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72- 11/12/1984 - 3

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cours 72 du 11/12/1984 - 3 transcription : Sabine Mazé

... Bah dans une loterie vous faites un tirage. Un premier tirage, A, un second tirage, B, un troisième tirage, C. Chacun de ces tirages est strictement indépendant des autres. Au point que, au bout d’un certain temps vous voulez changer celui qui tire, pour qu’il n’y ait même pas de dépendance musculaire, de la part du tireur. Imaginez l’autre situation. Une drôle de chaîne... ça fait une chaîne. Une chaîne de tirage au hasard, mais chaque tirage au hasard dépend de celui qui précède. Une telle chaîne - elle est devenue bien connue en mathématiques, en cybernétique, sous le nom de l’un de ses créateurs : chaîne de Markov. M-A-R-K-O deux F ou V à votre choix. Chaîne de Markov. Et pour mieux comprendre, là, je donne un exemple rapide, mais voilà... Markov avait commencé par étudier une drôle de chose : comment on peut faire du faux latin ou du faux anglais, du faux français ? Comment on peut fabriquer une fausse langue ?

C’est bien connu sous le nom de problème des jargons. Comment faire du jargon ? Vous pouvez toujours concevoir - alors vous vous donnez une série d’urnes là, des urnes, des boîtes. Je suppose que je me donne la règle suivante : chaque boîte pourra contenir des groupes de trois lettres... dont les deux premières sont constantes. [rires étouffés] dont les deux premières sont constantes. Alors dans votre première urne vous mettez a-b-a, a-b-b, a-b-c, a-b-d, a-b-e, a-b-f, etc. Vous comprenez ? Dans la seconde, et vous mettez b-c-a, b-c-b, b-c-c, b-c-d, heu, etc. Donc chaque urne contient un groupe de, on appellera ça, de trigramme, groupe de trois lettres dont les deux premières sont constantes. Vous me suivez ?. Si vous faites ça, ça donne rien encore. Mais vous savez bien que sur une langue, il est capable de faire des calculs de fréquence. Par exemple au niveau des groupes de lettres. On dira en français, heu, la lettre Q, dans un nombre maximum de cas est suivie par U. Et on pourra calculer la fréquence du groupe Q-U par rapport à des groupes comprenants Q qui ne serait pas suivit de U. Là immédiatement je ne vois que COQ. De même en français il y a une fréquence importante où la lettre H est précédée par C, vous pouvez calculer - là les ordinateurs servent beaucoup, évidemment, c’est pour ça que tout ça était très lié à des problèmes d’ordinateurs, et que les chaînes de Markov pouvaient guère être découvertes avant. Vous pouvez établir la fréquence de ces H. Donc supposons que vous fassiez des calculs de fréquence sur un langue, ça a été très souvent fait. Vous pouvez faire aussi des calculs de fréquence sur la langue d’un auteur, ça a été fait notemment pour Joyce, dans des conditions très intéressantes. Vous pouvez faire des calculs de fréquence pas seulement sur des groupes de lettres, mais sur des mots, ça a été fait pour Mallarmé.

On sait pas bien où ça mène tout ça... si ! ça va permettre de faire des jargons, des faux Mallarmé, des faux Joyce. Heu, mais comment vous allez faire ? Vous prenez un seuil de fréquence qui vous assure donc que votre trigramme, c’est à dire votre groupe de trois lettres, a une certaine fréquence dans la langue considérée. Voilà. Et puis vous y allez. Vous tirez d’une urne, vous prenez une urne, vous prenez l’urne, chaque urne donc est définie par les deux premières lettres, des trigrammes. Vous prenez la lettre, vous commencez par la lettre, heu, par l’urne i-b. Dans l’exemple là que j’ai sous les yeux, tiré d’un livre de Rivière] dont je vous parlerais. Heu...

...Et là dans le cas qui nous occupe, on tire U. On écrit donc IBU. Le premier tirage vous a donné IBU. C’est un tirage de loterie. IBU, I-B-U. Là dessus, vous avez deux cas : ou bien vous allez prendre n’importe quelle urne et faire un nouveau tirage, à ce moment là ce sera une succession de tirages au hasard indépendants. Ou bien, vous avez déjà deviné, j’espère, vous allez prendre l’urne B-U. Et vous tirez. Supposons que vous sortiez BUS. De l’urne I-B, vous avez sortis IBU, de l’urne BU, B-U, les deux dernières lettres, vous avez sortis BUS. Il vous reste à prendre la boîte US, U-S, dont vous allez sortir U-S-C. Hein. U-S-C. Puis de la boîte S-C, vous allez sortir S-C-E. Bon, vous avez une suite, là-dessus évidemment vous vous donnez le droit de la couper. Ce qui vous donne, je vous lis lentement, je fais appel tout particulièrement à ceux qui ont lu un petit peu de latin.

IBUS, I-B-U-S, coupure, vous coupez là. CENT, C-E-N-T, coupure. Vous allez continuer vos tirages, IPITIA, I-P-I-T-I-A, coupure. VETIS, V-E-T-I-S, coupure, etc.

Comme on dit, en gros ça a l’air incontestablement d’être du latin, et vous voyez pourquoi - c’est pas compliqué, ce serait étonnant - puisque vous avez retenu des trigrammes d’après des fréquences, d’après des fréquences statistiques effectuées sur l’ensemble de la langue. Vous pouvez faire de même du faux anglais, c’est ce qu’on appellera un jargon. Vous avez fait du jargon latin. Vous pouvez de la même manière faire du jargon Joycien. Même ce jargon latin là dans cet exemple, l’exemple est particulièrement développé dans un livre justement d’un linguiste qui s’appelle Guyrot, "Les caractères statistiques du vocabulaire". Bon, vous pouvez frabriquer des jargons. Qu’est-ce qu’y-a, pourquoi je raconte tout ça ? Je vous raconte parce que vous avez le cas typique, ça doit vous faire comprendre ce qu’on appelle une chaîne de Markov plus que si je la définissais par des formules mathématiques. Vous voyez que chaque tirage se fait au hasard, dans l’urne, mais chaque tirage en même temps dépend du tirage précédent. Puisque vous avez choisi là comme seconde urne, celle qui était déterminée par les deux derniers mots du trigramme choisi dans la première urne.

-  C’est exactement ce qu’on appellera des phénomènes aléatoires semis dépendants. Ou des phénomènes aléatoires partiellements dépendants. Il y a chaque fois tirage au hasard, mais dans des conditions de dépendance entre les urnes et les tirages successifs. Vous n’êtes pas dans les conditions de la loterie, vous n’êtes pas non plus dans les conditions d’un déterminisme. C’est du semi aléatoire, c’est une chaîne de Markov. Vous pouvez dire qu’à la lettre c’est un mixte, c’est un mélange quoi, c’est un mélange structuré, on dira que c’est un mélange structuré en ce sens qu’il n’est pas structuré comme la langue et que pourtant c’est pas un mélange au hasard.

Deuxième direction de recherche - pour aller vite, à première vue ça n’a rien à voir. Dans la cosmobiologie, dans l’éternel problème de : "comment, comment est-ce que un organisme vivant a-t-il pu se former.".. Il y longtemps que des biologistes faisaient une hypothèse, et des physiciens, ou des chimistes - faisaient une hypothèse très intéressante. Ils employaient eux aussi, bien avant les chaînes de Markov, une comparaison langagière. Ils disaient, si vous vous donnez des lettres au hasard et que vous tirez, vous avez très peu de chances de tomber sur un mot ; mais si vous vous donnez des syllabes, vous avez évidemment beaucoup plus de chances de former un mot. Et cela leur donna l’idée de : "état intermédiaire". À savoir, ils disaient : " est-ce qu’on pourrait pas concevoir, l’apparition du vivant sous la forme suivante : à travers un passage par des états intermédiaires à condition que ces états soient stables, et l’on passerait d’état intermédiaire en état intermédiaire par fluctuation, par fluctuation autour de la moyenne de l’état précédent".

Ça veut dire quoi, en cosmobiologie ? Ça veut dire que par exemple : on part d’un état de corps particulier qu’on appelle les coloïdes, qui n’ont rien de vivant. Les coloïdes : voilà, première étape. Dans certaines conditions à déterminer, il y a une fluctuation, ce qu’on appellera une fluctuation, par rapport à l’état moyen du coloïde. Et cette fluctuation donne ce qu’on appelle un coaservat, par exemple un coaservat composé de composés carbones. Bon, des fluctuations par rapport à un état moyen, on en trouve constamment - remarquez hein, je le dis tout de suite parce que c’est essentiel, on en trouve constamment. Même dans un gaz, avec répartition brownienne des particules, avec répartition des particules au hasard, vous trouvez constamment des fluctuations. Qu’est-ce qu’on appellera une fluctuation ? Un moment où un nombre insolite de particules se groupe dans une région précise. Mais ces fluctuations sont comme immédiatement neutralisées ou compensées d’habitude, c’est ça qui empêche l’état intermédiaire de prendre. À peine il est formé qu’il est déjà dissipé.

Donc le problème de la cosmobiologie ce sera : - est-ce qu’on peut imaginer des conditions où une fluctuation se formant par rapport à un état donné, la fluctuation ne serait plus dissipée, mais au contraire amplifiée de manière à donner un nouvel état ?

C’est un problème fondamental. Alors laissons de côté pour le moment le problème des conditions, puisqu’on le retrouvera : à quelle(s) condition(s) une fluctuation au lieu de s’annuler, s’amplifie ? Mais essayons de mieux comprendre : on part de l’état coloïde, fluctuation par rapport à son état moyen, ça nous donne un nouvel état coaservat composé carboné, un ensemble de composés carbonés. Il y a toutes chances encore une fois pour que la fluctuation s’annule. Supposons qu’elle ne s’annule pas à certaines conditions, à ce moment là, bon, d’intermédiaires, il y aura de nouveaux intermédiaires, je saute, c’est pour aller vite - on finira par la posibilité de chaînes d’enzymes, ou de chaînes de protéines. Chaînes de protéines qui formeront pas encore un organisme vivant. Mais d’état intermédiaire en état intermédiaire, c’est à dire de fluctuation amplifiée en fluctuation amplifiée, est-ce qu’on ne peut pas concevoir d’une autre manière, d’une nouvelle manière le problème de l’origine de la vie ? C’est très différent d’une formation au hasard, c’est quoi ?

Qu’est-ce que je suis en train de vous raconter, c’est une chaîne de Markov mais de l’évolution, c’est une chaîne de Markov.
-  Vous avez exactement une série de tirages dépendants les uns des autres, une série de tirages au hasard, dépendants les uns des autres, où chaque fois la fluctuation marque un hasard, qui s’il n’est pas annulé, s’il a des conditions d’amplification, va aller vers un nouveau tirage qui à nouveau va produire. Vous avez un enchaînement de tirages dépendants les uns des autres, bien que chaque tirage soit aléatoire, vous avez une chaîne de Markov. Ou une espèce de chaîne de Markov, on regarde pour le moment, là il faut, heu - tout ce que je dis ne vaut rien si on oublie le problème, c’est très bien tout ça, mais pour que une fluctuation engendre un nouvel état, qui sera dans un rapport semi aléatoire, vous voyez, il sera exactement dans un rapport aléatoire partiellement dépendant de l’état précedent, le coaservat composé, carboné, sera par rapport à l’état coloïdal dans un état de, dans un rapport de semi dépendance, dans un rapport aléatoire semi dépendant. À condition, encore une fois, j’ai pas du tout encore posé, répondu à la question, à condition que la fluctuation ne s’annule pas.

il y a un texte de Darwin, une lettre de Darwin, moi que je trouve heu géniale, où Darwin jeune, non pas si jeune d’ailleurs, dit : on nous dit tout le temps si la vie avait commencée, pourquoi, pourquoi elle pourrait pas recommencer aujourd’hui, hein ? C’était les anti-évolutionnistes du temps de Darwin invoquaient déjà cet argument : si ça s’est fait une fois pourquoi que ça se ferait pas une autre fois ? Et Darwin répondait, ben justement c’est très difficile aujourd’hui qu’une autre forme de vie se forme, disait Darwin. Et pourquoi ? Supposez que dans un petit étang - il est génial ce texte, génial, parce qu’il nous donne la réponse - supposez que dans un petit étang, à croire que dans une grande mer ça jouerait pas. Supposez que dans un petit étang se forment des coaservats, à partir d’états coloïdaux, ben aujourd’hui, ils ont aucune chance de faire une fluctuation amplifiante, pourquoi ? Parce qu’ils seraient mangés tout de suite, ils seraient mangés tout de suite par les vivants déjà là. Ils seraient immédiatement absorbés, il y aurait toujours un poisson pour les avaler. Alors si la vie elle a plus pu se former, c’est pour une raison simple, c’est que dès qu’elle s’est produite elle consomme tout, alors il y a pas beaucoup de risque qu’une autre forme de vie puisse se former avec des chaînes d’un autre type, les chaînes d’un autre type seraient immédiatement englouties. Mais sa remarque « dans un petit étang », elle doit nous enchanter à nouveau car elle nous met sur la voie de la solution : à quelle(s) condition(s) une fluctuation peut être amplifiante ? Mais c’est une voie, on sait pas encore, on sait pas encore.

-  Voilà la seconde direction de recherche, la cosmobiologie. Or je conclue ce point encore une fois, parce que je voudrais aller très doucement, voyez que cet enchaînement d’états stables intermédiaires, où l’on passe de l’un à l’autre par fluctuations amplifiées ou amplifiantes, forment une chaîne de Markov. Ou une espèce de chaîne de Markov, c’est à dire un enchaînement de phénomènes aléatoires, hein, partiellement dépendants.

-  Troisième ordre de recherche, les recherches faites par Prigogine et Isabelle Stengers. Car c’est justement des recherches portant sur les fluctuations, et posant directement - c’est le chapitre 6 de La sainte alliance [nb :La nouvelle alliance]- posants directement la question : dans quelle(s) condition(s) une fluctuation est-elle amplifiante et dans quelle(s) condition(s) au contraire, elle s’annule ou est compensée ? Donc, ils devraient nous donner une réponse au problème que nous posions tout à l’heure. L’état, l’état primaire où les fluctuations sont immédiatement compensées, c’est encore une fois l’état de la théorie cynétique des gaz. Un grand nombre de particules se distribuent dans un milieu fluide, fluide - même à la limite on dira idéalement fluide - un grand nombre de particules dans un milieu idéalement fluide, qu’est-ce qui se passe pour leur mouvement : elles ont, chaque particule a ce qu’on appelle un libre parcours, le libre parcours c’est quoi ?

-  C’est la distance moyenne parcourue par une particule, avant d’être choquée par une autre particule. J’insiste sur "libre parcours". Pourquoi il faut le milieu fluide d’un gaz ? Parce que dans un solide, les particules ne sont plus indépendantes. Pourquoi les particules ne sont plus indépendantes dans un solide où même dans un liquide ? Parce que l’état même du solide ou du liquide les rassemble dans une région où elles perdent leur indépendance même, elles sont prises dans la région du solide de telle manière qu’elles n’ont plus de libre parcours, elles perdent leur libre parcours. Dans un gaz, avec mouvement brownien des particules - voyez le mouvement brownien c’est donc : une particule fait un parcours jusqu’à ce qu’elle soit, jusqu’à ce qu’elle soit choquée par une autre particule qui l’envoie dans une autre direction, etc.

Et vous avez le type d’une répartition au hasard soumise à des lois de probabilités, dans la mesure où vous avez un très grand nombre de particules. Une fluctuation c’est donc lorsque une grande proportion de ce grand nombre de particules, ou bien une proportion importante, se trouve dans une même région. Immédiatement je dis, c’est corrigé c’est annulé, pourquoi ? A cause, nous disent Prigogine et Stengers, à cause de la diffusion : en effet en milieu fluide, c’est.. à cause de la diffusion qui couple toutes les régions du système. C’est parce que la diffusion qui couple toutes les régions du système, et notamment qui couple la région fluctuante, c’est à dire la région où est apparue la concentration anormale de patricules, avec l’environnement. C’est parce que la diffusion entre donc la région où a lieu la fluctuation et l’environnement est très élevée que la fluctuation est immédiatement compensée et la répartition probabilitaire des particules rétablie. C’est donc la diffusion.

Bon. Alors, la réponse à ma question c’est donc :
-  il faut qu’un seuil soit franchi pour qu’une fluctuation ne soit pas annulée, ne soit pas compensée, mais soit amplifiée. Pour qu’une fluctuation s’amplifie au point d’engendrer un nouvel état, qu’est-ce qu’il faudrait ? Il faudrait que la région fluctuante soit d’une manière ou d’une autre, à l’abri, de la rapidité de diffusion qui rétablit l’état moyen. Prigogine il va même loin, parce qu’il dit : "vous savez ça vaut pour nos sociétés aussi". Il y a tout le temps...comment expliquer que nos sociétés qui étaient très complexes soient, soient si stables, alors qu’à chaque instant se forment des fluctuations, c’est à dire des écarts par rapport à la moyenne ? Et bah, il dit c’est qu’il y’a un équivalent de la fluidité, c’est la rapidité de l’information. C’est pour ça que la rapidité de l’information c’est fondamentalement quelque chose de.. c’est lié au maintien de l’ordre. C’est la rapidité de l’information qui immédiatement annule les fluctuations, les ramène à les, les abat.

Et il dit là dans une phrase intéressante, il dit bah oui, c’est pour ça que les fluctuations qui risquent de survivre, elles ont très souvent leurs origines dans des groupes marginaux, parce que les groupes marginaux sont protégés contre la rapidité de l’information, de la diffusion. Donc ça se diffusera après, mais justement, ce sera, une, un truc amplifiée, là, heu, une, j’ai perdu mon mot, une heu, ahhh... une fluctuation amplifiée, amplifiante ou amplifiée. Vous comprenez un petit peu...
-  Donc voilà la réponse à la question : pour que une fluctuation, c’est à dire un écart par rapport à un état moyen petit "a" puisse s’amplifier, il faut que d’une certaine manière il échappe à la rapidité de la diffusion. A quelle(s) condition(s) est-ce qu’il peut échapper à la rapidité de la diffusion ? C’est que si se fait une accumulation - voilà en gros la réponse, oui j’en vois même pas d’autre - si se fait une acumulation dans un milieu retreint et que ce milieu restreint soit à l’abri du milieu environnant qui viendrait annuler la fluctuation. Il viendrait compenser la fluctuation, c’est à dire lui assurer son annulation par rediffusion.
-  Il faut que le milieu restreint soit protégé de la diffusion.

Là en plein, vous avez à nouveau, ça m’étonne qu’ il n’y fasse pas de référence, je crois pas qu’il le fasse même dans le reste... vous avez en plein une chaîne de Markov. Il donne un exemple très curieux Prigogine, il donne l’exemple des termitières, qui est typiquement, qui peut être interprété comme une chaîne de Markov. Alors c’est très intéressant parce que la termitière, car on peut se dire que la termitière c’est un tel chef d’oeuvre que c’est un système centré, c’est un système arborescent centré. Non, pas forcément. il y a une interpétation de la termitière c’est, qui est typiquement chaîne de Markov. À savoir : les termites transportent des petites boules de terre et puis elles les lâchent en cours de route.. vous me suivez ? Vous êtes une termite, vous transportez des boules de terre, vous les lâchez en cours de route. En les lâchant, les termites les marquent d’une hormone. Cette hormone a pour propriété d’attirer d’autres termites qui lâchent alors aussi. Bon qu’est-ce qu’il faut pour que les piliers, au moins les piliers de la termitière soient déjà établis ? Il suffit d’un facteur aléatoire, il suffit d’une fluctuation. À savoir que le hasard, l’aléatoire, aléatoirement un grand nombre de termites aient lâchés leur boule de terre dans une portion restreinte de leur territoire - c’est une fluctuation par rapport à la répartition moyenne des boules de terre. Vous me suivez ? On en aura vu aujourd’hui, les termites, les...hein ?

Ça c’est le facteur aléatoire, qu’un grand nombre, qu’un nombre considérable de termites lâchent leur boule de terre dans une portion restreinte du territoire des termites. Là dessus tout s’enchaîne, tout s’enchaîne, c’est à dire, si ça se fait ça, vous avez une portion du territoire qui par nature résiste déjà à la diffusion.

Pourquoi ça résiste à la diffusion ? À cause de l’hormone, qui attire d’autres termites qui vont poser leur boule de terre aussi. Et vous aurez, à égale distance des piliers, qui s’élèveront. Pourquoi égale distance ? La distance sera égale à la portée olfactive de l’hormone. Voilà. Le début, au moins - car il faut, il faut aller très lentement, il faut être prudent. Le début de la construction d’une termitière, peut être ici assimilé à une chaîne de Markov. C’est à dire, une succession de phénomènes aléatoires semi dépendants. Voyez que le facteur de détermination c’est l’hormone, le facteur aléatoire c’était le lâcher au hasard des boules de terre, la condition pour que la fluctuation s’amplifie c’était que un certain nombre de termites lâchent leur boule de terre dans une périphérie très restreinte. Ça c’est le troisième,

-  Quatrième angle de recherche.

C’est les recherches d’un cybernéticien aussi, d’un biologiste cybernéticien qui s’appelle Pierre Vendryes, V-E-N-D-R-Y-E-S, ne le confondez pas avec un autre Vendryes, c’était son père et il était linguiste. Et Vendryes, son schéma est très simple, je vous le dis parce qu’il est très bon, en même temps, et puis il va nous faire avancer. Il dit : "essayons de définir le vivant par la constitution des milieux intérieurs". L’organisme c’est une instance qui s’est constituée en milieu intérieur, et plus le milieux intérieur est solide, et on voit ce qu’il veut dire, c’est en plein dans notre problème du coup. C’est à dire, on retrouve la notion de milieu intérieur maintenant mais à un autre niveau - à savoir en effet le milieu intérieur c’est dans le territoire d’un vivant, ça fait partie du territoire du vivant, et il est d’autant plus consistant qu’il a acquit ses autorégulations, donc il échappe à la fluidité du milieu extérieur, où il échappe à la diffusion. La constitution d’un milieu intérieur et à la lettre, c’est curieux que j’ai perdu le mot maintenant, une fluctuation amplifiante.

Quelle est la conséquence immédiate du milieu intérieur ? la conséquence immédiate du milieu intérieur c’est que le vivant va entrer ou va pouvoir entrer en relation aléatoire avec le milieu extérieur. Un vivant qui a un milieu intérieur entre par là même en relation aléatoire avec le milieu extérieur et non plus en relation de déterminisme. Pourquoi ? Faut voir de quel point de vue.

Un milieu intérieur implique constitution de réserves, le vivant a donc des réserves. En tant qu’il a des réserves, il a pas besoin d’une vie extérieure. Donc vous voyez les conditions sont très précises. [voix en fond] Vous voyez, hein, je sais plus ce que vous voyez. [voix et rires]

Oui, en tant, bien entendu si le vivant a faim par exemple, il n’est pas en relation aléatoire avec le milieu extérieur, enfin vous comprenez. Il a faim, il cherche à manger à l’extérieur. Mais c’est pas notre problème, nous ne considérons pas le vivant en tant qu’il a faim, nous considérons le vivant en tant que "il a des réserves", constituées par ses milieux intérieurs. Donc, au moment et dans la mesure et pour autant qu’il a des réserves constituées par son milieu intérieur, il est indépendant du milieu extérieur, tant que durent les réserves, il entre à nouveau dépendant, heu, réserves épuisées. J’ai par exemple dans mon organisme des sucres, des protides, etc, je peux attendre pour manger, je suis indépendant de mon milieu extérieur.

Qu’est-ce que je fais alors ? C’est bien connu, je me balade. Je me balade... qu’est-ce que c’est une balade ? C’est une entrée en relation aléatoire avec le milieu extérieur. Si j’ai faim je ne me balade plus, si mes réserves sont épuisées c’est fini ça, enfin je me balade ou je dors. Et si je dors pas, ben je me balade, c’est la flânerie quoi. Les lions tantôt dorment, tantôt flânent, tantôt s’baladent. Qu’est-ce que ça donnera ? en d’autres termes je suis en relation aléatoire avec le milieu extérieur. Est-ce que c’est, alors qu’est-ce que ça va donner la relation aléatoire du vivant, l’autonomie du vivant se définit par sa relation aléatoire avec le milieu extérieur. Et bien, plus Vendryes va très loin, puisque c’est un fait, il dit, il y a une autonomie organique, qu’on vient de définir, mais il y a aussi une autonomie intellectuelle. elle est vérifiée par l’hypothèse, car l’hypothèse c’est la relation aléatoire de l’idée avec le monde extérieur, c’est une bonne idée, double autonomie. Bah là ça concerne le cerveau, le cerveau en tant que milieu intérieur entre dans une relation aléatoire avec le monde extérieur, cette relation aléatoire est effectuée par ce qu’on appelle les hypothèses.

Alors qu’est-ce que ça va être l’allure du mouvement de la flânerie, de la balade ? Très bizarrement ça va ressembler à un mouvement brownien, mais ça va pas être un mouvement brownien. Voyez... Et Vendryes, pour désigner ce type de mouvement, ça ne va pas être un mouvement brownien puisque le mouvement brownien est défini par l’indépendance des particules dans un milieu de diffusion, dans un milieu fluide, idéalement fluide. Là au contraire, il s’agit de la relation aléatoire d’une particule pourvue d’un milieu intérieur contre-aléatoire. Le milieu intérieur est en effet contre-aléatoire... vous comprenez un peu ? Je ne sais pas vous êtes peut être déjà perdus, peut être trop fatigués, mais j’en arrive presque au bout. Vendryes il a été finalement, il a été jusqu’au bout, il dit : "regardez" - il prenait comme exemple, il a été l’un des premiers à photographier les mouches ou les moustiques qui volent, le vol des mouches et des moustiques - et c’est évident que c’est un mouvement très proche, qui semble très proche d’un mouvement brownien. Dans des conditions de fluidité idéales, on a l’impresion que les mouches, les moustiques se comportent tout à fait en mouvement brownien. Vous avez déjà vu des mouches voler, mais c’est une différence absolue, il y a une différence absolue encore une fois, puisque au lieu de particules indépendantes, vous avez un double mouvement, relation aléatoire avec le milieu extérieur en tant qu’elle dépend d’un milieu intérieur contre-aléatoire - il appellera ça un mouvement brownoïde. Il ira jusqu’à dire que l’histoire, que l’histoire des hommes est pleine de mouvements brownoïdes.

Et dans un livre un peu bizarre de la probabilité en histoire il analysera l’expédition de Bonaparte en Égypte, l’expédition d’Égypte et la fameuse poursuite Napoléon-Nelson en termes brownoïdes. En disant en effet que ça a été absolument une chaîne de parcours brownoï...quasi brownien que Napoléon a fait et que Nelson poursuivant Napoléon a fait - chacun ignorant où l’autre était, et qui parcourent la Méditérranée, vraiment dans des distributions au hasard et déterminés par les réserves qu’ils ont. Tout à fait, bon on peut trouver ça en histoire. Pour aller très très vite, ça reviendrait à dire quoi, moi ça m’intéresserait beaucoup, ça revient à dire que l’histoire elle cesse pas d’être parcourue par ces mécanismes semis aléatoires. Ou si vous préférez, Ruyer a une très jolie formule dans son livre "La genèse des formes vivantes, « l’histoire c’est pas du logos, c’est du jargon. ». L’histoire jargonne et ouais, c’est du jargon, elle opère : c’est pas du hasard, c’est pas du déterminisme, c’est pas l’idée, c’est à dire, c’est pas le logos, c’est des phénomènes aléatoires partiellements dépendants, c’est des chaînes de Markov.

Car ce que, ce que Vendryes appellait il me semble d’une manière encore imparfaite, mouvement brownoïde, on a tout intérêt il me semble, à en faire la théorie systématique sous la forme de chaîne de Markov. Le rapport avec le milieu, le rapport aléatoire avec le milieu sera du type chaîne de Markov, c’est à dire phéomène aléatoire partiellement dépendant, exemple du phéomène aléatoire partiellement dépendant par excellence : la course d’un taxi dans une journée, c’est très proche d’un mouvement brownien - la course d’un taxi dans une journée, ça a passionné les sociologues, il y a beaucoup de gens qui se sont occupés de la course d’un taxi dans une journée. Mais vous voyez bien que c’est quand même pas exactement brownien, pour une raison très simple, c’est beaucoup plus un enchaînement de phénomènes aléatoires partiellements dépendants puisque, chaque course dépend partiellement de la course précédente, ne serait-ce que du point de vue de la prise en charge.

Si bien que la course d’un taxi dans une journée est beaucoup plus proche d’une chaîne de Markov que d’un mouvement brownien. C’est ce que Vendryes essayait de dire en parlant de mouvements brownoïdes et non pas browniens.

Bien alors ce qui revient à dire quoi, tout ça ? Bah que d’une certaine manière voilà on tient peut-être notre solution. Je veux dire tout ça qu’est-ce que ça nous amène ? Les chaînes de Markov si il fallait essayer d’en donner une formule alors pas scientifique, une formule philosophique, je dirais :
-  c’est un ensemble de réenchaînements sans enchaînement préalable.

Et ça alors du coup j’y tiens - tout le reste je m’en fous - c’est pour arriver à ça. C’est pour arriver à cette chose qui pour moi fait mystère : comment est-il possible qu’il y ait des ré-enchaînement s’il n’y a pas d’enchaînement ? Supposez que des enchaînements se fassent au hasard, mais les réenchaînements ne sont pas au hasard, voilà je dirais une chaîne de Markov c’est ça. Il n’y a plus d’enchaînement, il n’y a plus que des réenchaînements, c’est à dire des thèmes indépendants l’un de l’autre se ré-enchaînent, au lieu qu’il y ai enchaînement de thèmes dépendants.
-  Au lieu qu’il y ait enchaînement de thèmes dépendants il y a réenchaînement de thèmes indépendants, il y a un primat du réenchaînement sur l’enchaînement - c’est pas la première fois - et les chaînes de Markov nous donnent la structure mathématique d’un tel événement.

Alors ça m’apporte beaucoup parce que c’est ma réponse à : "comment se fait la transmision dans le cerveau" ?
-  La transmision dans le cerveau se fait par réenchaînement en séries indépendantes. Ce serait beaucoup plus proche des chaînes de Markov, d’où l’idée d’un cerveau probabilitaire, beaucoup plus proche d’une chaîne de Markov que d’une transmission électrique. Mais alors on tient tout.

Parce que je passe au dernier aspect que j’annonce juste, qu’est-ce que ça veut dire tout ça pour le cinéma ? Est-ce qu’on pourra pas dire aussi il y a deux régimes de l’image très différents de ce point de vue là. Il y a eu un régime de l’enchaînement d’images qui a inspiré la conception classique du montage et c’était un enchaînement sensori-moteur des images. Mais est-ce que le cinéma dit moderne nous proposerait pas des structures très différentes qui serait des réenchaînements d’images indépendantes ? Il n’y aurait plus d’enchaînement, il y aurait que des réenchaînements.

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