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44- 07/06/83 - 1

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Gilles Deleuze - Cinéma cours 44 du 07/06/83 - 1 transcription : Camille Duquesne

Vous comprenez...J’ai commencé cette année dans la maladie, je la termine dans la maladie alors j’avais très envie de pas venir là... et puis je me suis dit c’est pas possible parce que je n’aurai pas d’autre semaine pour m’excuser de pas être venu, alors c’est par une espèce de réflexe de politesse que je suis venu... Donc aujourd’hui je vais faire des choses très douces parce que.. je veux dire très lentes et puis pas beaucoup, hein ? Et puis après je partirai sûrement ainsi.

Et tout ça je suis sûr c’est parce que, c’est parce que j’ai fait un cours sur Pascal (rires). Que je voulais pas faire, et que je reculais de faire et je me suis dit mais si ! mais si ! c’est un coup ça, c’est un coup qui vient du ciel. Alors voilà, je dis finalement qu’est-ce qu’on a fait cette année ? Et ben c’était d’accord depuis le début, c’était sous un certain aspect une espèce de vaste, de reprise de l’année d’avant, bon. Mais... La nécessité de cette reprise j’avais essayé de l’expliquer. Et là ce que je voudrais faire dans cette dernière séance c’est uniquement me consacrer à un certain nombre de schémas bergsoniens. Dont les uns nous ont servi au début et dont les autres - à savoir trois autres - sont nouveaux et viendraient relancer le problème, là où nous en sommes. Donc il s’agirait en tout d’un certain nombre, aujourd’hui, d’un certain nombre de schémas bergsoniens. Du point de vue évidemment de la question : « qu’est-ce qu’il y a de bon pour nous là-dedans ? » d’autres points de vue, heu ! d’autres points de vue nous sommes prudents et nous n’en parlerons pas.

Et bien ce qu’on a fait et ce qu’on a fait assez vite, ça m’était rendu rudement content, c’était une classification beaucoup plus riche que l’année dernière, des images et des signes. Et ça, ça était... tout le début de cette année... et je dis qu’elle me parait maintenant beaucoup plus complète, plus satisfaisante pour moi et elle partait d’un principe très simple. Je vais pas la recommencer rassurez-vous. On partait d’un plan qu’on appelait le plan des images-mouvement ou des images-lumière. Sur ce plan, on assignait des centres d’indétermination. Ces centres d’indétermination étaient à proprement parler définis par un écart, d’où je mets moi, voilà. Le plan des images-mouvement ou des images-lumières, rapporté au centre d’indétermination donnait trois types d’images puisque le centre d’indétermination avait trois aspects :
-  une image-perception (on est d’accord là-dessus),
-  une image-action...la perception exprimant ce que le centre d’indétermination retenait du monde des images-mouvement agissant sur lui,
-  des images-action indiquant comment le centre d’indétermination réagissait aux images exerçant sur lui leurs influences,

et puis entre les deux puisqu’il s’agissait d’un écart entre la perception et l’action - c’était même ça qui définissait le centre d’indétermination - entre les deux, quelque chose dont je disais : "attention ça vient occuper d’une manière...c’était des mots tout ça, ça vient occuper l’écart et pourtant ça ne le remplit pas".
-  Et c’était des images-affection.

Si vous vous rappelez, nous nous sommes uniquement contentés de ça. Et pendant longtemps on a construit notre tableau des images et des signes en fonction de ce premier schéma. Alors notre tableau des images et des signes, je ne le recommence pas mais vous aurez ici l’image- matière qui est mouvement ou lumière qui nous donnait là l’image-perception, l’image-affection, l’image-action Etc.... et les signes quand ils se présentent, dans chaque case... Et du point de vue de la composition de toutes ces images ils nous donnaient
-  une image indirecte du temps et du point de vue de la genèse de toutes ces images il nous donnait une figure indirecte de la pensée. Ça formait donc un gros bloc. Pourquoi ne pas arrêter là ?

Parce que...on a toujours considéré que l’image-matière était un type de coupe très particulier. C’était une perspective, c’était une coupe mobile ou une perspective temporelle. Ou si vous préférez c’était une modulation. Et en effet une image-mouvement, une image cinématographique c’est de la modulation, par opposition à une photo qui, si artiste qu’elle soit est du type beaucoup plus...est du type d’un moule. Modulation, coupe mobile, perspective temporelle, ce plan des images-mouvement n’était que cela. Et si il nous donnait une image du temps c’était une image indirecte du temps, et s’il nous donnait des figures de la pensée c’était des figures indirectes de la pensée puisque toujours construites ou inférées à partir des images-mouvement. Bon. Et tout cela correspond finalement au premier chapitre de "Matière et mémoire" que maintenant vous avez eu toute l’année pour lire ! Et vous vous rappelez que, dans ce premier chapitre de "Matière et mémoire" , ça n’est pas aussi...clair que je ne le fais parce que l’affaire de Bergson evidemment était autre que... Mais, on pourrait dire que ce premier chapitre consiste à distinguer trois sens de la subjectivité conçue comme centre d’indétermination. Si je définis un "sujet" comme un centre d’indétermination dans un monde d’images-mouvement, donc recevant l’influence d’images-mouvement et réagissant en images-action, je dis que le premier chapitre de Matière et mémoire nous montre trois aspects de la subjectivité :
-  un aspect perception,
-  un aspect action,
-  un aspect affection.

Mais, heu, vous remarquerez que, comme on dit, et c’est ça qui fait véritablement ma joie, notre joie à tous j’espère, que ce premier chapitre de "Matière et mémoire" à ma connaissance, il n’y a pas eu au monde, de texte plus matérialiste. Et que il est bon qu’un auteur si réputé, si réputé pour son spiritualisme pur, lâche, en premier chapitre d’un livre clé qui est son chef-d’œuvre, lâche en premier chapitre, un manifeste matérialiste comme on n’en a jamais vu, jamais vu même chez les matérialistes les plus...

Encore une fois pour lui qu’il n’y a aucun problème aussi bien la perception que l’action que...qu’est-ce que ça...que l’affection qu’est-ce que ça réclame ? Un écart, un écart entre une excitation reçue et un mouvement exécuté. Et qu’est-ce que cet écart ? Il le dit : cet écart c’est le cerveau. On peut pas être plus matérialiste. Alors...pourquoi est-ce qu’il y a autre chose qu’un premier chapitre ? C’est que on va apprendre qu’il y a un quatrième aspect de la subjectivité conçue comme centre d’indétermination. Et voilà...on va apprendre que ce quatrième aspect n’est assurément compréhensible que suivant une autre dimension que celle du plan d’image-mouvement. Et que pourtant ça ne se voit pas tout de suite. C’est que, en effet, si je me donne toujours mon centre d’indétermination, c’est-à-dire l’existence d’écarts entre des perceptions...entre des actions subies et des réactions exécutées, écart entre excitation et réponse. Je disais bien, l’affection, d’une certaine manière elle vient occuper cet écart mais elle ne le remplit pas. Et en revanche il y a quelque chose qui vient remplir cet écart. Entre une perception, c’est-à-dire une excitation reçue par le centre d’indétermination sur une de ces faces, et un mouvement exécuté en réponse par le centre d’indétermination sous une autre de ces faces, il y a un écart. C’est ça et c’est cet écart qui mesure la nouveauté de l’action exécutée par rapport à l’excitation reçue. C’est parce que d’une certaine manière, j’ai le temps. Au contraire une chose, il y a enchaînement immédiat entre les actions reçues et les actions exécutées, par exemple je donne un coup de pied à la chaise, si je suis très en forme la chaise bouge : elle réagit immédiatement. Vous m’direz il y a dans la matière il y a des mécanismes qui sont précisément des mécanismes de réaction à retardement, ça change rien, puisque ça ne peut se faire que par des enchaînements qui fonctionnent immédiatement. Ou bien alors c’est du type « imitation mécanisme cérébraux ». Bon.

Alors qu’est-ce que c’est ça ? Qu’est-ce qui vient ? Quelque chose vient remplir l’écart. La réponse célèbre de Bergson c’est que en effet, nous avons des souvenirs... et que, tout ce qu’on a dit précédemment sur perception, action, affection, ne rendaient absolument pas compte de cette nouvelle dimension : nous avons des souvenirs. Et ces souvenirs, nous en faisons l’expérience, au moins la plus courante, sous la forme de ce que Bergson appelle lui-même, je vous rappelle qu’ « image-mouvement » avec un petit trait d’union c’était pas dans Bergson...la chose y était, mais pas... le petit trait d’union, il y avait pas de quoi s’en vanter c’était pas une invention considérable. En revanche, ce qui est en toute lettre chez Bergson c’est l’expression bizarre "image-souvenir" avec un trait d’union. Nous avons, nous, centre d’indétermination, nous n’avons pas seulement des perceptions, des actions et des affections, ou si vous préférez des images-perception, des images-action et des images-affection, nous ne sommes pas seulement définis par ces trois types d’images qui expriment l’action sur nous des images-mouvement, ou qui expriment ce en quoi nous sommes sur le plan des images-mouvement, nous avons aussi des images-souvenir.

Et ces images-souvenir, bien sûr si nous les avons, c’est qu’elles nous servent à quelque chose. A quoi elles nous servent ? Et ben...à...à compenser notre supériorité/infériorité.
-  Notre supériorité sur le choses c’est que, nos actions ne s’enchaînent pas immédiatement avec les réactions...avec les, avec les excitations reçues. D’une certaine manière c’est-ce que lui appelle : « avoir le choix ». Nous avons un certain temps pour réagir ou alors si nous n’avons pas ce temps, c’est la panique, c’est l’image-affection. Mais normalement nous avons un certain temps, nous voyons le lion un peu avant qu’il nous attaque. Alors...donc ça c’est notre supériorité. - Et il y a aussi bien un aspect infériorité à savoir : mon action elle ne dispose plus de la facilité d’être une simple conséquence compte tenu de ma nature, d’être une simple conséquence compte tenu de ma nature de l’excitation reçue. Elle n’est plus déterminée, elle n’a plus de voies de détermination. Je suis en situation de choisir, d’accord : un lion s’approche enfin s’il s’approche pas trop près, je choisis. Vais-je rester, et faire le mort - je choisis là non pas la situation héroïque, c’est Tarzan ça !- mais...je choisis de rester ou de faire le mort ? ou bien je choisis de partir sur la pointe des pieds ou bien de partir en courant ? J’ai le choix. Remarquez si je suis un poulet, j’ai pas l’choix. Déjà il a pas assez de cerveau hein, il a pas assez d’écart. Un poulet rien ne l’empêchera d’être poulet c’est-à-dire... de oh, servir à ça. Mais nous qui ne sommes pas des poulets ? Qu’est-ce qui va faire que : l’un va faire le mort, l’autre va s’approcher du lion en, par exemple, en lui chantant une berceuse...pieuse, de préférence. Je dis tout de suite celui qui lui chante une berceuse pieuse il se rappelle quelque chose il se rappelle les martyrs. Il se dit ça va p’être marcher. Et puis celui qui fait le mort il se rappelle à travers les âges, ou bien il se rappelle un tout autre souvenir...par exemple heu, heu moi je ferais le mort j’crois. A moins que je sois inspiré par Pascal à nouveau mais ça tournerait mal à nouveau.

Heu alors.Je me rappelle que, mais, tout le monde a vu ça, un canard qui s’est fait attaqué par des vaches une fois, dans une prairie. Et les vaches se sont mises dans cette position tellement, tellement magistrale qui remonte à leur époque héroïque et qu’on voit parfois dans les prairies lorsqu’un champ notamment traverse une prairie. Heuu...elles se sont mises en cercle et puis elles coincent, elles coincent très vite les vaches. Heu et puis j’sais pas pourquoi c’canard ne leur plaisait pas et elles ont foncé. Le canard il a fait le mort...souvent les animaux ont ce comportement là de faire le mort qui leur épargne la vie, c’est pas que l’autre les croit mort à mon avis, la vache les croit pas mort mais c’est heu...j’sais pas c’est heu, c’est le... Alors elles ont joué un peu comme au ballon avec le canard et puis elles l‘ont, elles l’ont foutu la paix. S’il avait couru, elles, elles l’écrasaient, bon. Alors bon je me rappelle ça, tout ça. Vous avez beau avoir très peur, c’est-à-dire l’affection, l’image affection là dans ce cas là c’est la peur, mais c’est là que j’dis : ça me remplit l’écart, ça me remplit l’écart cérébral, cette peur qui vous monte jusqu’au cerveau, mais ça l’occupe pas non...juste ça l’occupe mais ça ne le remplit pas. Ce qui le remplit, c’est quoi ? C’est des images-souvenir ou c’est des souvenirs qui viennent plutôt, alors parlons plus précisément, et ça va justifier le petit tiret de Bergson image-souvenir, ce sont des souvenirs qui, en fonction de la situation présente, viennent s’actualiser en images. Ce sont donc des images-souvenirs qui vont guider la meilleure action à choisir en fonction de l’excitation reçue. D’accord ?

La question de Bergson est simple. D’abord comment représenter ? Et ben...selon lui... Vous me direz « qu’est-ce qui prouve que l’image-souvenir elle peut pas, on peut pas en rendre compte en en restant sur le plan des images-mouvement ? Pourquoi est-ce que l’image-souvenir ce serait pas une quatrième sorte d’image-mouvement ? Peut-être, faudrait voir, je dis peut-être on peut pas le savoir encore parce que pour savoir, si l’image-souvenir peut être traitée comme une quatrième sorte d’image-mouvement, il faudrait déjà avoir posée et su répondre à la question : d’où ça vient ?
-  D’où ça vient les images-souvenir ? Car au moins précédemment on avait montré d’où venaient les images-perception, d’où venaient les images-action, d’où venaient les images-affection, si l’on se donnait l’écart, c’est-à-dire si l’on se donnait les centres d’indétermination. Et de ce point de vue on avait bien l’impression que rien d’autre ne pouvait venir. Mais c’était qu’une impression. N’empêche que si nous figurons notre impression, qui est à justifier, nous dirons et ben voilà : il faut ajouter à notre plan de l’image-mouvement une espèce de cône.

Pourquoi un cône ? Parce que il faut qu’il ait une pointe qui coïncide avec son insertion...Il faut qu’il ait une pointe qui coïncide avec son insertion sur le plan de l’image-mouvement, il doit culminer en S, S désignant le centre d’indétermination et pourquoi ça s’évase comme ça ? C’est l’ensemble de toutes les images-souvenir, je parle d’images-souvenir hein - c’est l’ensemble de toutes les images-souvenirs qui forme cette figure conique pourquoi ? Suivant que je les considère plus ou moins près...de leur insertion c’est-à-dire suivant que je les considère plus ou moins près, proche d’une urgence présente. Si il y a pas urgence présente, mes images-souvenir, elles sont assez dilatées. Par exemple je suis en état de rêverie et la rêverie c’est un état d’images-souvenir très dilaté. Mais je suis en état de rêverie quand je suis dans une situation présente sans urgence. Au contraire si la situation présente est urgente, les images-souvenirs là sont, et pèsent, et sont de plus en plus contractées.

Bien...comprenez cette premier, ce premier schéma bergsonien où donc il rajoute au plan des images-mouvement, il rajoute au plan des images-mouvement cette dimension très insolite en lui donnant une figure conique puisque ça va être l’ensemble des souvenirs, en tant qu’ils s’actualisent au point S, dans des images-souvenir qui viennent remplir l’écart qui définissait le point S. Voilà. Et c’est la célèbre métaphore du cône.

Dès lors qu’est-ce que c’est que le cerveau ? Dès lors tout va recevoir une double détermination. Qu’est-ce que c’est que le cerveau, ça dépend puisque j’ai ajouté une dimension à mon schéma du plan matière.
-  Du point de vue du plan matière, le cerveau c’est strictement l’écart entre une excitation subie et une action exécutée.
-  Du point de vue du cône, le cerveau c’est : le procès d’actualisation du souvenir en images-souvenir. Le processus d’actualisation du souvenir en images-souvenir. Mais on n’a pas oublié que notre plan de la matière il était tout à fait mobile. On n’a pas oublié cette mobilité, et cette mobilité, nous pouvions la présenter comme ceci : plan de la matière, M prime, M seconde. si bien que pour avoir...et à chaque fois, les images-mouvement changent. Vous vous rappelez il y avait S prime, S seconde si bien que la vraie figure, mais Bergson y renonce, parce qu’il veut que ses schémas soient clairs, mais nous au contraire...

Il y a deux rôles du schéma, rendre compréhensible ce qui est dit et être insuffisant et être suffisant et rendre incompréhensible ce qu’on dit. Si on prend la seconde méthode, je dirai que ce cône ne cesse de déplacer son sommet à l’infini suivant la succession des plans de matière. Compris ? Faudrait qu’ça soit pas trop clair mais assez clair. Vous voyez que là où Bergson, on sait pas encore pourquoi, va faire triompher le spiritualisme, il va pouvoir dire : "mais moi mes affaires c’est pas une lutte entre le spiritualisme et le matérialisme, c’est pas ça, c’est que tout est matière si je m’en tiens à M, à S, à tout ça ; tout est esprit, si je m’en tiens aux contenant"s. Or il y a un point commun qui va être évidemment l’insertion de l’esprit dans la matière. Insertion de l’esprit dans la matière c’est-ce qui appartient à la fois et aux cônes et aux plans de matière, c’est le point S. Traduit en terme de matière, c’est le cerveau ; traduit en terme d’esprit, c’est la mémoire. il y a qu’une chose que la matière ne peut pas expliquer selon Bergson - mais la question n’est pas est-ce qu’il a tort ou raison mais, surtout qu’on a pas dit pourquoi - y’a qu’une chose que la matière peut pas expliquer, c’est tout : la mémoire. Ce qui vous prépare à l’idée que, la mémoire, c’est la durée. Ou que la durée, c’est la mémoire. Bon, voilà, et d’un. Il y en a plus que...trois. D’accord ? bon.

Vous me direz, alors là, là-dessus, il fallait bien procéder par ordre, vous me direz certainement : mais enfin, pourquoi le cône ne serait-il pas un cône matériel ? Ce serait une excroissance de la matière. On en a vu bien d’autres déjà en flanquant des écarts dans la matière, pourquoi on n’y mettrait pas des cônes dans la matière ! Tout dépend de la réponse aux questions :

-  Une image-souvenir, d’où ça peut bien venir ? Et en quoi ça peut bien consister ? D’où ça peut bien venir, en quoi ça peut bien consister ?

Beaucoup de gens, et c’est généralement ce qu’on appelait les psychologues, considèrent qu’il n’y a pas tellement de problèmes et qu’on peut s’arranger par exemple, en disant : et ben tiens : les images-souvenirs sont dans le cerveau. Ils disent pas ça aussi simplement, c’est beaucoup plus compliqué, bon. Rappelez-vous que Bergson lui, ça le fait rire et il a le droit puisque, depuis le début il nous a expliqué que le cerveau était une image, or la règle des images c’est que une image contient pas d’autres images. Une image présente, présente ce qui apparaît en elle. Voilà. Bien sûr il y a parfois une image dans l’image, mais c’est pas du tout une image qui serait, qui serait comme dans une boite, y’a pas une boite où il y aurait des souvenirs enfin, je passe là-dessus.

La question c’est : d’où ça vient une image-souvenir ? D’où le deuxième, le deuxième schéma, qui à ma connaissance est une des choses les plus brillantes quoi, un des aspects le plus brillant de tout le bergsonisme et le plus insolite. Car voilà ce qu’il dit : il fait appel à nous, sous la forme « écoutez, réfléchissez un peu ». Dans l’image-souvenir, je reproduis - et je pourrais dire l’image-souvenir c’est la reproduction d’un ancien présent. Je peux dire : l’image-souvenir c’est la reproduction d’un ancien présent dans un actuel présent. Ou, pour jouer mieux sur les mots, c’est la représentation de l’ancien présent dans l’actuel présent. Et ben oui, et on vit là-dessus, et on se dit après tout, ça suffit. Alors comment est-ce que l’ancien présent peut-il être représenté dans l’actuel, là, on va imaginer pleins de choses. Mais notre tendance de départ, notamment si nous sommes psychologues, c’est toujours de penser le passé par rapport à l’actuel présent. C’est-à-dire nous pensons le passé en fonction de l’actuel présent par rapport auquel il est passé.
-  Tout passé est passé par rapport à un actuel présent. Tout passé est passé...vous comprenez ça il faut bien, bien comprendre. Je veux dire : je me rappelle ce que j’ai fait hier, et bien c’est la représentation d’un ancien présent par rapport à l’actuel présent. Je me représente ce que j’ai fait hier, je pense donc mon passé en fonction du présent par rapport auquel, il est passé. Et en effet tout passé est passé par rapport à un actuel présent.

Mais aussi, mais d’autre part,
-  tout passé est passé d’un présent qu’il a été. Donc c’est bizarre mais personne n’y avait pensé. Il y a des choses comme ça...alors faire de la philosophie c’est faire de ces découvertes, toutes simples comme ça. Un matin vous vous dîtes, mais quand même ça va pas parce que ! les gens y par, y pensent toujours au passé comme ça, par rapport au présent, donc à l’actuel présent dont c’est le passé. Mais enfin le passé, il est aussi passé par rapport à l’ancien présent qu’il a été. Bon. Vous me direz et puis après ? Qu’est-ce que c’est ça ? Et ben, ça va peut-être tout changer. Aahh.

Il y a un nouveau présent, que j’appelle l’actuel présent, mais enfin, qu’est-ce qui le rend possible ? Je veux dire, pourquoi est-ce que le présent passe et il ne cesse de passer ? C’est une question...c’est-ce qu’on appellera une question métaphysique. Les questions métaphysiques elles sont très concrètes, ça consiste à demander des choses aussi simples, ça consiste à faire l’idiot, ça consiste à demander « mais pourquoi le présent passe ? ». Alors si on me dit : ben, c’est la définition même du présent, moi je réponds : ah non non non, ah non. Je veux, je veux une réponse alors je retombe dans Kierkegaard, je veux une réponse de première main. Je veux pas une réponse de seconde main, je veux pas une réponse de généralités. Je ne vous laisserai pas tranquilles tant que vous ne m’aurez pas dit pourquoi le présent passe.

Alors on pourrait donner toutes les réponses, ça c’est la différence si vous voulez entre la psychologie et la métaphysique. En effet la métaphysique elle cherche pas des lois, elle veut des raisons singulières. Si on me dit c’est la loi du présent et puis et puis si on me dit : je définis le présent tel que, c’est contenu dans son idée qu’il passe, je dis ah ben oui ! mais ça m’va pas et puis j’attrape, j’attrape le type là je le lâche pas. Je lui dis non non, dis moi pourquoi. Vous voyez je pense au très bon texte de Chestov sur Job et Dieu. Job c’est celui qui attendait une réponse de première main à Dieu. Et il a pas lâché Dieu. Il lui a dit ah non non, je te laisserai pas tant que tu m’auras pas dit pourquoi. Pourquoi tu m’accables de malheurs alors que je suis un juste, je suis « un », plus loin « juste » alors que je suis un homme vertueux etc., tu me flanques la gale, l’épidémie, tu me fais perdre mes richesses, mes troupeaux tout ça...pourquoi ? Alors il y a les dévots qui arrivent et qui disent : ben la justice de dieu est, heu ; bien...ce sont les lois, bon...Job il dit : rien du tout, il me faut un réponse de première main. Et ben faisant le même coup ! nous voulons une réponse de première main : pourquoi le présent passe-t-il ?

Est-ce qu’on peut répondre, si l’on veut une réponse de première main est-ce qu’on peut se contenter de la réponse suivante : c’est parce qu’un nouveau présent vient d’arriver. Ah non ah non, ah non ça, ça évidemment pas, ça ça nous dit absolument rien. Parce qu’un nouveau présent vient d’arriver ça, ça consiste à nous dire à nouveau : le présent passe. Or nous nous voulons une raison pour pouvoir laquelle il passe. Si on nous répond c’est parce qu’un nouveau présent vient d’arriver, bien plus c’est signe d’insatisfaisance il faudrait leur renverser la question : et pourquoi qu’un nouveau présent a pu arriver ? Un nouveau présent a pu arriver parce que l’ancien présent passe. Je réclame toujours ma raison de première main.

Alors...si le présent passe, ça peut pas être par après. Si le présent passe ça ne peut être qu’en même temps que le présent. C’est, c’est des évidences, c’est des puériles vérités, c’est du jardin d’enfant quoi. Je veux dire c’est de la philosophie.
-  Si le présent passe ça ne peut pas être en tant qu’il est présent et en même temps qu’il est présent.

Bon...attention alors, il passe en même temps qu’il est présent. Attention alors...il passe, en même temps qu’il est présent.
-  En d’autres termes, il se constitue comme passé en même temps qu’il apparaît comme présent.

Vous n’aurez jamais fini de, à mon avis, de méditer sur cette proposition à laquelle vous ne pouvez pas échapper, selon Bergson. Voilà la réponse de première main qui approche. On sent que c’est pas encore la réponse de première main. Il faut bien que le présent se constitue comme passé en même temps qu’il se donne comme présent. Il ne peut pas se constituer comme passé une fois qu’il est passé, hein, forcément. Il faut donc qu’il se constitue comme passé une fois qu’il est présent. En d’autre termes, nous n’avons pas le choix, il faut qu’il y ait stricte contemporanéité entre un présent et le passé qu’il a été. Non heu pardon. Aïe aïe aïe j’ai tout inversé, c’est juste le contraire.

-  Il faut que, il y ait stricte contemporanéité entre le passé et le présent qu’il a été. Il n’y a pas contemporanéité entre le passé et le présent par rapport auquel il est passé. Là il y a distanporanéité. Entre le passé et le présent par rapport auquel il est passé, il y a différence de temps puisque, le passé n’était présent par rapport au présent qu’il a été, non par rapport au présent par rapport auquel il est passé, il a été sous forme de l’ancien présent. Lui était avant l’actuel présent. Mais si je pense le passé par rapport au présent qu’il a été, je dois dire : tous les deux sont strictement contemporains. C’est en même temps que le présent se donne comme présent et se constitue comme passé. En d’autres termes, il y a contemporanéité entre le passé et le présent qu’il a été. Aah, mais quelle aventure. il y a contemporanéité entre...c’est pas difficile...

d’où, second schéma splendide de Bergson. (Fait un schéma au tableau)

La ligne est supposée droite, voilà. Je peux parler d’un présent mobile sur cette ligne. Le présent qui passe. Je dirais que à chaque moment de ce présent, à chaque moment de ce présent, donc je peux le subdiviser à l’infini, à chaque moment de ce présent...

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La voix de Gilles Deleuze en ligne
L’association Siècle Deleuzien