenstein : le rapport de l’image cinématographique avec le cortex, le thème du cortex revient constamment chez Eisenstein. C’est vrai que, si le cortex a quelque chose à voir avec l’image cinématographique, il a eu également un changement dans ce rapport du cinéma avec le cerveau. Et je disais : l’accent s’est déplacé de deux façons, c’est à dire, bon, pendant un certain temps il me semble que ce qui a dominé - et je parle de "tendance" encore une fois - ce qui a dominé dans l’étude du cerveau c’est une certaine conception d’après un acte d’intégration et de différentiation. Et on a vu la dernière fois comment le processus d’intégration et de différentiation pouvaient en définitive définir une totalité et une circulation dans le Tout.

Et je disais - bon - de plus en plus, peut être, qu’à une structure d’intégration et de différentiation tend à se substituer, - et encore substituer c’est pas bon, faut corriger chaque fois, faut mettre des nuances, moi je ne les mets pas - tend à se substituer, des considérations d’un type nouveau, à savoir concernant une structure "topologique" du cerveau, où cette fois ci il s’agit plus d’intégration et de différentiation.

Et dans la topologie, vous savez que par définition dans une structure topologique les distances ne comptent pas. j’insiste sur pas besoin que vous sachiez très bien ce que c’est qu’une structure topologique, bon, ce sera à vous de voir... Or de point de vue quand on découvre le cerveau comme structure topologique, qu’est-ce qui ce passe ? A ce moment là, ce qui passe au premier plan, c’est un rapport topologique du dehors et du dedans. Ou je dirais aussi bien, un contact indépendant de la distance. Contact indépendamment de la distance, contact indépendamment des distances ou si vous préférez coprésence, application, du dedans et du dehors mais aussi bien du futur et du passé, du vide et du plein, de l’endroit et de l’envers, du noir et du blanc, du cosmos et du cerveau. C’est, le cerveau-cosmos.

Inutile de vous dire que par exemple dans le cinéma, la science fiction, le cinéma de science fiction va profiter de ce thème. Et je précisais que, lorsque je parle d’une coprésence ou d’une application du dedans et du dehors, il s’agit d’un dehors, plus lointain que tout monde extérieur et d’un dedans plus profond que tout monde intérieur. L’image cinématographique de ce point de vue, serait vraiment la coprésence ou l’application du dedans et du dehors, du passé et du futur, du cerveau et du cosmos, du noir et du blanc. D’une certaine manière, l’écran noir ou l’écran blanc serait le signe de cette structure topologique, avec toute l’importance qu’il a pris dans le cinéma d’après guerre. Et en effet pour essayer d’être un peu plus clair, l’écran blanc ou l’écran noir ou toutes les variétés combinables, composables :
-  « Est-ce une image pleine, est-ce une image vide » ? C’est une coprésence du vide et du plein, c’est une coprésence du dehors et du dedans, peu importe... C’était ma première remarque sur le cerveau, comment l’accent est mis sur la possibilité d’une structure topologique dont l’espace euclidien ne rend pas compte.

Et puis on avait fait une seconde remarque, cette seconde remarque fait : Comment se fait, si l’on pense à la limite le cerveau, comme coprésence topologique, comme application topologique, d’un dehors absolu et d’un dedans absolu ? Encore même, comment se fait concrètement à l’intérieur du cerveau, la transmission, l’enchainement ? En gros, les enchainements sensori-moteur, c’est-à-dire le passage d’un influx ou d’un message, d’un neurone à un autre ?

Et on avait donné une réponse, une réponse également obscure : on avait dit : peut-être que ça se fait sous forme de rapports semi-aléatoires. Et on s’était mis à essayer de regarder, à essayer de regarder un tout petit peu qu’est ce que c’était que ces rapports semi-aléatoires, c’est-à-dire des mixtes. C’est à dire, des mixtes de voies, des mixtes de dépendance et de hasard. Que l’on pouvait grouper sous le titre général de phénomènes aléatoires, partiellement dépendants ou si vous préférez, d’enchaînements semi-fortuits. Et on avait vu que, une drôle de chose, à savoir les chaines de Markov, donnait un statut à ces enchaînements semi- aléatoires.

Et je me disais, bon, est-ce qu’on pouvait pas concevoir que la transmission d’un neurone à l’autre, que l’association d’une neurone à l’autre, se fasse sous la forme des chaines de Markov, c’est à dire, de rapports semi-aléatoires ? Si vous acceptiez cette idée, même si confus que soit tout ça, si vous acceptiez cette idée, il y aurait une grande conséquence : Il faudrait dire que l’enchaînement, les enchaînements, se présentent sous forme de morcelages, perpétuellement, de morcelages vraiment, perpétuellement ré-enchainés. Le statut de l’enchainement semi-fortuit c’est du morcelage ré-enchainé, je vous dis tout de suite ou je veux en venir.. Le morcelage ré-enchainé, ça veut dire pour moi que d’une manière ou d’une autre la transmission se fait par ré-enchainement et jamais par enchainement. La transmission se fait par ré-enchainement et jamais par enchainement, qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire qu’il faut bien interpréter le préfixe « re », « ré » dans ré-enchaînement, le ré-enchaînement n’est pas second par rapport à l’enchainement. Le ré-enchaînement est un type d’enchaînement particulier. Pour moi ça devient déjà plus intéressant, le ré-enchaînement serait un type d’enchainement particulier.

Il y aurait des morcelages par ré-enchainement qui ne seraient pas du tout seconds, par rapport à des continuités d’enchainements, on pourrait opposer deux types d’enchainements : - d’une part, l’enchainement de continuité,
-  et d’autre part, le morcelage par ré-enchaînement.

Ou si vous préférez, pour être encore plus clair, on distinguerait trois cas possibles :

-  Premier cas possible : il y a un réseau continu, un réseau continu de transmission ou d’association.

-  Deuxième cas possible : il y a un enchaînement d’images associées, qui se fait par l’intermédiaire des points - coupures. Un enchaînement d’images associées qui se fait par l’intermédiaire de points -coupures. Quelle est la condition ? Là il faut que vous compreniez, ah. ça c’est le point qu’il faut que vous compreniez. Quelle est la condition ? Si vous m’avez suivi depuis le début, la condition on la connaît : c’est que les coupures soient rationnelles. Quand les coupures sont rationnelles, il y a en effet, un enchaînement d’images associées par ces points- coupure. Que est-ce qu’un point-coupure rationnel ? Vous vous rappeler - parce que ça explique tout - j’espère que vous vous rappelez.

-  En tant que coupure c’est une instance qui opère la répartition de deux séries, une série avant et une série après, une série inférieure et une série supérieure, en tant que point coupure rationnel, le point coupure lui même, fait partie de l’une ou l’autre des deux séries. Soit qu’il soit le dernier terme de la première série, soit qu’il soit le premier terme de la seconde série. Je dirais dans ce cas, il y a non pas comme dans le premier cas, réseau continu - je dirais il y a enchaînement d’images associées par points-coupures rationnels, il y a enchaînement.

-  Troisième cas : Enchaînement par points de coupures irrationnels. On a vu que les points-coupures irrationnels se définissaient comment avant tout par ceci : ils ne font partie, ils déterminent bien (ce sont des coupures) puisqu’ils déterminent une répartition des séries, mais ils n’appartiennent ni à l’une ni à l’autre, des deux séries. Ils opèrent un morcelage entre les deux séries. Et la relation, n’est plus un enchaînement d’images associées, c’est un ré-enchaînement d’images indépendantes. J’ai tout dit. Il se produit un ré-enchainement d’images indépendantes sans que ce soit jamais produit au préalable un enchaînement d’images associées. Ce sont deux types d’enchaînement complètement différents. Dans le second cas qui m’intéresse, c’est du morcelage ré-enchainé. Ce n’est plus l’aspect topologique du cerveau, c’est l’aspect semi-aléatoire ou probabilitaire si vous voulez, du cerveau opéré par morcelages toujours ré-enchainés. Je reprends la formule - ça me paraît le plus clair. "Il n’y a plus enchaînement d’images associées, comme on a vu l’importance de ces associations dans l’ancien cinéma, où en effet les points de coupures étaient rationnels. je vous rappelle encore une fois l’importance pour moi, l’importance des textes de Eisenstein lorsqu’il insiste sur, ce qu’il appelle les césures, c’est à dire les points de coupures. Et la nécessité qu’elles soient rationnelles, c’est à dire qu’elles obéissent à la section d’or ou à une structure voisine de la section d’or. Donc, qu’elles impliquent des rapports commensurables, des rapports rationnels, et voilà.

Ce n’est plus le cas : au lieu d’un enchaînement d’images associées par points de coupures rationnels, vous avez un morcelage ré-enchainé par points-coupures irrationnels.

D’où je peux maintenir : le ré-enchainement n’est pas un second enchainement, c’est à dire qui vient après l’enchaînement, le ré-enchaînement est un type original d’enchaînement, c’est l’enchaînement semi-fortuit. C’est important ça, je veux dire, là, on tient quelquechose ...

je sais pas pourquoi on tient quelque chose, ça va avoir beaucoup d’importance toute à l’heure. J’insiste dès lors sur... comment dirais-je ?

J’insiste dès lors, comme un de nos résultats fondamentaux - car on a beau ne faire que construire un programme, on y obtient déjà certains résultats - je considère comme un des nos résultats essentiels de notre trimestre là, - le lien que nous sommes en mesure d’établir maintenant entre trois notions cinématographiques mais ça déborde le cinéma.Evidemment Je pourrai dire aussi bien entre trois concepts philosophiques :

-  Première notion : l’écran noir ou blanc et ses variétés.
-  Deuxième notion : le point - coupure irrationnel, la coupure irrationnelle.
-  Troisième notion, le morcelage ré-enchainé. En quoi consiste le lien ? Je pourrai partir - vous comprenez ? je pourrai partir de l’une de ces notions et engendrer les deux autres, ce serait harmonieux. Je me contente d’un cas, je pars de l’écran noir ou blanc, et je dis c’est la co-application du dehors absolu et du dedans absolu, du passé absolu et du futur absolu, ect.. bon.... C’est ce qu’on a appelé dans le courant de notre recherche, c’est ce qu’on a appelé : "la force du dehors". Un dehors plus lointain que tout monde extérieur, un dedans plus profond que tout monde intérieur. Comment ça va se manifester - L’écran blanc ou noir peut se manifester pour lui même, d’accord. Comment, il va se manifester dans une suite d’images ?
-  C’est le deuxième point. Ma réponse est simple : il va se manifester sous forme d’une coupure irrationnelle. Coupures irrationnelles, qui surgissent avec le cinéma moderne, avec le cinéma d’après guerre. Je disais notamment, l’utilisation des faux raccords - le faux raccord est typiquement là une coupure irrationnelle - dans les fragmentations d’espace de Bresson, ou toutes sortes d’exemples qu’on a vus et qu’on verra. Donc, je peux déduire très facilement, de l’écran noir et blanc je passe à la coupure irrationnelle, entre images, dans une série d’images.

-  Troisièmement ma question est : lorsque deux séries sont déterminées par une coupure irrationnelle et pas par une coupure rationnelle, comment se fait l’enchaînement ? Ma réponse - et ça me paraît une déduction absolument nécessaire, ma réponse c’est : l’enchaînement ne peut plus être un enchaînement d’images associées mais un ré-enchainement d’images indépendantes. Ça répondra à la formule de Godard : « Non pas une image après une autre, mais une image plus une autre » . Non pas une image après une autre mais une image plus une autre c’est la définition, c’est une manière de dire : ré-enchaînement d’images indépendantes au lieu de dire enchaînement d’images associées. Faut pas réclamer les exemples concrets, faut d’abord comprendre dans l’abstrait, faut d’abord comprendre abstraitement et puis les exemples concrets, bien ça arrange les choses, mais, bon, donc je suppose que vous ayez... ça il faut à tout prix que vous compreniez : vous voyez c’est la même notion finalement, c’est la même instance, qui se présente vraiment, écran noir ou blanc, comme coupure irrationnelle et comme morcelage ré-enchainé . Ou comme ré-enchainement d’images indépendantes. Les trois sont absolument liés.

Alors si on pense, il faudrait rendre ça un peu concret, oui, essayons de rendre ça un peu concret. L’année dernière j’avais fait allusion à un roman qui me paraît un des plus grands romans de toute l’histoire du roman. Et qui cette année nous concernera très directement car je voudrais vous faire un commentaire et pas me contenter d’une allusion : c’est le romain d’un russe, à la grande période du constructivisme russe, c’est le grand roman constructiviste. Et comment on a vu qu’on avait à faire avec des histoires comme Joyce le monologue intérieur, l’automatisme, etcétéra, bon, peut être qu’il aura lieu de confronter ce roman ou chercher c’est qu’il a pu apporter de nouveau techniquement, quels étaient ses rapports par exemple avec par exemple, le roman de Joyce.

Et c’est le roman de donc, Andréi Biély, qui était un très, très grand auteur pour ceux qui ne le connaissent pas, mais justement je souhaite que ceux qui ne le connaissent pas en profitent pour lire son roman. Son roman s’appelle Pétersbourg, il a été traduit aux éditions : L’age de l’homme, à mon avis c’est un immense chef d’œuvre, vraiment une grande œuvre, Biely, b, i, e, l, y, Andréi, Andréi quoi. Andréi Biély, Pétersbourg. Je suppose qu’on sera en train tous ensemble de le feuilleter, qu’est ce qu’on découvre ?

Je suis pas en train de le commenter je laisserai ça pour... Il faut que vous me rejoignez, il faut qu’on aie le temps de tout ça. Qu’est-ce qui me frappe ? Au hasard des pages, là j’ imagine, je suis en train de le feuilleter. Qu’est-ce qui me frappe ? Première chose qui me frappe, un thème lancinant du cerveau-cosmos.Le cerveau-cosmos. Un corridor - je cite un passage très beau, un admirable passage du roman, j’essaie de le résumer mal : Un corridor s’ouvre dans la tête d’un personnage, dans le cerveau d’un personnage, et lui même il suit ce corridor qui le conduit au vide cosmique. J’en dis pas plus mais les pages sont des pages tellement belles que, voyez, un corridor s’ouvre dans votre tête, et vous suivez ce corridor vous prenez ce corridor et vous débouchez dans le vide cosmique et vous vous émiettez en une petite galaxie.

Je feuillette toujours et dans tout le roman il est question d’une bombe. Un grand roman très révolutionnaire, il est question d’une bombe mais cette bombe est diversement située. C’est à la fois une bombe dans le ventre, dans le corps des personnages. Et qui ne cesse de risquer de faire éclater ce corps. Et une bombe, au même temps et c’est la même, qui se ballade dans tout les lieux de la maison. Les personnages étant à la recherche de cette bombe. Ils l’entendent dans leurs ventres, ils la cherchent à l’extérieur. La bombe est explicitement présentée comme co-présente au dedans et au dehors, des deux cotés d’une espèce de membrane, la bombe du dedans et la bombe du dehors s’appliquant l’une à l’autre.

Troisième point : tout le roman est dominé par un des héros qui surgit dans les endroits les plus divers - j’ajoute eh, toujours dans le même thème, la ville, Pétersbourg. Dans la littérature russe, Pétersbourg a une vocation particulière. Et dans le cinéma, mais dans la littérature notamment vous trouvez déjà les vertus particulières de Pétersbourg qui sont très, très bien décrites par Dostoïevski : c’est la ville fantôme, c’est la ville marécage. C’est la ville où le dedans et le dehors s’affrontent. C’est le cerveau-cosmos. Dernier point, si on feuilletait toujours sans...c’est, c’est absolument pas un commentaire c’est ce que je dis, c’est... J’ai l’idée naïve de vous donner envie d’aller voir là. Un personnage, un des héros, surgit dans les points les plus inattendus de la ville, vêtu d’un domino ... Vêtu d’un domino, tout rouge, et il fait peur à tout le monde et fait scandale partout avec son domino sanguinolent. Et tous les passages du roman, je dirais à la lettre sont ré-enchainés sur le domino rouge, il a jamais d’association, c’est une des grandes techniques de Biély à mon avis. Il n’y a jamais d’association entre une scène de domino et puis une autre scène. Il y a perpétuellement morcelage ré-enchainé, on ré-enchaine sur le domino rouge.

Bon, je vais vous raconter une toute autre histoire. Un auteur de cinéma s’appelle AlainResnais.Je suis très frappé je sais pas si Resnais connais Biély, je pense pas, ou même s’il le connaît je doute qu’il y a eu influence. Je cite par ci par là, quelques points forts et très connus des œuvres de Resnais. La coprésence, la co-application, d’un dehors et d’un dedans comme définition et comme déterminant, un cerveau-cosmos. C’est la grande noosphère de « Je t’aime, Je t’aime ». Le cerveau-cosmos comme ville. Est-ce un cerveau ? Est-ce un monde ? On a pas de choix, c’est partout dans Resnais, c’est la bibliothèque nationale. Est-elle un cosmos ? Est-elle un cerveau ? Co-application, coprésence, du dehors et du dedans, du monde et du cerveau. Et bien plus qu’est-ce que c’est la Petersburg de Resnais ? La Petersburg de Resnais c’est Boulogne, c’est Boulogne dans « Muriel », c’est la ville fantomale, c’est la ville fantôme, c’est la ville cerveau.

Deuxième trait, dans « Providence », la bombe du dedans et la bombe du dehors et la coprésence de deux bombes. La bombe, elle est dans le corps du vieux romancier alcoolique, son corps crépite, son corps crépite dans tous les sens. La bombe comme état organique d’un corps décrépi. Le même thème apparaît constamment chez Biély : la bombe qui va éclater dans le corps décrépi. Mais la bombe, elle est aussi dans les états cosmiques de "Providence" : le tonnerre, la foudre, dans les promenades nocturnes du vieux romancier alcoolique insomniaque. Et enfin, elle est dans l’état social et politique. Rafales de mitrailleuses perpétuelles, coups de feu, etc. Tonnerre et éclair cosmique, crépitement organique. Rafales de mitrailleuse historico-politiques. Et tout "Providence" opère, une espèce de contact topologique entre tout ces états et fait de ce film, il me semble, un des chef d’œuvre du cinéma moderne.

Troisième point, quant à Resnais, « Je t’aime, je t’aime », il s’agit de quoi ? Ceux qui ont vu, mais je raconte très vite : quelqu’un a fait une tentative de suicide, on le sauve, et on va le soumettre à une expérience : on l’enferme dans la noosphère, dans le monde-cerveau, et on va lui faire revivre une minute de son passé, une minute précise de son passé. Cette minute, c’est une minute qui a eu lieu, je donne parce que les dates sont très nécessaires, le 5 septembre 1966, à 16 heures. En principe il s’agit de ça dans l’expérience. Et vous allez avoir, au retour, dans le film, un retour à cette minute, c’était la minute où le héros sortait de l’eau, et croisait la femme qu’il aimait ou qu’il n’aimait plus Catherine, et il y avait un dialogue comme ça mais, sans doute cette minute était fondamentale parce que elle devait être à cheval. Il y avait encore une chance entre le moment où il l’aimait encore et le moment où il ne l’aimait déjà plus. Je dirais à ma manière sans doute c’était une coupure irrationnelle. Elle était entre les deux : entre le "aimer encore" et le "ne plus aimer", mais la noosphère a des ratés au lieu de le renvoyer à la minute, ça le renvoie bien à la minute, mais chaque fois, la minute, s’enchaîne avec une série d’images de plus en plus indépendantes de cette minute. Au début il y a encore de vagues associations entre la minute, et la série avec laquelle elle s’enchaîne, il a encore de l’association. Plus ça va, plus la minute s’enchaîne avec des séries lointaines, lointaines dans le temps, séparées dans l’espace. En d’autres termes il n’y a plus enchaînement de, il n’y a plus association. Non il n’y plus enchaînement d’images associées, mais la minute ne cesse de passer dans l’autre régime de l’enchaînement : morcelage ré-enchainé, à savoir elle se ré-enchaine avec des images, des séries d’images indépendantes.

Je dis que indépendamment de toute influence entre le grand roman de Biély et l’œuvre de Resnais, je crois à un système d’échos, qui fait que ça nous donnerait un champ très riche pour étudier, ce rapport entre coupure irrationnelle, ré-enchainement, des opérations de ré-enchainement, et vous sentez aussi ce qu’on a même pas abordé, à savoir dès lors, la possibilité d’un cinéma qu’il conviendrait d’appeler effectivement, un cinéma sériel. Je dirais que le cinéma est déjà sériel, lorsque au lieu d’un enchaînement d’images associées, vous avez des ré -enchaînement d’images indépendantes, au moins ça m’éviterais d’employer comme parfois, comme trop souvent il me semble, sériel à propos du cinéma d’une manière simplement métaphorique. Au moins on partirait d’une première définition de la série - voilà. Bon...voilà. Je termine ce point, parce que il faudrait qu’il soit très clair ça tout ça, je termine ce point en disant on pourrait rechercher des confirmations mais justement ça prendra partie de notre programme. Je pensais, à une confirmation qu’on pourrait aller chercher du côté du cinéma expérimental abstrait, dit abstrait, et si je cherche peut être que, si je me dis tiens, bon est-ce qu’on aurait une confirmation ? On verra, plus tard on aura une séance sur le cinéma expérimental mais si je tente là, une très très grossière, très grossière périodisation du cinéma abstrait, je dis : il a bien eu un moment, un premier moment, le grand moment avant la guerre, il y a eu un grand cinéma abstrait, mais on verra, qui peut être, se comprenait par, le double mouvement, d’intégration et de différentiation, d’une part, et d’autre part, d’enchaînement d’images associées. C’était le grand âge comment dire, géométrique, du cinéma abstrait mais géométrique en quel sens ? Il faudrait distinguer déjà beaucoup d’auteurs, puisque c’est pas simplement du cinéma géométrique, c’est du cinéma plus proche de la peinture.

Et il y a évidemment des auteurs très différents, il me semble même que sera pas difficile de distinguer une tendance Kandinsky, et une tendance Paul Klee quoi. Je veux dire on reviendra sur tous ces points mais je le dirai en passant là, la grande différence étant si vous voulez entre les deux techniques de ces peintres, je le dis d’une manière abstraite, c’est que pour Kandinsky, ce qui compte c’est les forces, les forces qui s ’exercent sur des lignes, mais ce de là qu’il arrivera et qu’il dégagera sa notion, la notion fondamentale de son esthétique, en tant que grand peintre, la notion de tension. La tension c’est le rapport de la ligne avec des forces que s’ exercent sur elle.

Paul Klee, c’est pas ça, il suffirait de comparer peut être, peut être qu’on aura le temps peut être qu’on le verra, comparer les grands textes, les grandes œuvres de Klee et de Kandinsky, pour voir la différence, dans le cinéma géométrique abstrait il y a les deux pôles, chez des auteurs différents, il y a vraiment un pôle proche de Kandinsky et un pôle proche de Paul Klee, est ce que ne sera pas de tout étonnant ah, bon. Et enfin je dirais, c’est un cinéma qui reste dedans et qui correspondrait à l’ancienne image du cerveau, intégration, différentiation, et enchaînement d’images associées.

Si je saute, il s’est passé bien des choses entre, si je saute, si je saute dans le cinéma abstrait expérimental américain, vers 1960, qu’est-ce que je vois ? Là accordez moi , pour ceux qui ont vu un peu de ce cinéma, je crois que je ne force pas le choses je vois une trinité, une trinité de base, trois composantes fondamentales : L’écran noir et l ’écran blanc et toutes leurs variations, ça c’est chez tous. Je veux dire je peux citer à... enfin il en a un célèbre, Réflexion sur noir, je crois, je crois bien c’est, je sais même pas comment on prononçait son nom Braquage, Brequege, Braquage, bon. Deuxième grand procédé : le clignotement. C’est pas des procédés gratuits eh, quand je vous le dis comme çà ça fait gratuit. Procédé de clignotement. Tout un cinéma de clignotement, je donnerai comme exemple, un film, un film de Conra, c, o, n, r, a., c’est pas le seul, mais c’est un de ceux qui me semble a fait les plus beaux clignotements, bon. je dirais, j’essaie même pas de me justifier, je dirais : c’est évident que le clignotement détermine une coupure irrationnelle, c’est même fait pour ça.

Troisième procédé : Le procédé de la boucle. Ah bon, tous ça doit vous ouvrir, nous sommes en plein programme. Procédé de la boucle, qu’est-ce que c’est ? Bon, une série d’images revient, je prétend pas définir là la boucle, je donne une caractéristique très grossière, une série d’images revient avec des variations. Un des plus grands du cinéma expérimental, a manié en maître ce procédé, c’est Landow, George Landow L, a, n, d, o, w. Boucle, c’est curieux parce que les musiciens ils en connaissent un bout sur la boucle, notamment les musiciens modernes. Ils font des boucles. Il faudra bien comparer, peut être est ce que vous pressentez ça fera ce que j’attends de vous. Il faudra bien comparer boucle musicale et boucle cinématographique, faudra voir, tout ce que je peux dire c’est que la boucle, c’est typiquement un morcelage ré-enchainé. C’est pas un enchainement d’images associées, c’est un ré-enchainement d’images indépendantes. Donc, au niveau du cinéma abstrait, on retrouvera exactement là notre trinité. En d’autres termes qu’est-ce que fait notre cerveau moderne ?

Comment vous le vivez votre cerveau ça je reviens - je conclue juste l’histoire du véhicule - comment vous le vivez, votre cerveau ? Hey, bah, votre cerveau il clignote, il ré-enchaine et il fait de boucles. Un cerveau qui clignote qui ré-enchaine et fait de boucles c’est très important, je dirais que ça change beaucoup. Le cerveau de nos pères ne faisait pas ça (Les gens rient) bah Il faisait pas moins bien.

Le cerveau de nos pères il intégrait, il différenciait, il enchainait, et bien nous on fait pas ça, nous on est devenus, topologiques,semi-fortuits et ré-enchainant. S’il nous donne un autre apport avec la santé, avec la maladie c’est pas le même, non, non. Donc ça nous ouvre beaucoup de choses si bien que l’heure est venue enfin, de récapituler, tout ce qu’on a fait ce trimestre et que du même coup, vous compreniez ce que j’ai à vous proposer pour le second. Ce qui me faut c’est, est-ce que c’est clair ? Est-cequec’estassezclair ?

Moi ce qui m’intéresse là dans tous quej’avais fait jusqu’à maintenant là, après une heure, c’est, c’est ma trinité là. Il faut que soit vraiment... il faut que, que vous l’ayez à l’esprit parce que après les vacances on partira de tout ça. Je veux dire, on retrouvera tout ça, forcement alors je le répèterai mais... vous voyez c’est pour ça que j’ai tellement insisté sur la coupure irrationnelle chez un mathématicien, ou bien sur les chaînes de Markov, parce que les chaînes de Markov ça me semblait donner un exemple de ré-enchainement, de morcelage ré-enchainé, tout ça. Ca s’est passé j’en avais besoin à cet égard quoi, et vous sentez ce qui m’intéresse ? Bon bien sûr c’est le cinéma, mais c’est aussi bien la pensée c’est à dire, c’est les concepts philosophiques, c’est pas seulement des... bon alors je suppose que ça va, que c ’est clair, bon.

Alors on récapitule : notre premier thème c’est quoi ? Et ça restera quoi parce que je veux pas dire qu’on ait fini ceci ou cela, non, on a lancé, on allait lancer notre problème.

-  Notre premier thème c’est : Pensée et automatisme. Et nous partons, nous sommes partis d’un fait simple, le caractère spécifique de l’image cinématographique, c’est d’être automatique. Mais cela avec deux conséquences, c’est que l’automatisme de l’image, a l’air comment dire ? De deteindre, sur quoi ? Sur toute une série de choses, sur le personnage cinématographique, sur l’acteur cinématographique, sur le spectateur cinématographique.

Et je disais dès le début, il est normal que, les somnambules, les zombies, etc, Les golems appartiennent profondément au cinéma sous forme de l’expressionnisme allemand, ou que les automates appartiennent profondément au cinéma, sous forme de l’école française.

Et je disais ça ne cessera pas, mais il y aura une sérieuse évolution, et je disais la célèbre conception de l’acteur chez Bresson n’est pas séparable du caractère, de cette évidence absolue, l’image cinématographique est automatique et il y a des conséquences pour l’acteur, qui ne doit pas être un acteur de théâtre mais que doit être ce que Bresson appelle un modèle. Et je vous rappelle qu’on a vu dans les textes de Bresson a quel point sa notion de modèle était fondée sur c’est ce qu’il appelé lui même, « l’automatisme ».

Tout ça renvoie à un thème bibliographique, tout ce que vous pouvez trouver sur l’automatisme psychologique. Livre clé sur l’automatisme psychologique : Pierre Genet, un livre qu’on trouve plus donc, pour ceux qui s’intéressent à cet aspect, à lire en bibliothèque.

Mais il y avait un autre aspect, c’était l’automatisme spirituel c’est à dire cette fois, l’ensemble des images automatiques en tant qu’elles constituent un Tout, le Tout de l’œuvre, le Tout de l’œuvre en tant qu’elle s’offre à la pensée. Bien plus, le Tout en tant qu’il n’est pas donné dans une image, mais pensé comme le Tout du film. Et grace au caractère automatique de l’image, le cinéma mettait en branle l’automate spirituel

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