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51-10/01/1984 - 1

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Gilles Deleuze cinéma cours 51 du 10/01/1984 - 1 transcription : Sabine Mazé

...vous me l’aviez promis...Quelle beauté !

Je crois vraiment qu’il faut commencer par le livre quatre. Vois pas d’inconvénient... Parce que si on commence par le livre quatre, on est d’avantage frappé par ceci : que de toute évidence, il y avait une suite. Que le livre quatre, n’est pas le dernier, quoi. Tandis que si on commence par un, on arrive à quatre et on dit, bon... Qui c’est qui a pas lu le livre quatre ? C’est bien.

Bon, alors, notre thème pendant tout le premier trimestre, ça a été : crise de la vérité, sous l’effet du temps. Bon... Là je voudrais pas à nouveau faire un résumé, mais je voudrais presque, relancer à partir de ce qu’on peut estimer avoir obtenu, c’est à dire pas grand chose. Et en essayant de rajouter, heu, de rajouter juste assez de quoi continuer. Et, ce que j’avais essayé de faire, dans cette première partie, cette crise de la vérité sous l’effet du temps, c’était m’appuyer sur des auteurs et encore une fois, mon scrupule, mon inquiétude, c’est que, vous puissiez en conclure que ces auteurs après tout, disent des choses un peu semblables.

Surtout pas puisqu’on avait vu des auteurs, dans des directions...très différentes, de nature eux mêmes très différentes. Et on s’était appuyé sur des philosophes, qui déjà était très dis, très distincts entre eux. Avant tout Platon et les sophistes, Nietzsche, et puis on s’était appuyé sur des écrivains, surtout Melville, Robbe-Grillet, un peu du nouveau roman.

Et puis on avait fait des allusions au cinéma, mais en laissant, en laissant cet aspect, très allusif. Maintenant, ce second trimestre, je pense que, les proportions seront peut être changées mais on gardera ces trois références, au moins, peut être qu’il faudra en ajouter d’autres. Or je dis, voilà le premier point qui m’importe, parce que on aura à le retrouver,
-  c’est que la mise en crise de la vérité se fait effectivement sous l’effet du temps, mais non pas sous l’effet du temps par rapport à son contenu - à savoir le contenu du temps c’est le changement - c’est ce qui change. Or ce n’est pas par rapport à son contenu que le temps met en question la notion de vérité, c’est dans sa forme ou dans sa force - pour reprendre l’expression de Comtesse. C’est donc la forme ou la force du temps qui met en question la vérité, et sous deux aspects, qui ont fait de tout temps, l’objet des grands paradoxes de l’Antiquité.

Si je rappelle brièvement ces paradoxes, c’est un double paradoxe, double paradoxe connu sous le nom de - quand on l’unifie - le paradoxe des futurs contingents. Dans une de ces expressions qui concerne - et les deux aspects concernent essentiellement la forme ou la force du temps...concernent pas du tout le temps envisagé dans son contenu variable. Dans l’un de ses aspects, le paradoxe nous dit :" du possible procède l’impossible". Ce qui veut dire une chose très simple... lorsque je dis peut être qu’il y aura une bataille navale demain, hé bien "de ce que" la bataille navale peut ne pas avoir lieu... il y en aura peut être une demain,
-  de ce que la bataille navale peut ne pas avoir lieu, découle, si elle a lieu, l’impossibilité qu’elle n’ait pas eu lieu. Du possible procède l’impossible.

- Deuxième expression du paradoxe : le passé n’est pas nécessairement vrai. On a vu que c’était les deux pinces de ce paradoxe, du futur, des futurs contingents. Et je ne l’avais pas cité parce que je ne l’avais pas en mémoire, mais comme c’est un livre dont nous nous servirons en, dans ce second trimestre, c’est le moment ; j’avais complètement oublié que dans un de ses plus beaux livres, Kierkegaard, dans "Les miettes philosophiques", consacre toute une partie dont je vous lis uniquement le titre général, puisque on aura à retrouver ce texte. Sous le titre Intermède : "Le passé est-il plus nécessaire que l’avenir ? Ou, dit-il, pour être devenu réel, le possible est-il devenu plus nécessaire qu’il ne l’était ?" On retrouve exactement nos deux pinces, et en effet, tout le chapitre de Kierkegaard porte sur une reprise, une reprise moderne du paradoxe antique des futurs contingents. Voilà donc le premier point.
-  Ce premier point signifie : en quel sens la forme ou la force du temps suffit à mettre en crise la notion de vérité ?

Mon deuxième point, où là je voudrais reprendre pour rajouter des choses, c’est qu’est ce qui entre en crise au juste ? Sous cet effet de la forme ou de la force du temps. Bien ce qui entre en crise c’est, nous l’avons vu, la forme organique du vrai, et du modèle, du modèle supra-organique que cette forme suppose.
-  Ce qui entre en crise c’est donc la forme organique du vrai et son modèle. On avait vu toute cette histoire notamment, détaillée, relativement détaillée à sa manière, détaillée par, et dans son oeuvre entière, par Herman Melville. Or si ce qui entre en crise c’est la forme organique du vrai, comprenez que on va avoir une série d’oppositions...entre les différents aspects du concept de vérité d’une part, et d’autre part, sa mise en question. A chaque aspect du concept de vérité, s’opposera une mise en question de cet aspect sous la forme ou la force du temps.

Et maintenant je suis en mesure de distinguer...un, deux, trois, quatre...cinq. Cinq aspects.

- Premier aspect, le concept de vérité renvoie à une description qu’on peut appeler organique. Qu’est-ce qu’une description organique ? C’est une description, on l’a vu, c’est une description qui présuppose l’indépendance de son objet. Je reviens pas là-dessus, je rappelle juste qu’il faut bien que vous compreniez ce que signifie présuppose. Ca ne signifie pas que en fait l’objet soit réellement, soit réellement distinct de la description que j’en fait. En effet, peut être que l’objet n’existe, heu n’existe pas. Lorsque je décris une licorne, chacun sait que il n’y a pas de licorne. Ca n’empêche pas que c’est une description organique dans quelle mesure ? Dans la mesure où elle ne se fait pas sans présupposer l’indépendance de son objet. Que l’objet existe ou pas, la question porte pas sur l’existence de l’objet, il porte sur le mode de la description. La description se fait en supposant qu’elle porte sur un objet distinct d’elle même. A cet aspect de la vérité, vous voyez déjà lorsque je dis aspect de la vérité, bien sûr aspect de la vérité comprend la possibilité du faux : c’est pas le faux qui nous fait sortir du concept de vérité.

Au contraire, la possibilité du faux est inscrite dans le concept de vérité. Si je dis j’ai rencontré une licorne, c’est une proposition fausse, bon, mais elle met pas du tout en question le concept de vérité, absolument pas. Et pourquoi parce c’est une, parce qu’elle repose sur une description organique, c’est à dire une description qui présuppose l’indépendance de son objet. A cet aspect de la vérité, c’est à dire, la vérité comme description organique, s’oppose, on l’a vu, une toute autre conception de la description. Cette nouvelle description c’est une description qui remplace son objet.

Qu’est-ce que ça veut dire, à la fois, à cet égard, je disais : ce qui est très important pour la logique, pour, heu, à la fois pour la logique, pour la philosophie, pour la critique d’art, je crois pour toutes sortes de choses, c’est...pour le cinéma aussi, heu on essaiera de la voir tout à l’heure - c’est ce qui est très important théoriquement, ce serait une théorie des descriptions. La description c’est pas la même chose qu’une proposition, tenir une théorie des descriptions, je crois que la théorie elle est toujours de base. Elle est toujours vraiment base, les propositions renvoient à des descriptions implicites.

Donc, encore une fois je vous disais l’importance de Rossel, lorsque, parmi les premiers, il fait une théorie des descriptions, sur laquelle reposera toute sa logique. Et donc, cette description qui s’oppose à la description organique du vrai, c’est, on reprenait les termes de Robbe-Grillet, dont, je crois que la théorie de la description est une des choses les plus fondamentales, quoi que la pensée, bien qu’elle soit pas longue, bien qu’il se soit pas très étendu sur ce point ; il nous dit, les descriptions que je fais nous dit-il, ce sont des descriptions qui remplacent leur objet. Qu’est-ce que ça veut dire, à la fois il précise : simultanément elle gomme l’objet et crée l’objet. Ca doit pas être le même, elle gomme un objet et en crée un autre. Et dans les deux cas, aussi bien sous la forme gommée et effacée que sous la forme créée, la description ne présuppose plus l’indépendance de son objet, au contraire elle exclut l’indépendance de son objet, elle l’exclut deux fois, d’une part parce qu’elle l’efface en le décrivant et d’autre part parce qu’elle le crée, en le décrivant.

- Deuxième point - ceux qui sont au fond ils peuvent peut être se.. il y a de la place encore ici, hein ? Il fait beau, hein ? [brouhaha de tables, de chuchotements]

Voilà donc le premier point. Le concept de vérité se présente d’abord sous l’aspect de la description et à ce titre sa mise en question oppose la description organique du vrai à une autre description, à un tout autre type de description. Deuxième trait, ce n’est plus du point de vue de la description, mais c’est du point de vue de la distinction.
-  Le concept de vérité implique une distinction organique, il s’agit plus simplement de la description organique, cette fois-ci il s’agit de la distinction organique de quoi ? on l’a vu - du réel et de l’imaginaire. Cette distinction organique, telle qu’elle est déterminée par le concept de vérité se présente sous quel aspect ?
-  Le réel est définit par la connection légale et causale. Je sais que ma perception se prolonge dans des choses que je ne perçois pas, dans des séries que je ne perçois pas, que je pourrais percevoir et qui sont unis à ce que je perçois par des liens de causalité ou des liens de légalité. Derrière la porte il y a un couloir derrière le couloir au bout du couloir il y a un escalier, etc., etc. Vous me direz, je le sais parce que je l’ai vu, qu’importe.
-  Le réel se définira par un système de connections légales et causales...qui se prolonge hors de la conscience.
-  L’imaginaire se définira au contraire par la pure présence à la conscience. Ce qui est dans la conscience n’est "que" dans la conscience. Ce qui disparaît hors de la conscience ou aussi bien ce qui apparaît en elle, capricieusement... Ce qui n’exclut pas que là-dessus, on puisse découvrir des lois de l’imaginaire. On parlera par exemple de condensation, de déplacement, de symbolisation, et ça n’empêche pas que ces lois de l’imaginaire auront pour fonction de rendre compte des apparitions et disparitions capricieuses, c’est à dire ce qu’on distingue en nature, des lois et causalités physiques.

Bien plus, je reprend le même argument : je pourrais toujours confondre l’imaginaire avec le réel. C’est ce qu’on appellera le faux, mais le faux encore une fois ne met nullement en question la distinction de droit, du réel et de l’imaginaire. Le faux appartient pleinement, l’opération du faux appartient pleinement au concept de vérité et ne met pas en question le concept de vérité. Il met en question mon aptitude à atteindre au concept, mais il ne met pas, il ne met pas en question le concept lui même.

A cet aspect du concept de vérité, à ce sec, deuxième aspect du concept de vérité : la distinction organique du réel et de l’imaginaire, s’oppose, on l’a vu, un étrange aspect qui va exprimer la mise en question du concept de vérité sous la force du temps.

Et c’est quoi cette fois-ci, et bien, c’est la position de, d’une, dans certains cas, dans certaines, sous certaines conditions, certaines conditions ça veut dire quoi ? précisément, celle où nous mettent la forme ou la force du temps quand elle met en question. [...] A savoir l’indiscernabilité du réel et de l’imaginaire. Qu’est-ce que signifie cette indiscernabilité ? Je retiens juste nos résultats : c’est l’existence de véritables circuits où le réel et l’imaginaire courent l’un derrière l’autre et se réfléchissent l’un dans l’autre, autour d’un point qu’on appellera, point d’indiscernabilité.

-  Donc troisième aspect. Cette fois-ci le concept de vérité n’est plus envisagé ni du point de vue de la description ni du point de vue de la distinction, mais du point de vue de la forme. Et là, on l’a vu, je retiens juste un résultat du premier trimestre, au lieu de la forme, il est vrai que là aussi le concept de vérité renvoie à une forme organique.
-  Donc description organique,
-  distinction organique,
-  forme organique.

La mise en question du concept de vérité sous l’effet su temps, se présente au contraire dans ce que nous allions appeler formation cristalline. Qu’est-ce que c’est que ces formations cristallines ? pour le moment, on ne peut dire qu’une chose ; ce que nous appelons formation cristalline, même si on est pas en état de justifier le mot cristal, l’utilisation du mot cristal : ce sont les circuits dont nous venons de parler. Dès que je peux déterminer un circuit - et ça reste à déterminer - encore une fois l’indiscernabilité du réel et de l’imaginaire, ça ne se passe pas dans nos têtes, ça se passe dans des circuits qui sont aussi bien objectifs que subjectifs.
-  Un circuit où le réel et l’imaginaire courent l’un derrière l’autre, se réfléchissent l’un dans l’autre autour d’un point d’indiscernabilité, c’est cela pour le moment que nous appelons "une formation cristalline".

Et notre opposition est celle de - comment dire -
-  l’adorateur des formes organiques, c’est l’homme de la "bonne volonté" ou c’est l’homme véridique. Et le fabricant, le fabricateur des formes, des formations cristallines qui est l’homme de la volonté mauvaise. Magnétiseur, télépathe, sorcier, suggestionneur, ses dons sont multiples.
-  Comment se définissent ces formations cristallines ? Je viens d’en donner une première définition, c’est le circuit autour du point d’indiscernabilité, le circuit de course et de réflexion autour du point d’indiscernabilité.

-  D’où, deuxième caractère immédiat, qu’est-ce que ce point d’indiscernabilité ? Voyez je distingue quand même dans la formation cristalline, le circuit et le point d’indiscernabilité, et vous sentez pourquoi, c’est que j’ai besoin de passer du dehors au dedans de la formation cristalline. Le fabricant de la formation cristalline est encore au dehors, le circuit c’est le pourtour de la formation cristalline, ce sont les faces : une face réelle, une face imaginaire qui se courent l’une derrière l’autre comme, comme, heu, comme, un lapin et qu’est-ce qui court derrière un lapin ? En circuit, allez, un lévrier, quoi. C’est le chien qui court...enfin, oui, heu oui... Bon, non, c’est idiot, bon. Mais le point d’indiscernabilité lui même, qu’est-ce que nous pouvons en dire ?

-  Le point d’indiscernabilité lui même c’est la perspective interne. Nous nous déclarons perspectivistes. Nietzsche ne cesse de se déclarer perspectiviste. Qu’est-ce que ça veut dire ? notre situation est telle que nous voyons les choses toujours d’un certain point de vue, sous une perspective, évidemment non, parce que si c’était ça ce serait une platitude. Encore que ça compte. Mais justement, dire : nous voyons les choses d’un certain point de vue, sous une perspective. Par exemple, je vois une table sous une perspective, quel que point de vue que je me mette, heu, c’est toujours un point de vue. J’ai jamais qu’un point de vue sur la table, c’est toutes les heu, pas du tout platitudes, y’a eu des analyses très belles là dessus, c’est la condition de la perception naturelle. Ca, ça n’a jamais mis en question le concept de vérité, pourquoi ? Parce que c’est des perspectives externes, c’est même ce qui nous permet de tourner autour de la chose, de changer de perspectives. Comme dit l’autre,je vois toujours les choses par profil, bon. C’est le statut de la perception naturelle. Bien loin de mettre en question le concept de vérité, c’est une dimension du concept de vérité. En effet, c’est ce que j’appellerais une perspective organique, il y a toujours une perspective organique. Et c’est précisément la possibilité et la nécessité de changer perpétuellement de perspective organique, qui renvoie à un "sans perspective", qui est le modèle supra-organique.

-  Qu’est-ce que c’est que le "sans perspective" ? c’est le concept. Le percept est toujours soumis à une perspective extrinsèque, le concept est le "sans perspective". Le cube perçu est toujours un profil de cube, le concept de cube est sans perspective. C’est à dire, vous pensez les six faces à la fois, vous percevez jamais les six faces à la fois, il faut faire le tour du cube. Mais les "perspectives externes" de la perception et le "sans perspective" du concept renvoient l’un à l’autre, se cautionnent l’un, l’autre dans le concept de vérité, et sous la forme organique du vrai.

Au contraire, lorsque je parle d’une formation, cristalline, il s’agit d’une perspective interne. Donnons lui le nom, qui nous avait bien plût, dérivé à la fois de la critique d’art, dérivé aussi de Melville, c’est une perspective "dépravée". C’est à dire, c’est une perspective qui fait partie de l’ensemble ou du système, qui fait partie de la formation sur laquelle elle s’exerce. Il peut apparaître évident que tout art - que ce soit la peinture, mais également l’architecture - procèdent par perspectives dépravées, c’est à dire que le système inclus la perspective. Une table en peinture présente une perspective interne au système, vous ne tournez pas autour de la table en peinture, il y a des évidences grossières, et l’architecture a beau se faire en trois dimensions, elle implique également une intériorité de la perspective sur l’ensemble architectural même ; bien sûr vous pouvez voir de dehors et tourner autour, mais ce qui est intéressant c’est les perspectives internes au système à trois dimensions. Et là vous avez typiquement des perspectives qui peuvent pas être autre chose que des perspectives dépravées.

En ce sens, toute formation d’art est une formation cristalline. Le point d’indiscernabilité du réel et de l’imaginaire c’est la perspective dépravée. Et sur ce caractère,donc
-  notre troisième caractère : distinction des formes organiques et des formations cristallines, notre grande référence avait été Platon ; et la distinction que Platon propose dans "le sophiste" entre d’une part, les icônes et d’autre part, les fantasmes. Si bien que c’est à ce niveau - troisième niveau que l’opposition de la forme organique du vrai et de la formation cristalline qui est la mise en question du vrai sous l’effet du temps, que l’on avait défini : la puissance du faux.
-  Ce qui met en question en effet, ce qui met en question, le concept de vérité, ce n’est pas le faux, bon tout ça se réunit - c’est le faux comme puissance, c’est la puissance du faux. Et qu’est-ce qui élève le faux à la puissance, ce qui élève le faux à la puissance ? c’est la forme ou la force du temps, telle que nous l’avons définie au début, sous son double aspect paradoxal. Tout se renvoie, tout se renvoie très bien.

-  Quatrième aspect, celui-là il est nouveau. Mais il vient à son heure, donc c’est pour ça que je fais à la fois un regroupement et...vous me suivez bien ? Il faudrait que ce soit limpide là maintenant puisque ça repose sur tout un trimestre,...mais il fait si beau, que... Voyez, le quatrième aspect, moi il me semble il en découle.

Quatrième aspect je dirais c’est, quand au concept de vérité
-  non plus le point de vue de la description organique du vrai,
-  non plus le point de vue de la distinction organique du vrai,
-  non plus le point de vue de la forme organique du vrai
-  mais c’est le point de vue de l’enchaînement.

C’est l’enchaînement organique du vrai. Qu’est-ce que c’est que l’enchaînement organique du vrai ? Bah, ça , ça renvoie à des choses que on aurait plutôt fait l’année dernière et surtout l’année d’avant. Et dont j’ai à nouveau besoin ici pour relancer mon analyse. L’enchaînement organique du vrai, c’est essentiellement un enchaînement sensori-moteur. C’est un enchaînement sensori-moteur, c’est à dire, il consiste à enchaîner des situations et des actions, des milieux et des actions. Voyez pourquoi ? C’est forcé, il faut que vous soyez sensibles à la nécessité des conséquences. Si on part de la description organique du vrai, vous vous rappelez c’est une description qui présuppose l’indépendance de son objet. L’indépendance de l’objet c’est quoi ? C’est l’existence d’un milieu bien qualifié, ou d’une situation bien définie. Une situation bien définie s’enchaîne avec une action. Pourquoi ? Parce que l’action c’est une réaction à la situation. Du point de vue de l’enchaînement organique du vrai, vous avez, ce que les autres années on appelait une structure SA : de la situation à l’action. Ce qui signifie quoi ? Que l’action réagit sur la situation, pourquoi ? Bon, tout simple : pour la modifier, ou pour la restaurer. Je dis d’un tel enchaînement sensori-moteur qu’il dépend fondamentalement et qu’il définit l’enchaînement véridique. Pourquoi ?
-  C’est l’aspect pragmatique du concept de vérité.

Et là encore, je peux reprendre le même refrain, à savoir que le pragmatisme, au moins dans son sens, heu, le plus simple, n’a jamais mis en question le concept de vérité. Il est bien connu que certaines doctrines au XIVeme siècle se sont appelées pragmatismes, venant d’Angleterre et d’Amérique, et définissaient la vérité par le mode et les résultats de l’action. On pourrait y voir une mise en question du concept de vérité. Bien plus, sous sa traduction le plus vulgaire, le pragmatisme devenait ceci : est vrai ce qui réussit. C’qui faisait dire que c’était une pensée bien américaine, et on la [prêtait]. Et finalement c’est important parce que on tendait à l’identifier au perspectivisme et en effet les pragmatiques se déclaraient en même temps perspectivismes, perspectivistes. Mais s’il s’agit de ce pragmatisme, vulgaire, ce pragmatisme, tout simple, il y a rien qui mette en question de concept de vérité là dedans.

Car, c’est évident = que ce qui est vrai c’est ce qui réussit. Je veux dire, heu, une fois dit que ça veut pas dire forcément vous rendre riche, réussir. On voit pas une vérité qui échoue. Je veux dire, en mathématiques : est vrai ce qui réussit. C’est à dire, réussir ici, signifie développer des conséquences - ce qui n’a pas de conséquences par définition, n’est pas vrai. Le triangle est vrai, pourquoi ?, parce que quelque chose en découle. Ce dont rien ne découle, ne peut pas être vrai. Si bien que le pragmatisme ne fait que traduire au niveau d’un enchaînement organique, le concept de vérité. Il le met pas du tout en question. Pas plus que tout à l’heure le perspectivisme ne le mettait en question, tant que les perspectives étaient externes.
-  Donc je dirais que l’enchaînement sensori-moteur est l’enchaînement organique du vrai. Un milieu se prolonge en action qui réagit sur le milieu, une situation se prolonge en action qui modifie la situation.

C’est ce que Bergson appelait, la reconnaissance automatique ou habituelle. Et en effet, de la situation à l’action c’est la reconnaissance, c’est le mouvement même de la reconnaissance automatique ou habituelle. Je reprends deux exemples, pour rendre claire la, cette définition de Bergson : heu, la vache voit un brin d’herbe, une touffe d’herbe, je vois mon ami Pierre. Qu’est-ce que veut dire reconnaître ? La vache reconnaît l’herbe...je reconnais mon ami Pierre, là dans la rue, je dis « ha, tiens, c’est Pierre », « Bonjour Pierre »... c’est du niveau de la vache, c’est la même chose, absolument. Cela veut dire que ma perception s’enchaîne avec des mouvements d’usage. C’est l’enchaînement de la situation avec des mouvements, c’est à dire l’enchaînement sensori-moteur, qui définit la connaissance. A savoir, la perception de la chose, se prolonge en mouvement qui l’utilise. Quelle est la loi de cet enchaînement ? De cet enchaînement organique. Parce que c’est vraiment un enchaînement organique dans les deux cas... bon, la vache elle voit une touffe d’herbe, elle la mange, elle a reconnu l’herbe. En d’autres termes sa perception se prolonge en mécanisme moteur. Vous me direz, dans le cas de mon ami Pierre, exactement pareil : je vois mon ami Pierre je lui dis « Comment vas-tu, heu...comment va ta mère.. à propos t’as...t’as vu ceci... ». Heu, mon ami Pierre, ça se prolonge en quoi ? En articulation d’usage, en articulation habituelle...ce prolongement, il est très bizarre finalement parce que, comment le définir ? Je veux dire, ça peut devenir plus intéressant. Reconnaître, pour la vache, reconnaître une touffe d’herbe, c’est aussi bien passer d’une touffe d’herbe à une autre...heu, c’est, quand on reconnaît une touffe d’herbe, hein, hé bah oui, on la reconnaît et on y réagit, mais réagir c’est quoi ? C’est manger la touffe, mais c’est, en même temps passer à la touffe suivante. Bon, c’est ça le prolongement sensori-moteur.

Avec mon ami Pierre, c’est exactement pareil, je passe d’un sujet à un autre : « Comment vas-tu ? », « Comment va ta mère ? », « Et les enfants... » : d ’une touffe à l’autre, hein, ça se vaut. La conversation, c’est comme ça que ça se passe. C’est ça qu’on appelle une conversation, c’est de passer d’une touffe à une autre, c’est notre manière d’être des vaches. [Rires épars] C’est du prolongement sensori-moteur. En d’autres termes la reconnaissance automatique ou habituelle, elle consiste en quoi ? Je ne cesse de passer d’un objet à un autre, ces objets étant sur le même plan. Je ne cesse de passer d’un objet à un autre objet , ces objets étant tous sur un seul et même plan.

Je dirais, c’est l’enchaînement, enchaînement organique du vrai. L’enchaînement organique du vrai est bien dit organique parce qu’il est sensori-moteur. Tout autre cas : Bergson nous dit, ce qui diffère en nature c’est la... [coupure nette et fin de l’enregistrement]

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La voix de Gilles Deleuze en ligne
L’association Siècle Deleuzien