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45- 08/11/83 - 2

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Gilles Deleuze - Cinéma - cours 45 - 08/11/83 - 2 transcription : Nadia OUIS

Je passe à une deuxième remarque. Tout homme à moins d’être idiot est imbattable sur son propre terrain. Si bien que discuter la théorie dite classique du "vrai" est une aberration comique dénuée de tout sens. Il n’y a jamais lieu de discuter, il faut plutôt changer de terrain. Principe sacré : on a toujours raison sur son propre terrain. Donc le problème c’est de se faire son terrain à soi : c’est pas facile. Vous arrivez dans un monde où les terrains sont occupés. Tous les terrains. C’est comme des trous, il y a un bigorneau dans chaque trou. Il y a une solution : arracher des bigorneaux, c’est la violence. Non. Faut trouver une petite terre à vous, entre deux machins. Où elle est là notre petite terre ? D’accord, le faux n’a pas de forme. On va pas essayer de discuter : est-ce que le faux a une forme ou pas, évidemment qu’il n’a pas de forme le faux ! Seulement on peut dire voilà, on peut dire alors avec beaucoup de respect, d’accord Descartes, Malebranche : le faux n’a pas de forme. Qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse moi ? c’est évident ! c’est comme deux et deux font quatre. Mais, mais est-ce que c’est le seul critère ?
-  Par exemple le faux n’a pas de forme, bon ! Mais est-ce qu’il n’a pas une puissance ?

Comprenez dans les dialogues, on peut toujours - quand vous lirez du Platon celui qui est interrogé par Socrate dit toujours oui d’accord Socrate. Mettons :
-  Socrate dit : le faux n’a pas de forme.
-  L’autre dit d’abord : Socrate je ne comprends pas du tout ce que tu veux dire.
-  Socrate il y va, repart à zéro, lui dit : eh bien prends l’exemple de quelque chose de faux, d’une chimère.
-  Oui, dit l’autre, je prends l’exemple d’une chimère.
-  Eh bien dis-moi la forme d’une chimère ?
-  L’autre dit, la forme d’une chimère.
-  Il dit, mais la seconde d’après, dit Socrate la chimère - j’invente c’est pour vous donner, pour ceux qui ont jamais lu de Platon, pour vous donner le ton - Socrate répond, oui, mais tu dis, que la chimère elle a des ailes et puis des sabots et puis des grandes dents mais la seconde d’après, voilà qu’elle a plus de dents du tout, et puis elle n’a pas des ailes, mais elle a des nageoires.
-  L’autre dit : ah, oui Socrate, mais oui, c’est vrai j’ai vu ça, c’est comme tu dis.
-  Socrate dit : donc, elle a deux formes la chimère ?
-  L’autre dit : ah ben oui, elle a deux formes.
-  Ah mais j’en ai vu une de chimère, dit Socrate, une autre forme. Alors il fini par faire dire, elle a une infinité de formes ?
-  Oui, dit le disciple.
-  Socrate dit : Mais si elle a une infinité de formes, est-ce qu’on peut dire que ça a une forme ?
-  Alors l’autre il est embêté. Il dit ah - toujours c’est par Zeus - Ah par Zeus ! Non, on peut pas dire que ce qui a une infinité de forme aie une forme.
-  Alors, dit Socrate, tu te contredis, ça va pas du tout.
-  Alors l’autre, il dit : je veux plus te parler.

Il y en a un autre qui prend le relais. Tout ça bon c’est épatant. Donc il n’y a pas lieu... mais il y en a parfois de plus résistants. Alors supposons un interlocuteur de Platon :
-  ah d’accord, le faux il n’a pas de forme. Seulement, moi je te dis Socrate, qu’il a une puissance. Alors là Socrate il aime pas qu’on lui dise quelque chose comme ça. Parce que du coup à charge pour lui de montrer qu’il n’y a pas de puissance sans forme, ce qui va être plus compliqué, ce qui va être un peu plus compliqué. Mais enfin il risque de s’en tirer ou bien de pas s’en tirer. On ne sait pas s’il va s’en tirer. C’est pour ça que les dialogues de Platon c’est une drôle de chose. Faut pas croire que Socrate y gagne toujours. Bien plus la plupart du temps Socrate se retrouve à la place de celui, à la place de départ de celui qu’il était en train d’interroger et de traiter d’idiot et il est très content à ce moment-là, il lui dit : ben tu vois, on a fait le tour de la question.

Je dis le faux a peut-être une puissance. Qu’est-ce que ça veut dire ça ? Qu’est-ce que ça peut vouloir dire ?
-  Il y aurait une puissance du faux. Qu’est-ce que c’est ? Je peux dire une chose. Si l’idée d’une puissance du faux a un sens :
-  Premièrement, ça n’a rien à voir avec une forme sinon je retomberais dans ce qu’on a réglé.
-  Deuxièmement, ça n’a rien à voir avec la confusion du réel et de l’imaginaire. Ni de l’essence et de l’apparence, ni de la représentation et de la modification. Vous comprenez pourquoi ? Là c’est un tout petit peu plus serré. Donc faites bien attention, on n’en a pas pour longtemps, surtout une première fois... Je peux plus ! J’ai pas le choix. Car la confusion, si vous m’avez un tout petit peu suivi, la confusion du réel et de l’imaginaire, de l’essence et de l’apparence, de la représentation et de la modification, c’est le faux. C’est le faux. Tel qu’il se réalise dans "l’acte de l’erreur" ou du jugement erroné. C’est le faux !

Quand je dis le faux n’a pas de forme, il a peut-être une puissance. Ben la puissance du faux, ça ne peut pas être le faux. Bien plus, oui - non pas bien plus, cela suffit - je ne peux pas définir s’il y a une puissance du faux, je sais d’avance que je ne peux pas la définir par la simple confusion du réel et de l’imaginaire, de la représentation et de la modification sinon je retombe dans mon machin et on l’a déjà fini. Je peux pas ! alors faut que je renonce ou que je trouve autre chose. Je voudrai que...En philosophie on peut faire comme ça et ça doit être vrai dans toutes les disciplines, vous savez on avance que contraints et forcés. On dit parfois que les philosophes, ils en rajoutent pour le plaisir, jamais on n’en rajoute pour le plaisir. Ou bien on s’arrête parce qu’on en peut plus, ou bien on avance parce qu’on ne peut pas faire autrement. Je vois bien moi que... Moi je préfèrerai dire : salut, voilà. La puissance du faux, c’est la confusion du réel et de l’imaginaire et puis voilà. Mais il se trouve que je ne peux pas. Pas possible ! puisque je me suis servi de ça, pour définir le faux. Alors la puissance du faux, ce n’est pas le faux.

Alors qu’est-ce que ça peut-être si c’est pas la confusion du réel et de l’imaginaire de l’essence et de l’apparence ? Qu’est-ce que ça peut être ? Ouf je vois bien une issue vraiment une issue de secours . Je dirai : c’est l’indécidabilité. Ben voilà une autre notion...Ou pour le moment, pas de raison en effet de distinguer, c’est l’indiscernabilité.
-  La puissance du faux, c’est l’indiscernabilité du réel et de l’imaginaire. C’est l’indécidabilité de ce qui est réel et imaginaire. Ce n’est pas du tout la même chose que la "confusion du réel et de l’imaginaire", pas du tout.

Quel progrès on a fait ! Seulement c’est un progrès bien inquiétant puisque qu’est-ce que c’est que ça ? Qu’est-ce que c’est que ça ? Il me faut un domaine, il me faut des terrains, où le réel et l’imaginaire sont indiscernables, indécidables où je ne peux plus dire : ce qui est l’un, est l’autre. Comme dit Nietzsche, il estime que c’est une phrase-clé de son œuvre : « si j’ai aboli le monde des essences, j’ai aboli aussi le monde des apparences ». C’est-à-dire il n’y a plus... Sous la puissance du faux, il n’y a pas plus d’essence que d’apparence. La puissance du faux ne peut pas dire tout est apparence. Les apparences, elles ne sont pas moins ruinées que les essences. Il y a indiscernabilité de l’essence et de l’apparence, il y a indécidabilité entre le réel et l’imaginaire.

Mais où ? Où est-ce que il y a ça ? Où est-ce que le réel et l’imaginaire entrent dans un rapport d’indiscernabilité ? Où est-ce que la représentation et la modification rentrent dans un rapport d’indiscernabilité ?

-  Une première réponse, vous pourrez la concevoir c’est : eh bien, c’est dans la tête. C’est dans la tête, il faut quand même considérer cette réponse brièvement, parce qu’elle a été donnée. C’est dans la tête que le réel et l’imaginaire peuvent être indiscernables, peuvent entrer dans un rapport d’indiscernabilité. C’est même curieux cette expression, il faudra la justifier : "rapport d’indiscernabilité", en quoi l’indiscernabilité peut-elle être dite, d’un rapport ? En tout cas, c’est complètement différent d’une confusion. Lorsque je dis : je confonds l’un avec l’autre, ça maintient une distinction en droit. Lorsque je dis les deux sont indiscernables, je nie toute distinction de droit.

C’est dans la tête, l’indiscernabilité du réel et de l’imaginaire, ben non, on sait très bien que c’est pas dans la tête. Pourquoi ? parce que dans nos têtes, on fait jamais la confusion. On fait jamais - pardon - l’indiscernabilité. On fait souvent la confusion, c’est-à-dire on se trompe. Mais on atteint jamais à une indiscernabilité. Le rêveur, il n’atteint jamais à une indiscernabilité du réel et de l’imaginaire. Pour parler au plus simple, il est coupé du réel par le réel - pardon - par le sommeil, il est coupé du réel et livré pieds et poings liés à l’imaginaire. Je peux absolument pas dire d’un rêveur qu’il "confond" le réel et l’imaginaire, il le confond même pas. A plus forte raison il arrive à aucune indiscernabilité des deux, le sommeil l’en préserve. L’halluciné : il y a longtemps que tout le monde a dit, expliqué, bien montré... Mais l’halluciné par exemple, il entend des voix, il a des voix mais justement dans sa tête, il ne pense pas que les autres les entendent, ces voix. Pas d’halluciné qui pense que les voix qu’il entend, les autres peuvent les entendre. Je me réveille le matin et j’entends : « salaud ! Crapule ». Mais j’appelle pas quelqu’un pour dire, t’entends aussi ? Je sais très bien qu’il n’entend pas, je sais très bien qu’il ne peut pas entendre. Je sais très bien que les esprits auxquels je suis mêlé sont d’autant plus dangereux que personne ne les entend. Bon. Ça n’arrange rien ! Donc c’est pas dans la tête - pourquoi j’insiste tellement là-dessus ? Parce que j’ai besoin d’un texte qui me servira pour l’avenir.

Robbe-Grillet aussi bien dans ses romans que dans son cinéma invoque, je crois, invoque fondamentalement une indiscernabilité du réel et de l’imaginaire. Une "indiscernabilité". Et il ne cesse pas de nous dire, ce qui montre qu’il invoque une indiscernabilité, c’est qu’il ne cesse pas de nous dire, par exemple, à propos de "L’année dernière à Marienbad" : « mais vous demandez pas si c’est réel ou si c’est imaginaire, la question n’a pas de sens ! » Il dit : « d’accord on peut toujours dire tout ce qu’on veut : les uns diront il y a ceci de réel, les autres diront ah non, c’est ça, là c’est l’imaginaire...Vous pouvez toujours essayer de faire le partage - la question ne se pose pas, vous ne voyez pas le problème, ce n’est pas le problème ».

Donc il se réclame explicitement d’une "indiscernabilité du réel et de l’imaginaire". Et il commente, mais je ne dis pas que ce soit l’expression de sa pensée dernière, c’est au contraire, pour nous éviter de tomber dans les pièges d’un texte. Un texte nous présente toujours des pièges, surtout dans le cas de Robbe-Grillet qui adore ça. C’est là évidemment que les choses se compliquent : quand il s’agit de savoir qu’est-ce que c’est que cette indiscernabilité ? « Il ne peut s’agir ici, que d’un déroulement subjectif, mental, personnel », dit-il pour "L’année dernière à Marienbad". « Ces choses doivent se passer dans la tête de quelqu’un ». Ces choses doivent se passer dans la tête de quelqu’un.

Eh bien non ! Non, on peut dire d’avance, non ! Ce qui se passe dans la tête de quelqu’un au pire, ce sont des confusions locales et provisoires de l’imaginaire et du réel mais jamais des constructions d’indiscernabilité. "Ces choses doivent se passer dans la tête de quelqu’un" mais de qui ? Du héros narrateur ? Point d’interrogation : c’est-à-dire de l’homme de "l’année dernière à Marienbad" ou de l’héroïne hypnotisée ? La femme de "L’année dernière à Marienbad". Il dit alors : ça doit se passer dans la tête de quelqu’un. Est-ce que c’est dans la tête de l’homme ? non. Est-ce que c’est dans la tête de la femme ? non. Ou bien par un échange constant d’images entre eux, les deux ensemble ? Ça ça ce serait déjà mieux parce que si c’est entre deux têtes, c’est pas dans la tête de quelqu’un. C’est dans un tête à tête, ce serait mieux. M’enfin, il dit : "non plus. Il vaudrait mieux admettre une solution d’un autre ordre", on se dit : ah bon ? il vaudrait mieux admettre que c’est l’indiscernabilité, la confusion, voilà où nous en sommes : la confusion du réel et de l’imaginaire, etc..., de la représentation et de la modification, peut se produire dans la tête de quelqu’un mais ce qui ne peut pas se produire dans la tête de quelqu’un, c’est l’indiscernabilité du réel et de l’imaginaire.

"Il vaudrait mieux admettre une solution d’un autre ordre". De même que le seul temps qui importe est celui du film » - tiens il introduit le temps c’est bon pour nous ça- « de même que le seul temps qui importe est celui du film, le seul personnage important est le spectateur ». On se dit : zut ! alors : « c’est dans sa tête - mis en italique - c’est dans la tête du spectateur que se déroule toute l’histoire qui est exactement imaginée par lui ». Alors on se dit ; ah bon il nous avait sorti, puis il nous y remet. On s’est demandé, voyons : ce serait-y pas dans la tête des personnages ? Réponse : non. On est soulagés, il fait une lancée vers le temps puis pan ! il nous ramène...Non c’est pas dans la tête des personnages, ni entre leurs têtes, d’une tête à l’autre, mais c’est dans la tête du spectateur.

Alors on peut enchaîner, on peut compliquer sur Robbe-Grillet puisque il est en train de nous faire un sale coup. On sent qu’il est en train de nous tendre des pièges. On dira bon, bon, bon, bon. Mais quel spectateur ? Quel spectateur ? Un spectateur réel ? qui serait vous, moi, assistant à "L’année dernière à Marienbad". Dans ce cas-là c’est pas possible. C’est pas possible. Impossible, impossible ! Parce que vous ou moi, on est dans la situation que dans notre tête peut se produire une confusion du réel et de l’imaginaire mais non pas une indiscernabilité - on est comme tout le monde. Ou bien alors il invoque un spectateur, qu’il faudra bien appeler un spectateur « idéal ». Qui n’est constitué ni de vous ni de moi. Mais alors de qui ? Et quelle sera la nature de ce spectateur idéal, qu’est-ce que ce sera ? En fait, il n’aura pas de tête. Qui ce sera ? Ce spectateur idéal, c’est pas dans sa tête que se produira une indiscernabilité du réel et de l’imaginaire ; ce spectateur idéal, c’est peut-être celui qui "construira" l’indiscernabilité. Si elle se passe pas dans la tête il faut bien la construire. Et comment appeler celui qui construit l’indiscernabilité du réel et de l’imaginaire ? Comment l’appeler sans lui donner le nom qu’il mérite ? A savoir il tient la puissance du faux : il est le faussaire. Alors que l’homme qui se trompe, il est l’homme qui ment. Alors que l’homme qui se trompe, c’est celui qui confond le réel avec l’imaginaire. Mais le faussaire, l’homme qui ment, c’est celui qui construit... Coupure du son

...Moyen des indiscernabilités de réel et d’imaginaire. La puissance du faux se définit par l’indiscernabilité du réel et de l’imaginaire et non pas par sa confusion. Première proposition.

-  Deuxième proposition : à ce titre elle renvoie à un faussaire et non pas au faux. Et c’est normal puisque je réclamais uniquement que la puissance du faux ne soit pas définie par le faux. Donc on a fait un progrès ! Oh ! Considérable.

Vous n’êtes pas trop fatigués ? Ça va ? Parce que je m’arrête, je ne voudrai pas que la première fois vous en ayez trop. Surtout que j’ai besoin que vous voyiez un peu pour lancer vos propres recherches. Alors on va juste faire toujours dans cette seconde remarque, dans le cadre de cette seconde remarque, il faut faire un petit pas en plus. Je dis l’indiscernabilité du réel et de l’imaginaire... Coupure du son

Dans la tête des gens, nous paraîtra d’avance insuffisante, pas fausse, non mais insuffisante. Alors qu’est-ce que c’est que ces...Comment dire ? Ces...je cherche un mot...Concrétions. Ou coalescences. Ces concrétions ou coale...Ou bien alors je prends un mot qu’adorerait Dupréel, c’est consolider. Ces concrescences, ces coalescences, ces consolidés de réel et d’imaginaire, tel que soit indécidable ce qui est réel et ce qui est imaginaire. Supposez un circuit.

Alors là je dis des choses, faudra à aucun moment me les reprocher parce que c’est tellement au fur et à mesure qu’on sera amenés à les corriger, à dire ah ben là ce jour-là on avait dit vraiment des bêtises. Mais faut croire que peut-être ces bêtises vont nous servir.

Ce circuit, imaginons un circuit "électrique". Ou bien un circuit, bien mieux alors, un pas de plus au point où on en est déjà : un circuit "électro-magnétique". Un circuit ça veut dire quoi ? Ça veut dire que quelque chose court derrière autre chose. Mais dans certaines conditions, on ne sait vraiment plus ce qui est en avant et ce qui est en arrière. Lequel est premier aux Six jours au Vélodrome ? Il faut être un habitué pour savoir, pour savoir le nombre de tours...D’abord sinon on peut pas le savoir si je sais pas le nombre de tours... Je sais pas...Deux choses se courrent l’une derrière l’autre, mais on avance, sur un circuit électrique ou électro-magnétique de telle manière que je ne sache pas, non seulement laquelle est la première, laquelle est la seconde, mais laquelle est laquelle et laquelle est laquelle ? En d’autres termes le réel et l’imaginaire, la représentation et la modification, courrent l’une derrière l’autre de telle manière que je ne sache pas, et que je puisse pas savoir -indécidabilité - je ne peux pas savoir ce qui est réel et ce qui est imaginaire, je ne peux pas savoir ce qui est représentaion et ce qui est modification. Une telle concrétion entre de réel et d’imaginaire, répond à ce que je cherche.

Oui, tout de suite (chuchoté)

Si vous voulez tout de suite, si vous voulez un exemple. Un exemple fameux nous vient. Tiens, c’est pas par hasard s’il est emprunté à Welles. La grande scène finale de "La Dame de Shangaï" : je suis dans des conditions telles que je ne confonds pas du tout le réel et l’imaginaire. Je suis dans des conditions telles que les deux se courant l’un après l’autre, sont devenus indiscernables. Quel est le personnage réel ? Quelle est son image dans le miroir ? Je ne sais pas. Non seulement moi, ce qui ne serait pas grave, mais l’avocat ne le sait pas. D’où l’échange célèbre de coups de feux qui va quoi ? Qui va briser les glaces et le jeu des glaces. Les glaces, les miroirs, ça agit beaucoup plus que...C’est quoi ? Mais je dis, ce jeu de glaces, ce sont de véritables circuits électriques ou électro-magnétiques où le réel et l’imaginaire courrent l’un derrière l’autre, au point que ils perdent toute discernabilité possible. Jusqu’à ce que les glaces s’effondrent. Ah mais si c’est comme ça ! il faudra voir, est-ce que...Est-ce que tout ça c’est des hyptohèses ? Mais alors si c’est ça ? Est-ce qu’on est pas en train de gagner quelque chose de très important ? Où est le personnage réel, où est sa modification dans le miroir ? Où est la représentation et la modification ? Où est le réel, où est l’imaginaire ? ils sont devenus indiscernables mais pas dans n’importe quelles conditions, dans les conditions de ce circuit de glaces.

Bon...Qu’est-ce que c’est ça ? Je dirai, le lieu de l’indiscernabilité du réel et de l’imaginaire, c’est quoi ? Il me faudrait comme une formation, dont une face soit tournée vers le réel, une face tournée vers l’imaginaire. Vous me direz : mais ça c’est exactement la forme du vrai. Ah oui ! mais il me faudrait cette fois-ci non plus une forme : une formation, j’ai dit, une formation dont la face tournée vers le réel et la face tournée vers l’imaginaire entrent dans un tel rapport de circulation qu’est "objectivement indiscernable", ce qui est réel et ce qui est imaginaire. Ce ne sera plus du tout une forme organique, ce ne sera plus la forme organique du vrai. Il faudra que les deux faces de ma formation - ou les petits "n" faces, parce que bien sûr on sent qu’il y aura petit "n" face - non seulement se courent l’une derrière l’autre mais en se courant l’une derrière l’autre, se réfléchissent l’une dans l’autre, et se réfléchissent si bien que je ne sache plus et je ne puisse plus savoir, comme dans un principe d’indétermination objectif, un principe d’indiscernabilité, ce qui est réel et ce qui est imaginaire.

Bon j’appelerai ça : par opposition à la forme organique du vrai, j’appelerai ça une formation cristalline, quitte à justifier plus tard cette expression "formation cristalline". Et je dirai :
-  la formation cristalline est et renvoie à la puissance du faux, tout comme la forme organique renvoyait à la forme du vrai. Et je définirai à ce moment-là, comme ça, comme ça... Je dirai : oui, il y a des cristaux ou des images-cristal. Et les images-cristal sont des coalescences de réel et d’imaginaire telles que l’on ne puisse plus objectivement distinguer ce qui est réel et ce qui est imaginaire.

Un peu...Un peu si vous voulez comme si, dans une histoire de miroir, vous aviez je dirai un cristal. Alors pour reparler en termes d’images, mais ça se transforme tout seul, c’est comme si du point de vue de l’optique - et les cristaux ils ont à faire avec l’optique - comme si du point de vue de l’optique, vous aviez un système de miroir ou ce qu’on appelle en optique : "l’image actuelle et l’image virtuelle" courraient l’une derrière l’autre de telle manière que vous ne puissiez plus, même en droit, distinguer ce qui est l’une et ce qui est l’autre. Voilà. On pourrait dire aussi bien :
-  une formation cristalline, c’est la coalescence d’une image actuelle et de son image virtuelle. De toute manière je dirai : c’est le principe d’indiscernabilité du réel et de l’imaginaire.

Voilà on avance un petit peu puisque j’ai une définition de la puissance du faux qui n’opère plus, vous voyez, par la confusion du réel et de l’imaginaire. La puissance du faux ou le faussaire se définit maintenant comme le constructeur des formations cristallines. Si Dieu est un faussaire - hypothèse devant laquelle certains philosophes n’ont pas reculé - si Dieu est un faussaire, c’est qu’il fait des formations cristallines. Si Dieu est véridique, c’est parce qu’il fait des formes organiques. Pas sûr mais enfin.. Le diable fait des formations cristallines, évidemment ça ! J’ai que ça. Mais on n’a pas fini. Pas tout à fait fini.

Ma troisième remarque est celle-ci : c’est que, d’accord, on a défini l’image-cristal par l’indiscernabilité du réel et de l’imaginaire. Au XIXème siècle et au XXème siècle encore, les dames, les dames avaient des albums où elles demandaient aux gens d’écrire des pensées, généralement des pensées délicates, sur leur album, les jeunes filles mais même parfois les femme mariées - et alors les hommes rivalisaient pour écrire une espèce de livre d’or. Les grands poètes n’ont jamais négligé cette activité. Quand ils sortaient, les poètes qui sortent pas, évidemment ... Mais Mallarmé lui-même adorait, il y a des vers splendides de Mallarmé qui sont sur des (..) au point que je suis sûr qu’il y a des inédits de Mallarmé dans les carnets de jeunes filles qu’on ne connaîtra jamais. Et c’est bien dommage, parce que là c’était vraiment comme dans le jazz, c’était vraiment l’improvisation à l’état pur, le bon moment, c’était épatant ça, c’était une activité poétique merveilleuse. Mais Victor Hugo faisait ça beaucoup et c’était très beau. C’était très beau. Toutes celles que j’ai lues, splendides, il avait cette inspiration. Et voilà qu’une dame, une dame lui demande de mettre quelques vers sur son...Valery, il a fait ça beaucoup aussi...C’était le bon temps ça pour les poètes. Mais lisez dans la Pléïade, il y a quelques - dans l’édition de la Pléïade - il y a quelques vers de circonstance de Mallarmé comme ça qui sont splendides. Il y a des femmes au moment du bal où les femmes qui dansent ou qui vont pour danser...Des splendeurs. Et à une, qui demandait ça à Victor Hugo, Victor Hugo lui écrit ceci sur son album, sur l’album de la dame - et ça m’a quand même tellement frappé je ne sais pas pourquoi c’est d’une telle beauté rythmique pour moi - ça m’a tellement frappé que ça je l’ai lu, j’ai un vague souvenir, je l’ai lu dans les environs de dix-sept ans. Et moi qui ne me rappelle des vers par cœur que très très difficilement, celui-là m’est resté, je n’ai jamais eu à le revoir, peut-être que si je le revois je m’apercevrais que ce que je raconte est complètement faux ! Et je sais plus où je l’ai trouvé, mais je vous jure que, je vous jure que...c’est vrai !

(Rires)

Vous savez dans le film de Orson Welles "F comme Fake", il y a une convention : pendant une heure, on ne racontera pas d’histoires, on ne racontera pas de mensonges. Alors le spectateur se dit ouf ! et puis apparaissent des mensonges énormes, et Orson Welles prend sa montre et dit : il y a une heure vingt que j’avais dit...Il y a vingt minutes de plus, le spectateur ne s’est pas aperçu que depuis vingt minutes, le mensonge était revenu. Mais comme la période de vérité était pas moins menteuse, on s’y retrouve.

Alors ce qu’il disait Victor Hugo, disait à la dame c’était : "l’émeraude en ses facettes, l’émeraude en ses facettes, cache une ondine aux yeux clairs, la Vicomtesse de Cette, c-e-tt-e c’était la dame, la vicomtesse de Cette avait les yeux couleur de pers". P-e-r-s. Savez ce qu’on appelle le "pers", c’est une couleur bleu-vert. C’est célèbre depuis Homère, Athéna aux yeux pers. Alors je sais pas dans ce rythme, qui est en effet ...C’est un rythme très très savant, je peux même pas dire que c’est une chanson, c’est un rythme qui me parait extraordinaire qui dépend pas évidemment du nombre des syllabes.

-  L’émeraude en ses facettes
-  Cache une ondine aux yeux clairs
-  La Vicomtesse de Cette avait les yeux couleur de pers

Elle devait être contente d’avoir un poème comme ça. Eh bien je retiens les deux premiers vers, si je raconte ça c’est parce que j’ai besoin des deux premiers vers : « l’émeraude en ses facettes cache une ondine aux yeux clairs ». A quoi sert une formation cristalline si il n’y a pas quelque chose dedans ? Il y a évidemment quelque chose dedans. Elle est inséparable.
-  L’image-cristal est inséparable d’un "quelque chose" qui est dedans et que l’on voit dedans. Elle, elle se définit par la coalescence du réel et de l’imaginaire. Mais qu’est-ce qu’on voit dans le cristal ? On est forcé d’aborder ce problème : qu’est-ce qu’on voit dans le cristal ? Eh bien puisque en assurant la coalescence du réel et de l’imaginaire, elle a supprimé et le réel et l’imaginaire, il n’y a plus ni réel ni d’imaginaire, les deux sont indiscernables. Qu’est-ce qu’on peut voir ? On ne peut plus voir qu’une série de modifications qui sont aussi bien les représentations les unes des autres. On ne peut plus voir qu’une série, une série de modifications qui sont en même temps les représentations les unes des autres, bon d’accord ! Faut aller plus loin, ça suffit pas ! Bien, un effort : la formation cristalline renvoie non pas au faux mais à la puissance du faux. Mais "la puissance du faux", qu’est-ce que ça veut dire ? Il n’y a pas "la puissance du faux". Il y a peut-être la vérité, il y a pas la puissance du faux. La puissance en tant que puissance n’existe que sous la forme d’une série de puissances : a1, a2, a3, an , la potentialisation n’existe que sous la forme d’une série de puissances. il n’y a pas une puissance 1, et puis une puissance 2 et puis une puissance 3. Ça existe pas ça. Bien plus qu’est-ce qui nous l’affirmerait même du point de vue strict des mathématiques : le calcul différentiel. Le calcul différentiel ne peut avoir qu’une définition simple, il y a des définitions plus compliquées : c’est ce qui permet d’introduire une comparaison absolument nécessaire entre quantités de puissances différentes. La notion de puissance est inséparable des différences de puissances. Ma réponse - voyez - je fais des réponses successives mais chaque fois on gagne un tout petit pas.

Qu’est-ce que je vois dans la formation cristalline ? Qu’est-ce que je vois dans l’émeraude ? Je vois l’ondine aux yeux clairs, c’est-à-dire la Vicomtesse de Cette. Bon, d’accord, je vois ça, mais la vicomtesse de Cette, l’ondine c’est quoi l’ondine ? Eh oui, l’ondine c’est la métamorphose. c’est la métamorphose en perpétuel état, tiens ! Comme on l’a souvent remarqué le yacht sur lequel se passe "la Dame de Shangaï" s’appelle Circé, Circé célèbre dans Homère par ses métamorphoses. Voilà ce qu’on voit dans le bateau. Tiens mais alors le bateau dans "La dame de Shangaï "c’est une formation cristalline ? Peut-être, tiens, je mélange tout pour...Il y a quelqu’un qui a su à montrer qu’un bateau, et quelqu’un qui s’y connaissait en bateau, que malgré l’apparence les bateaux étaient des formations cristallines inquiétantes : et c’est Herman Melville. Bon mélangeons pas tout...

Dans la formation cristalline, je vois une série de modifications dont chacune est la représentation de la suivante. Il y a indiscernabilité de la représentation et de la modification. Je vois un réel dans chacun, je vois des réalités dans chacune, et l’irréel de la suivante. En d’autres termes, je ne peux voir qu’une série. Un petit pas de plus. Quelle série la formation cristalline renvoyait à la puissance du faux ? La série que je vois dans le cristal ne peut être que la série des puissances. C’est comme des mathématiques. Pas lieu de discuter. Rien ? Non. Tout va bien.

-  Troisième petit pas. Tout petit pas. Si la puissance du faux apparaît dans la formation cristalline sous la forme d’une série de puissances, puissance 1, puissance 2...jusqu’à petit "n", voilà que le faussaire est passé dans le cristal. Eh oui, il fallait bien. D’ailleurs il ne serait pas un faussaire, si lui qui avait fait le cristal, il ne passait pas dans le cristal. C’est évident que le faussaire, il passe dans le cristal. Mais il passe pas dans le cristal sous la même forme qu’il le fait, qu’il le fabrique. Il passe dans le cristal sous quelle forme ? A sa place peut-être ? Est-ce qu’il est la puissance "n", on en sait rien. Il nous faudra tant, tant de recherches avant de pouvoir dire une chose comme ça. Bien plus est-ce qu’on aura pas une surprise : de découvrir l’homme véridique dans la série des puissances. De dire : Oh, l’homme véridique mais ce n’est qu’une puissance du faux. Or ça ce serait la joie ! Et n’est-ce pas quelque chose comme ça bien que là je suis très loin de Nietzsche mais, après tout, si on fait un peu de recollement, de collage, n’est-ce pas quelque chose comme ça que Nietzsche dit dans un de ses plus beaux mots : « le véridique - c’est-à-dire l’homme véridique - finit toujours par comprendre qu’il n’a jamais cessé de mentir ». Est-ce que ça ne veut pas dire qu’il finit toujours par se découvrir dans le cristal, lui qui se croyait dans la formation organique ? Et à sa place d’homme véridique, il aura sa place dans la série des puissances qui apparaissent dans la formation cristalline, bien ! Et le faussaire aussi. Ce qui veut dire : les faussaires n’existent qu’en chaîne. Faudra revenir là-dessus mais la prochaine fois je pourrai aller plus vite. Vous m’accorderez qu’on a vaguement fondé le principe.

Pourquoi les faussaires n’existent qu’en chaîne ? Si je résume pourquoi les faussaires n’existent qu’en chaîne,
-  c’est parce que si je me donne "le" personnage "du" faussaire, je ne peux à mon avis le définir que par celui qui opère la coalescence des formations cristallines.
-  Que dans une formation cristalline, le faussaire doit à son tour apparaître dans la série des puissances qui se découvrent à l’intérieur, que je vois dans le cristal.
-  et que, dès lors, la puissance du faux est constituée par une chaîne de faussaires.

Faussaires tels que je ne saurais même plus qui est faussaire mais quoi ? En quel sens d’abord ? En quel sens ? Là Orson Welles triomphe et dans "F comme fake" un des moments les plus brillants, c’est évidemment lorsque il met trois faussaires dont le plus faussaire est celui qu’on croirait être le moins faussaire, l’homme véridique. Où il met en présence : le milliardaire américain, le journaliste qui a écrit de faux mémoires, et le peintre faussaire. Et on s’aperçoit que celui qui a eu tout le monde, c’est le milliardaire évidemment, c’est pas par hasard que c’est le milliardaire parce que le milliardaire sans doute, c’est le fameux milliardaire qui a des sosies, qui ne s’est pas montré au monde depuis cinquante ans, et qui après tout, ce n’est pas le pauvre journaliste peut-être qui a fait les faux mémoires, c’est le vrai milliardaire qui a dicté de Faux mémoires, ou le sosie du milliardaire qui a dicté de vraies Mémoires, qui étaient les faux mémoires du...etc...La série de modifications, dont chacune est la représentation d’une autre modification, c’est la série des puissances du faux où je me dis : quelle est la dernière puissance ? La dernière puissance, on l’appellerai - si elle existe - le Grand Escroc. D’accord c’est le grand escroc. C’est "la crapule métaphysique", d’accord, c’est la crapule métaphysique.

Mais est-ce qu’il y en a ? Je disais on peut concevoir l’homme véridique, un homme véridique, mais le faussaire ? Bien non, le faussaire, il ne peut exister que dans la chaîne. Et je peux même pas dire : tout est faussaire, je peux dire tout est faux à la rigueur. Mais tout est faux, ça n’a aucun intérêt. Ça fait partie de la vision classique de la vérité. Je peux même plus dire tout : là j’ai une série de puissances. Je peux les comparer grâce à un calcul différentiel, s’il a lieu. Il y a des séries de puissances du faux. Je ne peux même pas dire tout, je ne peux pas dire "tous" les faussaires, ils n’existent que sériellement. Ils n’existent pas dans un ensemble, il n’y a pas d’ensemble des faussaires. Il y a une série de faussaires. Une série est irréductible à un ensemble. Je peux pas dire le dernier faussaire je peux toujours dire "n", puissance "n" et dire la puissance n, c’est le grand escroc. Mais où il est le grand escroc ? Tout cela a l’air désespérant et pourtant il y a une grande consolation.

C’est que tous ces faussaires ne se valent pas, tous ces faussaires ne se valent pas et là aussi on retrouve un peu Nietzsche. Nietzsche n’a jamais pensé que n’importe quoi se valait. Non, ça se vaut pas, ça se vaut pas. C’est évidemment pas dans le même sens, qu’un pitoyable journaliste écrit de faux mémoires d’un faux homme dont on sait même pas si c’est le sosie qu’il a vu ou l’original et que Welles se réclame d’une oeuvre qu’il va qualifier par l’expression : "F comme fake". Il invoque le mot de Picasso : « je suis capable de tout même de faire des faux Picasso ». C’est évidemment pas de la même manière que Picasso fait des faux Picasso, et qu’un autre fait des faux Picasso. Bien plus Picasso copie. Copie ça veut dire quoi ? Velasquez. Bacon copie, ça veut dire quoi : Bacon copie Velasquez ? Je peux toujours dire que...Est- ce que je dirai que tout est faux ? Non, non, non, c’est évident que la puissance du faux, dans la mesure où elle se développe dans une série, va nous faire découvrir de singuliers personnages qui n’ont rien à voir avec les plus basses puissances du faux.

Lorsque Nietzsche découvre la puissance du faux ou la volonté de puissance, ça l’entraîne à dire : mais vous savez, il y a des très bas degrés de volonté de puissance. Par exemple, pour Nietzsche, celui qui veut le pouvoir, oui, c’est de la volonté de puissance. Mais c’est vraiment le degré le plus minable de la volonté de puissance. Il y a donc des degrés ou des puissances de la volonté de puissance. Il y a des puissances du faux. Celui qui copie quelque chose de déjà fait, c’est peut-être pas ça la puissance du faux, ou c’est un des aspects de la puissance du faux, bien sûr. Il y a une chaîne des faussaires. Il y a une chaîne de faussaires qui ne se valent pas. Qu’est-ce que c’est que cette introduction de la notion de valeur, dans la formation cristalline ? Je le prends au sens de a puissance a. Un, puissance 2, puissance 3 faudra voir tout ça. Nietzsche nous aidera beaucoup c’est pour ça que bon j’essaye de résumer aujourd’hui. On en fini parce que pour une première fois c’est déjà trop, et puis je voudrai que vous disiez si vous avez suivi si vous...Voyez.

Je dirai au point où j’en suis, là je m’avance un peu parce que je l’ai pas encore montré mais c’est pour que vous ayez une idée générale. Moi j’aurai envie de dire vous voyez : ce qu’on voit dans le cristal, cette puissance du faux, qu’est-ce que c’est dans le fond ? Ce que j’essayerai de montrer là, je l’ai absolument pas montré, donc pour le moment ça ne peut être qu’arbitraire. C’est juste pour vous donner une impression de consistance sur notre recherche, cette année. Ce que j’essayerai de montrer, c’est que ces puissances du faux, à la lettre, ce sont des accents ou des aspects, quitte à justifier les deux termes - accent et aspect - des accents et des aspects du temps.

-  Ce qu’on voit, ce qu’on voit dans le cristal, ce sont des aspects ou des accents du temps. D’où le rapport fondamental entre la série des puissances du faux et le temps. Supposons, mais ça nous prendra longtemps avant d’arriver là, je cherche uniquement à donner une idée de l’unité, encore une fois, de ce qu’on a à faire. S’il en était bien ainsi, si je pouvais montrer ça : que ce qu’on voit dans le cristal, c’est comme dit quelqu’un de célèbre, un célèbre écrivain, « un peu de temps à l’état pur » (inaudible) un peu de temps à l’état pur vous ne pouvez le voir que dans l’émeraude, dans le cristal. Il faut vous fabriquer votre cristal. Ce qui ne veut pas dire quelque chose à l’abri du monde, oh pas du tout, pas du tout. Car il faudra aussi que vous cassiez votre cristal, il faudra que le cristal se décompose et Dieu soit loué, Dieu a tout prévu, il a soumis le cristal à des processus de décomposition extrêmement intéressants d’où l’importance pour vous, de vous enfouir dans un manuel de cristallographie.

Bon mais s’il en est ainsi, si c’est bien le temps que je vois dans le cristal, comme la sorcière. Sorcière, c’est une faussaire parmi les autres, pourquoi c’est une sorte de faussaire ? On verra si c’est une faussaire. C’est une faussaire mais ça veut pas dire simplement quelqu’un qui vous trompe, oh non. Il y en a qui, il y a des faussaires qui vous trompent et puis il y a des faussaires qui font bien autre chose. Bon, c’est Orson Welles faussaire, d’accord, très bien s’il le dit, il le dit, c’est pour ça qu’il se confond avec.... Il a une vive conscience de son génie. Bon alors, qu’est-ce que je voulais dire ? S’il en était bien ainsi, si c’est dans les accents du temps, les aspects du temps, c’est-à-dire chaque fois un peu de temps à l’état pur. Car le temps à l’état pur, je ne l’aurai jamais tout entier, tout ce que je peux demander, c’est un peu de temps à l’état pur et encore un peu de temps à l’état pur, et encore un peu de temps à l’état pur...

Je pourrai appeler les cristaux comme des espèces de germes. Votre manuel préféré de cristallographie vous apprendra aussi ce qu’on appelle un germe cristallin et sa différence avec un germe organique. Ce sont des germes de temps. Bien plus simplement, là je reprends une expression qu’utilise, mais en un autre sens, Felix Guattari, ce sont les cristaux, les formations cristallines, ce sont des "cristaux de temps". Je dirai ce sont des cristaux de temps.
-  Ces coalescences où le réel et l’imaginaire sont indiscernables, c’est cela que j’appellerai "cristal de temps".

Et pourquoi je l’appelle cristal de temps ? Parce que dans cette formation ce qui apparaît c’est un peu de temps à l’état pur sous la forme de la série des puissances . Voilà...Ça va ? J’en suis exactement à ceci... C’est devenu un peu abstrait. Il nous faut un peu de concret. La prochaine fois, je vous raconterai des histoires à commencer par la plus belle : de quoi nous parle Melville dans "Le grand escroc" ? A condition que évidemment, à condition, c’est la moindre des choses, que ça confirme notre schéma. Si ça ne le confirme pas je vous cache les pages, si ça le confirme, je vous le dis.

Est-ce qu’il y a des remarques ? est-ce qu’il y a des problèmes, des questions ? Il n’y en a pas ? Merci beaucoup... Si ! tu voulais dire quelque chose toi

E :comment ?

GD tu aurais dû....

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