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43-31/05/83 - 1

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cours 43 du 31/05/83 -1 transcription : Florencia Rodriguez

Le gris c’était l’incertitude, c’était le demi-ton. Il y avait les deux tons purs et le demi-ton. L’entre deux heures, aurore ou crépuscule ? lumière qui naît, lumière qui s’éteint ? c’était le troisième terme de mon alternance. Je m’élève à l’alternative, au choix du choix, c’est-à-dire, je découvre un choix qui rompt avec tous les termes de l’alternance, ça veut dire, j’ai choisi la lumière. Seule la lumière est le choix du choix. Seule la lumière est ce que je peux choisir, en sachant qu’il s’agit de choisir.

- Troisième moment : à peine j’ai fait ce choix et refait ce choix puisque je ne peux faire ce choix qu’en le refaisant à chaque instant, même dans la mort, à peine j’ai fait ce choix, tout m’est redonné. Qu’est-ce que ça veut dire « tout m’est redonné » ? Tous les termes de l’alternance. D’accord, sous quelle forme ? Je dis tout m’est redonné, prenons à la lettre, laissons nous guider : le blanc m’est redonné et le noir m’est redonné et le gris m’est redonné. Mais évidemment, sous une autre forme. Et pourtant sous une forme physique, c’est pour ça que je ne peux pas me satisfaire d’une réponse qui serait : ça m’est redonné en espace. Mais ce n’est plus la même physique. Car ce qui me sera redonné c’est un blanc. Est-ce un miracle ou pas ?...au point où on est là [rires]... C’est un blanc qui n’emprisonne plus la lumière. C’est un blanc qui n’est plus la prison de la lumière et c’est un noir qui n’est plus la cessation de la lumière. Et c’est un entre-deux qui n’est plus incertitude ou hésitation.

Vous voyez, on avance un tout petit peu parce que...bon ben oui, ben oui, quand même on voit un petit peu mieux. Le blanc est riche, le noir est riche, et combien riche est le gris ! Il est certain qu’ils avaient d’autres puissances en eux. Le blanc pouvait être autre chose qu’une cellule de lumière. Le noir pouvait sûrement être autre chose qu’une cessation de lumière et l’entre-deux pouvait être bien autre chose que le milieu de mon incertitude. Alors qu’est-ce que c’est ? Voilà que ce qui m’est redonné ce sont des blancs, des noirs, des gris, qui sont comme les puissances du lumineux, les puissances de la lumière. Ce que j’ai perdu c’est régime, mais c’est une régime d’alternance, ce qui m’est rendu c’est une régime d’alternative, c’est-à-dire, une régime lumineuse. Bon, mais je veux la toucher, je ne peux pas la toucher cette régime lumineuse, mais elle est encore une fois... de quel tact parlons-nous ? De quel toucher parlons-nous ? Pour le moment on ne peut pas aller plus loin.

La pensée s’est découverte comme, avant d’être connaissance et c’est la grande découverte de toute cette lignée d’allemands. Avant même d’être connaissance, elle a un fond plus profond, et ce fond plus profond est dénommé croyance. Et si bizarre que ce soit, l’origine de tout ça, je crois, c’était chez Kant...et pourtant et pourtant... car c’est Kant qui avait découvert qu’au plus profond de la connaissance, il y avait dans la pensée la croyance et que toute connaissance présupposait la croyance. Bon, mais comment ? Quel tour ça devait prendre ? Quelle drôle d’allure ça devait prendre cette découverte kantienne ? Tout nous est rendu, c’est le mystère, encore une fois, ou de la foi ou de la répétition.
-  Le blanc, le noir, le gris, comme puissances de la lumière. Vous voyez, alors que dans l’alternance des termes c’était encore une fois le blanc qui emprisonne la lumière, le noir qui en marque la cessation.

Or, si vous êtes sensibles à ça, il me semble, si vous êtes le moins du monde sensible à ce thème même indépendamment du problème de la foi, il a déjà une traduction esthétique. Si vous pensez au cinéma de Dreyer, c’est exactement ce que je viens de vous raconter, c’est la grande trilogie de Dreyer. Les trois femmes ? je mets de côté Jeanne d’Arc pour qui c’est évident ? mais les trois femmes qui s’élèvent au choix et à la conscience du choix, au choix et à la conscience du choix. Et dès lors, soit dans la mort, soit par-delà la mort, il y a même les trois cas : une meurt, une entre guillemets « ressuscite » , une n’a pas besoin de mourir. Et c’est la femme d’Ordet et c’est la femme de Dies irae et c’est la femme de Gertrud. Et la grande trilogie de Dreyer présente précisément, absolument alors, au niveau des images, au niveau de l’art, ce passage de l’alternance, de l’alternance des noirs, des gris et des blancs, à l’alternative comme ferme ? comme faire à la lettre ? comme ferme décision spirituelle. Le choix du choix qui recommence à chaque instant. Et c’est Gertrud qui accède à ce choix à ce moment-là. Tout lui est rendu à commencer parce qu’elle avait perdu de plus précieux, à savoir, elle-même. Tout lui est rendu, c’est-à-dire et d’abord, elle-même. Nous apprenons, tout comme Pascal le disait, que dans l’affaire du pari il s’agissait de nous-mêmes. Tout comme Péguy dira d’une autre façon. Même chose chez Bresson pour le condamné à mort ou pour le curé de campagne.

Donc on butte là-dessus, on butte là-dessus, voilà et ben... qu’est-ce qui se passe ? comment ? On ne peut pas dire simplement, comme je disais, on ne peux pas se contenter de dire... on ne peut pas se contenter de dire, voilà c’est la foi qui commence là dans quoi qu’on a mis nos pieds. Il faut quand même essayer de s’en tirer. Alors je me dis, quitte à accumuler ces auteurs, il y en a un qu’on n’a pas vu et qui moi m’intéresse beaucoup parce que c’est tellement, c’est si curieux, si curieux, c’est...c’est Péguy. Peut-être que de Péguy va nous venir une lueur, une lueur de plus. C’est bizarre cette histoire et puis, vous sentez que ? comme on l’a dit pour beaucoup il y a plus d’une fois ? je termine et j’ai besoin d’ invoquer Péguy parce que ça va nous permettre, dans un souci tout pédagogique, un retour à Bergson. Car Péguy se réclame et se proclame disciple de Bergson. Et Bergson, il aime beaucoup Péguy, je crois, mais il trouve quand même que c’est un disciple bizarre...très bizarre. C’est pas tant le christianisme qui gène Bergson ? quoi qu’ à cette époque là.... Bergson était juif, comme vous savez, à la fin de sa vie il est certain qu’il voulait se convertir. Mais à la fin de sa vie c’était l’occupation, donc évidemment il ne s’est pas converti puisqu’ il voulait rester solidaire avec les juifs et il voulait porter l’étoile jaune. Donc, il a exclu qu’il se convertisse. Mais enfin, tous les témoignages de la fin de la vie de Bergson étaient pour la conversion. Mais en tous les cas ça n’aurait pas été un christianisme à la Péguy. Et, on va voir, on va chercher comment Péguy a-t-il pu se croire bergsonien et c’est ça le même problème.

Ce que je remarque justement c’est que Péguy pour moi...c’est pour ça que je voudrais bien dire que ce problème de la foi et un problème de l’esthétique, sont inséparables. C’est quoi Péguy pour chacun de nous, dès qu’on ouvre un livre de lui, à moins qu’on soit très doué pour la foi, c’est avant tout un styliste épatant et c’est un styliste qui vous parle et où vous dites : ben ça, j’ai jamais entendu ça nulle part, j’ai jamais entendu ça nulle part, car il a fait de la répétition un style. Et remarquez, la répétition c’est un thème commun à toute la lignée. Mais le fait est que les autres...Kierkegaard, lui, il disait : contre Hegel qui va par grosses oppositions, je vais vous proposer un concept autrement intéressant, un concept bien danois, disait-il, un concept bien danois ce qui était une manière de...bon, ça vient de chez lui quoi, puisqu’il était danois. Et il disait, je vous apporte le concept de répétition. Mais il n’en a pas fait un style. Vous ouvrez une page de Péguy, c’est peu de parler de litanie parce que il se sert de la litanie, mais c’est autre chose. Il invente quelque chose d’aussi grandiose que...à mon avis, si vous voulez, le style de Péguy fait partie de ces grands...je veux dire de ces grands déments du style, dire que c’est pour moi une chose aussi importante que le langage et le style de Joyce, c’est d’une nouveauté aussi radicale, c’est quelque chose de très très étrange et pourtant la règle paraît très simple. Je voudrais vous en lire même un minimum parce que sinon je préfère que vous découvriez. Vous prenez n’importe quel texte de Péguy et puis...je ferai des courtes lectures ce qui va vous laisser pressentir la puissance de la répétition de ce style.

Supposez que vous donniez comme règle celle-ci :Vous lâchez une première phrase, puis vous allez la compléter. Bon, vous allez la compléter en y introduisant des nouveaux mots, au besoin rien que des adverbes. Mais voilà, chaque fois que vous introduirez un nouveau mot vous recommencerez la phrase, compte tenu de valeurs rythmiques telles que : il pourrait y avoir des inversions, des variations, des variations grammaticales, et ça va être à la lettre, vraiment ça va être...l’ensemble des phrases de Péguy ça va être comme une vague, mais pas seulement comme une vague, mais comme une vague qui charrie des petits cailloux. Chaque phrase elle se reprend, la phrase repart à zéro, il y a un nouveau mot ajouté, il y aura encore ensuite un nouveau mot, et chaque fois toute la phrase sera reprise. C’est pas à l’intérieur de la phrase qu’il ajoute des mots, comme si on rayait une phrase qu’on vient d’écrire pour la rendre plus parfaite, et c’est pas non plus que la phrase précédente était imparfaite. Il va donner, si vous voulez, il va donner au style quelque chose qui va être équivalent, qui est à la lettre..(un avion décolle)... qui est à la lettre une marche. C’est une manière de marcher et à chaque fois, et chaque pas reprend le tout de la phrase en y ajoutant un petit quelque chose. La phrase de Kierkegaard, autant qu’on puisse juger - c’est difficile parce qu’il écrit en danois ? mais d’après les traductions, c’est pas lui, son thème perpétuel c’est sauter. Ce n’est pas cette espèce de marche. Puis, il en rajoute Péguy, il passe son temps à dire, moi je suis un paysan, moi je suis un paysan, alors évidemment c’est la marche du paysan, quoi.

Mais qu’est-ce qu’il nous dit là ? Qu’est-ce que...Et ben, vous allez reconnaître tout de suite, vous allez reconnaître notre problème et où on est. Et il dit, voilà, quand vous considérez un événement... vous vous rappelez, tout mon thème c’est : il y a une alternance et il y a une alternative et il faut surtout pas confondre le domaine de l’alternance et le domaine de l’alternative. Lui, Péguy, commence sa grande histoire en disant : il y a deux coupes ou il y a deux lignes, il y a deux coupes ou il y a deux lignes. Voilà ce que ça donne, écoutez bien, première citation qui est tirée, je crois bien, de Victor Marie, Comte Hugo un livre qui... ? Péguy avait une énorme admiration pour Hugo ? qui est un très beau livre sur Hugo et sur bien d’autres choses. « Toute l’universalité de la coupe horizontale du temps présent, se multiplie infiniment, par toute l’universalité du coup de sonde. » Vous me laissez aller pour le moment « Toute l’universalité de la coupe horizontale du temps présent, se multiplie infiniment, par toute l’universalité du coup de sonde. » [bruit d’avion] ah.. c’est la navette, c’est cette connerie de navette non ? C’est quoi ? [réponses de la salle] C’est pas possible... ah alors je recommence... alors... « toute l’universalité de la coupe horizontale du temps présent, se multiplie infiniment, par toute l’universalité du coup de sonde, de l’approfondissement vertical, par toute l’universalité de la coupe verticale » vous voyez, on vient de s’apercevoir qu’il faut pas corriger le mot « par toute l’universalité du coup de sonde, de l’approfondissement vertical, par toute l’universalité de la coupe verticale et de l’élévation, du fil vertical » coupe, sonde, fil, à chaque fois il faut recommencer « du fil vertical, par toute l’universalité du passé vertical, verticalement le plus riche, d’un passé vertical infini, pour chacun des points de cet univers...horizontal ». Oui, j’ai mal coupé « verticalement le plus riche » je recommence, vous allez tout comprendre. « Toute l’universalité de la coupe horizontale du temps présent, se multiplie infiniment, par toute l’universalité du coup de sonde, de l’approfondissement verticale, par toute l’universalité de la coupe verticale et de l’élévation, du fil vertical, par toute l’universalité du passé vertical, verticalement le plus riche, d’un passé vertical infini, pour chacun des points de cet univers infini horizontal du temps présent ».Ouf !

Est-ce la même chose, je vous le demande ? je vous le demande et je ne risque rien, il faut dire ?, est-ce la même chose lorsque dans un de ses plus beaux livres ? Clio ? il nous dit : « On peut dire que l’inscription et la remémoration » inscrire et remémorer.« On peut dire que l’inscription et la remémoration sont à angle droit, dit-elle » car il fait parler Clio là, il trouve que c’est plus rigolo.« On peut dire, dit-elle, que l’inscription et la remémoration sont » ah oui, il y a deux ’dit-elle’. « On peut dire, dit-elle » merde je m’y perds... oui, « On peut dire, dit-elle, que l’inscription et la remémoration [sont à angle droit, dit-elle, qu’elles sont inclinées de quatre-vingt dix degrés de l’une sur l’autre.

-  L’histoire est essentiellement longitudinale, la mémoire est essentiellement verticale. L’histoire consiste essentiellement à passer au long de l’événement. La mémoire consiste essentiellement, étant dedans l’événement, avant tout à n’en pas sortir, à y rester, et à le remonter en dedans. La mémoire et l’histoire forment un angle droit. L’histoire est parallèle à l’événement, la mémoire lui est centrale et axiale. L’histoire glisse pour ainsi dire sur une rainure]* longitudinale le long de l’événement ; l’histoire glisse parallèle à l’événement. La mémoire est perpendiculaire. La mémoire s’enfonce et plonge et sonde dans l’événement. L’histoire c’est ce général brillamment chamarré, légèrement impotent, qui passe en revue des troupes en grande tenue de service sur le champ de manoeuvre dans quelque ville de garnison. Il passe au long des lignes. Et l’inscription, c’est quelque sergent-major qui suit le capitaine, ou quelque adjudant de garnison qui suit le général, et qui met sur son calepin quand il manque une bretelle de suspension. Mais la mémoire, mais le vieillissement, dit-elle, c’est le général sur le champ de bataille, non plus passant au long des lignes, mais (perpendiculairement) en dedans de ses lignes, au contraire, fixé, retranché derrière ses lignes, lançant, poussant ses lignes, qui alors sont horizontales, qui sont transversales devant lui. Et derrière un mamelon la garde était massée. »1

Obscur...qu’est-ce qu’il est en train de nous dire ? Essayons de faire un tableau là, on ne pense pas à Bergson là, eh ?...Quelle heure il est ? Où est ma craie ? Voilà, il y a qu’à... c’est exactement ce qu’il dit [il dessine le schéma au tableau]. Ça, ça n’a pas l’air, ça c’est la ligne horizontale, c’est ce qu’il appelle la coupe, la coupe horizontale. Qu’est-ce que vous mettez sur cette coupe horizontale ? Vous mettez des instants ou là, soyons pas trop rigoureux, on est dans un tel état, mettons des présents, des présents qui se succèdent, une succession de présents. De a à b c’est une coupe horizontale, coupe horizontale, disons, de quoi ? Si on savait de quoi... Est-ce qu’on peut dire que c’est une coupe horizontale du temps On en sait rien, on en sait rien... je peux dire juste que... je peux établir deux vecteurs, il me semble, de a je passe à b et c’est ce que j’appellerai ? ce n’est pas dans Péguy mais ça ne fait rien ? une protension : je vais d’un présent au nouveau présent. Mais je peux aussi aller de b à a, du nouveau présent, de l’actuel présent à l’ancien présent, c’est ce que j’appellerai une rétention. Je garde l’ancien présent, voilà même pour faire plus joli je vais faire alterner....vous voyez c’est joli comme ça... voilà, voilà ma coupe. Et il nous dit, il y a autre chose, il y a une coupe verticale et il y a un coup de sonde vertical. Je ne sais pas encore ce que c’est que l’événement mais, il nous dit, là sur la ligne horizontale vous êtes le long de l’événement. Vous longez l’événement ce qui veux dire quoi ? Bien plus, vous longez les présents, vous passez d’un présent à un autre. Mais à chacun de ces instants a, b, c, d, faisons comme s’il y avait une coupe verticale. Cette fois-ci je m’enfonce dans l’événement.
-  L’événement c’est le halo de chaque présent ? le halo H-A-L-O ? c’est l’entour de chaque présent. Quand je vis, là, ma vie toute quotidienne, je ne cesse pas de passer là, le long des événements. Je suis comme le général qui défile là, le long des troupes, comme il vient le dire, un peu impotent, parce que je me fatigue de plus en plus. Puis je range, je dirais : je met tout là, en ce moment, c’est l’alternance... « Femme... » merde j’essaye d’en citer par coeur mais évidement j’ai oublié « Femme, vous rangeriez Dieu lui-même... » vous connaissez pas cette... ? « Femme, vous rangeriez Dieu lui-même si...si...s’il venait un jour dedans votre maison » oui, c’est quelque chose comme ça : « Femme, vous rangeriez Dieu lui-même s’il venait un jour »... Cette ligne tantôt il l’appelle...il faudrait beaucoup d’études pour voir pourquoi il l’appelle... c’est la ligne de fusion, c’est la ligne du rangement, c’est la ligne de l’accumulation, seulement ce que j’accumule c’est des valeurs décroissantes. Et on rajoute, c’est la ligne de l’argent ? accumulation de valeurs décroissantes. Il a écrit un livre assez intéressant sur l’argent dont je ne suis pas sûr que Bresson connaisse très très bien...

alors on dira aussi bien, si vous m’avez suivi, c’est la ligne d’alternance. Ah tiens là ! du blanc, du noir, du gris, exactement comme je regarde le temps, je passe le long du temps, j’ouvre mes fenêtres...il fait blanc, il fait noir, il fait gris. Appelez ça comme vous voulez : ligne de vieillissement, ligne d’alternance, ligne d’argent, ligne... tout ça ça se vaut. Je passe le long de l’événement, si vous préférez, ça revient au même, le long des événements. Un événement succède à un autre. Bien, si vous êtes en b, si c’était Pascal on dirait c’est la ligne du divertissement. À peine je suis en a que je dis ’oh vite b’, à peine je suis en b et je dis ’oh là là quand est-ce que ça va être c !’ ça [il pointe quelque chose au tableau] ça ne compte pas, cette croix... c’est pas un schéma. [rires dans la salle]. Puis, supposez qu’à un détour de chemin, vous êtes en train de défiler, de passer le long des événements, vous voyez c’est marrant cette conception, à la limite c’est pas les événements qui bougent, c’est pas les présents qui bougent, c’est vous qui courrez comme un fou, c’est vous qui courrez comme un fou sur cette ligne du présent, alors c’est vos arrêts qui définissent des présents. Bon et puis, est-ce que tout mélé, si vous me l’accordez, je pourrais dire, mais je n’ai pas encore justifié, s’il vous arrive un jour de choisir de choisir, c’est-à-dire, de choisir en sachant qu’il s’agit de choisir, vous ne pourriez pas, vous seriez à la lettre expulsés de cette ligne. Vous auriez donné un coup de sonde, et le coup de sonde c’est le tracé de la ligne verticale.
-  Vous voyez qu’il y a donc un point commun entre les deux lignes : c’est le tracé de la ligne verticale. Coup de sonde ! comment qui dit, comment il dit dans le premier texte...alors que maintenant vous pouvez peut-être comprendre mieux :

« L’universalité de la coupe horizontale du temps présent » c’est ça ! « se multiplie infiniment » ça on peut pas encore comprendre « se multiplie infiniment » ça, ça va faire problème.« se multiplie infiniment par toute l’universalité du coup de sonde, de l’approfondissement vertical », j’ai juste commenté coup de sonde, approfondissement vertical. « par toute l’universalité de la coupe verticale et de l’élévation du fil vertical » tout ça ça marche.« l’universalité du passé vertical verticalement le plus riche » je n’ai pas commenté « passé ».« d’un passé vertical » pas commenté. « infini, pour chacun des points de cet univers infini horizontal du temps présent », ça j’ai commenté, « pour chacun des points de cet univers infini horizontal du temps présent », c’est-à-dire pour chacun des points que j’avais distingué sur la ligne horizontale
-  Et ben voilà que, au lieu de passer le long des événements, vous vous enfoncez dans un événement. S’il vous est jamais arrivé de vous enfoncer dans un événement....Alors là, peut-être est-ce qu’on a une approximation hâtée de ce que c’est que l’ordre de la foi ? Parce que s’il vous vous est arrivé de vous enfoncer dans un événement, à la lettre, vous n’en êtes jamais revenus. Peut-être que tout vous aura été redonné. Ah ! du coup je me dis, je commence à comprendre, je ne comprend pas grande chose là. Mais je me dis, s’enfoncer dans un événement ce n’est pas rien. Qu’est ce que ça veut dire « je m’enfonce dans un événement » ? Du reste qu’est ce qu’il y a sur cette idée. ?A mon avis je n’ai pas le choix, là je m’avance un peu. Vous voyez, là à la rigueur je pourrais concevoir un rapport de b à a, de c à a, de d à a, non moins que, dans l’autre sens, de a à b, de b à c, de c à d. Mais là qu’est ce qu’il va y avoir ? Faut bien la meubler, « s’enfoncer dans l’épaisseur d’un événement » si un événement a une épaisseur, il faut qu’il ait des points. Et oui, il faut qu’il ait des points. Il y a plus, Péguy se servira d’un mot ... ? que...comme ça m’arrive constamment de m’en servir aussi, c’est une raison de plus de me sentir tout heureux ? il se servira du terme finalement "singularité", singularité. Sur cette ligne il y a plein de singularités. « Car dans l’épaisseur d’un événement » il nous dit ? et là ça lui donne à nouveau occasion d’effet de style très beau ? oh non, il ne dit pas singularité, ça ne fait rien, il ne dit pas je dis ça ne fait rien parce que ça revient au même, alors ça ne fais rien, ça ne fait rien. Il le dit très bien dans deux passages splendides de Clio.

« N’est-il pas évident que l’événement n’est point homogène, que peut-être il est organique, qu’il y a ce qu’on nomme en acoustique » ça c’est sa métaphore acoustique « qu’il y a ce qu’on nomme en acoustique des ventres et des noeuds,... ». Ce n’est pas seulement en acoustique, c’est aussi en mathématiques, en théorie des fonctions.  « des pleins et des vides, un rythme, peut-être une régulation, des tensions et des détentes, des périodes et des époques, des axes de vibration, des points de soulèvement, des points de crise,... ».

Autre texte encore plus net :« Par un point de crise, il y a des points critiques de l’événement » « il y a des points critiques de l’événement comme il y a des points critiques de température, des points de fusion, de congélation, d’ébullition, de condensation ; de coagulation ; de cristallisation. Et même il y a dans l’événement de ces états de surfusion qui ne se précipitent pas, qui ne se cristallisent pas,.. » vous voyez la surfusion c’est lorsque un état physique, l’état physique d’un corps a dépassé le seuil où normalement il devrait fondre, il est en état de surfusion. « Ces états de surfusion qui ne se précipitent, qui ne se cristallisent, qui ne se déterminent que par l’introduction d’un fragment de l’événement futur. »

Formidable, il fallait aller jusqu’au bout du bout. Du coup, c’est au moment qu’il dit la chose la plus folle qu’on comprend tout. J’ai pas le choix, j’ai pas le choix. Si je m’enfonce en c, si je reste sur l’horizontale, j’aurais des rapports en c avec b, avec a. Si je m’enfonce en c, adieu tout ça, je m’enfonce dans l’épaisseur de l’événement. Et qu’est-ce que je vais dire ? Commençons par d, si je garde une succession temporelle suivant l’horizontale, voilà, c’est les pointillés. Formidable, vous avez tout compris, il y a tout ce qu’il nous faut, on est sauvés, la foi vous a frappé, vous avez un a’ là, du coup vous avez un a’ là, vous n’avez pas un a. Cet a’, si je m’installe dans le coup de sonde c, ce fameux c, il va devenir a’’, pourquoi qu’il va devenir a’’ ? Parce que c’est b qui occupe a qui se sera transformé en un b’. Si je m’installe dans le coup de sonde c, vous devez sentir naître une théorie du temps qui ne va pas finir de nous concerner. Là vient b’’. Pourquoi ? Parce que j’ai un c’ et j’ai un a’’’. Cette ligne est infinie donc ce que je représente est ridiculement petit. Le coup de sonde de l’événement, le coup de sonde vertical, le fil vertical, va réunir un instant c non pas à b et a mais à b’, a’’ et l’instant b va réunir, il va se réunir, il va se conjuguer non pas avec c, b et a mais avec c’, b’’, a’’’.
-  Là je dirais : ma ligne horizontale c’est les connexions, les connexions du temps présent.

Qu’est-ce que c’est ? C’est les conjonctions d’un passé infini. En effet, sur ma ligne verticale, je ne trouve pas l’ancien présent, je trouve un b’, c’est d’une autre nature que l’ancien présent que j’appellerai du passé. Chaque coup de sonde va saisir la totalité du passé dans l’épaisseur de l’événement. Chaque coup de sonde va être un petit m qui va comporter sur sa ligne verticale a’, b’’, c’’’, d’’’’, etc. etc. A ce moment là, a par rapport à b n’était qu’un ancien présent, a’ par rapport à b est un véritable passé. Seulement c’est un passé qui, quoi ? C’est un passé qui nous est redonné, qui nous est redonné dans la ligne verticale, sur la ligne verticale, dans l’épaisseur de l’événement.

- Et vous pourrez dire de la ligne horizontale, c’est le temps, c’est le temps. Et vous pourrez dire des lignes verticales c’est l’éternel. Mais en fait c’est pas ça, car l’éternel est devenu Temps. En quoi ? En effet, ce qui est important c’est le point de croisement. C’est que à chaque moment du temps présent il y a, ce qu’il appelait, cette rencontre à 90 degrés entre le coup de sonde vertical et la ligne horizontale.

-  Sur la ligne horizontale vous avez la succession a, b, c, d,... c’est-à-dire, la succession des présents qui passent. Là retenez bien parce qu’on est en train d’avancer. C’est la succession des présents qui passent.
-  Sur les lignes verticales j’ai quoi ? La contemporaineité au contraire, la coexistence d’un instant avec tous les passés, pas anciens présents. « Ancien présent » c’était a par rapport à b, ce que j’appelle des passés c’est a’, a’’, a’’’, b’, b’’, b’’’. Vous pénétrez, vous ne remontez pas le cours du temps, vous vous en enfoncez dans l’événement qui vous redonne au sein de l’événement ce que vous aviez perdu sur la première ligne. Comment un tel auteur ose t-il va dire à Bergson « ne voyez-vous pas que je suis votre disciple ? » il n’a pas de peine. J’ajoute, qu’est-ce qu’il a fait de formidable avec sa dernière phrase qui me met dans la joie ? Et ben, « parfois il y a dans l’événement de ces états de surfusion qui se précipitent... » dans ce qu’il appelle les points de cristallisation, points d’ébullition, etc. C’est donc ma liste b’, non là...c’, b’’, a’’’, chacun définira dans ma ligne-coup de sonde, un point critique. Et il ajoute, « parfois j’ai besoin d’un fragment de l’événement futur ». En effet, pourquoi ça n’irait pas aussi dans le sens, .. de ce qui reste à venir ? Ce qu’il est en train de faire, c’est une intégration du futur, pas du tout sous forme d’une prédestination, puisque il ne dit pas du tout que le futur là, est déjà réalisé, ça reste un futur, mais ça n’empêche pas que mes coups de sonde pourront très bien comprendre des fragments d’événements futurs que moi-même, à ce moment là, je serai bien incapable de reconnaître et je dirai : Tiens, qu’est-ce qui se passe ? Et dans un pressentiment je me dirai : oui, ça m’appartient, dans une espèce de "envers de la réminiscence", ça m’appartient mais ça ne m’est pas encore venu.

Bon, comment est-ce qu’il peut être bergsonien ? Je voudrais terminer là dessus parce que c’est trop difficile tout ça. Alors si c’est ça la foi, bon peut-être que c’est ça la foi ? Qu’est-ce que ça veut dire tout nous est redonné ? Dans chaque coup de sonde, ce n’est pas c qui vous sera redonné, c’est c’, b’’, a’’’, c’est-à-dire, c’est les puissances, j’aurais du dire même c’’, b’’’’, d je ne sais plus quoi, a je ne sais plus quoi. C’est des élévations, c’est des potentialisations, ce qui vous est redonné c’est des potentialisations.

Et vous vous rappelez, je n’ai pas cessé l’année dernière, de raconter l’histoire suivante : dans l’événement il y a deux choses, dans l’événement il y a deux choses,
-  il y a la partdece qui se laisse actualiser dans les corps.
-  Mais il y a autre chose aussi :ily a une part qui déborde toute actualisation, il y a une part qui déborde son actualisation. Et pourtant c’est du réel, simplement ce n’est pas de l’actuel. Réel sans être actuel. C’est, je disais, la part du non actualisé, mais en revanche c’est pleinement exprimé. L’événement en tant qu’exprimé et non pas en tant qu’actualisé. Il ne suffira jamais que j’actualise la mort dans mon corps, il faudra d’une certaine manière que je l’exprime, que je l’exprime dans sa part. Dans la part de quoi ? Dans la part de ce qui se dérobe à l’accomplissement.

Et lorsque nous trouvons cette conception de l’événement explicitement développée par Blanchot, dans son style à lui. Lorsqu’il distingue explicitement ce qui se laisse actualiser de l’événement et cette espèce de potentiel ? qui est pourtant parfaitement réel, qui n’est pas un simple possible ? qui a la potentialité de la puissance et qui déborde toute actualisation. La part de ce qui ne se laisse pas accomplir dans l’événement qui s’accomplit. Là je crois ? et je crois que Blanchot peut-être le reconnaîtrait, encore que je ne me souviens plus du tout s’il a jamais écrit sur Péguy mais c’est très évident qu’il y a une influence de Péguy sur Blanchot qui vient notamment de ce que Blanchot, dans sa jeunesse, était un auteur et un penseur de la foi. Et que l’influence de Péguy sur Blanchot ça me paraît une des choses les plus, les plus évidentes [voix d’un auditeur : « il a écrit un article, il a un article sur Péguy... »] il a un article sur Péguy enfin, il a tout pour le comprendre et il en a... il en a retenu quelque chose de fondamental.

Or, vous comprenez, là on retrouve, pour notre compte je dis, on retrouve exactement nos deux aspects de l’événement. Tous les deux sont parfaitement réels. La part de l’événement qui s’actualise dans des états de choses c’est a, b, c, d. La part de l’événement qui s’exprime comme puissance ou qualité pure et qui ne peut que s’exprimer, c’est-à-dire la part de l’événement qui dérobe l’actualisation. Et dans Clio qu’est-ce que...par quoi commence Péguy ? Il commence par des pages splendides qui sont celles-ci : Comment voulez-vous que dans un événement quelque chose ne déborde pas l’actualisation ? Exemple : Homère écrit l’Illiade. Un événement s’actualise, d’accord. Il faut bien que quelque chose déborde son actualisation puisque nous n’en finiront jamais avec l’Illiade, puisqu’il y aura toujours un lecteur pour faire une nouvelle actualisation de l’Illiade. Il faut donc croire que dans l’événement il y avait un réservoir de potentialité, quelque chose qui ne se laisse pas épuiser par sa propre actualisation.

Qu’est-ce qu’il y a de bergsonien là-dedans ? Il est connu que Bergson opposait la durée et l’espace homogène, mais c’était pour les petits lecteurs de Bergson. Pour les grands lecteurs de Bergson ? et c’est ça, et c’est ça l’espèce de bond de Péguy ? c’est à l’intérieur de la durée, qu’il y a la véritable dualité bergsonienne. Et la durée bergsonienne, ce sera selon Péguy, ce point de jonction entre les coupes horizontales et les coups de sonde verticaux. Et alors il propose une image de Bergson, que évidemment personne n’avait eu avant lui, sauf les textes. A mon avis c’est le seul a avoir compris Matière et mémoire au moment de la parution. Il l’a compris, il l’a retraduit dans son langage à lui, il l’a refait...mais l’authenticité de son bergsonisme est évidente. Et pourquoi ?

D’où le concept qui me paraissait si brillant, du moins le mot si brillant de Péguy, faut remarquer cela. Chaque point de jonction des deux lignes, qui constitue le vrai statut de la durée, ce sera quoi ? C’est ce qu’il appellera l’internel.
-  Ce sera l’internel, c’est-à-dire la jonction entre l’éternel et le temps. Et il n’y a jamais d’éternel indépendant de cette jonction. Il n’y a pas l’éternel et puis le temps et puis leur jonction. Il n’y a que l’internel qui est la durée elle-même. Et l’internel c’est la présence de l’éternel dans le temps c’est-à-dire la présence du coup de sonde sur la ligne horizontale et la présence de la ligne horizontale à travers les coups de sonde.

Bon, est-ce que Bergson le disait ? Oui, mais il poussait pas assez loin le schéma, parce qu’il était pressé d’en faire d’autres de schéma. Et vous trouvez au début du chapitre 3 de Matière et Mémoire un texte qui me paraît extraordinaire parce que... le schéma là, moi je me suis efforcé de le faire pour... il n’est pas dans Péguy, je le dis par honnêteté. Peguy ne fait pas de schéma c’était pour essayer de...d’être le plus clair possible. Dans Matière et Mémoire chapitre 3, vous allez trouver un schéma tout simple, alors charmant, qui explique tout. Et qui explique là le point où Péguy s’est vraiment ancré à Bergson.[il cherche le passage] Oui mais je ne l’ai plus. Tout simple, je vous montre qu’il est bien là vous voyez ? C’est ça. Or, qu’est-ce qu’il nous dit avec ce schéma ? Il se contente de ça...mais comme ça se compliquera bien après. Deux lignes horizontales une ligne verticale, un point de jonction, a, b et là haut c.

Voilà ce qu’il nous dit, il nous dit c’est quand même très curieux, il nous dit : c’est très bizarre parce que personne...je résume le texte...vous êtes là vous, vous êtes en i. Et ben, a, b, i, c’est ? appelons-le, ça rappellera des souvenirs, j’espère ? le plan de la matière, c’est la succession des présents purs, c’est le plan de la matière. Je suis sur ce plan avec mon corps, mon corps est en i, mon corps il est en i vous voyez ? Il dit : c’est quand même bizarre, tout le monde admet que la ligne (ab) se prolonge en dehors de mon corps. Non seulement dans ce que je vois à distance lorsque je dis : « ah je perçois ça, qui est là-bas, qui n’est pas dans mon corps mais qui est bien là-bas ». Mais personne ne s’étonne que le monde physique continue au-delà même de ce que je perçois. En d’autres termes personne ne s’étonne qu’il y ait des images non perçues. Puisque je vous rappelle que pour lui, il l’a montré, tout mouvement de la matière était une image, mais peu importe. Personne ne s’étonne que ça continu hors de ma conscience. Et voilà que par une bizarre perversion ? mais qui va être très importante, c’est ça la vraie perversion ? pour la ligne verticale je ne veux pas...c’est-à-dire, je ne veux pas que...le passé... ou bien que, si vous préférez...je ne veux pas...je veux bien que les choses se prolongent hors de ma conscience, sur la ligne horizontale, je ne veux pas que des "états" se prolongent hors de ma conscience sur la ligne verticale. Vous me direz si Freud il veut bien, ne le mêlons pas à cette histoire, en plus Matière et Mémoire c’est 1896. On ne veut pas que les états se prolongent... dans quoi ? Dans la ligne verticale du temps, tout comme les choses se prolongent hors de ma conscience sur la ligne horizontale de la matière. - En d’autres termes, on veut que l’espace soit un conservatoire et que le temps soit au contraire une dissipation. Il dit...et ça c’est le grand mystère pourquoi que les gens veulent ça ? Comment ils ne s’aperçoivent pas que, s’ils admettent que les objets se prolongent hors de mon corps et hors de la perception que j’en ai, les états se perçoivent non moins, hors de mon corps, hors de ma conscience et hors des images que j’en ai.

-  En d’autres termes, il y a une mémoire pure ? c’est la mémoire dont Péguy nous parlait ? il y a une mémoire pure qui est conservation intégrale, autant qui ait conservation intégrale de tous les états, autant que la matière et l’espace sont conservation de tous les objets constitutifs d’un univers. Et Bergson dit, c’est incompréhensible l’attitude des gens qui veulent que, dans le temps les choses se perdent et que dans l’espace elles soient là. Il n’y a pas plus de difficulté, dit Bergson, à admettre que le passé se conserve hors de moi, qu’à admettre qu’un objet existe hors de moi. Or, tout le monde trouve très normal qu’un objet existe hors de moi. Vous voyez, ce qu’il est en train de faire, donc lui là, c’est un schéma extrêmement simple, ça va être l’idée que, en effet, là il y aurait exactement ce que Péguy appelait l’internel et la durée bergsonienne, ce n’est ni là ni là [il pointe sur le schéma], c’est l’insertion constante de la ligne verticale dans la ligne horizontale et le tracé constant de la ligne horizontale par rapport à la ligne verticale. C’est le passé le long de, en même temps que, le s’enfoncer dans, le coup de sonde vertical. Il fallait ça, en d’autres termes, là c’est bien les deux composantes de la durée.

Et alors, le schéma que je proposais moi, qu’est ce qu’il fait ? Il fait absolument rien d’autre que compliquer le schéma bergsonien mais c’était dedans déjà. Le schéma bergsonien, il était déjà tout ça puisqu’il suffit de faire bouger i là [il pointe sur le schéma] de faire bouger i sur ma ligne (ab) pour avoir ce schéma là et chacune des lignes verticales encore une fois, se fera entre un point i et non pas des points a, b, c, d mais des points a’, c’, b’’, etc.,etc.
-  Et là vous avez l’événement en tant qu’il ne se laisse pas épuiser par son accomplissement. Et là vous avez l’événement en tant qu’il s’accomplit actualisant l’état de chose.

Oui... alors là-dessus il ne reste plus qu’un problème c’est que...comment justifier du point de vue du temps cette ligne verticale ? Qu’est-ce...que c’est cette ligne verticale ? Quelle conception du temps elle peut impliquer ? Si on a trouvé ça, on aura trouvé tout ce qu’il nous fallait, c’est-à-dire, comprenez où je veux en venir, c’est à ce niveau qu’on pourra rencontrer des images directes du temps. Si on arrive à approfondir là, cette ligne verticale.

Mais au moins on a vu de quelle manière Péguy avait bien saisi, il me semble, quelque chose de Bergson quelque chose qui est...qui est tout à fait...tout à fait irremplaçable. J’ai le sentiment d’avoir oublié quelque chose de très très... important, tant pis...et je ne sais plus quoi.

[G. Deleuze s’adressant à un auditeur :] bon, on n’en veut plus eh ? alors, c’est fini... alors toi, si tu veux bien tu parles la prochaine fois, d’autre part t’auras bien réfléchi, tu commenceras à parler, hein ? [Voix d’un auditeur, incompréhensible :] « ...c’est joli... » [Réponse de G. Deleuze :] ouais et ben oui c’est comme tu dis.[rires] Qu’est-ce qu’il dit ?...qu’est-ce qu’il dit ?

1 C. Péguy, Clio, Oeuvres Complètes, Ed. Gallimard, nrf, Tome IV, pp. 285-286.

C. Péguy, Clio, Oeuvres complètes, Ed. Gallimard, nrf, p.269

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