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18- 11/05/82 - 1

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Gilles Deleuze cours 18 du 11/05/1982 - 1 transcription : ALCANI ERJOLA

ÉTUDIANT : Tu as dit qu’on en était arrivé à une sortie de l’image-mouvement, alors... tu avais parlé de l’Image-mouvement comme interaction entre les images. Alors, je ne sais pas si le propos c’est maintenant de dire que ce point de départ, il était évident ? Donc... c’est un peu le centre de la détermination que constitue l’œil de camera. Tu transposes de là, de l’univers qui va du mouvement, ce qui indiquerait que, bon, on se sera servi de Bergson jusqu’à un certain point. Euh...

DELEUZE : Voilà, cette question est absolument juste, je corrige, je corrige juste la dernière phrase. Ce n’est pas qu’on se sera servi de Bergson seulement sur un certain point car nous sommes toujours dans l’attente de ceci que j’ai dit depuis le début mais faites bien attention, chez Bergson par exemple, l’image-mouvement n’est que un "cas" d’image. Et pour Bergson, la grande division bergsonienne, c’est il y a des images-mouvements, et il y a autre chose qui diffère en nature et c’est les images-souvenirs.

Donc, même quand nous serons amenés à sortir de l’image-mouvement, peut-être qu’on aura encore très, très besoin de Bergson. Mais alors sur le fond même de ta question, je crois que ta question est absolument juste. Parce que j’ai défini un certain nombre de caractères correspondant à, finalement, à un nouveau type d’image-mouvement, dispersif, déambulatoire etc. C’était plus l’image-action telle qu’on l’avait vu mais c’était encore l’image-mouvement. Et là dessus, j’éprouvais le besoin non seulement de faire appel à votre patience, de dire mais qu’est ce qu’il va se dégager de tout ça ? Mais aussi de dire : Attention, c’est par là qu’on va être en train de toucher à une limite, non seulement d’une image-action mais d’une image-mouvement elle-même. Alors, tes questions je les trouve toujours justes à chaque fois que tu interviens. Seulement, j’ai bien dit encore au point où on est, c’est toi qui a complètement raison de dire : mais voyons on sort peut-être d’une certain vision de l’image-action mais on sort pas du tout de l’image-mouvement, t’as complètement raison... complètement raison !

Et ça devrait être aujourd’hui qu’on essayerait de voir, qu’on essayerait d’avancer, mais tout doucement, tout doucement, parce que... Là-dessus, un certain nombre d’entre-vous - et moi je veux bien mais en même temps j’ai plus les textes - me rappellent que j’avais terminé une séance ancienne, déjà un peu ancienne en prenant l’exemple du burlesque, et en disant : ah bon, mais vous voyez, le burlesque c’est nécessairement lié à la petite forme. Et je ne prétendais pas faire une analyse du burlesque, mais j’avais dis, juste parce que ça me semblait comme ça, oui mais, il y a quand même quelque chose de très curieux, c’est que il y a eu un cas, un cas du burlesque "grande forme" alors que ça paraît incompatible : le burlesque et la grande forme, et il y avait un cas de burlesque grande forme, j’avais juste dit : c’est Buster Keaton. Et puis j’avais commencé et puis c’était la fin et puis j’avais laissé tomber ça parce que toujours soucieux d’aller de plus en plus vite. Eh....Voilà, et alors il y en a un parmi vous, moi je veux bien, qui me ramène à ça, mais voilà que j’ai plus les textes ; donc, je fais là une parenthèse sur Buster Keaton avant d’en revenir à ce que... au point nous en sommes. En effet je vous disais dans le burlesque en gros, je ne prétends pas définir le génie de Charlot ni le génie de Laurel et Hardy, tout ça, tout ce que je dis c’est : En quoi le burlesque c’est la petite forme ? A, S, A. Je vous dis, moi, ce qui me parait, c’est une formule comme une autre, comme ça, j’y tiens pas donc c’est pas là dessus qu’il faut discuter, ce qui m’intéresse c’est le cas spécial Buster Keaton.

Mais dans le burlesque en général, si vous me permettez, je disais : ce qui nous fait un effet burlesque peut-être est-ce que c’est que, entre deux actions, est suggérée une différence infiniment petite. En même temps que (et les deux sont inséparables) le personnage burlesque va suggérer entre deux actions A et A prime, une différence infiniment petite, mais de telle nature que les situations correspondant au deux actions S et S prime, elles, vont faire valoir une distance infinie. Et c’est parce que le burlesque dans le même acte, dans le même geste, pose la différence infiniment petite entre deux actions et même temps fait sentir la différence infinie entre les situations correspondantes, qu’il y a une opération qui nous fait rire. Et je connais des exemples complètement... Je disais pourquoi est-ce que, comme ça, pourquoi est-ce que Charlot nous fait rire de la guerre de quatorze dix-huit, et cette guerre des tranchées, alors qu’il rencontre très vivement de l’abomination ? Ce n’est pas du tout du burlesque innocent c’est pas... c’est très puissant le film "Charlot soldat". Je disais : voyez comment il procède. Il y a un des aspects (ce que je dis n’a vraiment rien d’exhaustif) Il y a un des aspects du procédé Charlot... Il va induire entre deux actions très différentes, une différence infiniment petite. Par exemple : tirer avec un fusil sur un adversaire humain et jouer au billard. Et l’image nous montre une différence infiniment petite, encore faut-il créer l’image ! Il crée l’image dans la mesure où Charlot tire et chaque fois qu’il tire, encore une fois, marque sur une ardoise un trait ; comme un joueur de billard. Et puis une fois, il reçois lui-même une balle qui le frôle, et ça le persuade qu’il a raté son coup. Et il efface le trait qu’il vient de marquer sur l’ardoise. Tout le long du récit, -je dis ça répond bien à ma vague définition- une différence infiniment petite est posée entre deux actions, mais de telle manière que cette différence infiniment petite va nous faire sentir une situation incomparable entre la guerre et le champ de bataille et le tapis de billard.

Donc, on est à la fois pris dans ce double mouvement de rétrécissement des différences infiniment petites, et en même temps la situation qui file. Je disais la même chose pour la fameuse image d’un court métrage de Charlot où il se suspend à des saucisses dans une charcuterie comme s’il était dans un tramway. Donc, je conclus juste et je ne prétends pas conclure quoi que se soit d’autre, supposons que le burlesque en général procède comme ça, par différences infiniment petites, quitte à nous faire sentir par le jeu de ces différences infiniment petites, l’incommensurabilité des situations. Il y en a il faut bien étudier, il y en a un que j’aime beaucoup dans le burlesque c’est « Harold Lloyd ». Or lui, il a une espèce de génie, il y a des images qui sont signées par tel ou tel burlesque. Lui, c’est un de ceux qui a sut le plus inventer, alors l’image perceptive infiniment petite. Dans le cas de Charlot, c’est des images-actions où il y a des différences infiniment petites. Chez Harold Lloyd, c’est très curieux, il y a tout le temps dans ses films des images-perception qui induisent une différence infiniment petite. Par exemple : dans un film, on le voit cadré absolument comme s’il était dans une voiture, une voiture de luxe. Et le cadrage est très bien fait, il est là, il se tient dans la voiture. Donc, j’appelle ça A. C’est un comportement, c’est une action ; il est dans la voiture. Il se tient dans la voiture A. Et puis, un feu rouge et la voiture s’en va et on s’aperçoit que, lui, il n’est pas du tout dans la voiture, que c’est un pauvre minable à vélo. Vous voyez... L’image est très très belle, un coup célèbre, une image très célèbre d’un grand Harold Lloyd, c’est : Ça commence par une scène où il est là, l’air très abattu, il y a des grilles, il y a un nœud coulant à côté de lui, et il y a une jeune femme qui sanglote. Et puis l’image ce précise : En fait, c’est sur un quai de gare... euh... ah oui, il y a une espèce d’officiel avec une casquette qui semble annoncer que l’heure est venu de la condamnation à mort. Vous voyez... la vraie image, c’est tout à fait autre chose : c’est le chef de gare, la fiancée qui pleure, la corde qui est absolument une corde de pendaison, c’est une espèce de corde porte-bagage, etc.

Donc, il y a, en fonction d’une différence infiniment petite, situation incomparable qui se défile, qui se vide. Alors je dis, mettons que ce soit une formule burlesque en général. Qu’est ce qui nous frappe énormément et qu’est-ce qui fait que Buster Keaton - je ne dit pas du tout que les autres ne soient pas modernes - mais comment est-ce qu’on définirait la modernité très particulière de Buster Keaton ? Je disais c’est finalement l’ampleur et la puissance des images extra burlesques chez Keaton. Il y a dans la plus part de ses films, des images extra burlesques qui ont une beauté, comme on dit une beauté griffithielle, et une intensité dramatique. Alors, à première vue on se dirait : Ah bon, bien oui, ça pose déjà un problème. Si vous m’accordez ça ? Et je citais -mais alors là j’avais fait la liste, je citais dans Les lois de l’hospitalité, les premières images en effet, qui semblent tirés d’un admirable Griffith, l’image et la vengeance de deux hommes qui se tuent avec la cabane dans l’orage la nuit. C’est une merveilleuse image, merveilleuse, merveilleux... très, très belles images. Et où il y a la femme qui sanglote qui protège son petit bébé, tout ça et les deux hommes qui se tuent, ils tombent. Le seul élément un peu comique c’est qu’ils sont morts tous les deux, mais sinon ce n’est pas du tout, pas du tout une image burlesque. C’est vraiment une situation dramatique et qui se termine par l’annonce que la vengeance entre les deux familles sera inexpiable !

Et l’on a comme l’impression d’un hors d’œuvre que cet hors dur. Qu’est que c’est ? Je disais - autre exemple, l’image n’est pas forcement ce type d’image Keatonienne, pas forcement dès le début du film. Je prends un autre exemple : je disais dans le dernier round... le match de boxe, encore une fois qui est d’une extrement violence, qui n’a rien à voir avec un match burlesque. Il y a une séance d’entraînement burlesque dans le film puis il y a un match de boxe, mais d’une violence, que moi, j’ai jamais vu même dans les actualités. Une telle violence qui alors est une... c’est des images de dénonciations du spectacle de la boxe. Effarante quoi, effarante... match d’une violence, bon... qui ne prétend vraiment pas du tout faire rire ! Vous voyez le problème qui naît : comment ça ne prétend pas faire rire ? Ce que je voudrais dire c’est que ça ne prétend pas faire rire et que pourtant c’est complètement compris et intégré dans le cinéma de Buster Keaton. C’est pas du tout extérieur, c’est extérieur au burlesque de ce cinéma, mais c’est pas du tout extérieur à ce cinéma.

Et je citais d’autres exemples : Dans la grande séquence comique de La Croisière du navigator -la scène du scaphandrier, il y a des éléments burlesques mais il y a un long moment, lorsque les sauvages sont montés sur le bateau et qu’il y a un sauvage qui coupe le tuyau de respiration, il y a une espèce d’asphyxie au fond de l’eau de Buster Keaton ; il n’y a là absolument rien, absolument rien de burlesque ! Dans un autre, dans Le Cameraman, il y a la fameuse émeute chinoise où déjà est posée -à mon avis au cinéma pour la première fois- le problème de la trahison ou du trafic de toutes les possibilités de trafiquer le direct, de trafiquer le pseudo direct puisque le caméraman joué par Buster Keaton fait tout pour que l’émeute tourne en sang. Il prend les chinois, là, qui font la fête tout ça, qui commencent à se bagarrer, puis il glisse un couteau dans la main d’un des chinois là, et là ça commence, ça devient sanglant. Bon... Voilà ma question : Si vous m’accordez ceci, il faudrait dire en effet qu’avec Buster Keaton, il y a une utilisation, il y a une invention d’un burlesque grande forme. J’appelle « grande forme » ces images qui appartiennent, mais fondamentalement, au cinéma de Keaton. Je citais encore un exemple « le typhon » dans Steamboat bill junior. Alors supposant que vous m’accordiez ça ; là vous avez des images de situation vraiment extra-burlesque et de situations dans toute leur ampleur. Le typhon balaie la ville, l’asphyxie sous-marine emporte tous ce monde sous-marin. Le match de boxe remplit tous l’espace. Vous avez des fortes situations. Alors, et je dis c’est pas des -à la lettre, c’est pas du tout des hors-d’œuvres chez Buster Keaton. Si bien que, le problème du burlesque de Buster Keaton, ça va être ce qui va précisément permettre qu’il intègre dans son burlesque ces images en apparence extra-burlesque, ça va être comment combler la différence. Voyez dans le burlesque ordinaire de la petite forme, c’est : Comment suggérer une différence infiniment petite qui va provoquer une distance incomblable ? Comment suggérer entre deux actions, une différence infiniment petite qui va poser, entraîner, une distance incomblable entre les deux situations. Le problème de Buster Keaton, problème technique - j’insiste là-dessus, ça va être un problème technique étonnant, et c’est pour ça que techniquement il sera tellement en avance. Pensez à toutes les histoires par exemple que à un moment où la transparence n’est pas connue ou les techniques de la transparence ne sont la connues, la mobilisation des décors... là, ce que fait Buster Keaton est techniquement fantastique avec une imitation technique du cinéma à cette époque là- Bon, mais alors je dis, lui, son problème, c’est comment combler la différence entre la grande situation extra-burlesque et l’acte burlesque. Il me semble que ça n’est que chez lui que ça se présente comme ça. Et alors, je comprends mieux... c’est pour ça que je m’intéressais beaucoup à l’anecdote que Buster Keaton rapporte lui-même. L’anecdote qu’il rapporte lui même, je vous rappelle, c’est que pour Steamboat Bill, pour Steamboat junior, son producteur lui dit : Ah non...non vous n’allez pas nous mettre une inondation. Ca non ! Alors, il dit pourquoi, Buster Keaton, pourquoi vous ne voulez pas d’inondation ? Il dit : Vous pouvez pas faire rire avec quelque chose qui tue tant, tant milliers de gens par an ! Alors, Buster Keaton, il répond : pourtant Chaplin il a bien fait rire avec la guerre de quatorze. Et le producteur lui dit non...non ce n’est pas la même chose ! Je disais le producteur était très malin à sa manière. C’est que, c’est vrai, on peut faire rire avec la guerre de quatorze dans une technique « petite forme ». Où on suggère une différence infiniment petite entre deux actions, l’action de tirer et l’action de jouer au billard. Dans une technique « grande forme » pas question de faire rire avec la guerre de quatorze.

Et dans la grand scène, pour ceux qui se rappellent de Charlot soldat, dans la grande scène abominable des soldats qui dorment dans la tranchée inondée. La scène, est bien abominable mais perpétuellement, ce qui fait rire, c’est les différences infiniment petites. Par exemple la bougie qui se promène dans l’eau sur un bouchon, là sur une espèce de morceau de liège qui se promène et qui va brûler les pieds du beau soldat qui a réussi à s’endormir mais à ce moment-là, différences infiniment petites avec un petit canard qui se ballade dans une baignoire. C’est ça qui permet que ça passe en comique ! Encore une fois, Buster Keaton s’est interdit ce procédé, et c’est ça sa nouveauté pour moi. Si bien que le producteur lui dit - il me semble d’une certaine manière, Charlot, oui, pourrait nous faire rigoler avec n’importe quoi, avec la guerre de quatorze, avec une inondation mais vous, je vous connais. Toi, je te connais, tu ne feras pas comme ça. Tu nous feras encore un match de box d’une violence inouïe, c’est-à-dire une "grande forme", tu nous flanqueras une inondation mais où les gens vont crever, vont périr qui va envahir tout l’écran - grande forme - et ce ne se sera pas drôle du tout ! Et il transige sur le typhon, Buster Keaton se marrant, se disant : Tiens, il accepte le typhon, allons-y. Et il fait son typhon qui également est "grande forme". Il se trouve que le producteur semblait ignorer que le typhon est non moins meurtrier que les inondations ; tant mieux puisque ça nous valut cette scène. Mais encore une fois, bon... je reviens à ma question comment faire" ?

Et bien, je crois que Buster Keaton se trouvant devant un problème burlesque qui lui est propre à savoir comment combler l’énormité d’une différence et non pas comment suggérer une différence infiniment petite. Voyez c’est ça, ce que j’appelle le problème unique du burlesque de Keaton. Comment combler une différence énorme ? Comment combler la différence entre le match de boxe dans toute sa violence et l’élément burlesque ? Entre le typhon dans tout sa violence et l’élément burlesque ? La réponse est presque comprise dans toute la question. Buster Keaton comblera cette différence que s’il est capable d’inventer des machines. D’où le génie de Buster Keaton, enfin, un des aspects, un des aspects du génie du Keaton, c’est une invention qui à mon avis n’a eu d’équivalant dans l’art et dans la littérature, pas du tout avec le surréalisme mais avec le dadaïsme ; un génie de l’invention de machine insolite. Qu’est-ce que ça va être les machines insolites ? Ca va être des machines à longues chaînes, encore une fois qu’on m’objecte pas chez Charlot "Les Temps modernes" car, dans "Les Temps modernes", la machine est complètement objective. Charlot ne se sert pas de la machine, le burlesque "petit forme" ne peut pas dépasser l’usage, du point de vue de l’usage, le maniement de l’outil. Le maniement de l’outil est comique. Il est burlesque dans la petite forme. Mais inventer des machines qui vont combler la différence, qui vont combler l’infini de la différence entre l’individu burlesque isolé et la grande situation qui lui échappe. Alors, en Amérique, ils étaient très fort ; je cite le dadaisme comme Européen mais ces machines à très longue chaîne, à la lettre, absurde, je dirais des machines à liaison absurde, ça c’est le propre de Buster Keaton. Un dessinateur américain de la même époque - je trouve que c’est un des plus drôle ou un des seuls qui me fasse rire, mais hélas comme j’ai oublié tous ça, je n’ai pas amené... je vous aurais amené des dessins de lui, peut-être que beaucoup d’entre vous le connaisse" ? C’est Goldberg. Goldberg faisait de telle machine, alors par exemple, vous allez tout de suite comprendre ce que c’est qu’une machine à longues chaînes absurde. Il s’agit de mettre en mouvement un disque. Comment mettre en mouvement un disque ?

Alors le plus simple évidemment, c’est de le faire directement. On met la pointe sur le disque... Dans la machine Goldberg ça ne se passe pas comme ça.
-  Premier temps ; il y a un batelier de Volga, et son dessin présente un batelier de la Volga avec son chapeau, tout ça, qui tire sur une corde. Mais pour que le batelier de la Volga tire sur la corde, il n’y a pas beaucoup de rapport avec le disque qu’il faut mettre en train mais ça ne fait rien. Allez voir le rapport c’est un élément de la machine absurde. euh... le batelier de la Volga donc pour qu’il tire sur la corde, il faut lui présenter un deuxième élément « un tableau ». Un tableau qui présente la Volga, et des bateaux sur la Volga. Alors convaincu par le tableau, vous avez là le pauvre moujik qui tire sur la corde. La corde passe sous le tableau, donc j’ai déjà deux éléments. Le batelier ivre qui tire sur sa corde là, et le tableau que le batelier regarde d’un air hébété.
-  Deuxième élément de la machine : La corde qui passe sous le tableau relie un homme très riche en train de déjeuner, de faire un repas énorme.
-  Troisième élément : Quand le batelier sous l’inspiration du tableau qu’il regarde tire sur la corde laquelle est attachée à la chaise du milliardaire en train de déjeuner ; ça tire la chaise. Et le ventre du milliardaire qui était appuyé contre la table est détaché de la table. Ce ventre étant plein, trop plein, les boutons du gilet du milliardaire sautent en air ! Voilà le troisième élément de la machine folle. Mais c’est une machine indirecte et extraordinaire !
-  Quatrième élément : ces boutons, en jaillissant du gilet du milliardaire vont frapper un gong, ils sautent en l’air et frappent un gong. Lequel gong réveille - en hauteur sur le dessin, c’est un dessin circulaire très, très beau dessin, mais il passait son temps à faire ça Goldberg. Très bien ! - réveille un boxeur affalé sur son tabouret dans un ring, lequel boxeur est immédiatement assommé (là j’ai oublier quelque chose) est immédiatement assommé mais tombe hors du ring sur un matelat. Sur ce matelat pneumatique, il y a un petit lapin.

Vous connaissez typiquement des enchaînements dadaïstes, pas du tout surréalistes encore une fois - à mon avis. Il faut que ça fasse machine tout ça. Et c’est le petit lapin en sautant qui va déclencher le disque et mettre en marche le disque. Voilà une machine Goldberg. Je dirais les machines Buster Keaton, c’est ça. Je me souviens d’un court métrage de Buster Keaton - je crois bien la série de manège - où Buster Keaton n’arrive pas à, dans un stand de foire, n’arrive pas à voir à tirer bien. Voyez, c’est un truc quand on tire dans le mille, on se fait photographier, puis il veut beaucoup sa photo mais il n’arrive pas à tirer. Alors, il invente une machine typique du même genre. Il attache un chien avec une poulie qui fait descendre un os, le chien bondit sur l’os. Il attire l’os et quand il a réussi à tiré l’os ça déclenche le déclic de la photo si bien que Buster Keaton dit : Je l’ai mis dans le mille. Voilà ! Vous voyez, ces machines indirectes... Je dirais que si vous regardez un peu dans Buster Keaton, vous avez toujours présentes ces machines indirectes, à la limite infinies, qui vont adapter la grande forme, aux exigences du petit burlesque. Et c’est ça l’opération très bizarre de Keaton. Je prends l’exemple le plus célèbre pour faire comprendre ce que je veux dire : "la Croisière du navigateur". La croisière du navigateur, voilà qu’il se trouve avec la femme, avec une femme, avec une jeune fille, voilà qu’il se trouve dans l’immense bateau vide. Je dirais cet immense bateau vide avec les images qui nous montrent les cuisines de ce bateau qui vont supporter des milliers de personnes. Bon... C’est de la "grande forme" ça. Et l’opération de Keaton, vous ne trouverez jamais ça chez Charlot à mon avis, euh... jamais. C’est tout autre problème, c’est le problème Keatonien. Ça va être quoi ? Ça va être monter des machines idéalement infinies pour adapter les grandes machines à un usage privé réduit à deux. Vous voyez tout un système pour arriver à, comment dans une cuve conçus pour mille personnes, comment arriver à faire cuire un œuf à la coque ! Il va falloir tout un système de, de ....c’est la grande machine Dada. C’est la grande machine Dada ! C’est une machine à la fois récurrente, à récurrence, et à récurrence proprement finie. C’est une machine faite de parties hétérogènes, complètement hétérogènes, comme dans les dessins de Goldberg. Si vous préférez, il y aurait un équivalent aujourd’hui dans les machines, les célèbres machines de Tingueli. Les machines Tingueli, c’est des machines du mêmes type. Et alors, ça il me semble que ce sera sa manière à lui, pour intégrer, pour que les grandes scènes, les grandes formes, dont il nous donne des images fantastiques, merveilleuses, soient intégrées dans le burlesque lui-même. Et là, il y a quelque chose il me semble d’unique. Je prends l’exemple de La croisière du Navigateur : Bon, il est complètement asphyxié dans le fond, là, ivresse sous-marine, asphyxie... On a confiance, alors on est déjà tout prêt à rire mais l’image, elle est pas drôle du tout.

Et puis, il va remonter, il y aura des aventures, tout ça... Et qu’est ce qu’il va surgir ? Une des plus belles images et une des plus célèbre, je crois, de tout le cinéma ; c’est que la femme, qui comme toujours dans le burlesque, est avant tout une espèce d’agent du destin, c’est-à-dire qui empire les choses par nature, dès qu’elle fait un geste...[ fin de bande]

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