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42- 24/05/83 - 1

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Deleuze - Cinéma cours 42 du 24/05/83 - 1 transcription : Antonin Pochan

Je suis sûr que c’est dans un western. Je suppose peut être, non je suis presque sûr que l’acteur est Steward. Je suppose vaguement que ça doit être un film de Anthony Mann. Et la scène qu’il me faut, si elle existe, parce qu’à la fin on dit bon.. la scène qu’il me faut c’est une scène qui commence assez classiquement comme dans beaucoup de western, c’est le cow-boy expérimenté qui apprend à tirer à un ptit gars. Euhhh, mais là, il y en a plein comme ça. Il lui apprend à tirer, je crois, et ce dont je suis alors presque sûr c’est que le dialogue - c’est le dialogue qui m’intéresse - c’est Steward, ou un autre à la rigueur, je ne sais pas - expliquant au ptit gars, il lui dit :" tu comprends, tu comprends mon gars, il s’agit pas du tout de tirer le premier, il s’agit pas du tout d’être le plus rapide, il s’agit d’imposer à l’autre une seconde de retard qui va le perdre". Il ne s’agit pas d’être le premier, il s’agit de forcer l’autre à être le second, il s’agit de forcer l’autre à être en retard. ça ne dit rien à personne ?

(Réponse d’une personne dans la salle)

C’est ça tout le monde me dit, alors vous pensez mon état à la fin, tout le monde me dit mais oui ça me dit quelque chose (rire dans la salle). Et je cherche parfois auprès de, de, de, de spécialistes et là je ne connais pas de spécialistes de westerns. Ca doit exister mais, je vous en supplie, cherchez ! (rire dans la salle). Non si ça vous vient pas tout de suite vous trouverez, c’est que ça vous dit rien.

Une personne de la salle parle : (on ne l’entend pas bien.) Puis Deleuze reprend : Je crois que c’est de Anthony Mann oui. Non rien. La personne reprend : C’est pas un film avec, tu dis c’est James Steward mais moi je me souviens d’un avec Brian Kit and, il est mort dernièrement le comédien.

Deleuze : Oui mais est-ce qu’il y a cette scène ?

La personne : il est dans une prison ou il va dans un prison quelque part tu vois dans le désert. Deleuze : Il lui apprend à tirer ? La personne :Oui, justement. C’est Brian kit...

Deleuze : On brûle.

La personne : ... et l’autre acteur c’est...

Deleuze : oui ça ça m’est égal oui, oui. Mais le titre du film ?

La personne : Euh je pense...

Deleuze : Ca je trouverais oui ça ça se trouve dans...

La personne : Parce que je connais trois ou quatre comédiens...

Deleuze : Comment qui s’appelle ton acteur ?

La personne : C’est Brian kit et l’autre il est mort, il a joué dans, vous savez les films qu’on avait fait à Hollywood avec, avec Yul Brynner. Non c’est pas ce film là, mais je suis sûr (on entend mal) comédien la.

Deleuze : Ouais, ouais.

La personne : Il est mort y’a deux, trois ans dans, dans ch’sais pas, le cancer.

Deleuze : Bah oui. (Rire de la salle).

La personne : (En riant) C’est pas drôle. Il apprend à tirer justement...

Deleuze : Oui mais...

La personne : Et puis après l’autre...

Deleuze : C’est pas apprendre à tirer, c’est cette phrase là qu’il me faut.

La personne : Lui apparemment il le dit, quelque chose... Deleuze : Il le dit ça ? La personne : (on entend pas bien).

Deleuze : Il semble. (Rire dans la salle). Ecoutez si quelqu’un d’entre vous trouve, à la réflexion, qu’il m’écrive, qu’il me télégraphie, (Rire dans la salle). C’est vraiment... bon. A qui c’est ça ? c’est à toi. Eh bah alors travaillons, puisque il y a rien d’autre à faire.

Alors donc j’en étais à cette histoire de la pensée comme jeu. Mais déjà présenter la pensée comme jeu est une chose choquante. Une chose choquante, et puis facile, et puis... Et pourtant on est bien forcé, c’est un mot commode à qui. Quoi ?

Une personne : C’était Steve McQueen à qui...

Deleuze : C’est McQueen !

La personne : à qui on apprend, c’est Brian kit l’apprend, tu vois.

Deleuze : Ok d’accord... (Cour silence). Alors, oui bon, euh il s’agissait pour nous de dégager une lignée c’est à dire il s’agissait pas du tout de nous attacher à ce concept de jeu qui n’a pas grand intérêt, mais ce qui m’intéressais davantage c’était d’essayer de dégager une lignée de penseurs. Et encore une fois quand on dégage une lignée, c’est un peu comme en technologie, faut pas s’étonner que les représentants de cette lignée soient extrêmement différents. Encore une fois j’ai toujours bien de la peine, parce que ça met en question la nature même du concept en philosophie. J’ai toujours du chagrin, quand j’entends les gens dire : ho, les généralités ça veut rien dire, et puis généralement quand ils disent ça ils assènent d’autres généralités encore plus plates, alors il faut pas parler du romantisme, il faut pas parler de ceci, de cela, il faut pas parler du symbolisme.

Moi je crois au contraire qu’il faut parfaitement en parler si l’on construit des concepts consistants. Et je vous disais là on a un beau cas, parce que c’est une lignée qui est plutôt souterraine, qui, y a comme ça à la lettre des écoles, ou des tendances, appelons ça des tendances, ou des courants. Y a des courants évidents et puis il y a des courants souterrains. Soit parce qu’ils ont sauté d’un point à un autre, soit parce que ils bifurquent trop, et peut être qu’on peut construire un concept en fonction de ces courants. Je disais moi, faisons presque comme deux lignes, je faisais une histoire très très rapide. Tout d’un coup comme véritablement un coup de foudre - je dis un coup de foudre parce que à ma connaissance on peut toujours encore une fois trouver des précurseurs, mais à ma connaissance ça éclate vraiment - le pari, le pari de Pascal. Et ça éclate en effet, à un moment, et c’est l’expression philosophique qui correspond - c’est pas l’expression de - mais le pari de Pascal émerge en effet à un moment où se développe en Mathématiques, ce qu’on appelle à cette époque, le calcul des chances. Donc c’est pris dans tout un contexte.

Et puis je suis forcé de faire un grand saut. En réaction contre Hegel, c’est à dire au A n’est pas non-A, de la dialectique Hégélienne tel que on l’a commenté autrefois. Au A n’est pas non-A, réplique et il le présente comme une réplique, comme une espèce de réfutation de Hegel, répond le : "ou bien...ou bien" de Kierkegaard. Ce que Kierkegaard appelle "l’alternative".

Et puis au XIXème siècle, il y a un courant français, qui avait une très grande importance au XIXème siècle, et qui aujourd’hui est tout à fait tombé depuis longtemps, est tombé complètement dans l’oubli, sauf les noms, sauf un nom - mais c’est des gens qu’on ne lit plus. C’est la justice du sort vous savez ! On ne lit plus, il y en a qu’on lit encore, qui sont moins bien... Il y a une école très bizarre dont le fondateur, était et s’appelait Renouvier. Il a énormément écrit, il a agité son époque parce que c’était un philosophe d’à coté, c’était un philosophe non-universitaire. Et apparaît avec lui sur un mode athée - alors que je parlais du christianisme janséniste de Pascal, du réformisme de Kierkegaard - là surgit le thème d’un choix, le thème d’une liberté-choix.

Il y a toute une conception discontinue du temps, et Renouvier c’est quelqu’un de très très curieux il me semble, très intéressant. Et il avait un ami, ce Renouvier, ami alors que lui, on lit d’autant moins que on ne le trouve plus, et que ce sont des fragments posthumes qui ont été publiés de lui, et il ne connaît qu’une gloire indirecte - car il a servi, ça a été un des vagues modèles, d’un célèbre roman de Guillou, roman qui présente un professeur de philosophie qui n’arrive pas à écrire, et qui est pourvu d’immenses pieds sur lesquels il peut marcher avec de grandes difficultés. Et c’était Jules Lequier, L, E, Q, U, I, E, R, qui écrivait des choses bizarres sous forme de dialogues, dont l’inspiration Pascalienne est évidente. Et qui reprend avec son ami Renouvier athée, qui reprend à sa manière le thème de la liberté, d’une liberté-choix.

Et puis je disais il y a, il y a, il y a Sartre. Il y a Sartre qui va développer énormément dans "l’être et le néant" et dans les ouvrages de cette époque. L’idée d’une liberté choix, et bien plus d’un choix qu’il appelle "le choix existentiel". Alors, soit, et de notre point de vue, je voudrais, parce que c’est quand même une pensée très complexe, c’est un courant très complexe, qu’est ce qu’ils veulent dire avec leur histoire de pari, d’alternative, et de choix ? C’est ça ma question. Qu’est ce que devient la pensée là dedans, c’est à dire quelle figure prend la pensée à travers ces opérations ?

Puisque vous vous rappelez, que la figure précédente qu’on avait trouvée dans la dialectique ancienne, dans la dialectique moderne et dans l’expressionnisme, de trois manières différentes, c’était d’une certaine manière une pensée toujours posée comme lutte et combat. Ah bon c’est ça la pensée comme jeu là, c’est cette espèce de pensée choix, alternative, pari. Je procède là en numérotant, parce que il faut être sensible à.. j’essaie de dégager. Alors je pars du plus bas, du plus simple, et je dis :

-  première remarque, première remarque sur ces auteurs et cette forme de pensée. De quoi s’agit-il à première vue ? Et bah à première vue il s’agit de classer. Il s’agit de classer, mais classer quoi ? Il s’agit de classer donc finalement ce qu’il y a à l’horizon du choix c’est, comme présupposé du choix, il y a un classement. Mais je dirais c’est un classement et pas une classification. Qu’elle serait la différence possible entre une classification et un classement ? Disons par exemple qu’une classification consiste à classer des choses à partir de ce qu’elles ont en commun. Le botaniste fait une classification, le zoologiste fait une classification, pourquoi ? Parce que il part des grandes familles, les divisent en grands genres, les subdivise en espèces etcetera. Une classification serait la division d’un quelque chose de commun.

Tout autre serait le classement. Classer c’est mettre en ordre des choses, qui dans "leur apparaître", je ne dis pas en apparence, qui dans leur apparaître non rien de commun. Ou en tout cas même si elles ont quelque chose de commun ce n’est pas en fonction de ce quelque chose de commun qu’elles seront classées. Je dis si j’arrive à mettre en ordre des choses qui en tant qu’elles apparaissent non rien de commun, à ce moment là je ne fais pas une classification, je fais un classement. C’est par commodité, c’est pour distinguer en effet ces deux cas que je distingue classification et classement.

Or je dirais, prenons alors, prenons des pages de Pascal. Ca saute aux yeux que constamment il nous propose des classements. Les "Pensées" de Pascal n’est ce pas vous le savez c’est un de ces livres, c’est un de ces livres mystères, puisque c’est un livre qui n’existe pas. Je veux dire c’est tout à fait l’équivalent de la volonté de puissance de, de Nietzsche c’est un livre projeté dont on ne saura jamais ce qu’il aurait été, c’est, bon des notes pour un livre, des notes pour un livre à venir - tellement à venir que, il viendra pas. C’est vrai ce qu’on voit dans les pensées de Pascal c’est à quel point Pascal s’amuse bon, et vraiment c’est une vraie joie, pour lui on sent que c’est ses moments de plaisir : faire des classements, au sens rigoureux que je viens d’essayer de donner à classement, c’est à dire mettre en ordre des choses, qui apparaissent comme n’ayant rien de commun. C’est à dire le classement c’est une classification qui ne précède, qui ne procède pas par genre et différence spécifique. Je peux dire que le plus grand classificateur de la pensée, a été Aristote, parce qu’il fondait précisément - et je crois que c’est Aristote qui fonde le concept de classification. Parce qu’il montre comment les genres sont spécifiés par une différence, et en sorte il fait de la classification.

Pascal on se dit, bah non on est dans une toute autre atmosphère, c’est un classement. Alors je donne quelques exemples comme ceux ci, pour que vous entriez dans l’atmosphère de cette pensée, je voudrais vraiment que vous les relisiez ou que vous les lisiez les pensées de, et tient parfois ça à l’air de rien c’est, c’est comme Nietzsche, souvent ça à l’air de rien. Voilà. "Il n’y a que trois sortes de personnes. Il n’y a que trois sortes de personnes, les unes qui servent Dieu, l’ayant trouvé, les autres qui s’emploient à le chercher ne l’ayant pas trouvé, les autres qui vivent sans le chercher ni l’avoir trouvé." Donc voyez y a ceux qui ont trouvé Dieu, mettons en gros les hommes de la foi. A l’autre bout ceux qui vivent sans Le chercher ni L’avoir trouvé, mettons les indifférents ou les athées. Entre les deux, les autres qui s’emploient à Le chercher et L’ont pas trouvé. Les premiers, je reprends le texte, les premiers, ceux qui l’ont trouvé Dieu, ceux qui ont trouvés Dieu, les premiers sont raisonnables et heureux. Les derniers, les athées, les indifférents ceux qui vivent sans Le chercher ni L’avoir trouvé. Les derniers sont fous et malheureux. Ceux du milieu, ceux qui Le cherchent et ne L’ont pas trouvé. Ceux du milieu sont malheureux et raisonnables.

Cela dit voilà comment, et on va voir d’autres exemples tout à l’heure, voilà comment Pascal pense. Vous me direz bon qu’est ce ça veut dire ? Pour moi ça donne complètement raison à, à encore une fois à Michel Serres, lorsque Serres dit : "mais Pascal ça n’a rien à voir avec une pensée dialectique", et si il le dit, et si c’est important qu’il le dise c’est précisément parce que beaucoup de gens font de Pascal, une espèce de précurseur de la dialectique moderne, une espèce de pré Hegel. Et que beaucoup de marxistes - et que tous les marxistes mêmes, à ma connaissance qui se sont affrontés à Pascal - ça a été pour en faire une espèce de dialecticien. Or vous sentez que cette pensée c’est une pensée, au contraire, telle que je viens de la lire du ou bien...ou bien, qui n’a strictement rien à voir avec de la dialectique. Urgence de resserrer là les concepts, tantôt il faut les élargir, tantôt il faut les resserrer, c’est pas, on est dans une atmosphère toute autre, dans une manière de pensée toute autre. Car il fait un classement.

Et voyez que ce classement produit quoi ? Alors. Ce classement qui n’est pas une classification pui,sque il ne présuppose rien de commun entre les trois. Il y a trois sortes de personnes, il n’y en a que trois. Il n’y a que trois sortes de personnes. Qu’est ce qu’elles ont en commun ?
-  Premier cas, raisonnable et heureux.
-  Deuxième cas, raisonnable et malheureux.
-  Troisième cas, non raisonnable et malheureux.

Qu’est ce que c’est que ça ? Je dis juste pour en finir avec ce premier, ces premières remarques formelles, c’est une, on appellera ça, une alternance. C’est une alternance, A, B, C.

Quoi ?

Question dans la salle : Tu peux passer au secrétariat après ton cours ?

-  Deleuze : D’accord, d’accord. Tu t’en vas à quelle heure ?

-  Avant midi.

Deleuze : D’accord.

-   : A tout à l’heure.

Euh, bon, deuxième cas, un texte là comme ça, pour heu, heu, il y a un texte de Pascal qui est très intéressant, comme ça, mais on en trouve plein dans ça... Il pose la question qui n’a l’air de rien, est ce qu’il convient d’honorer les personnes de grande naissance ? Est ce qu’il convient d’honorer les personnes de grande naissance ? Bon. Alors voilà le développement du texte que je résume. Le peuple les honore parce qu’il en a peur.
-  Petit a, le peuple les honore parce qu’il en a peur.
-  Petit b, les demi-habiles, les demi-habiles les méprisent parce qu’ils disent ; "on me la fait pas". C’est des hommes comme les autres.
-  Petit c, les habiles les honorent, parce qu’ils disent :" ils ont le pouvoir, faut en tirer quelque chose."
-  Petit d, les dévots les méprisent au nom de la justice de Dieu.
-  Petit e, les Chrétiens les honorent au nom de la charité.

Pensée extrêmement intéressante, moins par son contenu que par sa forme. Là on voit typiquement le procédé du classement. Mettre en ordre indépendamment de tout genre commun, mettre en ordre sous la forme ou les espèces d’une alternance. L’alternance là est encore bien marquée puisque :
-  Petit a le peuple honore, pour des raisons différentes, pour des raisons différentes qui n’ont rien de commun. Petit a le peuple honore.
-  Petit b, les demi-habiles, heu, méprisent.
-  Petit c, les habiles honorent.
-  Petit d, les dévots méprisent.
-  Petit e, les vrais Chrétiens honorent.

C’est une alternance de honorer, mépriser, honorer, mépriser, honorer, mépriser. Et chaque cas est différent. Exemple plus sérieux parce que, qu’est ce que fait - et là je vais très vite puisque j’en ai parlé précédemment - qu’est ce que fait Pascal en tant que mathématicien ou physicien ? Il fait des classements, je vous ferais remarquer que la géométrie euclidienne, elle, fait beaucoup plus- je peux pas dire qu’elle ne fasse que ça - mais que la géométrie euclidienne fait des classifications. Et qu’il est bien dit pour Euclide qu’il est bon de procéder en géométrie par genre et différence spécifique. A ce moment là on fera une classification des figures. On verra celles qui ont quelque chose de commun, et par exemple les courbes, et l’on prendra les courbes comme genre, et on fera jouer les différences spécifiques pour obtenir les différentes espèces de courbes. On fera une classification.

Pascal ne fait pas de classifications, Pascal fait, grâce à des méthodes extraordinairement nouvelles en mathématiques, Pascal fait un classement. Ce classement repose sur quoi ? on va trouver le point de vue, là on avance un peu, mais on l’a vu la dernière fois, là on le voit mieux, on le retrouve mieux, semble à un niveau plus profond, trouver le point de vue sous lequel des hétérogènes se laissent ranger.
-  Trouver le point de vue sous lequel des hétérogènes se laissent ranger. Ce qui est tout à fait différent de la méthode de classification, qui consiste à trouver - donc trouver le point de vue subjectif - point de vue ça renvoie à sujet.

Trouver le point de vue c’est à dire le point de vue subjectif sous lequel des choses hétérogènes se laissent ranger, au lieu de trouver le point objectif, c’est à dire le genre, qui en se divisant, me donne une classification des choses en fonction de leur homogénéité. Et je disais qu’est ce que c’est que la grande théorie au XVIIème siècle des sections coniques ? Qu’est ce qu’ils apportent de nouveaux par rapport aux mathématiques grecques qui connaissaient déjà les sections coniques ? C’est exactement ça. Dans un très court traité des sections coniques, Pascal va affirmer précisément, quoi ? Et ben un classement et pas une classification. Un classement d’un certain nombre de courbes saisies, appréhendées comme n’ayant rien de commun les unes avec les autres. Elles n’ont rien de commun les unes avec les autres c’est à dire elles n’ont pas genre commun, dès lors ce qui assurera le classement c’est trouver "un point de vue", d’après lequel elles se laissent ranger, et se laisser (changement de bande...).

Le point de vue c’est ce qui me laisse ranger les choses hétérogènes, les choses incommensurables entre elles et qui me les laisse ranger en fonction de ceci que de ce point de vue apparaît une alternance entre ces choses. Et c’est un procédé de pensée ça, il me semble, qui est pas, qui est pas inventorié, qui est pas classique, c’est ce que j’appellerais "une typologie".

Alors vous aurez et vous sentez qu’on est en plein dans notre sujet.
-  Ce rangement des choses en fonction d’un point de vue qui établit entre elles, qui introduit entre elles une alternance, c’est le ou bien... ou bien. C’est déjà le ou bien/ou bien on est en plein dans notre sujet. Hélas ! ce n’est qu’un point de départ. Et je disais, bon en effet, les sections coniques, vous voyez votre cône, vous voyez le sommet de votre cône et puis les coupes, toutes les coupes que vous pouvez faire. Or les coupes que vous pouvez faire, vont vous donner - supposons pour rester aux cas les plus simples, c’est pas, il y en a d’autres encore - mais pour rester aux cas les plus simples, ça va vous donnez, un cercle lorsque - vous vous rappelez j’ai pas besoin de recommencer - lorsque la coupe est parallèle à la base du cône, un cercle.
-  Lorsque la coupe est de biais, une ellipse. Lorsque la coupe, coupe en fait ces deux cônes, comme ça, vous voyez qui sont, heu,
-  lorsque la coupe est verticale ça va vous donner une hyperbole.
-  Lorsque la coupe est de biais, heu, de biais verticale, ça va vous donner une parabole.

Bon pour en rester aux cas les plus simples, vous avez quatre courbes. Est ce que, le point de vue c’est quoi ? Voyez Pascal ne cherche pas un genre commun à ces quatre courbes, il cherche un point de vue sous lequel ces quatre courbes se laissent ranger.
-  Ce point de vue, c’est l’oeil mis au sommet du cône. Bon. Comment le ranger ? Bah vous remarquez que, d’après la nature des coupes certaines courbes sont fermées, certaines courbes sont ouvertes. Cercle, ellipse sont fermés, hyperbole, parabole sont ouvertes. Vous pouvez remarquer autre chose, certaines coupes sont rectilignes, celles qui donnent le cercle parallèle à la base du cône, ou bien celles qui donnent l’hyperbole cette fois ci en horizontale coupant les deux cônes. D’autres coupes sont de biais, bon. Ca vous donnera l’alternance suivante, par exemple : vous pouvez établir l’alternance cercle fermé/ coupe rectiligne, hyperbole, ouvert/ coupe rectiligne, ellipse, fermé/ coupe de biais, parabole, ouvert/ coupe de biais. Formidable, il a mis une alternance, c’est à dire il a rangé les courbes sans passer par un genre commun. Il a rangé de purs hétérogènes en introduisant une alternance entre les cas.

Voilà que l’alternance des cas se substitue à la définition ou à la classification par genre et espèce. Remarquez qu’on retrouve ce problème partout hein, parce que là aussi c’est des choix de pensées qui sont très, très importants. Je pense au Droit. En Droit, le code procède très souvent de manière aristotélicienne, c’est à dire par classification des délits. Un genre aura ses différences, alors vous aurez par exemple une première différence : meurtre, assassinat :
-  avec préméditation,
-  sans préméditation,
-  en légitime défense.

Vous pouvez constituer des genres juridiques avec les différenciations, et les spécifications qui vous donnent des espèces.

En somme vous direz que le code est une classification que le code pénal est une classification des délits. Et c’est un tout autre procédé sentez que vous pensez pas du tout de la même manière, et que on est constitué un, qu’on a des natures de pensées assez alors, y a des gens qui arrive pas à penser sous telle ou telle forme c’est très curieux. Mais heu, et je crois même qu’il y a tout un domaine du Droit qui finalement est le seul domaine vraiment intéressant et créateur du Droit, à savoir la jurisprudence qui est l’étude des cas. L’étude des cas qui font problèmes, c’est à dire là où la classification des cas qui ne répondent pas à la classification. Et là vous mettrez les alternances, vous allez retrouver le problème de la jurisprudence ce sera : trouver le point de vue subjectif, c’est pour ça que le législateur a deux sens complètement différents,
-  le législateur c’est tantôt celui qui assigne les grands genres, c’est le législateur Aristotélicien si j’ose dire,
-  et puis il y a le législateur Pascalien, l’homme de la jurisprudence, à vrai dire il n’est pas législateur puisqu’il ne fait pas la Loi, il la fait bouger lui, et il établira des alternances entre cas.

Je reprends un exemple qui m’est cher parce que ça fait tout comprendre de la jurisprudence, si vous, si vous me permettez. Heu, cet exemple il m’a, il m’a laissé rêveur longtemps, et c’est pour vous montrer que, que c’est vraiment une méthode, cette méthode que j’essaie, cette méthode de classement. Voyez j’ai trois notions pour le moment, pour définir cette méthode.
-  Point de vue subjectif, qui permet,( deuxième caractère), qui permet de classer des hétérogènes sans passer par un genre commun.
-  Troisième caractère, ce classement consistant en une alternance des cas.

Je dis que c’est très important ça, cette pensée là. Et comprenez que les gens qui pensent de cette manière bah ils ont bien des chances de pas ce comprendre avec ceux qui pensent de l’autre manière d’un genre différent ou avec ceux qui pensent dialectiquement. Qui aura des confusions et que je crois que les gens discutent tout le temps, si les gens sont pas d’accord c’est parce que, bah oui, c’est vraiment pas les mêmes problèmes qui posent, vous avez pas du tout les mêmes types de problèmes, dans un cas ou dans l’autre.

Je prends l’exemple suivant : vous prenez un taxi, vous fumez, le taxi vous dit c’est interdit de fumer, vous lui dites :" je vais te faire un procès toi, je vais te faire un procès". Alors ça veut dire quoi lui faire un procès au chauffeur de taxi qui vous a défendu de fumer ? Vous faites le procès, c’est un cas de jurisprudence - ça ne l’est plus maintenant. Mais il y a, parce que la question est réglée - mais y a eu un temps que je me place dans l’instant la question n’était pas réglée. Heu, il n’y avait pas de règlement administratif. Là y a un règlement le taxi a le droit d’interdire de fumer.

Mais au nom de quoi juridiquement ? c’est très intéressant le Droit. Et ben voilà, et ben voilà pourquoi. Je fais le procès du temps où c’était possible, et moi je dis en tant que plaignant, lorsque je prends un taxi, je fais avec le taxi un contrat de location. Je loue le taxi, l’opération par laquelle je prends un taxi est une, juridiquement, est une location. Par définition le locataire a le droit d’user, non pas de détruire mais d’user, et d’abuser de sa location, un propriétaire ne peut pas m’interdire de fumer dans les locaux qu’il me loue. J’ai donc le droit de fumer dans le taxi.

-  Petit a, j’ai fait un petit a. L’avocat du chauffeur répond pas du tout. Pas du tout c’est pas ça. Le taxi ne peut pas être assimilé à un local d’habitation privé. Quand vous prenez un taxi vous ne faites pas un contrat de location, car le taxi est un service public. En tant que service public le taxi a parfaitement le droit - et c’est le privilège du service public - d’interdire de fumer, bon.

-  Petit b, nous vla bien. Petit a : taxi local loué, habitation, habitation mobile louée.
-  petit b service public non loué.
-  Petit c, d’accord que je dis, mais même avec un service public, est ce que je ne passe pas un contrat ? En effet quand vous prenez l’autobus il y a un rapport contractuel, qui intervient ou lorsque vous prenez le métro, c’est au nom de ce rapport contractuel que si vous vous cassez la jambe dans le métro, le métro est responsable. Il y a donc un rapport contractuel avec. Alors d’accord le taxi est un service public, mais est ce que en lui, comme service public le rapport contractuel ne l’emporte pas sur l’autre ? Quel est l’autre rapport compris dans le service public ?
-  Petit d, l’autre rapport compris dans le service public, c’est un rapport statutaire, le statut s’opposant au contrat. Et c’est parce que le service public n’entretient pas seulement un rapport contractuel avec ses clients mais embrasse et définit un rapport statutaire, par rapport à sa fonction, qu’il peut interdire de fumer.

Bon, voilà que mes cas se développent à l’infini. Offense à la pudeur. Offense à la pudeur. Petit a, s’intéressait beaucoup au droit, Leibniz aussi s’intéressait au droit, et il ne disposait pas d’exemple aussi moderne.

Offense à la pudeur, bon.
-  Petit a, ça consiste à faire offense à la pudeur des autres. Tout d’un coup je me mets tout nu, bah offense à la pudeur quoi, la pudeur des autres, il semble qu’il n’y ait pas de problème. Seulement j’interprète comme ça, l’article de la loi sur l’offense à la pudeur, si j’interprète comme ça j’ai pas moyen de coincer un certain nombre de gens. Par exemple je ne peux pas dire qu’il y ait offense à la pudeur lorsqu’il y a un spectacle pornographique devant des personnes qui ont payé pour. Alors c’est embêtant si je veux les coincer en tant que juriste, comment les coincer ? Ah mais c’est que alors là, il faut que je cherche parce que c’est très complexe. Il faut que j’ai l’idée tortueuse suivante que : offense à la pudeur, ne renvoie pas à un petit a seulement qui serait offense à la pudeur de ceux qui voient, mais que offense à la pudeur peut renvoyer à l’offense à la pudeur de celui qui fait l’acte délictueux. Il offense à "sa propre" pudeur, à ce moment là cric crac je peux le coincer. Et coincer les spectateurs dès lors, puisqu’ils ont participé à cette opération par laquelle quelqu’un offensait à sa propre pudeur à lui. Là aussi j’ai fait un classement, j’ai

fait des alternances. Voyez mon alternance taxi, habitation louée, service public, relation contractuelle dans le service public, relation statutaire dans le service public. J’ai rangé, c’est ça ranger. C’est ça classer par opposition à classifier.

Bien, dès lors terminons cette dernière remarque dans un tout autre domaine puisqu’on essaie d’accumuler des objets. Dans le domaine de l’image, de l’image. De l’image et de l’esthétique, cette fois-ci. On a vu des exemples de toutes sortes, hein. Il faut en effet que vous arriviez à prendre vos exemples un peu partout pour euh, pour constituer un concept.

Alors nous on a vu les exemples scientifiques, moraux, juridiques, bon passons à des exemples esthétiques. Il y a un certain nombre d’artistes. Soit, des peintres, soit des auteurs de cinéma, qui nous mettent en présence de ce qui ressemble bien à des alternances. Notamment alternance de blanc et de noir. Dans le cas du cinéma non couleur, alternance de blanc et de noir et qui sont célèbres par leur art de ces alternances. Soit par la succession des images, soit dans la même image. A la limite ils atteignent un très haut stade esthétique qui ressemble singulièrement à une sorte de pavage : un carré blanc, un carré noir, un carré blanc, un carré noir, tiens ! Est ce que le pavage ne saurait pas précisément un des cas typiques, de ce dont nous parlons depuis le début ?

Qui c’est ces auteurs qui savent faire alterner si bien, si profondément le noir et le blanc ? Ah c’est Dreyer, célèbres sont les scènes de Dreyer, où l’alternance du noir et du blanc extrêmement savante, avec par exemple, des silhouettes verticales noires qui flanquent un lit horizontal blanc. Des alternances parfois beaucoup plus complexes qui se font vraiment par tranches. Ou bien alternance d’une image à une autre, les exemples de Dreyer, pas dans "Jeanne d’arc", on verra pourquoi, on aura peut être l’occasion, parce que c’est un film pratiquement blanc. Mais quand il procède pas avec du blanc pur, il procède par des alternances de blanc, de noir, et d’ombre. Après tout est ce que ça ne fait pas écho avec les trois personnes de Pascal ?
-  Le blanc, mettons, sûrement ça fait pas, ça correspond pas oui, on peut pas dire le blanc c’est l’ordre de la vertu,
-  le noir c’est l’ordre du mal,
-  le gris c’est l’ordre de l’incertitude.

Y a au moins un film de Dreyer où il joue des gris avec génie, c’est "Vampyr", dont le héros est précisément l’ordre de l’incertitude. Dans "Ordet" ou dans "dies irae" les alternances de blanc et de noir sont célèbres. Chez Bresson sous une tout autre forme, parce que chez Bresson, chez Dreyer y a une tendance tout à fait, il y a une tendance euh, il y a une tendance comme "scandinave" au pavage. Chez Bresson c’est plus du tout un "pavage", mais les alternances de blanc et de noir, notamment dans "le journal d’un curé de campagne", intègrent, ils sont considérés comme une espèce de sommet de l’art de la lumière chez Bresson.

Bon qu’est ce que j’en tire là ? Déjà quelque chose en peinture, pensez aux grands peintres du blanc et du noir, bon et ben, qu’est ce que, qu’est ce qu’il y a d’intéressant pour nous là dedans ? Voilà c’est que précédemment, et si je reprends un thème qu’on a développé l’année dernière et retrouvé cette année. Je disais il y a toutes sortes aussi bien au cinéma qu’en peinture, il y a toutes sortes d’artistes pour qui le problème fondamental c’est quoi ? C’est le problème d’une lutte, d’un combat de la lumière et des ténèbres. L’ombre traduisant les moments de ce combat. Violent combat de la lumière et des ténèbres, ou si vous préférez de la lumière et du noir. Et ça c’est vraiment la base de l’expressionnisme et la lumière expressionniste.

J’en retire deux choses quand à l’expressionnisme, quand à cette tendance, opposition de la lumière et des ténèbres et ce qui en découle, combat entre les deux.
-  Premier caractère, la lumière a à faire avec son opposé, le noir, le noir des ténèbres.
-  Deuxième proposition, dès lors il y a un combat de la lumière et des ténèbres, je dirais que l’expressionnisme est strictement inséparable de cette conception de la lumière.

Et l’année dernière j’essayais de former alors une notion qui était celle que j’appelais abstraction lyrique. Et que j’avais définit d’une première façon et que maintenant alors on a fait un progrès, je suis plus capable de le définir de deux façons.

-  Première façon de ce que j’appelle "l’abstraction lyrique", là, c’est ceux pour qui la lumière n’a pas du tout à faire avec le noir, avec les ténèbres. Que le vrai problème de la lumière pour eux, c’est un problème très second. Pour eux le vrai mystère de la lumière est, le vrai problème de la lumière c’est son rapport avec le blanc. Ils disaient que c’est par là, que eux mêmes, quand ils disaient par là par exemple qu’un auteur comme Steinberg est le contraire d’un expressionniste, son affaire c’est le problème de la lumière dans ses rapports avec le blanc.

Seconde proposition, bien sûr ça n’empêche pas qu’il y ait chez eux des noirs, et qu’il y ait chez eux de l’ombre. Et oui seulement ça ne sera jamais sous la forme d’un combat. Le second principe de l’abstraction lyrique,
-  le premier étant la lumière a fondamentalement à faire avec le blanc,
-  le second principe de l’abstraction lyrique se sera : le blanc, le noir et le gris, n’entre jamais dans un combat mais dans une alternance. Et peindre ou construire une image ce sera : faire alterner le blanc, le noir et le gris. Ce sera une alternance.

Bon, voilà mon premier point. Plus on va lentement mieux que ce sera, parce que, on tient comme même un concept alternance, remarquez que je suis loin vous sentez tous que ce à quoi je veux en venir c’est à l’alternative. Mais l’alternative, accordez moi je me la donne pas du tout. Il faut vraiment que je la construise par un cheminement, pour le moment j’ai tout au plus l’alternance, une fois dit que l’alternance, je suis capable de la définir, comme étant : le classement par différence avec la classification. Et comme impliquant un point de vue subjectif d’après lequel je peux ranger des choses hétérogènes. Le blanc, le noir, le gris ne seront plus saisis comme en des rapports d’oppositions, ce seront des choses hétérogènes que je classe, et que je classe en les faisant alterner. Il n’y aura, vous sentez déjà, il n’y aura aucune "lutte" entre le blanc, le noir et le gris, il y aura tout au plus et au mieux, un choix à faire.

Que vais je mettre là ?
-  Dans quel cas du blanc ?
-  Dans quel cas du noir ?
-  Dans quel cas du gris ?

Voilà notre problème, c’était donc ça ma première remarque. Voilà ce que c’est le point de départ d’une typologie. Ce qui m’importe c’est que vous reteniez cette différence entre classification/classement. Je dirais Pascal ne fait jamais de classification il fait des classements, et faire des classements est une activité tout à fait nouvelle par rapport, classer c’est tout à fait nouveau par rapport à classifier. Bon c’est vu ça, pas de problème, tout va bien. Personne prend la parole : Est ce que l’exemple là du blanc, à propos du blanc et du noir est ce qu’on ne le trouve pas dans Malevitch. Le carré blanc sur fond blanc, le carré noir sur fond...

Deleuze : Si bien sûr, bien sûr oh oui, oh oui, on le trouve chez Malevitch, on le trouve en peinture, on le trouve, où on le trouverait alors, on le trouverait à un point très haut chez, chez les Japonais je crois, je ne sais pas. Oui ! il y a toute une histoire hein, on le trouve chez Gaston Joxe, ouais, ouais, ouais, et je crois qu’on le trouverait avant, moi ce qui m’intéresserait c’est dans la peinture classique là, les alternances de blanc et de noir, et, et la lumière qui est pensée par rapport au blanc, on la trouverait, qui n’est plus du tout pensé par rapport,..c’est même assez tardivement faut dire que ce qui serait nouveau là, heu, dans la peinture peut être que ce qui a été nouveau ça était de penser la lumière directement par rapport au noir. Elle a été beaucoup plus tôt, elle a été beaucoup plus tôt pensée par rapport au blanc, même techniquement pas seulement pensée mais c’est aussi une question des enduits tout ça, heu, la lumière pensée directement par rapport aux ténèbres et par rapport au noir c’est, c’est, je sais pas, c’est le Caravage, c’est euh peut être.

Deuxième remarque, oui c’est très dur parce que les enduits, les enduits sombres, tout dépend de comment vous enduisez votre toile. Les enduits sombres, je crois que c’est très tardif, XVIIème hein.(Une personne dans la salle parle, mais on ne l’entend pas bien) C’est ce qu’on appelle la préparation rouge, mais rouge brun, rouge brun ben oui, avant on enduit à quoi, avec de la craie ou je ne sais pas quoi, du lait, de c’est quoi (réponse dans la salle que l’on entend pas), c’est blanc, c’est à dire le premier problème de cet enduit, quoi que ce soit qui le recouvre c’est le rapport de la lumière avec le blanc. Je veux dire c’est même sous le tableau que ça se pose, c’est pas, c’est pas dans le tableau seulement, tout comme y a sûrement là en cinéma des problèmes de pellicule heu, qui interviennent dans les noirs et blancs.

Bon, deuxième remarque. Alors on a donc une typologie, ce rangement par alternance, et c’est une typologie de quoi ? Elle porte sur quoi la typologie ? Je prends les sections coniques. Est ce que mon rangement, ma typologie porte vraiment sur les figures ? Et ben non, parce que c’est très joli, dans la classification, la classification elle, elle porte sur des figures, et des figures définies par leur essence. L’essence d’une figure ce sera son genre plus sa différence spécifique. Je peux dire, la classification porte sur des figures comme essence.
-  Et en effet classifier c’est mettre en ordre les essences. Hein, tandis que mon histoire des sections coniques selon Pascal, quand il classe cercle, hyperbole, ellipse, parabole, est ce qu’il classe des figures définies par leur essence ? Non, non, non, non, et non. Pourquoi y a aucun genre, aucun différent, aucune différence spécifique ? Il a donc pas des, à la lettre, il classe pas, allons jusqu’au bout, non seulement il fallait un point de vue subjectif pour faire le rangement dont je parle, mais ce qui est rangé c’est pas des objets. C’est pas des objets définissables par une essence, c’est pas des choses définissables par une essence. Qu’est ce qui est rangé dans le rangement Pascalien des sections coniques ?

-  Bah ah c’est une seconde remarque infiniment précieuse, ce qui est rangé c’est des modes d’existence. De quoi ? Mode d’existence du cône sur un plan de projection. Le cercle c’est la manière dont le cône existe sur le plan de projection lorsque ce plan le coupe, suivant une parallèle à la base. Evident. L’ellipse c’est un autre mode d’existence du cône sur un autre plan de projection, etc.

Je dis, je n’ai pas - en atteignant au point de vue subjectif, je n’ai pas rangé des essences car pour ranger les essences faut être platonicien ou aristotélicien, on en sort pas - c’est pour ça qu’il n’y a rien à leur objecter. Mais simplement quand j’emploie non pas des classifications, mais des classements c’est que je me propose autre chose.
-  Je me propose de ranger des modes d’existence. Les sections coniques sont autant de modes d’existences du cône sur le plan de projection, voilà.

Je reprends les textes de Pascal, lorsqu’il se demande : "les hommes d’illustre naissance sont ils méprisables ou honorables ?" Il range, il range quoi ? quand il parle : le peuple, les demi-habiles, les habiles, les dévots, les vrais chrétiens, il s’agit de modes d’existences par rapport aux gens illustres. Ca désigne des modes d’existence. Et les trois cas par rapport à Dieu : celui qui a trouvé Dieu, il est, nous dit-il, heureux et raisonnable, celui qui le cherche pas, il est malheureux et fou, celui qui le cherche et le trouve pas, il est raisonnable et malheureux. Mais on pourrait s’y laisser prendre, c’est pas genres et différences spécifiques, il est en train de définir trois modes d’existence de l’homme par rapport à Dieu.

Je reprends mon exemple de Proust. Est ce que je vais aimer : c’est-y Albertine, que je vais aimer ? Ou bien c’est-y Andrée ? ou c’est-y Giselle ? Ce que je range, c’est pas Albertine, Giselle, Andrée, et tout le groupe des jeunes filles, tout y passe - je ne sais plus combien elles sont - mais euh, tout y passe, elles sont là, elles sont rangées dans mon esprit. Mais l’alternance c’est quoi ? le rangement c’est quoi ? jamais le narrateur oserait ranger des jeunes filles. En revanche ce qu’il est parfaitement en droit de ranger, c’est les modes d’existences qu’il aurait à supposer que, il soit amoureux : celle-ci, plutôt que de celle-là, plutôt que de celle-là, et celle-là, plutôt que de celle-ci. Il peut dire : "ah oui celle-ci", et il peut tomber sur le pire mais elle fait partie du rangement, "avec celle-ci je suis sûr d’échouer", c’est à dire "je peux être amoureux d’elle, elle, elle ne le sera pas de moi". Bah c’est celle-là que je vais prendre, c’est celle-ci, c’est celle-ci, c’est celle-ci, pourtant je sais d’avance qu’elle m’aimera pas. C’est à dire je m’offre un amour malheureux. Bon si j’ai bien fait mon rangement c’est très légitime, il y a pas de loi, je pense que bon, je m’offre un amour malheureux. Bon, il est bien connu qu’il y a des gens qui passent leur vie à s’offrir des amours malheureuses (rire de la salle). On arrive pas à croire qui ne le savent pas, ce qui va nous faire progresser vers des choses bien, bon. De tout manière qu’est ce que on est en train de passer, on est en train de changer notre concept. L’alternance des cas renvoie en fait, à des alternatives entre modes d’existences.
-  En d’autres termes, le point de vue subjectif c’est à dire le choix, le point de vue subjectif ou le choix se fait - non pas entre des choses parce que les choses renvoient à des essences, qui elles mêmes sont justifiables d’une classification - ne renvoit ni à des choses, ni à des termes - le point de vue subjectif, c’est à dire le choix porte sur des modes d’existences, et des modes d’existences de quoi ? Evidemment le choix porte sur des modes d’existences de celui qui choisit.

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