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82- 19/03/1985 - 1

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Gilles Deleuze : cinéma et pensée Cours 82 du 19/03/1985 - 1 transcription : Nadia Ouis

....et qui ont lu un peu un auteur américain qui s’appelle .., Non ? Oui ! Ah ben voilà...Et qui le connaissent bien ! Non ? Ah voilà, eh bien c’est ce que je voulais savoir. Alors, vous vous rappelez, nous étions avec nos trois points que nous avait laissé la sémio-critique, ou la sémiologie d’inspiration linguistique. Ces trois points étaient :

-  Le fait du cinéma défini comme narratif. Le fait de la narration.

-  Deuxième point : c’était l’image cinématographique présentée comme analogique ou iconique, et valant pour un énoncé iconique ou analogique.

-  Et le troisième point : c’était la structure langagière qui permettait de codifier l’image analogique ou l’énoncé analogique. Structure langagière consistant avant tout en une syntagmatique, c’est-à-dire en des règles syntagmatiques.

C’étaient les trois points, les trois points de base.

Mais je dis qu’une fois dit que les sémioticiens de cette école écrivent des textes compliqués, il est souhaitable pour nous de bien dégager, bien maintenir - si nos analyses précédentes étaient exactes - de bien maintenir ces trois points, puisque encore une fois, c’est ces trois points de base qui nous font problème. Ensuite il n’y a plus rien à dire. Si on leur donne ces trois points, ils ont raison, ils ont raison de faire ce qu’ils font. Si on ne leur donne pas ces trois points, ils ont quand même raison. Mais si on ne leur donne pas ces trois points, alors c’est à nous de faire autre chose.

Voilà. Est-ce que, quant à ces trois points il y a lieu de revenir ou bien est-ce que... est-ce que tu as à ajouter quelque chose ? Enfin ajouter quelque chose ? (coupure dans le son). (Rires). Je sens que c’est pas aujourd’hui que j’ai de la chance...(Rires) Ça te va ?

E : Oui

Evidemment... Bon. Alors je dis comme ça ! ! Je vous dis comme ça mes états d’âme, sur ces trois points. Et la dernière fois, j’avais presque dit quant au premier... Mais je voudrais reprendre pour que ce soit très clair. On nous dit que c’est un fait que le cinéma s’est constitué, c’est un fait historique, que le cinéma s’est constitué comme un cinéma de narration Hollywoodien. Et par là, il a marginalisé les autres formes qui logiquement étaient possibles du cinéma. Et qui dès lors, se présenteront sous cette forme marginale, ou - si vous préférez - se présenteront comme "cinéma expérimental". Cinéma expérimental veut dire cinéma marginalisé par la constitution d’un cinéma dominant de la narration.

Bien, je me dis c’est très bizarre quand même, parce qu’encore une fois - voilà ce qui met mon âme dans un grand état de trouble - c’est que on a complètement mis entre parenthèses, ce qui me paraît la donnée immédiate, au sens bergsonien, la "donnée immédiate" de l’image cinématographique, à savoir le mouvement. Et en effet je vous rappelle les textes de Metz où quand il s’agit de distinguer l’image cinématographique de l’image photographique, il nous dit : l’image photographique n’est pas narrative. Il nous dit pas l’image cinématographique est immobile, il nous dit : elle n’est pas narrative. Tandis que l’image cinématographique est narrative. Quand je dis que là j’éprouve une certaine stupeur, ça veut uniquement dire : c’est quand même bizarre, de nous dire l’image cinématographique est narrative, au lieu de nous dire l’image cinématographique se meut elle-même en elle-même. C’est-à-dire est auto-matique. Et cette suspension, cette mise entre parenthèses du mouvement, j’ai insisté, les sémio-criticiens s’en réclament explicitement. Donc à cet égard ils ne sont pas équivoques. Du coup, remarquez qu’il y a quelque chose qui me gêne beaucoup. parce que s’ils s’en réclament explicitement, de la suspension du mouvement, ils vont déboucher sur une certaine appréciation de l’image cinématographique en fonction du photogramme. Et on a vu comment à la limite ça rejoignait Barthes mais je crois que dans le cas de Barthes, c’était pour d’autres raisons. Et même Ecco dans la grille de communication que je citais, termine son article sur un appel au photogramme. Pourquoi est-ce que c’est bizarre ? Parce que toute mise en évidence du photogramme, dans l’image cinématographique, appartient fondamentalement au cinéma expérimental qu’on vient de récuser, ou qu’on vient de marginaliser. En effet, ce qui va faire du photogramme, un plan, le fameux plan dit "photogramme", le plan photogramme est fondamentalement une création de ce cinéma, qui n’est pas de narration, et qui se présente comme cinéma expérimental.

En effet, le photogramme n’est évidemment pas une donnée narrative. Alors c’est déjà gênant ! Autre manière de dire ce qui est gênant ou ce qui me gêne - c’est encore une fois, voilà : la sémio-critique, il me semble, nous dit deux choses à la fois. C’est pas gênant ça, ils ne sont pas contradictoires. C’est qu’à la fois, la narration est une donnée apparente des images, une donnée manifeste des images, même historiquement acquise, historiquement acquise puisqu’elle a été acquise par le cinéma de narration tel que Hollywood l’a fait. Donc on nous dit à la fois, que la narration est une donnée apparente des images - rappelez-vous la formule si bizarre de Metz : "Passer d’une image à une autre, c’est déjà un fait de langage". Je dis c’est bizarre parce qu’on s’attendrait à ce que passer d’une image à une autre c’est le mouvement. Non. Passer d’une image à une autre, c’est un fait de langage. Donc la narration est bien une donnée immédiate des images cinématographiques, du point de vue de la sémio-critique et en même temps, ce qui ne s’oppose pas, c’est un effet de la structure profonde.

Qu’est-ce que c’est que la structure profonde ? On l’a vu c’est notre troisième point, à savoir : la syntagmatique, les syntagmes qui définissent précisément la structure langagière, à laquelle les images sont soumises. Or soit il n’y a aucune contradiction à dire à la fois que la narration est la donnée apparente des images et qu’elle est l’effet, dans les images, d’une structure plus profonde, structure langagière. Mais je dis, enfin pour moi, ne voyez aucune...Supprimez toute vanité ...C’est juste par commodité, pour séparer les choses.
-  La première chose qui me gêne, c’est que pour moi la narration n’est jamais une donnée immédiate ou apparente des images. Pas plus d’ailleurs qu’elle n’est l’effet d’une structure sous-jacente. Mais ce qui est très différent pour moi, elle ne peut être que une conséquence des données immédiates ou apparentes de l’image. Elle n’est, je dirais, ni donnée apparente, ni "effet" d’une structure langagière sous-jacente. Elle est une conséquence des images apparentes telles qu’elles sont en elles-mêmes et pour elles-mêmes. On n’a jamais pu définir une peinture comme peinture figurative. Que la peinture soit figurative ou pas, les données immédiates de la peinture n’ont jamais été figuratives. Qu’un cinéma soit narratif ou pas narratif, jamais la narration n’a constitué les données immédiates de l’image. La narration, elle découle. Elle découle de quoi ? Elle ne découle pas d’une "structure profonde" à laquelle les images renverraient. Elle découle des caractères immédiats et apparents de l’image cinématographique, dans la mesure où le caractère immédiat et apparent, la donnée immédiate de l’image cinématographique, c’est le mouvement. Il y a un cinéma de narration parce que les images se meuvent en elles-mêmes et pour elles-mêmes. La narration en découle. Elle découle de la donnée immédiate des images. Elle ne constitue pas la donnée immédiate des images, pas plus qu’elle ne découle d’une structure profonde. Qu’est-ce que ça veut dire ça ? Et comment est-ce que la narration découle des données immédiates de l’image cinématographique en tant qu’image-mouvement ?

Je le disais, je le rappelais parce que ça fait allusion, encore une fois, ça fait trois ans qu’on travaille sur l’image cinéma, je fais allusion à des choses qu’on a vues. Que je regroupe pour ceux qui n’étaient pas là, c’est que l’image-mouvement implique des intervalles de mouvement. La donnée immédiate de l’image c’est le mouvement en tant que rapporté à des intervalles de mouvement. Remarquez que je ne donne, voyez je ne donne absolument rien de narratif. Des mouvements rapportés à des intervalles de mouvement, il n’y a rien de narratif là-dedans. Je dis : si vous rapportez un mouvement à un intervalle de mouvement, si vous rapportez plutôt des mouvements à un intervalle de mouvement, vous obtenez trois types d’images. Je ne reviens pas là-dessus puisque ceux qui n’étaient pas là, vous me l’accordez. Vous obtenez trois types d’images qui seront trois espèces de l’image-mouvement.

Les trois espèces de l’image-mouvement, ce sont les types d’images que vous obtenez quand vous rapportez le mouvement à un intervalle de mouvement. c’est l’image perception, l’image action, l’image affection. Ce sont les trois sortes d’images mouvement, enfin les trois espèces principales de l’image-mouvement. Vous me direz comment ça ? je dis très vite, ben oui si vous rapportez un mouvement à un intervalle de mouvement, vous avez l’image-mouvement en tant qu’elle "agit" sur l’intervalle : c’est une image-perception. Vous avez l’image en tant qu’elle "réagit" et c’est l’image-action. Et vous avez ce qui remplit l’intervalle de mouvement et c’est l’image-affection.

Donc, (G.D. se déplace au tableau, note à la craie au tableau, voir schéma ci joint).

Ça : c’est mon intervalle de mouvement. Là : c’est le mouvement, en tant qu’il agit sur l’intervalle : l’image-perception. En tant que au-delà de l’intervalle, il y aura une réaction, c’est l’image-action. Entre les deux, c’est l’image-affection. ( ?) Tout ça on l’a fait, on l’a fait en détail. (bruit de chaise pour se rasseoir). Je dirais : les trois espèces d’images représentent la spécification de l’image-mouvement dans son rapport avec l’intervalle de mouvement.

Qu’est-ce que j’appelle une narration ? Qu’est-ce qu’il faut appeler narration ? J’appelle narration toute combinaison d’image-perception, d’image-affection et d’image-action conformément aux lois d’un schème sensori-moteur.

Qu’est-ce qu’un schème sensori-moteur ? Le schème sensori-moteur : c’est le mouvement dans son rapport avec l’intervalle de mouvement. En effet, le schème sensori-moteur, c’est lorsque une réaction retarde sur une action subie. Lorsqu’une réaction exécutée retarde sur une action subie. L’action subie...

(Coupure du son)

Votre œil. C’est le printemps ! Un rayon de soleil frappe votre oeil...c’est un mouvement : image-perception. Voyez : vous vous êtes un intervalle de mouvement. Vous n’êtes rien d’autre. C’est-à-dire vous êtes un pur écart. Vous êtes un écart. Vous êtes un intervalle de mouvement. Le rayon de soleil avec le mouvement lumineux frappe votre œil. Perception, premier type d’image-mouvement. Comme vous êtes un écart, vous êtes pas une chose. Une chose c’est un lieu de passage de mouvement sans écart. Alors, vous mettez du temps, et je suppose, vous faites ça : vous détournez la tête. Vous faites ça. Ou au contraire surtout si vous êtes un vampire, vous faites ça (il mime ?). Si vous êtes je ne sais pas quoi, un naturaliste (rires). Quoi que vous fassiez et le temps qu’il vous faut pour choisir si vous êtes un vampire ou un naturaliste, ça prend du temps. De faire ça ou de faire ça. C’est ce qu’on appellera une image-action. C’est une action. Une action, c’est ce par quoi vous réagissez à la perception, au bout d’un certain temps. Le schème sensori-moteur, c’est l’ensemble. Entre les deux, qu’est-ce qui se passe ? L’image-affection qui est un mouvement comme tournant sur soi-même. Qui remplit l’écart. A savoir, dans le cas du vampire, un sentiment d’horreur monte en lui : « Soleil, je te hais ! » Je te hais ! » C’est une image-affection. Ou bien : « je t’aime Ô soleil ». Deux grands poèmes de la littérature française ont assumé ces deux positions. L’un bien connu d’Edmond Rostand et l’autre moins connu mais encore plus beau, de Barbey d’Aurevilly. « Je te hais soleil... »

Bon tout ça c’est pour dire...Une narration, c’est pas compliqué une narration, une narration cinématographique, parce que évidemment ! L’avantage de ce que je dis là, de toutes ces bêtises-là, c’est que ça donne un critère de narration proprement cinématographique. Ma définition vaut pas pour une narration d’un autre type. Par exemple pour une narration romanesque. J’appelle narration cinématographique toute combinaison réglée d’image-perception, d’image-action, et d’image-affection. Réglée par la loi, d’un ou de plus schèmes sensori-moteurs. Et en effet qu’est-ce que c’est ce fameux cinéma d’Hollywood ? Le "fait" de la narration qu’invoque la sémio-critique ? C’est les passages réglés, les combinaisons réglées d’images-perception, d’image-action, d’image-affection. Prenez un western, par exemple ben c’est ça. Prenez un film policier, prenez tout ce que vous voulez, ça nous présente dans des ordres variables, et d’après tel ou tel aspect d’un schème sensori-moteur, cinéma d’action, ça nous présente des distributions d’image-perception. L’image- perception typique : en haut de la colline les indiens surgissent. « C’est des indiens ! » Image-perception. La peur monte au camp, ou bien le courage se prépare : image- affection. La réaction se fait : Pan pan pan ! C’est une narration. Je dis une chose simple : la narration dépend directement de la "spécification" de l’image-mouvement. J’appelle spécification ou procès de spécification, processus de spécification, le processus par lequel l’image-mouvement donne lieu à trois espèces principales d’images : image-perception, image-affection, image-action. C’est en ce sens que je dis que la narration n’est en rien une donnée immédiate de l’image : elle en découle. Et pas plus qu’elle n’est une donnée immédiate de l’image, elle n’est l’effet d’une structure langagière qu’elle suppose. A ce niveau, je ne vois absolument rien qui soit de la nature d’une structure langagière. Je vois une composition réglée des trois espèces d’images qui se sont spécifiées indépendamment de toute structure langagière. C’était ça mon premier point. Donc qui portait sur la première thèse de la sémio-critique.

J’ajoute pour ce premier point, vous vous rappelez que, ils se trouvaient, les sémio-criticiens, se trouvaient devant l’existence, depuis la guerre, d’une espèce de cinéma dit non plus narratif mais "disnarratif". Et dont l’exemple privilégié était emprunté au cinéma de Robbe-Grillet. Et la réponse des sémio-criticiens c’était de nous dire : c’est pas gênant, on peut l’expliquer en supposant quelque chose de l’ordre d’une mutation structurale. Au lieu que l’image narration (parce que pour eux l’image est narrative), au lieu que l’image narrative renvoie à une structure syntagmatique, une mutation structurale s’est faite, et on l’a vu, l’image renvoie maintenant à une structure à prévalence paradigmatique et non plus syntagmatique. Et ça suffit pour faire et pour produire les effets dits « disnarratifs ». Au contraire, dans le cinéma classique, la structure était à prévalence syntagmatique. On l’a vu, je reviens pas là-dessus, à moins que ce ne soit nécessaire, mais c’est pas nécessaire...

De la même manière, si j’essaye de fixer ma position, je dirai : non pas du tout ! Là-aussi il n’y a aucune mutation structurale. Il y a un phénomène fondamental qui, pour moi, définissait le cinéma d’après-guerre. A savoir : au lieu que l’image soit une image-mouvement, que ce soit le mouvement qui définisse la donnée immédiate, au lieu que l’image soit une image-mouvement et que dès lors, une représentation du temps ne fasse qu’en découler indirectement - dans le cinéma classique en effet il semble que vous aviez un ensemble image-mouvement / représentation indirecte du temps qui en découle - Eh bien la grande mutation d’après-guerre c’est que l’image devient présentation directe du temps. C’est-à-dire : c’est une image-temps directe et non plus une image-mouvement dont découlerait une représentation indirecte du temps.

Cette image-temps directe, c’est l’année dernière que nous avons essayé de l’analyser en détail. C’est pour ça que pour ceux qui étaient pas là...Ça risque de paraître un peu flou, mais tant pis ça fait rien. Et on l’avait trouvée plusieurs formes. L’image-temps directe, de toute manière s’opposait, devenait vraiment une image-temps c’est-à-dire, elle rompait avec la forme empirique du temps. La forme empirique du temps, je vous le rappelle c’est la succession, la succession des moments, ou la succession des présents. C’est ce qu’on appelle le "cours du temps". Une présentation directe du temps est d’une toute autre nature. Et nous l’avons trouvé de deux façons :
-  lorsque le temps constitue une série et non plus un cours. C’est-à-dire lorsque l’avant et l’après deviennent des qualités du temps, et non plus des positions relatives des moments. Lorsque l’avant et l’après deviennent des qualités du temps. C’est-à-dire lorsque se constitue une série du temps sous la forme : « je deviens autre ». On a vu que c’était la base du cinéma sériel sous, par exemple, la grande formule de Perrault : « le flagrant délit de légender ». Prendre quelqu’un en flagrant délit de légender, il y a l’avant et l’après qui sont devenus des qualités du temps. « Je deviens un autre », dont on trouve l’expression la plus pure dans le cinéma de Rouch. Mais on a vu que dans un cinéma qui se réclame plutôt d’un mode plus traditionnel, le cinéma de Godard, c’était une construction de telle série, où se fait une vectorisation du temps, d’après lequel l’avant et l’après deviennent des qualités du temps. Chaque suite d’images tendant vers une limite, qui va permettre de déterminer l’avant et l’après dans la série.

Ça c’était un cas, c’était un cas de représentation directe du temps : la série du temps.

Et puis on avait vu l’année dernière un autre cas. Non plus la série du temps mais l’ensemble du temps, qui était la seconde présentation directe du temps. Et l’ensemble du temps, ou non pardon, l’ordre du temps -l’ensemble du temps c’est trop équivoque - l’ordre du temps. L’ordre du temps, c’est quoi ? Cette fois-ci ce n’est plus suivant l’avant et l’après de la série, c’est suivant la coexistence de tous les rapports de temps. L’ordre du temps, c’est la coexistence des rapports de temps. Ça signifie quoi ? On l’a vu l’année dernière, là je ne reviens pas parce que j’ai pas le temps et puis c’est pas...On l’a vu l’année dernière sous deux formes. Il y avait même deux formes de l’ordre du temps. D’une part, la coexistence des présents intérieurs. A savoir la découverte qu’il y avait un présent du présent, un présent du passé, un présent du futur. Et que si passé, présent, futur se succédaient, en revanche, le présent du présent, le présent du passé, le présent du futur, eux coexistaient, et que c’était ça la présentation directe du temps. Par exemple chez Robbe-Grillet. Donc, la simultanéité des pointes de présent.

Ou bien autre aspect : la coexistence des nappes de passé qui est une autre manière de définir l’ordre du temps, c’est-à-dire la coexistence des rapports de temps. Coexistence des nappes de passé : je rappelle très brièvement, un exemple évident, bon...qu’on trouve beaucoup plus que, cette fois-ci pas chez Robbe-Grillet, mais qu’on trouve chez Resnais. Je disais déjà dans leur œuvre de collaboration : qu’est-ce qui se passe, dans "L’année dernière à Marienbad" ? Supposez deux nappes de passé ou deux personnages se rencontrent : l’un s’installe sur une nappe de passé où il n’a pas encore connu l’autre, l’autre s’installe sur une nappe de passé où il a déjà connu l’autre. C’est faisable ! Vous et moi on se connaît. Vous pouvez vous installer sur une nappe de passé où vous me connaissez déjà. Mais moi, en même temps, je m’installe sur une nappe de passé où je vous connais pas encore. Qu’est ce que ça va donner ? Ça va donner "L’année dernière à Marienbad". Alors peut-être que c’est ça la structure du temps dans "L’année dernière à Marienbad". Pourquoi ce serait ça ? Parce qu’ensuite toute l’oeuvre de Resnais le confirmerait - tout le temps, tout le temps apparaît le thème d’une coexistence profonde entre nappes de passé, des nappes variables de passé. Et l’année dernière pour ceux qui étaient là on avait été chercher une loi mathématique à cette coexistence. Et on l’avait trouvé dans quelque chose qui nous avait beaucoup intéressés : la transformation des nappes. La transformation du boulanger. Dans cette opération mathématique très bizarre, la transformation du boulanger, qui est exactement l’opération que fait le boulanger quand il étire une surface, quand il étire un carré de...truc aplati là, de pétrin, de je sais pas quoi là, et puis à chaque fois refaire, coupe en deux, refait, superpose, etc...Retire, bon. Et que, il est forcé qu’à chaque fois vous ayez comme des couches, comme des nappes, et que les nappes supposées contenir les mêmes points, ce qui varie c’est que d’une transformation à une autre vous avez une nouvelle répartition des points. Tels que les points qui sont contigus à un stade de l’opération, seront au contraire distants, sur la nappe, à un autre stade de l’opération. Si vous prenez ces nappes toutes, si vous supposez qu’elles sont coexistantes, vous aurez une coexistence généralisée des nappes de passé, qui en effet définit tout un ordre du temps. Et ces transformations se font suivant un certain ordre. Mais il y a une nappe où les deux personnages sont très distants et une nappe où ils sont plutôt rapprochés. Il y a pas deux points de la nappe qui, à certains niveaux de la transformation, seront l’un contre l’autre, et à un autre niveau de la transformation seront plus ou moins éloignés.

Je dis, voilà, peu importe, tout ça c’est pour...C’est pas pour que vous compreniez, ceux qu’étaient là ils ont déjà compris et ceux qu’étaient pas là ils peuvent pas comprendre ce que je dis. C’est juste pour en retenir ceci :
-  l’hypothèse que le cinéma a pu rompre avec l’image-mouvement, d’une certaine manière. Quand est-ce qu’il a rompu avec l’image-mouvement ? Je l’ai dit là depuis tellement longtemps, et tellement que...Il me semble que l’acte fondateur du cinéma moderne c’est l’écroulement du schème sensori-moteur. Voilà c’est tout.

C’est pas quelque chose qui s’est cassé dans le langage. C’est pas des modifications structurales ou langagières. C’est quelque chose de beaucoup plus vivant. C’est lorsque nous avons appris que nous n’avions plus beaucoup de moyens de réagir aux situations de ce monde. Et ça a été la découverte du néo-réalisme. Ça a été la découverte fantastique du néo-réalisme, qui n’a jamais été une leçon de passivité parce que ça a redistribué toutes les données. S’il s’agit pas, si on est incapables de réagir aux situations du monde quand elles sont devenues trop grandes pour nous, qu’est-ce qu’on peut faire ? Qu’est-ce qu’on peut faire ? Bon et c’était le départ de ce cinéma de voyant, de ce cinéma de la dénonciation, de l’enseigne néo-réalisme, ce cinéma de la voyance. Tout ça bon. Mais ça partait de : écroulement du schème sensori-moteur et par là l’image cinématographique abandonnait comme donnée immédiate, l’image-mouvement, le mouvement. Bien sûr ça continuait à se mouvoir, mais ce n’était plus ça l’essentiel.
-  L’essentiel c’est que ; au lieu que le temps dépende du mouvement, c’était le mouvement qui dépendait du temps. A savoir ce qui était devenu premier dans l’image cinématographique, c’était qu’elle était l’image-temps directe ! Et non plus une image-mouvement immédiate. Elle était une image-temps directe. Eh bien c’est lorsque l’image cinématographique devient une image-temps directe soit sous la forme de la série, soit sous la forme du rapport de temps, non de l’ordre du temps, soit sous la forme de l’ordre du temps que apparaisse, que découle de ce nouveau caractère immédiat de l’image, cette disnarration dont nous parle la sémio-critique. J’avais pensé que ce serait très clair et puis ça l’est pas du tout, j’ai le sentiment...Mais ça fait rien. Pas de problème ? Tout va bien ? Je passe au second point.

Je passe au second point, je suppose que...- Vous êtes tout à fait libres je veux dire, moi c’est comme un choix que je vous propose - vous voyez, j’ai essayé d’expliquer le plus honnêtement, que je pouvais le premier point de vue de la sémio-critique, c’est là où je fais toujours appel à ce dont vous avez besoin, ou ce qui vous convient, vous. Si y’en a parmi vous qui se disent, c’est ça qui me convient : surtout faites le, ce n’est pas moi qui vous en empêcherait...Allez-y, allez-y. Moi j’ai dit pourquoi ça me convenait pas. Et alors pourquoi je souhaite aller dans une autre direction, et j’ai essayé de dire dans quelle autre direction.

Encore une fois si je re-re-re-résume, la donnée immédiate de l’image cinématographique : c’est tantôt le mouvement tantôt le temps. La narration ou la disnarration, découle de ces données immédiates. Je n’ai besoin - accordez moi - j’ai besoin de faire appel à un processus de spécification de l’image-mouvement ou de surgissement de l’image-temps. Mais je n’ai besoin de faire appel à rien, qui touche de près ou de loin à la langue ou au langage. En effet il y a une spécification de l’image- mouvement. Par exemple dans les trois images que j’indique, perception, action, affection. C’est une histoire, la typologie du mouvement qui ne se réfère à absolument de rien, rien, rien, de langagier. Car je dirai à la fin, je n’ai finalement pas dit de quoi il s’agit dans toute cette histoire. D’où nous passons au deuxième point.

Voyez c’est curieux on se trompe toujours. Quand je prévois nos séances je me dis : « ah ça ça va être très clair, ça ça va aller, et puis ça va être difficile etc... Et je me trompe chaque fois ! Ce que je pense devoir être dit très clairement devient tout d’un coup très très confus. Alors ce que je pense être difficile...enfin je l’espère ! Pour le moment, je n’ai eu que la première aventure.

Deuxième point : c’est l’histoire de l’énoncé analogique. L’image cinématographique serait un énoncé. Oui ?

Un élève pose une question

G.D. : Pierre Perrault. Perrault est un très, très grand cinéaste québécois, que l’on groupe généralement sous le titre, dans la rubrique du "cinéma direct", mais qui est une très très mauvaise rubrique, lui-même appelle ça cinéma vécu ou cinéma non, il appelle ça "cinéma du vécu" et c’est pas plus vrai. Et dans des séances précédentes on s’était intéressés à certains films de Perrault. Enfin, c’est je crois un des cinéastes les plus importants du cinéma actuel. Et je l’avais rapproché de Rouch, parce que il y a quelque chose de commun : c’est que en effet il pense que le cinéma "dit à tort direct" n’est pas un cinéma qui saisit le vécu mais qui saisit le moment où quelqu’un passe d’un état donné à un tout autre état donné sous lequel il fabule. Et c’est ça qui constitue la série. C’est pour ça qu’il récuse toute fiction pré-établie. Il récuse toute fiction pré-établie, non pas du tout - rappelez-vous - non pas du tout parce qu’il faudrait éliminer la fiction, mais parce qu’il faudrait saisir la fiction en flagrant délit ! C’est-à-dire quand c’est un personnage réel qui se met à fictionner comme on dit.

Alors ça groupe pas mal de...ça groupe aussi des américains, si vous prenez Shirley Clarke. Shirley Clarke ; c’est évident. Sa grande œuvre là, qui est sur un noir mythomane, la grande grande œuvre, qui s’appelle..."La vie de Jason", je crois La vie... Ou je sais plus quoi, "La vie de Jason" qui est un personnage fabuleux qui précisément ne cesse de passer de, du personnage qu’il est à la fabulation qu’il est en train de monter. Et c’est se saisir, c’est non pas se donner une fiction préétablie mais pour "saisir" le flagrant délit de produire une fiction, le flagrant délit de légender. Lorsque Perrault dit : ce qui m’intéresse moi, c’est lorsque l’indien est pris en flagrant délit de légender. Si la fiction vient de moi, c’est nul. Pourquoi ? Parce que c’est le discours du maître. Et j’aurai beau faire efforts et me mettre du côté des indiens et faire le maximum ce sera toujours le discours du maître. Ce sera toujours le discours du colonisateur. Mais le vrai cinéma, et c’est par là que Perrault pense à un cinéma vraiment politique, c’est que précisément il faut atteindre le moment où des êtres réels exercent leur pouvoir de fabulation. Et le pouvoir de fabulation, comprenez, ce n’est pas du tout mensonge ou mythomanie, évidemment, ça peut pencher vers..." La vie de Jason", l’admirable film de Shirley Clarke, il est complètement mythomane Jason, mais il fait bien plus que ça, il fait bien plus que ça. Le pouvoir de fabulation, c’est le pouvoir par lequel une collectivité s’invente comme peuple. C’est pour ça que c’est un cinéma politique. C’est pour ça que aussi chez Godard, ce sera un cinéma politique. Pour d’autres raisons que de s’inventer comme peuple. Mais chez Perrault c’est évidemment...C’est évidemment ça. Quand l’indien se met en flagrant délit de légender, c’est le moment de trop. Il répond toujours à l’objection : mais voyons, vous n’avez jamais été une nation ! L’acte de fabulation c’est précisément l’acte par lequel la nation est en train de se faire.

Alors je dirais...Comment dire...C’est des pôles, c’est très très nuancé, c’est à vous de corriger chaque fois. Il y a bien un pôle où la fabulation a l’air d’une simple mystification, comme dans "La vie de Jason", le noir qui raconte...et qui à la limite est de l’escroquerie, comme dans "Vérités et mensonges" de Welles. On l’a vu quand on a analysé là ce film si curieux de Welles, qui constituait une série. Une série, c’est ce qu’on appelait une série organisée sous la puissance du faux. Une fois dit que la puissance du faux est toujours multiple et qu’elle renvoie d’un degré, à un autre degré, à un autre degré, qu’il y a toujours un faussaire, du faussaire, du faussaire, etc... Alors ça on peut dire, c’est un pôle extrême du pouvoir de fabulation.

Et l’autre pôle extrême de fabulation c’est la constitution politique d’un peuple. Et perpétuellement ça aussi, ça passe de l’un à l’autre. Ça passe de l’un à l’autre, d’une certaine manière, on ne sait plus très bien où on en est. Prenez "Moi un noir" de Jean Rouch, précisément c’est la même chose, c’est pour ça que je rapproche toujours le Perrault de Jean Rouch, quoique leur technique soit très très différente. Il s’agit de quoi ? Il s’agit de quoi ? Ces noirs qui exercent leur métier, et puis qui vont se transformer selon les besoins d’un rituel. Ou bien ces noirs qui sont chômeurs ou putains, et puis qui vont se vivre comme agent fédéral, ou grande actrice d’Hollywood. Dans "Moi un noir", c’est le : « je deviens un autre ». C’est la fabulation. Vous y retrouvez les deux pôles. Vous pouvez le prendre au niveau du pôle qui est déjà pleinement satisfaisant, et qui est très intéressant, à savoir : ils se font leur cirque. Ils se font leur cirque à eux-mêmes. Ils disent ça va pas tout ça. Ils se prennent...La petite putain noire qui se prend pour Dorothy Lamour. Bon... Bien. Il y a ça, on peut pas le supprimer, c’est même ça qui vous fait rire, sinon ce serait pas une bonne idée. Il y aussi autre chose : c’est la manière dont ils se constituent comme peuple. Pourquoi ils se constituent comme peuple, comme ça ? Sentez qu’il y a déjà une espèce d’étrange retournement de rôle. Le pouvoir de fabulation, c’est la réponse à la question : mais où est le peuple ? Le peuple manque. Et je vous disais c’est ça la grande différence, entre le cinéma politique d’avant-guerre puisqu’on est toujours à la recherche de ses différences entre...Et le cinéma politique d’après-guerre. Le cinéma politique d’avant-guerre il est marqué par le cinéma soviétique. Or le cinéma soviétique, même s’il a des doutes, même s’il éprouve déjà des doutes, il y a une qu’il ne peut pas dire, ni même suggérer, ce serait que le peuple manquerait. Ça il ne peut pas. Le cinéma politique, le grand cinéma politique soviétique est un cinéma où le peuple est là ! Est là, c’est-à-dire il agit, il est là. Et même s’il n’a pas conscience, prenez quelqu’un comme Poudovkine, tout son cinéma c’est la prise de conscience du peuple. Mais en tout cas le peuple est là. Le cinéma d’après-guerre, ça fait partie de l’écroulement du schème sensori-moteur. Le peuple manque. Il n’a plus de peuple. Il n’y en a plus en Europe, il y en a pas encore dans le tiers monde. Il n’y en a plus en Europe, il y en a pas encore en Afrique. On leur a maintenu les divisions coloniales, comment y’aurait il un peuple ? On s’est bien gardé de leur donner les possibilités d’un peuple. Le peuple manque. Ça va être : ou bien le peuple n’est plus là, ou bien le peuple n’est pas là encore. Ça va être la grande prise de conscience de l’après-guerre. Le grand cinéma soviétique, le grand cinéma soviétique politique n’est plus possible. Il n’a rien perdu de sa valeur, il n’a rien perdu de sa beauté, y compris de sa force politique. Il n’a rien perdu, mais c’est plus la peine de le refaire. Au même sens que Robbe-Grillet dit : ce n’est plus la peine de refaire des romans comme Balzac, Balzac nous suffit. C’est pas le Balzac qui a vieilli, ce qui a vieilli c’est ceux qui font des romans comme Balzac. Balzac, il n’a pas vieilli, lui. Eisenstein, Poudovkine, Dovjenko, ils n’ont pas vieilli eux. Voyez, faire du cinéma politique qui nous montrerait un peuple existant, ce n’est plus la peine puisque ça ne répond à rien. Alors, le cinéma politique émigre dans le Tiers-monde, je vous disais, ça veut dire quoi ? Il émigre dans les conditions où le peuple manque.

Prenez le problème des ... je m’éloigne, al là là ! Prenez l’histoire du peuple palestinien. Le peuple palestinien, c’est pas compliqué cette histoire. Israël n’a jamais voulu parler de palestiniens. Pour lui, il n’y a pas de peuple palestinien. Donc Israël a toujours parlé d’arabes "de Palestine". C’est très intéressant, ça veut dire que tous les langages sont codés. Le langage diplomatique est avant tout codé. Proust l’a montré à merveille dans les pages ( ?) lorsqu’un diplomate dit : il fait beau, il faut savoir ce que ça veut dire... Eh bien lorsque les diplomates disent : « arabes de Palestine », on voit bien ce que ça veut dire : il n’y a pas de Palestiniens. Il y a des arabes qui se trouvaient en Palestine. c’est pas des palestiniens. On voit bien pourquoi Israël a besoin de cette formule. Puis il y a une chose certaine, c’est que il n’y avait pas de nation palestinienne. Il n’y avait pas d’état palestinien. Il n’y a avait pas de nation palestinienne. Les palestiniens ou arabes de Palestine se distinguaient tout à fait. Ils se distinguaient des autres arabes, complètement, ils avaient leurs traditions, ils avaient leur lignage, ils avaient leur chefferie, ils avaient tout ce que vous voulez et ils faisaient partie d’une province écrasée par les Turcs. Bon. Qu’est-ce que c’est le problème palestinien ? C’est : comment les palestiniens se sont constitués comme peuple. Comment ? En luttant, dans une lutte. D’une certaine manière, les israéliens n’ont pas tort : il n’y avait pas de peuple palestinien. Mais au moment où ils disent ça, il suffit qu’ils disent ça pour que commence à s’en faire un, celui qui consiste précisément à lutter contre l’expulsion, par Israël, des arabes de Palestine.

Alors à ce moment là commence à naître le peuple palestinien. Qu’est-ce que c’est ça ? D’une certaine manière, c’est la fabulation. Ce que j’appelle fabulation, c’est l’ensemble voyez, c’est l’acte par lequel quelque chose qui n’existait pas encore se "constitue". C’est précisément dans la mesure où il n’y avait pas de peuple palestinien que la constitution du peuple palestinien est un véritable acte de fabulation politique. Mais je ne connais pas de peuple qui, historiquement, ne se soit constitué par de telles fabulations. Et ça veut pas dire retrouver les vieux mythes. Au contraire, c’est des actes très pratiques.

Comment les peuples en Afrique se constituent-ils aujourd’hui ? Et sous quelle forme ? Réponse de Rouch : par une série d’actes de fabulation, dont il essaye de faire quoi ? De nous donner quoi ? De nous faire l’histoire dans son cinéma à lui et qui passe par comment tel noir se glisse dans tel rôle, Qui peut renvoyer à un rôle du nom d’américain, dès que... Penser à ...par exemple dans film de Rouch L’américain, le lion ! C’est des chasseurs de lions, le lion est nommé l’américain ! Voilà l’acte de fabulation. C’est très marrant ! Il faudrait analyser en détail ce petit film, ce film très beau. C’est un acte de fabulation fondamentalement politique, qui très bizarrement va permettre au groupe de chasseurs de lions de se constituer comme peuple. J’exagère un peu. J’exagère, mais j’exagère à peine. Il y a eu le baptême, le baptême complètement fabulateur : le lion, l’américain.

Or dans "Moi, un noir", c’est la même chose : la petite putain qui dit : « moi, Dorothy Lamour ». Ou bien l’autre qui dit : « moi je suis le grand agent fédéral, le chômeur là. » Tout ça, tout ce cirque qu’ils se font à eux-mêmes. C’est ça je dis, ce qu’il y a de formidable dans ce cinéma mal dit direct, c’est comment perpétuellement... Et encore une fois si je reviens à l’exemple - parce que c’est un des plus beaux films de cette tendance - à l’exemple de Shirley Clarke, "La vie de Jason", c’est fantastique, parce qu’en effet, vous avez là un noir de Harlem, qui a du génie. C’est un prodigieux acteur, il fabule, mais au sens de complètement mythomane. Et c’est évident qu’à travers cette mythomanie toute individuelle, que le type mène avec génie, il fait aussi partie de son peuple ; c’est-à-dire que l’acte de fabulation, d’une autre manière, vaut aussi pour la constitution d’un peuple noir aux Etats-Unis. Et que le film de Shirley Clarke est politique en ce sens.

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