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42- 24/05/83 - 2

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Deleuze - cinéma - cours 42 du 24/05/83 - 2 Transcription : Sophie Treguier,

Vous me direz : faut pas exagérer, pas dans le cas des sections coniques ! Si !...Puisque l’œil, puisque l’œil abstrait s’est strictement identifié au sommet du cône, à partir duquel, le cône apparaît sous telle ou telle forme, en fonction d’un plan de projection. Voilà que le choix est déterminé comme l’acte le plus profond de la subjectivité, mais qui consiste à porter sur les modes d’existence du subjectif choisi.

-  Choisir, c’est choisir entre des modes d’existence. Et ce qui était rangé, et l’on comprend pourquoi dès lors, c’était ainsi rangé, sans possibilité d’assigner un genre commun. Parce que le genre commun et sa différenciation règlent les essences, tandis que là il s’agissait de ranger des modes d’existence et non pas des essences. Moi qui choisis, je ne choisis jamais qu’entre des modes d’existence possibles qui sont "mes" modes d’existence.

Voilà pourquoi tous les auteurs dont je parle, dès le niveau de cette seconde remarque, buteront sur - pas buteront - enregistreront, le résultat qui est inévitable - si vous avez suivi tous nos détours. qui est inévitable, à savoir, ce qu’ils leur faut alors c’est une théorie et une pratique des modes d’existence. Et ce sera la théorie des modes d’existence de Pascal qu’on va voir plus tard. Et ce sera la grande théorie Kierkegaardienne de ce qu’il appelle les "stades d’existence", avec la distinction de trois stades : le stade esthétique, le stade éthique et le stade religieux. Et ce sera, chez Sartre, la distinction de deux modes d’existence fondamentaux : l’authentique et l’inauthentique.

Pour le moment, on a pas le droit de mettre quoi que ce soit de péjoratif dans un de ces modes d’existence...hein on n’a aucune raison de dire : l’un vaut mieux que l’autre. Je dis juste : je suis en train de passer de l’alternance des cas à l’alternative des modes d’existence. C’est le « ou bien ou bien ». Je vis dans le régime du « ou bien ou bien »,
-  et exister, c’est choisir un mode d’existence.
-  Exister et la formule de l’existence, c’est « ou bien ou bien ».
-  Et ça veut dire ranger.
-  Et ça veut dire classer.

D’où l’idée que toute cette pensée, quand on essaye de la définir, tout ce courant de pensée, le plus commode sera de l’appeler existentialisme. Le choix est existentiel puisqu’il porte sur des modes d’existence. D’où, à la libération, le succès de ce mot, et la manière dont Kierkegaard fut présenté comme l’ancêtre de l’existentialisme ; Sartre comme le créateur d’un existentialisme athée, pendant que très vite Heidegger qui n’avait rien à voir avec cette forme de pensée - le disait lui-même et s’excluait par soi d’un (coupure de la bande)

Parce que par définition, comment voulez vous que Sartre comprenne Heidegger ? J’veux dire, faut pas être plus bête que permis," je ne peux comprendre quelqu’un que de son propre point de vue. Si j’ai quelque chose à dire j’ai un autre point de vue. Dès lors, c’est pas que Sartre contredise Heidegger et ne le comprenne pas. C’est que Sartre parle de son propre point de vue de Heidegger, il parle de Heidegger de son propre point de vue à lui Sartre. Du point de vue de Heidegger ça ne peut être qu’un contresens, c’est évident. Et c’est pas la première fois que ça se passe.

Kant critique Descartes. Kant, ne critique pas Descartes du point de vue de Descartes. Ce serait idiot ! Ce serait supposer, encore une fois, que Descartes s’est trompé, de son propre point de vue et que moi, je sais mieux que Descartes quel est le point de vue de Descartes. Faut pas pousser quand même ! Lorsque Kant critique Descartes ce ne peut être que du point de vue de Kant. Qu’il fasse des objections à Descartes c’est forcé. Pour la simple raison que le point de vue de Kant ne peut pas être celui de Descartes. Que donc le point de vue de Descartes ne comprend pas celui de Kant.

-  C’est jamais le problème, Sartre ne s’est jamais proposer de comprendre Heidegger. Jamais un philosophe ne se propose de comprendre un autre philosophe. Il se propose de le lire avec passion...tout ce que vous voulez, mais, c’est pas son problème de comprendre. C’est pas non plus son problème de lui faire des objections. Son problème, c’est en fonction du nouveau point de vue - s’il a trouvé un nouveau point de vue - c’est : voir ce que devient ce nouvel auteur de ce nouveau point de vue, un point c’est tout. ...Et peut être que cet auteur n’a rien à faire du tout avec le nouveau point de vue. Donc à ce moment là, il n’y a pas d’existence du nouveau point de vue. D’où de l’inutilité de toute discussion en philosophie, de toute question et de toute objection (rires de la salles)...comme en mathématique, pour d’autres raisons, voilà. Voilà la seconde remarque.

-  Troisième remarque. On en était à ceci : exister, c’est choisir, et choisir, c’est choisir des modes d’existences, ou choisir entre des modes d’existence.
-  Exister c’est choisir et choisir c’est choisir entre des modes d’existence, bon c’est...c’est la formule de "l’alternative". Alors là, il faut consentir une objection et c’est l’objet de la troisième remarque. Oh bah quand même il y a des cas où j’ai pas le choix !... Dans l’existence, il y a bien des cas où l’on n’a pas le choix ! Là, ça va devenir difficile parce que ça va être très simple, très simple, tellement simple que...je sais pas... il y a des choses qu’on n’arrive pas à dire tellement c’est simple. Je veux dire quand on touche à ...aux manières d’exister c’est...c’est très difficile de parler de tout ça...heu... Comprenez, je dis souvent ‘’j’ai pas le choix !’’. Je le dis à mon avis dans trois cas. Qui peuvent se mélanger.
-  Un cas, qui en apparence est le plus noble : ‘’mon devoir est de’’. Comment aurais-je le choix ? Le devoir m’appelle. Ce cas nous l’appelons une nécessité morale. Et qui n’a connu ce moment ? Le devoir l’appellait... (rires de la salle).

-  Deuxième cas. Je suis forcé. J’ai pas le choix pace que je suis forcé. C’est ce qu’on appellera une nécessité physique. Il y a un état de chose. Il y a une situation qui me force, j’ai pas le choix, ah non ! J’ai pas le choix !

-  Troisième cas le plus sournois. J’ai pas le choix parce que j’ai trop envie de ça. Je ne peux pas résister, j’ai pas envie de résister à mon désir. C’est important parce que ça nous permet de ne pas confondre la pensée du choix avec un désir. Ah ! Tout m’entraîne, j’peux pas m’empêcher de tomber amoureux de...d’Albertine ! C’est Albertine qu’il me faut, c’est...tout m’y entraîne je n’ai pas le choix !...Heu...oh, il faut que je fasse quelque chose, il faut que je bouge. Alors voyez, ça, c’est ce qu’on appellera une nécessité psychologique. Voilà les trois dures nécessités qui nous étreignent :
-  tantôt morale,
-  tantôt physique,
-  tantôt psychologique.

Je dois aller au secrétariat ! (Rires de la salle)...au secrétariat...je n’ai pas le choix (rires repris), nécessité physique ? Là ?... heu...nécessité morale certainement. Le devoir m’appelle. Faut que j’aille signer je ne sais pas quelle cause, bon. Nécessité psychologique, je pourrais dire : Oh ! J’ai envie de, j’en peux plus ! Mais c’est pas le cas du tout ! (Rires). Mais bon...j’en profite, je vais au secrétariat, voyez la situation ? Bon. Voilà...et ben...comment expliquez...comment expliquer la drôle de chose qui se passe ? Et là j’ai l’air d’appuyer de de... c’est des choses, que je suppose, beaucoup d’entre vous connaissent déjà. Moi je serais content si on arrivait à une espèce d’éclaircissement, parce que ça paraît aller de soi, en fait c’est tellement difficile.

Ajoutons encore un exemple simple : une scène de famille, ça doit plus se faire maintenant mais moi dans mon enfance qu’est-ce que ça se faisait alors ! Les pères les plus redoutables, ceux qui veulent apprendre à leur enfant quelque chose. Par exemple à faire un problème de mathématiques. Alors la scène de famille, c’est : viens ! Viens je vais t’expliquer ton problème de mathématiques. Bon, on sent que on y va, on se traîne...et très vite le gosse s’aperçoit même, même si bête qu’il soit que... le père n’a aucun don pédagogique (Rires de la salle), c’est-à-dire, il sait sûrement assez de mathématiques pour faire le problème lui-même, mais pour expliquer...rien. Rien ! C’est pour ça que l’enfant panique quand le père dit : amènes ton problème de mathématiques. Dans quel état il se trouve au bout de cinq minutes ? Le père est en colère et cri. L’enfant pleure et est en larme. Bon...qu’est-ce qui se passe, analyse Sartre. Je fais vraiment du à-la-manière-de. Analyse Sartre.

Sartre dit : si on les interroge, si c’est le moment, et ben, chacun brandit, y a même pas besoin de les interroger - chacun brandit, l’un la colère, et l’autre le chagrin - comme si c’était un "en-soi". Comme s’ils étaient pris dans un "en-soi". L’en-soi des larmes. En gros, si vous voulez comme une essence. J’ai la colère, je suis possédé par la colère. Je suis aveuglé par les larmes. Les larmes et la colère là sont comme des essences qui se seraient posées sur moi et qui m’auraient pénétré. Oh...chacun sait que c’est pas vrai, car je "me" suis mis en colère moi le père, je "me" mets en colère, et je me mets en colère, pourquoi que je me mets en colère ? Je me mets en colère parce que j’ai raté la conduite du pédagogue, n’ayant pas pu tenir la conduite du pédagogue petit (a), je prends la conduite petit (b) : la colère. Je ne suis plus le pédagogue, je suis le justicier. Je "me" mets en colère, c’est-à-dire, à la manière de Sartre : je me constitue comme conscience en colère. Et le gosse, il sait très bien la parade, le gosse est pas plus bête que le père, il se constitue comme pleurant, comme pleurnichant. Hein, tout ça ! Ce qui redouble la colère du père (rires). Je me mets en colère comme je me mets en larmes. Seulement voilà ! Quelle drôle de contradiction dans laquelle on est. Je ne peux me mettre en colère qu’en faisant comme si la colère était un en-soi. C’est-à-dire quelque chose dans quoi je ne me mets pas mais qui au contraire se met en moi. Je me mets en larmes, mais je ne peux me mettre en larmes qu’à condition que faire comme si les larmes étaient une essence ou un en-soi, c’est-à-dire comme si les larmes se mettaient en moi.

En d’autres termes, il y a des choix que je ne peux faire qu’à condition de croire moi-même que je ne choisis pas et que je n’ai pas le choix. Il y a des choix que je ne peux faire, c’est-à-dire dont la condition même en tant que choix, il y a des choix dont la condition en tant que choix, c’est que celui qui fait ce choix, se vive comme n’ayant pas le choix. On va voir, ça va être très compliqué ça. C’est pas facile cette...idée. C’est ça qui va exploser à la Libération pour Sartre...c’est pour ça que la théorie sartrienne du choix va être non pas calculée sur la situation de l’occupation et de la libération mais fondamentalement dirigée, visant fondamentalement les situations de l’occupation et de la libération. Mais avant, il faut que vous pressentiez, en effet c’est très curieux, je choisis...je choisis, je me mets en colère...je me constitue comme en colère...je me constitue comme en larmes. Mais je ne peux le faire que en faisant comme si j’avais pas le choix. Et je ne pourrais pas ME mettre en colère, si en même temps je n’affirmais que c’est la colère qui se met en moi.

Mais c’est très grave pour nous cette troisième remarque ! Je peux juste dire avec beaucoup de prudence pour le moment : il y a un certain nombre de situations où je dis que je n’ai pas le choix. Peut-être toutes. Peut-être que toutes les situations où je dis ‘’je n’ai pas le choix’’, sont comme ça, mais je ne peux pas encore affirmer, aller si loin. Je peux tout au plus dire...il y a un certain nombre de situations où je dis ‘’je n’ai pas le choix’’, et où, en fait, c’est ça ma manière de choisir. Si c’est vrai ça, ça nous fait faire un grand progrès dans cette troisième remarque, à savoir : le choix entre les modes d’existence c’est quoi ?
-  Le choix fondamental entre les modes d’existence ça va être le choix entre le choix et le non-choix.

C’est-à-dire le choix entre le mode d’existence qui se sait choisir et le mode d’existence qui ne peut se choisir qu’à condition de dire et d’affirmer : je n’ai pas le choix. Le choix est donc entre choisir et ne pas choisir, si bien que ne pas choisir est encore un choix. Ne pas choisir c’est le choix que j’opère à condition de penser, de croire et d’affirmer que je n’avais pas le choix. Il y a là deux modes d’existence fondamentaux. Ce qui fait problème pour nous : c’est en quoi consiste ce mode d’existence ? et ça va être l’objet de notre quatrième remarque.

Ce mode d’existence où je choisis à condition de nier que je choisisse.
-  C’est ce que Sartre appellera la mauvaise foi, ou le mode d’existence des salauds. Ça ramène à...je me crois revenu à...dans le passé à, c’est très curieux à...ouais...on pense plus du tout comme ça actuellement - ça veut pas dire que ça reviendra pas, ça veut pas dire que c’est pas des analyses profondes - mais je crois que les problèmes d’alors, les points de vues, les problèmes ont vraiment changés. J’ai l’impression de faire de l’archéologie et...heu...bon, mais enfin Sartre appelait ça la mauvaise foi. Ou l’existence inauthentique. Pascal appelait ça :"le divertissement". Le divertissement et...divertissement, il faut que vous compreniez ce que ça veut dire ? c’est vraiment le détournement, se divertir, se détourner. Kierkegaard appelle ça - mais pourquoi ?- le "stade esthétique de l’existence". Mais bien plus, il y mettait aussi une partie du "stade éthique". Car que fait Agamemnon ? Qui est un héros du stade éthique, comme tous les grecs. Les grecs c’est l’ethos. Agamemnon, c’est un homme de l’éthique. Au nom de l’éthique, au nom de l’ethos, Agamemnon sacrifie sa fille Iphigénie. Et, Kierkegaard, en des pages splendides, de "Crainte et tremblement - livre aussi que je vous supplie de lire et relire - dans les pages splendides de Crainte et tremblement, commente abondamment le cas de - il est génial Kierkegaard quand il se met à commenter, ...il en fait une espèce de théâtre prodigieux - le cas Agamemnon. Il sacrifie sa fille. La pauvre Iphigénie et il pleure, il pleure, il pleure, il n’a pas le choix. Il n’a pas le choix pourquoi ? Les vents sont défavorables. Les bateaux ne peuvent pas partir. Le grand prêtre a dit que les vents deviendraient favorables et que les bateaux allaient partir, tout le sort de la Grèce est en jeu. Faut que les bateaux partent, le grand prêtre a dit : ça marchera si tu sacrifies ta fille. Devoir moral. Nécessité de fait de la situation. Malgré toute son envie de sauver Iphigénie, Agamemnon doit sacrifier, et dit Kierkegaard, qui est en pleine forme quand il écrit ces pages, heu...toute la Grèce applaudit et il n’y a pas de jeunes fiancées qui n’applaudissent au sacrifice et qui disent : Agamemnon est un héros ! Il a su sacrifier sa fille...il a su sacrifier sa fille ! Et alors toutes les jeunes files grecques disent : Bravo ! Bravo ! Quel acte patriotique ! Suppose Kierkegaard. Mais il semble... il n’y a pas de protestation, c’est une...tout le monde a trouver ça très bien et Agamemnon était un grand chef.

Et Kierkegaard dit : Imaginez que Agamemnon - c’est là qu’on reconnaît le très grand Kierkegaard - heu...imaginez que Agamemnon ait eu des vents favorables, ou n’ait pas eu à partir...et un matin se soit levé en disant : « Tiens, il faut que je sacrifie mon Iphigénie... ». Alors les gens du quartier, les fiancées tout ça, lui disent « Non mais qu’est-ce qui te prend, pourquoi ? » (Rires de la salle) Il répond : « Pour rien, aucun devoir !... en raison de la puissance de l’absurde ! ». Tout le monde se dit : il est fou ! Et pourtant, vous reconnaissez un personnage qui s’oppose point par point à Agamemnon, qui surgit d’un autre livre, d’une autre civilisation, et c’est Abraham. Et pourtant il avait attendu son fils longtemps, longtemps, longtemps. Il y tenait. Et il faut qu’il sacrifie son fils, pas en vertu d’un devoir moral, pas en vertu d’une situation de fait, pas en vertu d’un désir, il désire pas. Alors en vertu de quoi ? Qu’est-ce que cette folie là qu’on nous raconte dans l’ancien Testament ? Mais c’est le domaine de la folie pure. Qu’est-ce qu’il lui prend ? C’est comme ça. "C’est affaire entre Dieu et moi". Indépendamment, au-delà de toute esthétique. Au-delà de toute éthique. On retrouvera ce problème, en tout cas Agamemnon,nous retenons juste, Agamemnon sacrifie sa fille parce qu’il n’a pas le choix. Tandis que l’autre là, Abraham il sacrifie sa fille parce qu’il a le choix. Très curieux ça, sacrifier sa fille parce qu’on a le choix, alors même qu’on ne le désire pas. C’est un grand mystère. Enfin, ce sont les mystères courants dans l’ancien Testament. Revus par Kierkegaard.

Alors ma question c’est essayons d’y voir clair dans ce mode d’existence : mauvaise foi, divertissement. Oh ! Bah là-dessus...là-dessus...heu...tout à l’heure, parce qu’il faut que j’aille au secrétariat.

Comprenez..., il y a toutes sortes de pensées sur le divertissement dans "Les Pensées" de Pascal. On a l’impression que c’est, heu...d’une simplicité, ça consiste à dire : bah ! Les gens, ils pensent qu’à s’amuser, au lieu de penser à leur condition et au rapport de cette condition, de la condition humaine avec Dieu. On se dit : ah bon, bah...oui ! Alors...heu...ça fait partie pour moi de ces choses qui sont pleinement de la pensée mais où il s’agit de - si vous voulez, je sais pas comment appeler ça - c’est les pages de la sensibilité de la pensée. C’est pas des pages, il y a...il y a plusieurs niveaux de la pensée : il y a la conceptualité de la pensée, et il y a aussi une sensibilité de la pensée. Alors, à première vue c’est des textes extrêmement décevants.

Et, il prend comme exemple typique, la chasse. Ça, c’est un exemple, c’est un exemple bien parce que c’est...c’est à la mode. Le chasseur. Et il dit : Bah oui vraiment le chasseur, c’est le cas même du divertissement. C’est-à-dire le pauvre type. Et ce qu’il dit évidemment, on a l’impression que quand même, il est trop simple hein, mais on peut ajouter des choses, ce sera du mauvais Pascal, ça changera pas l’essentiel. On finit par voir ce qu’il veut dire. Il nous dit ceci : bah voilà des types qui courent derrière des lapins, et puis qui disent ‘’ce lapin, je laurai, je l’aurai’’ (rires). Il prend ça, c’est ça voilà, voilà un divertissement. Ils courent derrière le lapin, ‘’je l’aurai !’. Alors il procède aussi suivant sa méthode, il va les ranger. Il dit est-ce qu’ils veulent vraiment un lapin ? Réponse : non ils veulent pas vraiment un lapin, parce que si je leur apporte un lapin, et que j’leur dise ‘’tiens voilà un lapin que tu veux, c’est un lapin’’ et ils vont pas être contents...ils vont pas être contents. Donc, c’est pas un lapin qu’ils veulent. Et lui, il conclue tout de suite parce qu’il est pressé. Il conclue tout de suite, il dit : voyez, c’est parce qu’il n’y a qu’une chose qu’ils ne voudrons jamais avouer, c’est que ils veulent "la chasse" et non pas la prise. Voilà la lettre du texte de Pascal. Vous me direz : éminemment décevant. Eminemment décevant en apparence, parce que on rencontrera toutes sortes de chasseurs pas plus malins pour ça qui reconnaîtrons très volontiers que ils veulent la chasse et pas la prise. et que chasser est un plaisir. Bien plus, si nous suivons notre méthode qui est aussi la méthode de Pascal, ce qu’on choisit, c’est jamais un objet, un terme, ce qu’on choisit c’est un mode d’existence subjectif qui comprend ce terme. Donc je dirais à la lettre : le chasseur, c’est pas le lapin qu’il choisit, c’est la chasse. Mais la chasse c’est un mode d’existence. Bien. Bon. C’est simple. Et si on dit au chasseur, alors reculons, voilà. Voyez, premier cas : j’ai, je fais mon rangement.
-  (a) je veux un lapin. Qu’on me donne un lapin ! Non je veux un lapin par moi-même.
-  (b) Non ce que je veux c’est la chasse.
-  Alors (c), bah supposez une question, mais pourquoi ? Pourquoi tu veux chasser ? Alors là, les réponses sont diverses. Bah, heu. Je veux chasser. Bah par exemple...heu y en a même qui iront jusqu’à dire, bah c’est pas tellement la chasse finalement, c’est une bonne promenade avec des copains. Une bonne promenade avec les copains. Là, et on est bien, on marche ...heu c’est pour marcher, c’est pour faire de l’exercice. Il y en d’autres qui seront plus compliqués, qui expliqueront l’affinité avec les bêtes. Heu. Bon, etcetera. Bien. Même celui qui dit, à la rigueur vous en trouverez qui diront : "mais oui, c’est pour, c’est par goût du mouvement !" La chasse est un type de mouvement qui me convient, c’est par goût du mouvement. C’est-à-dire c’est une manière de s’agiter. Bon.

Donc, ils diront exactement comme Pascal prétend qu’ils ne peuvent pas dire - Pascal dit qu’ils ne conviendront jamais que la chasse n’est pour eux qu’un moyen de s’agiter. Bah si ! On trouvera un tas de chasseurs pour convenirt que la chasse est un moyen de s’agiter, c’est-à-dire de prendre du mouvement. Est-ce que ça veut dire que Pascal ait tort ? Comment serait-ce possible, évidemment non qu’il n’a pas tort. Car ce qu’il veut dire le contexte le montre assez, c’est qu’il y a une chose dont aucun chasseur ne conviendra, voyez c’est ça qu’on est en train de chercher : de quoi ne conviendra pas un chasseur ? C’est ça notre question-épreuve. Il conviendra très bien qu’il veut tuer, qu’il veut faire du mouvement. Il conviendra. Les chasseurs modernes en tout cas - et au 17e ça devait pas être mieux - heu, ils conviendront très bien de tout ça, mais il y a une chose qu’ils conviendront pas, c’est quoi ? C’est que s’ils s’agitent pas, ils crèvent d’ennui dès qu’ils sont tout seuls avec eux-mêmes. Je veux dire, ça à l’air de rien mais c’est beaucoup ce que Pascal est en train de découvrir au fond d’une conscience, c’est ce que selon lui cette conscience, ne peut exister quand se le cachant. Ce mode d’existence là, peut très bien dire ‘’Oui je m’agite !’’ mais ce qu’il ne peut pas dire c’est ‘’je m’agite parce que dès que je suis tout seul, je crève d’angoisse et d’ennui’’. Là Pascal devient fort. En d’autres termes, je trouverais tous les gens du monde pour dire :‘’Oui j’aime le mouvement, nécessité psychologique", mais je ne trouverais pas de gens pour dire ‘’ Oui je choisis le tumulte parce que dès que je me trouve tout seul je sais, je sens, que je suis un pauvre type’’. C’est en effet ça quelque chose qu’on a intérêt à se cacher.

Voyez, je veux dire j’insiste là-dessus parce que le texte pris comme tel heu... un texte pris comme tel il paraît dire pas grand-chose et puis...heu...mais, voyez..."Ils ne savent que ce n’est que la chasse et non pas la prise qu’ils recherchent". Mais si ! Ils le savent, mais Pascal va vite, un peu comme les mathématiciens. Vous savez les mathématiciens quand ils créent quelque chose, pas quand ils enseignent, quand ils créent. Ils commencent une démonstration heu...l’essentiel, ils font comme une espèce d’esquisse. Ils démontrent pas tout, ils procèdent, il y a des ellipses énormes dans les textes des grands mathématiciens, alors ils lancent quelque chose là, ils commencent et puis ils laissent le reste, heu..., ou bien entre deux fragments, ils laissent un grand blanc. Là, à plus forte raison, Les Pensées qui ne constitue pas un livre terminé, j’ai l’impression que Pascal fait des ellipses énormes, il va au plus simple et puis tout à coup ‘’pan !’’. "Ce que ils peuvent pas se dire..."ainsi l’homme est si malheureux, là c’est...c’est le vrai Pascal, ainsi l’homme est si...oh !... (Bruits dérangeants d’avions, rires de la salle), heu... ainsi l’homme est si malheureux qu’il s’ennuierait même sans aucune cause d’ennui, par l’état propre de sa complexion. Et il est si vain, qu’étant plein de mille causes essentielles d’ennui, la moindre chose comme un billard et une balle qu’il pousse, suffisent pour le divertir." Tout plutôt, ouais ! Tout plutôt, hein, n’importe quoi, mais pas... Alors évidemment en tant que chrétien, Pascal va nous traduire ça mais c’est très indépendamment, ça peut être compris très indépendamment du christianisme, Pascal va traduire ça, sous la forme du rapport avec Dieu. A savoir que il ne supporte pas l’inscription dans la condition humaine d’un rapport avec Dieu et d’un face à face avec Dieu ...ce qui est une manière de...ce qui est une manière chrétienne de dire ce que je disais, sans référence au christianisme, à savoir cette espèce de prise de conscience :le soir, quand le tumulte - mot pascalien, la notion de tumulte - quand le tumulte s’est éteint, que le type se regarde dans sa glace, et se dit mais finalement, ou du moins a un pressentiment, à peine un pressentiment, que il a beau être riche, heu, avoir réussi socialement etc. qu’est-ce qu’il est ? Mais un crétin, un pauvre type ! Alors, voilà c’est ça le fond de cette conscience. Dès lors il va très bien pouvoir avoir conscience qu’il ne cesse de s’agiter, mais ce dont il n’aura pas conscience, c’est le pourquoi de cette agitation, à savoir, il n’en aura pas conscience pourquoi ? Puisque que toute sa conscience est faite pour fuir, cette conscience dans la conscience. C’est une conscience dans la conscience que toute la conscienceva s’efforcer de recouvrir, à savoir, la révélation que si je m’agite tant, c’est parce que je ne me supporte pas une seconde moi-même. Bon...alors là c’est très proche de Sartre.

Je veux dire lorsque Sartre lance sa grande analyse de la mauvaise foi. Il nous dit : attention - je résume beaucoup - la mauvaise foi ce n’est ni du mensonge ni de l’inconscient. Parce que la mauvaise foi ne peut être comprise que dans l’unité d’une seule et même conscience. La mauvaise foi est une opération qui ne peut être comprise que dans l’unité d’une seule et même conscience ce qui exclut le mensonge. Dans le mensonge il y a une conscience dédoublée, il y a une conscience double. Conscience de ce que je dis, et conscience que c’est pas vrai. C’est pas la mauvaise foi. Le mensonge n’a absolument rien à voir avec la mauvaise foi. C’est pas non plus de l’inconscient. Ce que veut dire Sartre c’est qu’il y a dans la conscience une conscience que cette conscience ne peut que recouvrir et se cacher. C’est ça l’opération de mauvaise foi. Et cette opération de la mauvaise foi, lui, va la trouver à sa manière, en disant : mais la mauvaise foi elle est exactement comme Pascal nous dit : le divertissement c’est le mode sur lequel nous existons. La plupart d’entre nous et la plupart du temps. Sartre dira : la mauvaise foi c’est la manière dont nous existons la plupart du temps et la plupart d’entre nous. Et il appelle ça le mode d’existence inauthentique. Et ça a l’air difficile de s’en tirer parce que, que ce soit la mauvaise foi à proprement parler, ou la sincérité, c’est pareil. La sincérité est de mauvaise foi et la mauvaise foi est sincère. C’est même cette union de sincérité et de mauvaise foi, c’est même cette identité de la sincérité et de la mauvaise foi qui définit le mode d’existence inauthentique. Le sincère c’est celui qui dit : voilà comme je suis. Pourquoi il est-ce qu’il est de mauvaise foi ? Voilà comme je suis ! je suis un bon garçon ! ...je suis courageux ! Heu...etc. Ou bien il dira : je suis lâche. Je suis un lâche. Sincèrement, je suis un lâche. Oh je suis un salaud ! Bon. Ça arrive. Sincérité : rien du tout !’’. Car lorsque je dis : voilà comme je suis, c’est délicieux à dire mais ça vaut le chasseur de Pascal, c’est du pareil au même. Lorsque je dis : voilà comme je suis, comprenez bien - Qu’est-ce qu’il y a à comprendre, d’ailleurs ? Il faut jamais dire des choses comme ça, jamais ! - Mais ce que je suis, je le présente nécessairement comme une essence. C’est-à-dire je me présente comme "étant ce que je suis". Tout ça c’est du Sartre ce que je vous dis. Dans la sincérité, je me présente comme "étant ce que je suis". Ou, comme "n’étant pas ce que je ne suis pas". Non, non, non, non, je vais trop vite. Dans la sincérité je me présente toujours comme "étant ce que je suis". C’est-à-dire ce que je suis, je le présente comme mon essence. Seulement voilà, il n’y a pas d’essence. Il y a pas Mon essence. Bien plus, cela devient contradictoire. Parce que comme je me présente comme mon essence et que c’est moi qui le présente, je prends par là même une distance par rapport à ce que je suis, je suis ce que je suis, de telle manière que moi, sincère, je puisse impliquer en même temps que je ne suis pas ce que je suis. Je suis ce que je suis c’est mon essence : sincérité. Mais moi qui vous le dis et qui existe je ne suis pas mon essence je ne suis pas ce que je suis, la preuve c’est que je vous dis : je suis un lâche. Comprenez, il est pas tellement lâche puisqu’il dit qu’il est lâche. En d’autres termes, en affirmant que je suis ce que je suis, je nie que je le sois.
-  C’est ça l’opération de la sincérité. Voyez moi, je me mets à découvert. Oh si vous saviez, et c’est encore pire que ce que vous croyiez, je suis lâche et méchant, sournois ! Ça, ça veut dire, je suis ce que je suis. Essence. Mais ça se complète pas. Moi qui vous le dis, je suis donc autre chose que mon essence. Moi qui vous le dis, existant, en tant que j’existe, je suis évidemment autre chose que mon essence, clin d’œil, vous voyez j’suis un bon garçon ! Je vous dis tout ça... La sincérité est empoisonnée : elle est parfaitement contradictoire. En d’autres termes, le sincère étant parfaitement de mauvaise foi.

L’autre pôle, la mauvaise foi, je ne suis pas, oh vous savez...je ne suis pas alcoolique !... je suis pas alcoolique. Heu...et le type il y croit, il y croit (rires de la salle). Je suis pas alcoolique ! Bon. La preuve, la preuve de sincérité, on va voir que c’est pas la même : J’arrête quand je veux (rires). Bon alors y a des cas où arrêter, ça veut dire quelque chose et où arrêter ce sera le vrai choix et l’existence authentique selon Sartre, c’est très très...mais il y a des cas où c’est vraiment de la routine. Hein, je suis pas alcoolique, j’arrête quand je veux ! Pourquoi ? Ça néglige un fait très important, c’est que l’arrêt fait partie de l’alcoolisme lui-même, où qu’il y a un type d’arrêt, qui fait partie de l’alcoolisme lui-même. C’est pour ça que se sera pas tellement difficile à distinguer le vrai arrêt et le pas-vrai arrêt. En effet, tout alcoolique n’est pas moins alcoolique en tant qu’il arrête, que pendant qu’il boit. En quoi l’arrêt fait partie de l’alcoolisme lui-même ? C’est le fameux "dernier verre". Et par définition dans l’alcoolisme y a un dernier verre. Il n’y a pas une continuité de verre c’est pas du tout, c’est pas du tout sous cette forme... (Arrêt de la bande).

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