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48- 06/12/83 - 2

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Gilles Deleuze - Cinéma cours 48 du 06/12/83 - 2 transcription : Sabine Mazé

...dans chaque appartement il y a un Sextus ou un Adam différent.

Vous vous rappelez c’était la vision grandiose de Leibnitz qui consistait à nous dire : “Oui, oui, la vérité subit un, subit une épreuve quand elle affronte l’existant.” C’est à dire, la crise, Leibnitz reconnaît la crise du concept de vérité et l’assigne en disant “la vérité se heurte, ou affronte une crise lorsque... elle cesse d’être vérité d’essence pour devenir vérité d’existence”. Exemple de vérité d’essence : les trois angles du triangle sont égaux à deux droits ou deux plus deux égale quatre...exemple de vérité d’essence... Adam a pêché, ou Sextus s’est mal conduit à Rome, voilà... Comment sauver la vérité, quand elle affronte le domaine de l’existant ? Et sa réponse, c’est dire : “Tout est possible, oui, tout est possible” ; sous-entendu, tout est possible, ce qui n’est pas contradictoire. En d’autres termes, les vérités d’essence laissent toute possibilité à l’existant.

Tout est possible. Tout est possible, seulement vous ne ferez pas sortir -et c’est ça qui va sauver le concept de vérité- vous ne ferez pas sortir l’impossible du possible. Ce par quoi, pour ceux qui ont suivi la dernière fois - la philosophie de Leibnitz sur ce point s’enchaîne directement avec, l’argument, heu des Anciens, l’argument antique, dit argument du dominateur. Vous ne ferez pas sortir, tout est possible, seulement vous ne ferez pas sortir, vous ne ferez jamais sortir l’impossible du possible.

Pourquoi ? Parce que sa réponse, étonnante, créatrice, une réponse comme, si vous voulez comme si il y avait de la peinture en philosophie, ce serait le plus beau tableau que la philosophie ait jamais fait... jamais. Il invente un concept suffisant : le concept d’incompossible, il dit :
-  “Oui, tout est possible, mais tous les possibles ne sont pas compossibles les uns avec les autres”.

En d’autres termes, un Adam qui n’a pas pêché, oui c’est possible, l’application, la confrontation de la vérité à l’existant nous force à le dire, oui c’est possible, c’est pas comme dans les essences. Un triangle dont les deux angles sont pas égaux à deux droits c’est pas possible, c’est impossible, mais un Adam qui n’a pas pêché ou un Sextus qui n’est pas allé à Rome, c’est possible, c’est très possible ; seulement voilà ce n’est pas compossible avec notre monde. Avec notre monde était compris, ou dans notre monde, était compris, Adam pêcheur...Adam a pêché, Adam non pêcheur, c’est possible dans un autre monde, seulement voilà, les deux mondes sont incompossibles...

Remarquez c’est étonnant, parce que ça signifie que entre Adam pêcheur et Adam non pêcheur, il y a pas une relation de simple contradiction, il y a une relation d’incompossibilité par l’intermédiaire des mondes impliqués. Adam pêcheur fait partie d’un monde, Adam non pêcheur fait partie d’un autre monde, les deux sont incompossibles. Dès lors, le cri de soulagement de Leibnitz - imaginez-le poussant son cri d’soulagement - quelle merveille c’est ! .il a dénoué le paradoxe du dominateur d’une toute nouvelle manière. Il dit “Mais non ! Jamais du possible ne sortira l’impossible !” En revanche, du possible sort l’incompossible. A savoir, tout est possible, mais tous les possibles ne sont pas compossibles, du possible sort l’incompossible.

Et il peut estimer “Oui j’ai sauvé la vérité”. Et c’est bien, c’était bien l’objet de, de... et c’est pour ça que ce texte admirable de Leibnitz il fallait que vous le connaissiez, il fallait, il faut vraiment que vous le lisiez, d’abord il est tellement beau, tellement moderne comme type de récit, puisque c’est toujours des récit intriqués dans le récit, enfin, tout ça je le conviens... et puis il est tellement gai, parce que enfin, tout ça est très gai.. tout ce monde là, tout ces petits appartements où se...heu...pour ceux qui aiment vraiment Roussel pensez à Raymond Roussel...où dans les cages de verres là, gesticulent les p’tits bonshommes, heu...qui font des prouesses, des prouesses merveilleuses... c’est exactement le texte de Leibnitz, avec dans chacun de ces petits appartements de la pyramide...il y a,il y a dans chaque appartement, et puis avec son numéro sur le front là...alors le livre, on cherche, le numéro correspond à une page du livre, puis les autres pages correspondent à tout ce qui se passe dans le monde, dont fait partie, alors, vous avez Adam pêcheur sur le front numéro un, vous cherchez à un, mais sur un livre qui a mille pages, et vous apprendrez qu’Adam pêcheur est compossible avec le monde où Jules César a fait ceci, heu...qui fait que ça fait partie du même monde ; en revanche que c’est incompossible avec un autre monde où il y aurait pas eu de Jules César faisant ceci, enfin, [c’est une joie quoi...][Joie pure, joie pure] mais qu’est ce qui nous a montré là Leibnitz, il nous a montré une chose et caché une autre chose.

-  Il nous a montré que pour sauver le concept de vérité il fallait faire intervenir la morale. Ca a pas l’air, ça a l’air de rien ça, je vous le cachais la dernière fois [rires], j’avais pas le temps, j’avais pas le temps, de faire intervenir la morale. Pourquoi ?
-  Tout est possible mais tout n’est pas compossible. En d’autres termes...il y a une pluralité et même une infinité de mondes possibles, ..mais ils ne sont pas compossibles entre eux. Une infinité de mondes possibles, il y a un monde où Adam ne pêche pas, il y a un monde où Adam, écoute le serpent mais y résiste, il y a un monde où il y a même pas de serpent, il y a un monde où enfin il y a le serpent etc.

Mais qu’est-ce qui fait que Dieu choisisse tel monde plutôt qu’un autre ? Les formules de Leibnitz sont célèbres : “Dieu choisit le meilleur des mondes possibles.” C’est le choix du meilleur. Le meilleur pour Leibnitz c’est bien sûr une notion morale, c’est une notion mathématique aussi, ce qui m’importe c’est le moralo-mathématique, c’est les moralo-scientifiques... le concept de vérité noue, et là avoue, ce qui était peut -être vrai de tout temps, avoue son lien profond avec la moralité. Pourquoi, c’est un concept mathématique le meilleur ? C’est les fameuses lois, en mathématiques et en physique, les lois dites [d’optimal]. Pourquoi c’est le meilleur des mondes possibles, celui-ci ? Il dira, donc, le monde que Dieu choisit c’est forcément le meilleur des mondes possible, il n’a pas d’autres règles de choix. Le meilleur des mondes possibles, ça veut dire uniquement celui qui contient la plus grande quantité de réalité, la plus grande quantité de perfection, la plus grande quantité de rêve.

Vous me direz, qu’est-ce que ça doit être les autres.. Leibnitz il est le premier à dire,... oh oui, ha ça, là les autres, ne pouvez pas vous douter, hein, vous ne pouvez pas vous douter..., c’est bien pire...alors à ceux qui disent “ah,quand mêmes les choses seraient mieux si Adam n’avait pas pêché”, Leibnitz leur dit de répondre, non, elles auraient été bien pires...elles auraient été bien pires, car Adam pêcheur fait partie du meilleur des mondes possibles. Il le prouve immédiatement en disant : “Un monde où Adam n’aurait pas pêché aurait été un monde sans Rédemption”, il y aurait pas eu la rédemption...et la rédemption est un des éléments, parmi tous les éléments de ce monde que Dieu a choisit le meilleur des mondes possibles.
-  C’est au nom d’une règle du meilleur, que Leibnitz peut sauver la vérité, en substituant au scandale “Du possible sort l’impossible”, la proposition rassurante mais très créatrice : “Non, du possible sort seulement l’incompossible”. Mais en revanche, si Leibnitz a caché, si Leibnitz a avoué et reconnu et réclamé, le lien profond du concept de vérité avec la morale...ce qu’il a caché, c’est quoi ?
-  C ’est que la vérité n’affrontait pas l’existant sans affronter le fond du temps... sans affronter le fond du temps et qu’il y avait un flux du temps, c’est à dire, une substance non chronologique du temps.

Oui c’est bien, là, une substance veut dire la même chose, une substance non chronologique du temps ; oui c’est la même dimension une substance non chronologique du temps. Donc le fond tu temps c’est la substance non chronologique du temps, hé ben, ça il l’a caché, et pourquoi il l’a caché ? Parce que comme dirait un autre auteur dont je vous parlais la dernière fois, il n’a pas prononcé le mot "temps". Il n’a pas prononcé le mot temps parce que il a des raisons. La raison la plus simple c’est que pour Leibnitz, il ne conçoit le temps que comme chronologie.

En d’autres termes, le temps n’est pas substance, il n’y a pas de fond du temps, et c’est la pensée des classiques ; l’idée d’un fond du temps ou d’une substance non chronologique du temps, faudra attendre, [on a un petit peu d’avance], il faudra attendre les Romantiques... nous sommes à cet égard les enfants des Romantiques... Mais pour un classique, le temps est l’ordre de la succession, c’est à dire, le temps est la mode, est le mode chronologique, par définition. Il n’a pas dit le mot temps, il a conçu l’affrontement de la vérité avec l’existant, mais en court-circutant le temps. Et s’il n’avait pas court-circuté le temps, s’il avait découvert cette découverte horrifiante, horrifiante tout à fait horrifiante, d’une substance non chronologique du temps, c’est à dire d’un fond du temps. Qu’est-ce qu’il aurait été amené à dire ? Il aurait été amené à dire, non, les incompossibles font partie du même monde sous la condition de ce "fond du temps". Les incompossibles font partie du même monde.

En d’autres termes, notre monde, ce monde-ci, contient toutes les incompossibilités et toutes les bifurcations que l’on pouvait imaginer.
-  La bifurcation ne désigne plus une séparation entre mondes incompossibles entre eux, c’est notre monde qui contient toutes les incompossibilités et les bifurcations possibles et convenables ; Et c’est la réponse de Borges à Leibnitz à travers les siècles. Il s’est passé que, la découverte que Borges prête aux chinois : le fond du temps ou la substance non chronologique du temps, fait que, c’est dans ce monde-ci qu’il y a tous les incompossibles. Et, et dans ce fond du temps, tantôt nous sommes amis, tantôt nous sommes ennemis et tantôt l’un de vous me tue et tantôt c’est moi qui tue l’un de vous, et chaque fois ça change, enfin, je...etc., etc. C’est l’histoire du jardin qui bifurque, ou c’est l’histoire du labyrinthe, mais du labyrinthe qui est devenu le labyrinthe de la ligne droite, c’est à dire, la pure, la pure forme du temps telle qu’elle sort du fond de la substance non chronologique ; c’est pour ça que j’insistais sur ce passage. Et avec ce merveilleux auteur qui nous donnait la clef du passage, à savoir, les romans feuilletons de Maurice Leblanc.

Or, je dis quoi finalement ? je dis voilà, à ce troisième point je peux, la conclusion que je peux en tirer c’est que..., c’est que, vous vous rappelez, c’est le temps...
-  ma troisième conclusion c’était, c’est le temps, comme fond et comme substance non chronologique qui met la vérité en crise, crise ayant les deux aspects précédents.

-  Ma dernière conclusion, c’est à dire quatre maintenant, c’est que... hé bien, ce qui met et ce qui tient la vérité dans un rapport fondamental avec le temps, c’est quoi ? C’est la morale, c’est la morale.
-  Et nous souffrons tous de la morale.

Si bien qu’à un moment il est très ambigü... D’une certaine manière, elle se présente elle même comme le fondement de la vérité, mais d’une manière plus profonde, on va voir, c’est elle qui force la vérité a affronter le temps et à entrer dans une crise magistrale. Et c’est le point nouveau que j’ai a développer avant que vous, heu... [...parliez.] avant que vous parliez comme je l’espère. Voilà, voilà ce que je veux dire... je reprends... je veux considérer là des textes, parce que c’est quand même compliqué, c’est assez compliqué, tout ça, ça va de soit mais c’est compliqué. Je prend deux textes, parce que ça me plait beaucoup, deux textes d’Antonioni...c’est ces deux textes, alors ça me donnerait raison quand je dis, vous savez, hein, des hommes de cinéma, ou des, ou parfois des peintres, etc., c’est exactement comme des philosophes, c’est à dire c’est des penseurs, et des très grands penseurs... inversement, ce serait trop beau si les philosophes arrivaient à peindre.

Alors je prend deux interviews de Antonioni. J’ai besoin des deux au point où nous en sommes. Le premier il est très simple, très drôle, je trouve, très drôle, on lui dit « Quelle est votre position par rapport au néoréalisme, comment vous vous situez par rapport au néoréalisme ? » Et il dit, ha bah, c’est pas difficile vous savez, le néoréalisme, il dit, il est parti d’un rapport actuel entre un personnage et la réalité sociale. A mon avis il se trompe tout à fait, il le sait bien et ça n’a aucune importance, le néoréalisme il est pas [ ?], le néoréalisme encore une fois il est dès le début pénétré par l’indiscernabilité du réel et de l’imaginaire, c’est pas difficile à prouver, ça, bien sûr ça a l’apparence, bien sûr on peut toujours dire ça. On peut toujours dire, le néoréalisme au début c’était un personnage en situation sociale et on cite toujours, heu, on cite toujours les deux premiers Rossellini, et Le voleur, "Le voleur de bicyclette", bon...mais même là c’était pas ça, même là c’était pas ça du tout... heu, et on s’en est aperçu très vite...heu, le néoréalisme son affaire dès le début ça a été, je crois que ça nous donnerait raison, ça a été, l’exposition - un nouveau type d’image - qui montrait, qui rendait évident l’indiscernabilité du réel et de l’imaginaire.

Je veux dire, l’acte fondamental du néoréalisme, c’est, j’en ai parlé d’autres années, c’est...Europe 51, c’est, lorsque la bourgeoise voit une usine, réelle, image réelle, et dit, et est effarée, elle avait jamais vu d’usine, elle est effarée et elle dit « J’ai cru voir des prisonniers » « J’ai cru voir des prisonniers. » Et s’établit un circuit, je dis pas qu’il y a une superposition d’images, Rossellini était assez malin pour pas faire ça... mais il s’établit tout un circuit très mystérieux entre l’image actuelle, l’usine, et l’image virtuelle « J’ai cru voir des prisonniers ». C’est ça, c’est l’indiscernabilité : une usine est indiscernable d’une prison. C’est ça l’art du néoréalisme. ca n’a rien à voir avec... bon. Ou bien c’est Stromboli, c’est Stromboli : plus l’étrangère ira loin dans la réalité de l’île, jusqu’à l’explosion du volcan, plus elle ira loin dans l’exploration mentale d’elle même. Jusqu’au moment où les deux se réunissent, l’exploration mentale d’elle même et l’exploration de l’île, lorsque le volcan explose et que elle, au lieu de descendre, monte, au lieu de descendre monte vers le volcan et dit « Je suis finie, c’est trop beau. » Et là, les deux, c’est à dire... je suis finie, mon Dieu quelle beauté, je suis finie, je ne sais plus quoi, etc. ... tout le cercle de l’image virtuelle, c’est à dire, ce qu’il y a dans sa tête, et le cercle de l’image réelle, à savoir, toutes les couches et tous les aspects successifs de l’île, entrent dans une espèce de circuit dément qui la fait tomber à genoux, tout est devenu indiscernable... c’est trop beau, je suis finie.
-  C’est le point l’indiscernabilité... c’est le point dont on ne revient pas !. Qu’est-ce qui est vrai, qu’est-ce qui est faux, qu’est-ce qui est réel, c’est, c’est ça [ ?].] Et enfin, ça peut être commode de dire, et je suppose qu’Antonioni le fait comme ça parce qu’il a quelque chose d’autre à dire. Il dit, finalement moi ce que je représente, et il devient là très spirituel, il dit presque, ce que je représente c’est le néoréalisme sans bicyclette. [Rires épars] C’est le néoréalisme sans le vélo, j’ai ôté le vélo. Alors [ ?] il dit, « c’est pourquoi, il ne me semble plus important aujourd’hui (-ne me semble pas- il me semble qu’il n’est plus important, que ça ne compte plus,) aujourd’hui de faire un film sur un homme à qui on a volé sa bicyclette. C’est à dire sur un personnage dont l’importance provient du fait qu’on lui a volé sa bicyclette... » il dit c’est plus ça qui m’intéresse moi, il dit ça se posait au tout début, mais je crois déjà qu’au tout début il s’agissait d’autre chose, on lui avait pas volé une bicyclette, il s’agissait de tout à fait autre chose.

Aujourd’hui nous avons éliminé le problème de la bicyclette, c’est épatant, et il ajoute quand même, « je parle par métaphores, essayez de me comprendre au delà de mes paroles. » En d’autre termes, comme un philosophe, mais pas par métaphores... il parle en fait par exemple, il parle pas par métaphores, une bicyclette, bon c’est, un exemple célèbre. Voilà ce qu’il dit, voilà ce qui m’intéresse moi, par opposition à la bicyclette..., heu, je supprime le petit vélo, parce que il est important de voir ce qu’il y a dans le cœur et dans l’esprit de cet homme à qui on a volé sa bicyclette, il est important de voir aujourd’hui dit-il, après les premiers temps du néoréalisme, « Il est important de voir ce qu’il y a dans l’esprit et le cœur de cet homme à qui on a volé sa bicyclette ». Comment il sait adapter, comment il s’est adapté, ce qui est resté en lui de toutes ses expériences passées de la guerre, de l’après guerre, de tout ce qui est arrivé dans notre pays, un pays justement qui comme tant d’autres, est sorti d’une aventure si importante et grave. Qu’est-ce qu’il est en train de nous dire ? Il nous dit, le néoréalisme première manière, c’était formidable mais ça ne tenait pas compte du problème du temps, ça tenait compte du mouvement : la bicyclette. C’était encore un cinéma de mouvements. Bon, peu importe, peu importe qu’il ait raison ou pas, nous on aurait tendance à corriger, à dire, non, mais il n’a pas, il n’a pas tort. Mettons que le néoréalisme première manière il en restait aux histoires du réél et de l’imaginaire et de leur indiscernabilité ; mais il avait pas atteint le problème du temps comme mise en crise de quelque chose. Et le problème du temps c’est quoi ? Il ne s’agit plus de savoir qu’est-ce que va faire quelqu’un à qui on a volé sa bicyclette, on suppose que c’est fait depuis longtemps... il est important de voir ce qu’il y a dans l’esprit et le cœur de cet homme à qui on a volé sa bicyclette, comment il s’est adapté, comment il s’y est adapté, ce qui est resté en lui de tout ça, de toutes ses expériences passées de la guerre, il est temps de substituer l’ordre du temps, il est temps de substituer le temps, et le problème du temps à celui du mouvement.

Demandons-nous pourquoi, pourquoi est-ce qu’il y a un problème du temps urgent ? C’est que le temps c’est une chose terrible. Et je passe, et là le texte devient confus mais tellement beau, je passe à un autre texte d’Antonioni, j’emprunte les deux textes au livre sur Antonioni de Le Prohon dans la collection Seghers. Alors, c’est un rude texte.. On va voir, moi ma question c’est est-ce que d’une toute autre manière on a pas trouvé l’équivalent chez Nietzsche, en tout cas, si, ce qui paraît évident c’est, c’est un grand texte nietzschéen, ce texte, heu...d’Antonioni. On en est là, hein ? Vous suivez bien qu’est-ce qui va se passer et pourquoi invoquer le temps ? La réponse ça va être, le temps, ben oui, si ça met en crise la notion de vérité, c’est que, c’est qu’une première réponse, c’est une vraie saleté le temps, c’est une vraie saleté ; il y a quelque chose. , y’a quelque chose d’incroyable dans le temps... quelque chose d’incroyable qui nous menace. Alors c’est p’t’être pas pour ça que c’est une saleté, c’est p’t’être même la plus belle chose du monde...si l’on atteint la substance non chronologique, hein, si on atteint le fond du temps... N’empêche que le temps c’est, c’est terrifiant, c’est terrible. Et pourquoi c’est terrible, ce temps ? Dès sa naissance - voilà pourquoi - dès sa naissance, l’homme se trouve immédiatement alourdit par un bagage de sentiments... les sentiments...voilà ce qu’il nous dit, je suis à la lettre, hein ? « Les sentiments ont partie liée avec le temps. » Le temps nous apporte le sentiment. Le temps attend juste que nous naissions pour nous pourvoir déjà de sentiments. C’est très profond [tout ça], c’est pas un sujet de [ ?], ilfaut se laisser aller, avec ces, vous sentez que c’est la vision... il s’agit pas de...là encore ce serait tellement stupide de se dire qu’il a tort ou raison, c’est déjà assez difficile de comprendre ce qu’il veut dire... on se laisse aller à son, on essaie de comprendre ce qu’il est en train de nous dire Antonioni... "Moi dès ma naissance je me trouve immédiatement, immédiatement alourdit par un bagage de sentiments. Et c’est ça, mon être au temps." « Je ne dit pas vieux ou périmé - et pourtant il le dira plus tard. Comme il le dira plus tard, à nous de faire attention et de pas dire, il se contredit - c’est qu’il aura changé le sens du mot entre temps, sans le dire. « Je ne dis pas de sentiments... », nous nous trouvons alourdis par un bagage de sentiments. « Je ne dis pas de sentiments vieux ou périmés, mais je parle de sentiments tout à fait inaptes ». Inaptes. « ...conditionnant l’homme sans l’aider, l’entravant sans jamais lui montrer une issue ».

Là on sent que ça devient original, pourquoi ça devient original ? Justement parce que, il nous confirme, il nous confirme complètement. Nous disions : il ne s’agit pas du contenu. Il s’agit pas de savoir dans la notion, dans la mise en question du concept de vérité, il s’agit pas de savoir si il y a trois siècles on croyait ceci, plutôt que cela. Si on tenait ceci pour vrai, plutôt que cela, ça ne concerne que le contenu. Qu’est-ce que Antonioni pense ?

Ce qui doit être en question, c’est la forme du temps, c’est à dire, la forme du temps étant définie par ceci : ce qui exprime la substance non chronologique ou le fond du temps. Et Antonioni est en train de nous dire :" ce qu’il y a de terrible dans le temps, c’est que il part, il impose, il nous impose dès la naissance un bagage de sentiments et de sentiments inaptes, qui me commandent sans m’aider, qui m’entravent sans me montrer d’issue ; je ne dis pas vieux ou périmés" ». C’est à dire, qu’il s’agit pas de dire simplement, ha ce sont... dès qu’on, dès que je nais, on m’impose de vieilles valeurs morales, mes parents m’imposent toujours de vieilles valeurs morales. Ca peut se dire, c’est une proposition qui n’a qu’un intérêt très très limité, d’autre part, il est, elle est probablement fausse, d’autre part, elle est sans aucun intérêt, elle est d’une platitude, d’un... bon, on a rien à en faire. Antonioni ne peut pas - quand vous trouvez une platitude dans un texte, et quand le texte, heu, est fait par quelqu’un de grand, vous pouvez vous dire, c’est moi qui me trompe, c’est pas possible qu’il ait voulu dire. Or là il nous dit bien, « ...je ne dis pas vieux ou périmé... ». En d’autres termes, je n’invoque pas, lorsque je dis, ce qu’il y a de terrible dans le temps c’est qu’il nous impose des sentiments inaptes ; je n’invoque pas le temps dans son ordre chronologique, comme s’il nous imposait des sentiments vieux ou périmés... non, ce qui l’intéresse c’est la forme du temps.
-  C’est en fonction de sa forme et non pas en vertu de certains contenus vieux ou périmés, c’est en fonction de sa forme comme temps que le temps nous impose des sentiments inaptes.

C’est en tant que nous sommes dans le temps que nous sommes fondamentalement inaptes, que nous sommes fondamentalement contraints - Oh, tiens, pourtant, je lis un peu plus loin : - car, je le répète, nous nous servons d’une morale vieillie... », voilà...quelques lignes plus loin... : « ...je le répète, nous nous servons d’une morale vieillie, de mythes périmés, de vieilles conventions. Pourquoi respectons-nous une telle morale ? »

Catastrophe, hein ? C’est une catastrophe. Parce que je viens d’expliquer, surtout c’est pas parce que c’est vieux et périmé, et il l’a dit en toutes lettres à la première phrase...et puis dix lignes plus loin, il nous dit, ... « Je le répète, nous nous servons d’une morale vieillie, de mythes périmés, de vieilles conventions. » Alors du coup, ce qu’il y a de mal dans le temps, c’est que, il nous fait croire à des choses qui ne sont plus vraies... pas de vieilles valeurs, tout est foutu, fermons le livre, il avait rien à dire. Eh bien non, on peut pas le traiter comme ça. Alors qu’est-ce qu’il peut vouloir dire ? Nous nous servons, nécessairement - c’est même pas nous qui nous servons, c’est le temps, le temps nous sert, le temps nous sert une morale vieillie, des mythes périmés, de vieilles conventions. Et pourtant c’est pas, maintenons le début, et pourtant ce n’est pas parce que il nous a servit à de vieux contenus dépassés. C’est en vertu de sa forme comme forme actuelle, c’est à dire comme expression du fond non chronologique. Je dis ça, je le dis comme il le dit, mais ça veut plus rien dire tout ça...
-  Car la forme du temps nous impose une vieille morale, une morale vieillie, dès que nous naissons elle fait quoi ? Elle tient en peu de mots cette vieille morale, c’est que « tu dois »... «   tu dois ».... et il n’y a aucune contradiction dans le texte d’Antonioni, lorsqu’il nous disait « Je ne parle pas de vieux sentiments ou périmés, mais je parle de sentiments inaptes, me conditionnant sans m’aider, etc. ». Il voulait dire, je ne parle pas de tel ou tel devoir, de tel ou tel contenu moral qu’on nous imposerait dès notre naissance.

Quand il dit dix pages plus loin, non, dix lignes plus loin : « ...nous nous servons... »,« ...car je le répète, nous nous servons d’une morale vieillie, de mythes périmés, de vieilles conventions. », il se contredit pas du tout, il dit la forme du temps c’est le « tu dois », la forme du temps en tant qu’elle exprime le fond non chronologique du temps. C’est le simple « tu dois » comme forme. Il a même pas besoin de me dire ce que je dois, je dois ceci à telle époque, cela à telle époque, ça, c’est la chronologie. Ca, c’est qui peut être vieux ou périmé. Mais il y a quelque chose d’encore plus vieux ou périmé que tout ces contenus vieux et périmés. Ce qu’il y a de plus vieux et périmé que tous les contenus que le temps charrie dans sa forme, dans sa succession chronologique, c’est la forme même d’un « tu dois », quoi que ce soit que je doive. C’est ça la vieille forme qui fait qu’un avec le temps, avec le temps comme forme, avec le temps comme expression de sa substance non chronologique, « tu dois » un point c’est tout. Je dois quoi ? Mais avant tout « tu dois ». « Tu dois ». Et quoi que tu veuilles devoir, choisir « tu dois », « tu dois choisir », « tu dois », « tu dois ».

Donc vous voyez le texte deviens très, très, rigoureux. Ce qui met, voilà ce que j’en tire déjà, et ça me paraît fondamental, ce qui met la vérité en rapport fondamental avec le temps c’est bien la morale, ce qui met la vérité en rapport fondamental avec le temps c’est la morale sous la forme du « tu dois ». Pourquoi ?
-  Parce que le « tu dois » est un toujours- déjà là par rapport à toute existence.
-  Le « tu dois » est un déjà, un toujours-déjà là, qui s’alimente au fond du temps comme substance non chronologique.

Vous me direz que c’est pas clair cette histoire, j’essaie juste de lui donner une certaine rigueur de formule, c’est seulement la suite qui peut . « tu dois », bon... Justement moi existant, existant dans ce temps qui me dit « tu dois » comme un déjà là.
-  Vous voyez, on est passé de questions des contenus périmés a une forme qui, elle, est la forme d’un déjà là ; comme si le « tu dois » fulgurait du fond du temps et attendait chaque vivant à son tour, pour le saisir là dedans.

Et alors Antonioni il nous dit :" hé bien voilà, nous nous servons d’une morale vieillie, de mythes périmés, de vieilles conventions, et cela en pleine conscience, pourquoi respectons-nous une telle morale ? " Car ajoute-t-il, et c’est de là que va sortir tout le problème, pour lui, la connaissance n’a pas ce souci. Dans le domaine de la connaissance, finalement, la vérité ne connaît pas de crise. C’est le contraire de ce qu’on dit d’habitude. C’est même rudement bien qu’il dise ça Antonioni, parce que je suis sûr qu’il a raison. On nous parle toujours de crise de la connaissance. Dans la connaissance justement rien n’a d’importance, heu, il n’y a pas de crise, non... Il nous dit, et pour une raison simple, qu’il nous dit Antonioni, mais dans la connaissance, vous comprenez l’homme est prêt à se débarrasser de ses connaissances techniques ou scientifiques, à n’importe quel moment, pour en prendre d’autres.

En d’autres termes ça, on va pas dire que ça change rien, ça change quelque chose, mais peut être pas à notre rapport avec le temps. Lorsque, lorsque l’espace de Einstein, se substitue pour parler très gros, à un espace Newtonien, ça change sûrement beaucoup de choses...bien... est ce que ça change notre rapport avec le vrai ? Est-ce que c’est là que se passe notre rapport avec le vrai ?

Lorsque la physique des quanta arrive, là d’accord, là dessus on se dit, on peut le dire, "voila les bombes qui approchent," mais est-ce que c’est la bombe même, qui change vraiment notre rapport avec quelque chose, ou est-ce que c’est par l’intermédiaire de la bombe, que quelque chose va nous apparaitre. Du point de vue des connaissances scientifiques, soit que nous en ayons, soit que nous en ayons pas, Antonioni nous dit, nous n’avons guère de problème, nous les laissons tomber avec une facilité pour en prendre d’autres. Pas de problème. Comme si là il y avait vraiment qu’un problème de contenu. Ha bon, l’état de la science aujourd’hui, bon...ça fait pas beaucoup de problèmes. Dans le domaine de la science, jamais la science n’a été si humble, si prête à se rétracter, mais dans le domaine des sentiments, il existe un conformisme total. Intéressant. Si un matin vous vous réveillez en vous disant, et on vous apprend ;" aujourd’hui, aujourd’hui il y a une nouvelle particule, qui fait que, on a découvert une nouvelle particule qui fait que tout un pan de la physique à la lettre déclinerait, que vous êtes tenus, enfin est remis en question. Bon, ça vous va, vous dites « ha bon, très bien », c’est pas un drame quoi, ça peut être un drame pour les savants, mais c’est pas un drame...Si c’est un drame pour les savants c’est peut être pour d’autres raisons, du coup... jamais la science n’a été si humble, si prête à se rétracter, et finalement c’est pas la science qui nous embête, c’est pas la science qui nous ennuie, mais dans le domaine des sentiments il existe un conformisme total... C’est parce que là nous ne sommes pas tourmentés par un simple problème qui serait celui du contenu et de la variabilité du contenu, nous sommes affrontés à un problème qui est celui de la forme.

Bien... d’où il dit : comment ça se fait, que nous avons beau savoir que les sentiments dont on nous pourvoit dès la naissance sont tout à fait inaptes, nous conditionnent sans nous aider et ne nous donnent aucune aide, nous mènent à la névrose ou même pire. Pour une fois il s’agit plus des contenus variables, il s’agit de la forme « tu dois », en tant qu’elle pèse sur nous et surgit du fond du temps. Alors il nous dit, ça ne sert à rien. Et comment qu’on s’en tire ? Ca nous sert à rien sauf nous mettre dans des états, oui, dans des espèces d’états de conflit, là, d’états maladifs... on en est malades. On en est malades, vous me direz : "faut pas exagérer quand même on en est pas malades". Et si, dit Antonioni qui devient là de plus en plus intéressant, car, au mieux, on trouve un petit truc pour échapper, on trouve un petit truc pour échapper... on dit : là là, les « tu dois », hein, c’est fini tout ça... donc on le traite comme un vieux contenu et on dit : "moi j’ai, moi je suis un malin", et cette malice est la chose la plus pitoyable du monde, et cette malice est la chose la plus maladive du monde, et cette malice, et j’en ai besoin pour l’avenir, donc j’insiste là-dessus, est la chose qui sans doute, transforme l’amour en une pure misère, en un pur processus névrotique. Et on retrouve tout le thème de, tout le thème de son cinéma.

Comment expliquer que l’amour produise et conduise les gens à des conduites aussi minables, aussi pathologiques, aussi désespérées ? Alors on trouve, oui on trouve un moyen, mais notre petite malice par laquelle nous échappons au « tu dois » est pire que le « tu dois » lui même. Et il prend l’exemple en détail, puisque ce texte est emprunté à un commentaire de, de l’Aventura, de l’Aventura, il prend l’aventure en exemple, il dit : "vous voyez, les héros ils sont dans la situation du « tu dois », il dit pas ça si clairement, je, je, je durcis le texte pour.. - ils sont dans la situation du « tu dois ». A savoir, la fiancée, si j’ose dire, de l’homme a disparu et le « tu dois » c’est il faut la retrouver. [Coupure]

...l’original, l’espace dont les parties sont déconnectées, c’est pas parce que les connections ne peuvent se faire que sous l’œil de la fille pourtant disparue, c’est à dire sous l’œil imaginaire. Bon, ben personne y croit, très bizarrement ils font une espèce de ballet abstrait là dans l’île rocailleuse,, très beau, très beau, mais personne ne cherche à y croire. Et en revanche les deux principaux intéressés, c’est à dire la fiancée, heu le fiancé de la fille et l’amie de la fille, tombent très violemment dans les bras l’un de l’autre, si je peux dire, et ont une histoire d’amour qui les fait de plus en plus fuir sous prétexte de rechercher la disparue. Une histoire d’amour, alors là, très sensuelle, très violente... et Antonioni commente. Comme les gens ils n’y croient plus à ce « tu dois », pourquoi respectons-nous telle morale ? La conclusion à laquelle les personnages parviennent n’est pas l’anarchie morale, ils parviennent tout au plus, à une sorte de pitié réciproque, du type « je te comprends », « je te comprends » cela aussi c’est vieux ! C’est à dire, comprenez à la lettre le second sens du mot vieux, c’est à dire, cela aussi ça émerge du fond non chronologique du temps. Cela aussi c’est vieux, les vieux grecs n’ont pas cessé de nous convier à cette pitié réciproque, ça vaut encore mieux que l’anarchie morale, cette pitié réciproque, qui font, qui font les couples. [Rires épars]

Voilà où l’amour nous mène au mieux, comment expliquer ça ? Si, comme on dit - chacun choisit son problème, si vous pensez, pour ceux qui connaissent Kierkegaard, si vous pensez au problème qui l’obsède, Kierkegaard, c’est tel problème, mais à travers ce problème il vit la totalité du monde... Antonioni, c’est ça que j’aime beaucoup chez lui, c’est cette manière d’avoir un problème qui l’obsède et on est tous comme ça - mais il y a des, il y en a qui ont un don particulier pour ça...un problème qui l’obsède et à travers lequel il vise la totalité du monde, c’est à dire l’état de la société, l’industrie, tout y passera, l’ouvrier, le paysan... Mais son problème obsédant c’est :" mais enfin ces gens qui s’aiment... qu’est-ce qu’ils font ? Il dit, ça devrait pas être comme ça... tous, on est habitué à ce que ce soit comme ça, alors on se dit, bon, c’est pas un drame, qu’est-ce que...hé bon... bah, non ! Lui il lâchera pas ! C’est comme Kierkegaard avec Job, je lâcherai pas !

Je demande à Dieu une réponse de première main ! Je lâcherai pas, les philosophes c’est des connards parce que les philosophes, ils se contentent de généralités, moi Kierkegaard, je ne lâcherai pas Dieu, tout comme Job disait : moi Job, je ne lâcherai pas Dieu, il me faut une réponse de première main. Je ne me contenterai pas de généralités du type « ha, c’est la vie... », [éclats de rire] « l’amour ne peut pas durer toujours. », non, non, non, je ne lâcherai pas Dieu sans que je n’aurai une réponse de première main me disant : pourquoi l’amour, qui devrait être une chose importante, ne fait de nous que des loques ou au mieux, au mieux, des êtres pitoyables, qui se rendent pitié l’un à l’autre.

Moi je sens pas ça comme un problème urgent, mais, les miens ils sont aussi, j’insiste sur le caractère idiot des problèmes, en ce sens, le philosophe c’est vraiment quelqu’un qui ne lâche pas un problème idiot. Et les pages de Kierkegaard sont d’une beauté dans ce - il fait parler Job, c’est l’histoire de Job, c’est ça. Job a tous les malheurs et tous ses copains arrivent, et lui disent, « ho Job...tout le monde est mortel...heu, c’est la preuve que Dieu t’aime puisqu’il te châtie », et puis, « non »,dit Job , Job sur son fumier, dans sa douleur, « non, je ne lâcherai pas Dieu », je ne lâcherai pas Dieu, ce qui veut dire," je veux une réponse de première main" ; ou comme dira l’admirable penseur Chestov, « je veux qu’on me rende compte de chaque victime de l’histoire, je veux pas qu’on me dise à la manière de Hegel, ha oui ! L’histoire est un processus impitoyable par lequel s’effectue la raison ». Je demanderai compte de chaque mort déraisonnable, [il a eu sûrement pas mal de réponses], mais il aura lancé la question pendant deux cent pages, ha non, mille pages et ce sont des pages splendides, je veux dire, pas simplement splendides pour notre esthétique, ce sont des pages splendides [parce qu’elles touchent notre] raison de vivre.

Et il dit, bon, ils parviennent tout au plus à une sorte de pitié réciproque, cela aussi c’est vieux me direz vous, en effet c’est la tragédie c’est, c’est déjà dans Echille, la pitié réciproque auquelle les mortels... Oui, mais que reste-t-il sans cela ? Antonioni dit, « Et par exemple que croyez-vous qu’il soit cet érotisme qui a envahi la littérature et le spectacle ? C’est un symptôme... » - tiens il parle de plus en plus à la manière de Nietzsche - « ...c’est un symptôme le plus facile à saisir peut être de la maladie dont souffrent les sentiments. »,« Nous ne serions pas... » - et vient, là toute la fin du texte qui est splendide- « ...nous ne serions pas érotiques, c’est à dire malades d’Éros... » qu’est-ce que c’est beau ça : « ...nous ne serions pas érotiques, c’est à dire malades d’Éros... », Eros ne nous rendrait pas malades, c’est à dire érotiques« ...nous ne serions pas érotiques, c’est à dire malades d’Éros si Eros était en bonne santé. » [Rires] C’est beau, hein ? « ...nous ne serions pas érotiques, c’est à dire malades d’Éros si Eros était en bonne santé. »

Évidemment c’est pas notre faute, hein. « Et en disant en bonne santé je veux dire juste, adéquat à l’abjure et à la condition de l’homme. », c’est à dire, je me permets d’ajouter, si l’homme s’était réconcilié avec le temps, et l’homme n’est pas réconcilié avec le temps. Dans l’Avven...dans l’Aventura, dans l’AvvenTURA, hein, c’est là qu’on met l’accent, sur l’AvvenTURA, non, on met pas l’accent là ? on le met ailleurs, on le met, où ? [A la fin ?]A la fin ? [a la pénultième ?]Hé bah la pénultième c’est l’avant-dernière... enfin, dans l’aventure... [ça peut pas être ça.][éclat de rires]

Dans l’Aventure, la catastrophe est une impulsion érotique de ce genre là, c’est à dire lorsque le fiancé et l’amie de la disparue se prennent d’une espèce d’amour érotique l’un pour l’autre, grande scène, grande scène à la Antonioni... la catastrophe est une impulsion érotique de ce genre, c’est que j’appelais la petite malice, la petite malice qui fait obstacle au « tu dois », [et qui est de la même famille. Il est bon marché, inutile, malheureux, cette impulsion érotique c’est une impulsion de bas-âge, ils le savent bien, ils le savent parfaitement, ils savent que c’est [une prison], tout ça, que ça vaut rien, que c’est vraiment être malades d’Éros et que c’est de l’Éros qui est pas en bonne santé, bon marché, inutile, malheureuse. Et il ne suffit pas de savoir que c’est comme ça, car le héros - quel mot ridicule - de mon film, se rend parfaitement compte de la nature grossière de l’impulsion érotique qui s’empare de lui et de son inutilité, mais ça ne suffit pas." " Si nous savons que les vieilles tables de la loi n’offrent plus qu’un verbe trop déchiffré... » -c’est à dire sont usées- « ...pourquoi restons-nous fidèles à ces tables ? Voilà une obstination qui me paraît tristement émouvante. » Et il termine, c’est à dire y compris, pourquoi n’y opposons-nous que des malices aussi misérables, que celui qui dit, « Ho moi, le « tu dois »...j’ai cessé d’y croire », mais à quel prix ? Pour y substituer une misérable petite impulsion érotique. Bon marché, inutile, malheureuse. Qui le rendra aussi malheureux que, que le reste et qui le conduira aussi certainement sur le divan. [Rires]

Et Antonioni ajoute : « L’homme qui n’a pas peur de l’inconnu scientifique a peur de l’inconnu moral. », c’est ça le sens...« L’homme qui n’a pas peur de l’inconnu scientifique a peur de l’inconnu moral. ». En d’autres termes, je résume là tout ce que je tire de Antonioni : ce qui met la vérité, en crise...non, je résume avant, jusqu’à mon troisièmement.
-  Ce qui met la vérité en crise, c’est un rapport fondamental avec le temps, c’est à dire, avec la forme du temps ou plutôt avec ce qui exprime le fond ou la substance non chronologique du temps ;
-  ce que j’appelle forme du temps, ce n’est pas la chronologie, c’est ce qui exprime le fond ou la substance non chronologique du temps, qu’est-ce que c’est pour le moment ? Aucune raison que nous le sachions puisque c’est, ça fait partie de nos... Donc, ce qui met la vérité dans un rapport fondamentale avec..., heu, non, ce qui met la vérité en crise c’est ça, c’est ce rapport fondamental avec le temps.

- Quatrième point : ce qui met la vérité dans ce rapport fondamental avec le temps ce n’est pas la connaissance scientifique, c’est la morale et le domaine moral du sentiment - en employant moral presque au sens de, équivalent de sentimental, quoi, c’est le domaine du sentiment pour moi le moral. Voyez le progrès, nous n’arrêtons pas de progresser c’est fou hein ? On va même trop vite, hein ? Donc, mon troisièmement c’était, je crois, oui...je répète, parce que moi-même je, je ne suis pas très bien. Ce qui met la vérité...non, ce qui met la vérité en crise c’est le rapport avec le temps tel que nous venons de le définir déjà de manière compliquée :
-  Et quatrièmement, ce qui met la vérité en rapport avec le temps, c’est la morale telle que nous venons de la définir.

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