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39- 26/04/83 - 2

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Deleuze - Cinéma cours 39 du 26/04/83 - 2 transcription : Jean-Charles Jarrell

0’00 ... du rouge... De quel point de vue ? Du point de vue de notre deuxième ordre de recherche, sur le temps. C’est à dire, ce deuxième ordre de recherche sur le temps, c’était non plus l’image indirecte du temps obtenue à partir du mouvement, mais l’image indirecte du temps obtenue à partir de la lumière.

En d’autres termes, c’était ce que le musicien Messiaen nomme, en intitulant une de ses œuvres, « chronochromie ». Et dans « chronochromie », le texte de Messiaen invoque l’ange de l’apocalypse, couronné de l’arc en ciel. Et voilà que deux d’entre vous étaient intervenus justement pour dire que, à propos du rouge, il y avait quelque chose de bien important qui apparaissait, et qui se passait chez Matisse. Et moi je ne savais pas, et j’ai pas eu le temps d’aller voir les écrits de Matisse. Et voilà... Si bien que c’est à vous, là, de dire... si il y en a qui... Est-ce qu’il y a un rouge de Matisse, là, qui a quelque chose d’important pour nous, juste à ce moment là où... hein...

1’58 Intervenant : Ce que remarquerais, déjà, sur le rouge de Matisse, c’est que c’est un rouge qui est régulièrement apaisant. D’ailleurs, les deux tableaux où il est question... où il y a ce rouge, (...) ce sont deux tableaux -l’un s’appelle « l’atelier rouge » l’autre s’appelle « intérieur rouge », la première chose que je voudrais en dire, comme ça, c’est un sentiment. On a un immense sentiment de paix intérieure.
-  G.D : Oui... Intervenant : C’est déjà pas mal ! (rires)
-  G.D : Certes. Certes, certes... mais c’est donc une paix intérieure très spéciale, c’est celle du rouge...
-  I : C’est une paix qui n’a rien à voir avec ce que, toujours à propos du temps, Bachelard appelait du repos. (...) C’est une paix qui n’est pas une paix de repos, je dirais que c’est une paix intensive.
-  G.D : Oui... Lorsque.... Je me rappelle mieux, là, j’y ai pensé mais, lorsque Kandinsky parle du rouge, car Kandinsky aussi sentait... s’y connaît bien en rouge, lui le schéma qu’il propose, c’est très curieux -Ah ben il me faut ma craie, tiens ! ma craie... j’ai amené ma craie-, je crois, je crois me rappeler que c’est ça le petit dessin qu’il propose, vous voyez... il nous propose un petit dessin... oh, la la... il nous propose un petit dessin du jaune, et un petit dessin du bleu... Son petit dessin du jaune, c’est... (dessin au tableau) c’est l’expansion, c’est le chaud. Son petit dessin du bleu, c’est... (dessin au tableau) c’est le froid, c’est la rétraction. Et son dessin du rouge, ça répondrait tout à fait à ce que tu dis - c’est pour ça que ça m’y faisait penser, c’est... (dessin au tableau) alors on peut dire, en effet, c’est la paix tourbillonnaire, c’est la paix moléculaire, c’est la paix... je ne sais pas quoi. Et lui aussi le lie à la paix. Mais un effort... Alors qu’est-ce qu’il y a de particulier chez Matisse ? Lorsque tu en parles, moi je me dis : oh bah, Kandinsky à la limite pouvait dire exactement la même chose... Qu’est-ce qu’il y a dans ces tableaux ? Moi, je ne crois pas connaître « l’atelier rouge », tu l’as vu, toi ?
-  I : non, c’est à New-York...
-  G.D : Et ben oui...
-  I : mais, je crois c’est deux tableaux de Matisse qui jouent avec le rouge, le fond est tout à fait rouge et c’est un rouge intensif, mais c’est pas du pourpre, je crois, c’est un autre rouge. Mais ce rouge joue le rôle de pouvoir unifier et distribuer en même temps une énorme diversité d’objets...
-  G.D : Ça, c’est bon...
-  I : C’est la même chose dans le tableau « l’atelier rouge », vers 1910, et le tableau qui est à Beaubourg « les magnolias », de 1942. C’est un tableau tout à fait...
-  G.D : Il y a des reproductions ? Qui me donne ça ? Ah bon, c’est toi ! Y’a ? Y’a le tableau ?
-  I : C’est tout petit...
-  G.D : Le tableau en tout petit...
-  I : C’est surtout « l’intérieur rouge » qui... dans « l’atelier rouge », effectivement, le rouge (...) Dans « l’intérieur rouge, il y a une grande variété de rouges, mais en même temps c’est une variété absolument comme unique (...), ... le rouge ne fait pas d’ombre avec lui-même. La différence dans le rouge n’est pas du tout numérique, au sens ou comme dirait Nietzsche, c’est une différence purement de qualité, une différence non représentée.
-  G.D : C’est ça ? Oui mais la reproduction doit être tellement infâme... Ah, non, ça c’est « un grand intérieur rouge », où il reprend « l’atelier rouge », oui... Mais là on ne peut rien en tirer parce la reproduction est une infamie... Enfin c’est pas leur faute... Bon, bah écoutez, hein... Ceux que ça intéresse ce point... Mais, toi, tu dis que dans les écrits il y a des choses sur le rouge ? J’ai pas souvenir, alors... Tu les a pas amenées ?
-  I : Dans le registre, c’est très bien marqué...
-  G.D : Dans l’index ? Il y a rouge ? Hein, alors pour ceux qui veulent des compléments, qu’ils se reportent aux écrits de Matisse, à l’index... rouge... Bon, tu le reprends tout à l’heure, hein...

8’05 Alors, voilà... Je voudrais, là, très rapidement, donc, reprendre... Comme j’ai présenté ça sous une forme -mais vous corrigez de vous-même -, sous une forme d’étape qui est très variable suivant... une espèce d’histoire qui se fait par étapes, là, dans... heu... cet aspect de la chronochromie, je vous rappelle où nous en sommes avec cette histoire de rouge. La première étape, on se la donnait comme étant... comment l’appeler ? ben : la position infinie, l’autoposition de l’infini, la distance infinie comme lumière. (...) si on savait déjà qu’on allait en sortir, c’est parce que dans cette distance infinie ou dans cette autoposition de l’infini, il y a comme -il n’y a pas comme, il y a ! -, il y a le vouloir de se manifester, la volonté de manifestation. Ce qui implique en effet que cette lumière infinie, cette distance infinie n’est pas manifeste en elle-même, et on a vu pourquoi : diffusant perpétuellement et ne cessant de diffuser, elle ne se révèle pas.

-  Le deuxième stade, c’est que, en fonction de la volonté de se manifester, la lumière infinie suscite -bon, oui, c’est très dialectique !...-, elle suscite son autre. Elle suscite son opposé, elle suscite comme son autre moitié. Et son autre moitié, c’est la force infinie des ténèbres. Donc voilà que la force infinie de la lumière suscite la force infinie des ténèbres. Elle la suscite comme ce qui s’oppose à elle, et ce qui par cette opposition va rendre possible la manifestation de la lumière. Bon... Je dis, ça, ça répond graphiquement, picturalement, cinématographiquement, tout ce que vous voulez... du point de vue des images, ça répond à ce stade bien connu où l’image est divisée en deux comme par une diagonale, lumière/ténèbres. Troisième stade, et l’on voit que, dialectiquement toujours, ça s’engendre... Troisième stade, c’est... c’est... c’est joli comme un roman, quoi... euh... c’est le roman dialectique, c’est... Et ben, ces deux formes infinies opposées, force de la lumière, force des ténèbres, situent un zéro, qui est comme le point de leur affrontement. Et ce zéro, c’est le noir, qui n’est pas la même chose que les ténèbres. Et en même temps, par rapport à ce zéro nous entrons déjà dans le fini.
-  C’est ce zéro qui va être la condition de possibilité de la finitude, c’est à dire : le point d’équilibre entre les deux forces infinies va constituer un zéro qui va être comme la condition de la finitude. C’est à dire que la distance infinie ne se présente plus comme distance infinie, elle se présente comme distance finie par rapport au zéro. Et en effet, pour que l’infini se manifeste il fallait que, s’opposant les ténèbres, par là même il passe par le fini. Ça c’est comme une espèce de troisième moment, où nous ne nous trouvons plus devant l’opposition de deux forces infinies, mais devant le... comme le face à face de la distance devenue finie et du zéro. La distance est finie par rapport à zéro.

13’12 Si bien qu’on pourrait dire... Schelling a un mot très beau -une fois dit que je prends un peu partout, hein, je ne peux pas dire que ce que je fais soit un récit de Schelling, je me sers un peu de tous, un peu de tous ceux que je connais... C’est ce que Schelling nomme, lui, la différentiation quantitative. La différentiation quantitative qui va faire éclore les êtres de la nature, qui va faire éclore les objets et les êtres finis. Et les étapes de cette éclosion, dans ce troisième grand moment, les étapes de cette éclosion nous les avons suivies. C’est que, si le noir présente le degré zéro, la distance finie, elle, est représentée par le blanc. Je veux dire que au rapport infini lumière-ténèbres s’est substitué le rapport fini blanc-noir. Le noir est comme le degré zéro, le blanc comme la distance finie. Qu’est-ce qu’ils ont de commun ? qu’est-ce qu’il y a de commun dans tout le règne du fini ? C’est : l’opacité. Et le blanc, c’est comme le premier degré de la lumière opaque, le noir c’est le degré ultime de la lumière opaque. Et la distance finie s’évalue du blanc au noir.

-  Et puis, toujours dans cette troisième même étape mais en compliquant, les combinaisons du blanc et du noir vont nous donner tous les degrés du clair-obscur, où,les choses commencent à s’éveiller à l’être, c’est à dire où des contours, de vagues contours se dessinent. Et enfin, dernière étape de ce grand moment de la finitude : les choses acquièrent leurs contours, et la nature se présente à la fois comme le contour de toutes les choses, en même temps que les choses se présentent comme le contour divisé de la nature, cette fois ci sous les espèces d’une différence qualitative, celle du jaune et du bleu. Le jaune étant un blanc devenu plus opaque, et le bleu un noir devenu moins opaque. Donc, si vous voulez, la distance finie a fait un pas vers zéro, et zéro a fait un pas vers la distance finie. Et là dedans, ouais... a comme surgi la différence qualitative. Vous voyez il y a un passage très subtil, là, les textes sont tellement plus compliqués... J’en retiens, j’en retiens un squelette, quoi... C’est le passage, chez Schelling notamment, de la différentiation quantitative à la différence qualitative.

17’34 Ça, c’était notre troisième moment. A ce moment là, que je peux dire qu’il y a une nature, une nature et des êtres, et des êtres de la nature. Et c’est le domaine du fini, avec sa double tendance : sa tendance à l’expansion dans le jaune où le contours tend à être le contour de la nature même, et sa tendance à la contraction dans le bleu ou le contour tend à être le contour de la chose dans sa particularité. Mais de toutes manières, c’est le domaine de la finitude.

18’29 Quatrième moment : c’est dans le fini, dans ce jeu des distances finies, des différentiations quantitatives, des différences qualitatives, c’est dans ce jeu de la finitude que l’infini continue son travail. Et en effet, vous vous rappelez pourquoi puisque tout ça, ça ne s’est passé que parce que l’infini avait l’étrange volonté de se manifester. Il faut donc que l’infini se manifeste, à travers la distance finie et dans la distance finie. La distance finie, c’est donc tour à tour, encore une fois : celle du blanc et du noir, celle du clair et de l’obscur, celle du jaune et du bleu. C’est les trois degrés, ou c’est les trois aspects de la distance finie. Voilà donc que dans mon quatrième moment l’infini travaille dans le fini, et qu’est-ce que ça va être ? Et bien, si le monde du fini c’était le monde de la distance finie par rapport à zéro, c’est à dire un monde des degrés, le travail de l’infini au sein même du fini va se présenter comme : l’intensification. Comme l’intensification de quoi ? Bah, l’intensification des degrés finis. Une intensification des degrés d’intensité. Mais qu’est ce que ça peut vouloir dire, une intensification de l’intensité ? Cela, sans doute, va vouloir dire que l’intensité, que l’intensité telle qu’elle est dans le monde fini, l’intensité telle qu’elle appartient à la nature, sous la forme de la différentiation, va être portée au dessus d’elle même. Portée au dessus d’elle même... bon... C’est à dire que les formes qualitatives auxquelles on venait d’aboutir, les figures qualitatives de la finitude, la figure jaune et la figure bleue, vont être portées, vont être saisies, vont être prises dans un mouvement qui est celui de l’intensification. Et à mesure que les deux qualités s’intensifient -les deux qualités de la différence qualitative, mais je dirais aussi bien les deux degrés, le clair et l’obscur, et à la limite, la distance et le degré zéro, c’est à dire le blanc et le noir-, à mesure que se fait cette intensification, comme si la nature était portée au dessus d’elle même, ce qui surgit c’est : le rouge.

22’22 Et il surgit comment ? Vous vous rappelez, il surgit sous une forme en apparence très modeste : il surgit sous la forme du reflet rougeâtre qui accompagne l’intensification du jaune et du reflet rougeâtre qui accompagne l’intensification du bleu. Je ne recommence pas la difficulté sur ce que veut dire intensification du bleu, puisque j’ai essayé de le dire la dernière fois, vous vous rappelez que : c’est une atténuation d’atténuation. Ce à quoi, quelqu’un me disait très justement : ben oui, c’est l’équivalent d’une négation de la négation. Bon.. peu importe... Voilà que ce reflet rougeâtre, bon, il monte, il monte... Une brillance. Un scintillement. Et si il monte jusqu’à son extrême... mais qu’est-ce que c’est son extrême, puisque c’est l’infini qui travaille dans le fini... son extrême, alors, c’est quoi ? ça peut être quoi ? Bah nous le savons d’avance : c’est un extrême qui n’est pas donné dans la nature, bien qu’il puisse être produit dans la nature, bien qu’il puisse apparaître dans la nature. Mais il n’est pas donné dans la nature. En effet, au point suprême de l’intensification, les deux reflets rouges se réunissent, le reflet rouge du jaune et le reflet rouge du bleu, le reflet du rouge-jaune et le reflet du rouge-bleu, et abandonnent l’un le jaune dont il était l’intensification, l’autre le bleu dont il était l’intensification. Eclate à ce moment là un rouge-rouge, qui ne doit plus rien à personne, et dans ce rouge-rouge ce qui s’annonçait dans les reflets rougeâtres éclate : la nature brûle et les êtres de la nature brûlent.

25’14 Et Goethe emploiera le mot -et là, ça va poser des problèmes, parce que... -, insupportable violence. Et des deux côtés. Du reflet rouge-jaune il disait insupportable violence... Vous savez, c’est cette espèce de... vous voyez quelqu’un, et puis derrière lui, il y a ce reflet rougeâtre... et dans votre âme, qu’est ce qui se passe ? Voilà ce qui doit se passer, selon Goethe, mais comment se tromperait-il, il s’y connaît, puisque c’est bien de... il le dit pas, dans le traité des couleurs, mais c’est bien de Méphisto qu’il est en train de nous parler : le jaune pur passe très facilement au jaune-rouge, sous entendu par intensification. Le jaune pur passe très facilement au jaune-rouge. De même, l’intensification du jaune-rouge vers le rouge-jaune -vous voyez, les degrés sont multiples, hein... du jaune au jaune-rouge, du jaune-rouge au rouge-jaune -, de même l’intensification de ce dernier vers le rouge-jaune ne peut être freinée. Le sentiment d’agréable enjouement que nous donnait encore le jaune-rouge -quand la petite lueur rouge commence... c’est joli...-, le sentiment d’agréable enjouement que nous donnait encore le jaune-rouge s’aiguise jusqu’à une impression insupportable de violence dans le rouge-jaune intense. Et comme ça va être la même chose du côté du rouge-bleu, plutôt du bleu-rouge qui va devenir rouge-bleu et qui va culminer dans un rouge qui ne doit plus rien ni au jaune ni au bleu, nous grimpons dans ce sentiment d’une insupportable violence. Un autre texte de Goethe dira : l’inquiétude. Bon, alors on est encore plus romantique que Goethe, là, parce qu’il le sera à d’autres moments, c’est la terreur. C’est la terreur, nous savons que ce qui brûle la nature, c’est la colère de Dieu. Ou c’est ce que Böhme appelait déjà d’un si beau mot, oui... : le courroux de Dieu. La colère de Dieu... Et pourtant, c’est Dieu qui a voulu se manifester, bah justement c’est comme ça qu’il se manifeste. Lumière infinie mais invisible, il voulait se manifester dès le début et il était possédé par son diable à lui. Et le diable de Dieu, le diable personnel de Dieu, c’est la volonté de se manifester. Qui lui a demandé une pareille chose ?

Et pour se manifester, il faut qu’il s’oppose les ténèbres, et il faut que les ténèbres, là, engendrent, et il faut que l’opposition infinie de la lumière et des ténèbres engendre la nature, dans ses différentiations. Et là-dessus, il faut que Dieu brûle la nature dans un immense courroux qui manifeste quoi ? Qui manifeste précisément le travail de l’infini dans le fini. La nature brûle : voilà le travail ! voilà le travail de Dieu ! Et quel est l’agent de Dieu à ce moment-là ? C’est... je disais c’est Nosfératu, c’est Méphisto, dont on peut dire : ils ne sont pas autre chose que Dieu, ils sont la colère de Dieu. Et dans... et dans l’hommage que, la dernière fois, on faisait à Murnau, on invoquait le masque de Méphistophélès phosphorescent, dans les fameux effets de lumière de Murnau, ou bien Nosfératu devenu complètement plat et séparé de son propre fond, c’est à dire des ténèbres. Séparé de son propre fond par cet espèce de feu d’auréole, d’auréole à la lettre rougeâtre. Cet espèce de feu qui est derrière lui comme un fond plus profond que le fond.

30’43 Bon... Mais alors, tout ce qui vient d’être dit va nous servir... Ça, c’est notre quatrième moment. On pourrait rêver longtemps, on pourrait convoquer les textes sur cette espèce de nature qui brûle... Là, tout y vient, tout peut servir... Et c’est l’ange de l’Apocalypse, et c’est... et c’est l’esprit du Mal... et c’est, et c’est tant, tant, tant de choses... Mais, notre problème, il nous laisse à peine le temps de respirer parce que notre problème c’est : et pourquoi le rouge est-il aussi... est-il aussi quoi ? Pourquoi le rouge est-il aussi, comme il disait tout à l’heure, une étrange paix intérieure ? Et même, idéale... Et pourquoi est-il, dans d’autres textes de Goethe du traité des couleurs, sans que Goethe pose le problème de la conciliation de pareils textes, pourquoi est-il gravité et dignité ? Pourquoi les cardinaux sont-ils rouges ? (rires) Il a une idée, hein, Goethe il a une idée extrêmement méchante pour les cardinaux... Si je pouvais la retrouver, mais... j’ai peur de... pas la retrouver... Voilà : c’est au moment où -y’a quand même...bien sûr, dans le traité des couleurs, vous comprenez, il ne va pas traiter le problème, il va nous laisser tout seuls, parce que son affaire, c’est vraiment faire un traité des couleurs. Alors, ça l’intéresse pas, la métaphysique, il l’exclut au maximum. Mais il vient de nous dire : c’est l’inquiétude, le rouge. Bon... C’est la violence insupportable... Et il ajoute perfidement, paragraphe 791 : « le fait que le haut clergé se soit attribué cette couleur inquiète permet sans doute -il ne s’engage pas trop...-, permet sans doute de dire que sur les degrés mouvants d’une ascension toujours progressante, il aspire irrésistiblement à la pourpre cardinalice ». Evidemment, c’est prêter à l’église, comme église catholique, une ambition... que Goethe est tout prêt à lui prêter, hein...

34’06 Mais pourquoi est-ce que, alors que c’était fondamentalement inquiétude, pourquoi est-ce que aspirer au rouge va devenir, dans une espèce de transformation -là, on ne peut pas se contenter de dire : bah c’est une transformation dialectique...-, va devenir gravité et dignité, bienveillance et grâce ? Qui convient à tout le monde ! Qu’est-ce que ça veut dire, qui convient à tout le monde ? Et bien, parce que selon Goethe, le rouge c’est la seule couleur qui convienne aussi bien aux vieillards qu’aux jeunes gens. Il le dit aussi, dans un très beau paragraphe, il dit : c’est curieux... c’est la grâce de la jeunesse et c’est la sérénité de la vieillesse, si bien que il n’y a que une même couleur dont les jeunes et les vieux puissent s’habiller, c’est le rouge.

35’10 Et bien, la réponse, elle est très simple. Elle est très simple si... voilà... c’est que... il faut vous laisser aller... La nature brûle affreusement dans le rouge, et vous brûlez vous-mêmes dans le rouge. Bon... Comme quoi ? En tant que quoi ? En tant qu’être de la nature. Ce qui brûle dans le feu du rouge, c’est votre ego, c’est à dire : c’est vous comme être sensible. Vous êtes sur le bûcher. Mais en même temps, et ça doit vous rappeler quelque chose -mais là je crois que je ne force pas, c’est... c’est pas... si on retrouve quelque chose qu’on a vu d’un autre point de vue, tant mieux ! -, mais en même temps, le rouge suscite irrésistiblement en vous, au sein même de la violence qu’il vous fait, comme être sensible, il suscite irrésistiblement en vous une faculté par laquelle vous vous saisissez comme être suprasensible, c’est à dire comme âme. Si bien que les deux ne s’opposent pas. L’inquiétude et l’insupportable violence du rouge, c’est l’effet qu’il produit sur vous comme être sensible en tant qu’il vous brûle, et la gravité et la noblesse qu’il suscite en vous, c’est l’effet qu’il a sur vous cette fois en tant qu’il fait appel à vous comme être suprasensible, au dessus de la nature, c’est à dire comme âme.

37’55 Dernière question : par quel pouvoir le rouge peut-il susciter en vous -mais...- cette noblesse, c’est à dire cette prise de conscience, cette conscience de soi comme être suprasensible ? Et ben... avant de répondre à cette question, qui fait notre cinquième moment, c’est ça, on en est au cinquième moment, euh... cinquième moment, on revient juste un tout petit peu en arrière : est-ce que vous ne reconnaissez pas mot à mot ce que Kant nous disait du sublime dynamique ? Voilà que nous pouvons dire, presque, pour tout simplifier : et bien oui, le rouge c’est l’opération du sublime dynamique. Car le sublime dynamique tel que Kant le définissait, par différence avec le sublime mathématique, c’était quoi ? C’était, vous vous rappelez : quelque chose de déchaîné dans la nature m’annihile, me réduit à rien comme être sensible, mais en même temps suscite en moi l’éveil d’une faculté suprasensible par laquelle je me pense comme supérieur à la nature sous la forme de : qu’importe ma vie ! Vous voyez, c ‘est exactement le passage du rouge qui vous consume comme être sensible au rouge qui vous convoque comme être suprasensible. Et c’est le même rouge, c’est le même rouge pris dans deux rapports avec vous-même. D’où j’en reviens à ma question : mais de quel droit le rouge a-t-il un(e) pré-puissance ? Sans doute, bien sûr, on a dit -mais ça suffit pas... -, on a dit ben oui, le rouge c’était le travail de l’infini dans le fini. Mais alors revenons un peu plus précisément aux couleurs, parce que ce serait bien , il faudrait que les couleurs nous donnent raison, si les couleurs nous donnent raison, tout va bien ! Et ben oui, en quoi le rouge a-t-il le pouvoir de consumer la nature, et de la brûler comme nature sensible ? Il a ce pouvoir parce que il n’est pas lui-même de la nature. Il est dans la nature, mais il n’est pas lui-même de la nature, comme en témoigne l’arc-en-ciel. L’arc-en-ciel comme ensemble de la nature a bien un jaune qui tend au rouge et un bleu qui tend au rouge, mais les deux ne se rejoignent pas. En d’autres termes, un rouge qui n’est plus ni jaune ni bleu, ça, c’est déjà l’affaire d’un esprit qui se... qui peut se manifester dans la nature, mais qui n’est pas de la nature. En d’autres termes, le rouge c’est l’intensification comme surnaturelle, comme suprasensible, des deux couleurs, le jaune et le bleu. Et le physicien ne connaît pas le rouge. Pour le physicien, il n’y a que deux couleurs : le jaune et le bleu. Mais le diable connaît le rouge, lui qui brûle la nature. Et le diable, c’est qui ? Le diable c’est le chimiste ou c’est le teinturier. Le chimiste et le teinturier disent : il y a trois couleurs fondamentales. Tandis que l’homme de la nature... -c’est à dire l’homme de la magie, quoi, le chimiste ou le teinturier - tandis que l’homme de la nature, il ne connaît que deux couleurs, le jaune et le bleu, avec lesquelles il fait toutes les autres. Tandis que le chimiste et le teinturier, il travaille avec trois couleurs... D’où les phrases très belles, les textes très beaux de... Newton ... de Goethe !, qui consistent à dire en gros : si Newton n’a pas compris ce que c’était que la couleur, c’est parce que il n’était ni chimiste ni teinturier. C’est parce que c’était un physicien.

43’50 Bon... En effet, l’intensification infinie des deux qualités finies, le jaune et le bleu, sort de la nature. Mais par là même, qu’est ce que nous dit - et Goethe, là, a des textes extrêmement beaux... Le rouge, c’est la médiation véritable -en effet la médiation, de tous les points de vue de la dialectique, c’est toujours l’esprit -, c’est la médiation véritable du jaune et du bleu. Pourquoi il dit : la médiation véritable ? Là aussi, pour s’opposer à ceux qui iraient trop vite. Ceux qui vont trop vite, c’est ceux qui nous disent : la médiation du jaune et du bleu naît de leur mélange, à savoir : c’est le vert. Non ! Le vert n’est pas une médiation, le vert n’est pas la médiation du jaune et du bleu. Le vert ce sera le mélange, mais on n’est pas dans le monde des mélanges encore, on ne sait même pas ce que c’est qu’un mélange. Le rouge, c’est pas un mélange du jaune et du bleu, le rouge c’est l’intensification suprême du jaune d’une part, et du bleu d’autre part. C’est donc une troisième couleur fondamentale. En d’autres termes, c’est la couleur suprasensible, les deux autres étant des couleurs sensibles. Mais alors, coup de tonnerre, coup de théâtre : voilà que précisément, parce qu’il est la médiation véritable des deux couleurs -des deux couleurs primitives, le jaune et le bleu -, le rouge est inséparable d’une aspiration à la totalité. Ce à quoi il nous fait aspirer, c’est à la totalité. Totalité de quoi ? Ben, évidemment, à la totalité comme esprit, puisqu’il n’y a pas de tout de la nature. C’est seulement en brûlant que la nature s’élève au dessus d’elle-même, c’est à dire découvre que ce qui la traverse, c‘est une aspiration à la totalité qu’elle ne pouvait pas par elle-même satisfaire. Alors, à ce moment-là , l’esprit de la nature découvre qu’il est dans un rapport particulier avec quelque chose qui le dépasse... (trois secondes effacées)... vision romantique que Murnau connaîtra bien dans son film l’Aurore : c’est la douce aurore qui s’élève au dessus de la nature, et qui est quoi ? Et qui annonce la totalité idéale. Mais la totalité idéale... Tiens ! Voilà que, dans notre étude de l’intensité, on retombe sur une notion dont on était partis lorsqu’on étudiait l’aspect extensif, le mouvement et non pas la lumière. Qu’est-ce que c’est que cette totalité qui va revenir du côté de la lumière, comme totalité idéale ? Ça va être, cette fois-ci, la totalité du cercle chromatique. D’où : il y a bien une chronochromie, puisqu’il y a un ordre du temps qui a traversé toutes ces étapes, tous ces moments que je viens de raconter.

48’07 Et voilà, au point où exactement on en est... Vous voyez quelle étrange jeu de bascule implique le rouge ! Si je recommence... Et, qui répond exactement au sublime dynamique, car lorsque le sublime dynamique suscitait en nous la conscience de soi comme être suprasensible, c’était inséparable d’une aspiration à la totalité, à la totalité comme esprit. Et les dialecticiens ne nous ont jamais dit que... cette chose, toujours... l’esprit, c’est le tout. Voilà que le rouge, en tant que médiation véritable des deux couleurs primitives, le jaune et le bleu, va aspirer à une totalité que lui seul peut produire. On peut dire que, par le rouge dans la nature, la nature aspire à la totalité, mais c’est seulement le rouge qui peut satisfaire cette aspiration. Et en effet, Goethe nous dira : le rouge, c’est la satisfaction idéale. Je veux dire... Ce sur quoi je voudrais insister, c’est, vous comprenez... c’est pas du tout dans le même sens que ils peuvent.... Un même auteur, là je prends l’exemple de Goethe, peut nous dire... -ou Schelling dira des choses semblables -, que le rouge c’est à la fois la colère de Dieu, et que c’est en même temps l’aspiration spirituelle à la totalité, c’est à dire à l’harmonie. C’est exactement le mouvement dialectique qui était dans le sublime dynamique : je te détruis comme être sensible, je te fais naître comme être suprasensible. C’est l’aventure de l’espritcommeesprit pur, quoi... Alors, pour ceux qui connaissent un peu Hegel, pensez à tout ce que Hegel a retenu de tout ça, puisque Schelling est le prédécesseur, est reconnu comme le grand prédécesseur de Hegel. Et ben, que ça vous dise... Si ça vous dit quelque chose, bah, je suis content... Si ça vous dit rien, bah... alors là, je suis très malheureux, si ça vous dit rien, mais...

51’10 Alors continuons, juste un peu : qu’est-ce que c’est que cette totalité qui va être engendrée par le rouge et satisfaite par le rouge, mais qui en même temps ne va plus être le rouge ? C’est donc le dernier moment qu’on ait à voir... Je dirai du rouge qu’il est le fondement de cette totalité. Comment dire... Il serait le fondement chronique de cette totalité chromatique : Chronochromie ! Si il y en a parmi vous qui aiment Messiaen, hein, mettez le disque, hein, Chronochromie, parce que... j’insiste aussi, je sais pas si j’ai dit la dernière fois que Messiaen est, à ma connaissance, un des rares musiciens qui se soit intéressé très très profondément aux rapports sons-couleurs. Quand je dis un des seuls musiciens, je veux dire qu’il ne s’est pas intéressé aux rapports simples... heu... il s’est intéressé aux rapports de complexes de sons et de complexes de couleurs. Alors... Qu’est-ce que c’est que cette totalité ? Bah là, ça revient à des choses que, je crois, on avait faites il y a deux ans... alors c’est juste pour ceux qui n’étaient pas là que je rappelle, ou bien même pour ceux... Il faut à nouveau un petit cercle... Vous allez comprendre tout de suite ce que va être cette totalité chromatique, et tous ses aspects qui vont nous permettre de retrouver comme avec toute notre première partie sur le mouvement, tandis que là, nous sommes toujours dans l’aventure de la lumière.

53’15 J’ai mes deux couleurs, je les marque par des points. Je me suis donné, là, une totalité supposée. Je ne l’ai pas encore construite. Qu’est-ce qui me permettait de la construire ? (G.D dessine au tableau) Là, j’avais le jaune...là, j’avais le bleu... et là, j’ai évidemment le rouge que j’obtenais par... donc c’était pas le cercle de la nature, c’était un cercle bien plus profond que de la nature... que j’obtenais par intensification du jaune, et intensification du bleu, et réunion des deux intensifications, ce que Goethe appelle la culmination. Donc c’est par ces trois points que passe le cercle chromatique. Alors, quand j’ai jaune - bleu - rouge, je peux avoir le tracé d’un cercle chromatique. Encore une fois, ce qui m’importe beaucoup c’est que l’idée de mélange n’a absolument pas encore surgi à ce niveau. Si vous confondez les niveaux, n’est-ce pas, c’est... toute la progression est perdue, car c’est seulement maintenant, lorsque vous avez disposé, lorsque vous avez fait passer un cercle par vos trois points... qu’est-ce qui va se passer ? Et bien on va avoir, dans ce dernier grand moment, on va avoir à nouveau comme trois étapes. Ça va toujours par trois... Et là, mes trois couleurs -d’où, c’est très important qu’elles soient trois, et pas deux... -, mes trois couleurs primitives -dont l’une est l’intensification des deux autres, mais on a vu que l’intensification était absolument spécifique, et fondait une couleur qui ne devait plus rien ni au jaune ni au bleu puisqu’elle n’était pas de la nature -, la première chose qu’elles vont faire, la première étape, c’est que elles vont se mélanger deux à deux, et que se mélangeant deux à deux, chaque fois surgira comme en un instant... surgira comme en un instant une nouvelle couleur. Et si je mélange le rouge et le jaune, j’ai -donc je mets entre les deux, puisque j’ai mélangé, là... -, je mélange le rouge et le jaune, et j’ai l’orangé. Voyez, il faut faire très attention dans toutes ces histoires, parce que j’aurais dit : le rouge, c’est le jaune qui, passant par l’orangé, arrive au rouge, je cassais tout. Je cassais tout parce qu’à ce moment là, le mouvement propre du rouge devenait incompréhensible. L’orangé suppose le rouge, il ne peut pas être une étape vers le rouge. C’est lorsque vous avez obtenu le rouge, par votre manœuvre -démoniaque !- (rires) d’intensification que, à ce moment là vous pouvez le mélanger avec le jaune et obtenir l’orangé, qui marque le mélange rouge-jaune. Et puis vous mélangez le rouge et le bleu, et vous obtenez le violet. Et puis vous mélangez le jaune et le bleu, et vous obtenez le vert. Et voila que votre cercle chromatique s’est peuplé, il comprend maintenant : 1, 2, 3, 4, 5, 6... il contient maintenant les 6 couleurs. Bon... et puis, bon : seconde étape. Dans ce cercle chromatique, quelque soit son espèce d’harmonie intérieure... précisément cette harmonie intérieure va se manifester par la manière dont, dans le cercle, certaines couleurs en appellent d’autres. Et, pour comprendre comment certaines couleurs en appellent d’autres, il suffit que vous traciez des diamètres. Et à chaque diamètre correspondra...quoi ? Ce qu’on peut appeler -j’avais fixé- les instants du mélange, qui me donnaient l’orangé, le vert, le violet. Là, je peux dire que ces diamètres sont les distances du cercle chromatique, et vous pouvez tracer un premier diamètre du rouge au vert, et vous pouvez tracer un second diamètre du jaune au violet, et vous pouvez tracer un troisième diamètre (...) du bleu à l’orangé. Et vous dites : suivant un diamètre, une des couleurs appelle l’autre.

60’59 Or, observez que ces distances, ces diamètres, ces diamètres-distances répondent à une loi bien connue, que vous venez de déduire du cercle chromatique : c’est ce qu’on appelle les rapports entre couleurs complémentaires. Et que, en effet, les couleurs complémentaires, qu’est-ce que c’est, qu’est-ce qu’on appelle couleurs complémentaires ? On appelle couleurs complémentaires une des trois couleurs primitives, d’une part, et d’autre part le mélange des deux autres. Le rapport de complémentarité : le rapport diamétral qui unit une des trois couleur primitives au mélange des deux autres. Alors, je prends mes trois primitives... Le jaune, ça va être la couleur complémentaire du mélange des deux autres. Le mélange des deux autres, c’est : le rouge et le bleu, c’est le mélange du rouge et du bleu, c’est à dire du violet. Vous avez votre diamètre allant du jaune au violet, le jaune et le violet comme couleurs complémentaires. Vous avez le bleu, seconde couleur complémentaire... plutôt, seconde couleur primitive : sa complémentaire, c’est le mélange des deux autres, c’est à dire le mélange du rouge et du jaune, c’est à dire l’orangé. Et enfin, le rouge : sa complémentaire c’est le mélange du jaune et du bleu, c’est à dire c’est le vert. Bon... Là, par le cercle chromatique, vous avez fait un véritable engendrement, une véritable genèse des complémentaires. Et vous avez retrouvé dans votre cercle chromatique la notion de distance. Est-ce qu’on pourrait aller jusqu’à dire, quitte à faire... alors, si on faisait... après tout... Kandinsky fait une métaphysique de la couleur. A coup sûr, métaphysique de la couleur, ça ne veut absolument pas dire un symbolisme des couleurs, où telle couleur signifierait ceci. Mais de même que Kandinsky pense que... non pas que des mouvements correspondent à la couleur, mais que les couleurs ont des mouvements qui leur sont propres, simplement des mouvements intensifs, est-ce qu’on ne pourrait pas penser que les couleurs ont des durées qui leur sont propres ? Lorsque Messiaen explique que l’affaire de la musique, c’est pas tellement le son, c’est la durée, au sens multiple, toutes sortes de durées, et que le son n’est là que pour rendre -à la lettre, ce qui est une très très grande idée de Messiaen, c’est peut-être pas le premier à...-, que le son n’est là que pour rendre les durées audibles, est-ce qu’on ne peut pas dire la même chose des couleurs ? Que les couleurs ne sont là que pour rendre les durées visibles... Supposons... Alors, il faudrait aller... mais tant mieux, l’imagination serait dépassée, mais elle a pas cessé, si vous vous rappelez le sublime chez Kant, l’imagination elle a atteint sa limite... Alors on est toujours en rapport avec l’imagination, mais c’est une imagination qui, précisément, dans ses rapports avec le sublime, ne cesse d ‘affronter sa propre limite.

66’10 Il faudrait concevoir que chacun de ces diamètres a une durée, ou est une durée, est une durée hétérogène à l’autre. Que la durée que... je ne parlerai plus, à ce niveau-là, de rapports entre complémentaires, je dirai : les rapports entre complémentaires rendent visibles les durées. Et c’est jamais deux fois le même durée. Le rapport, par exemple jaune-violet, il faut le penser comme une durée, et c’est pas la même durée que le rapport orangé-bleu, c’est pas la même durée que le rapport rouge-vert. Bon... Supposons, hein... Je veux dire, ça accuserait l’aspect chronochromique, chronochromatique. Alors, il faudrait le voir... Moi, si on me demande un exemple, je dirai : au moins, il y a des exemples musicaux, je crois que l’œuvre de Messiaen est un exemple musical. Je dirai... si on me demandait... je chercherais pas dans Matisse, mais Matisse... je dis pas que ça y soit pas, mais je crois pas que... Matisse... il faut un peintre spiritualiste... pour... pour que ce soit pas forcé. Il faut un peintre vraiment spiritualiste, et pratiquement spiritualiste, dans sa peinture je veux dire, pas en tant qu’homme... Et celui qui irait le plus loin dans ce sens, qui approcherait le plus de couleur-durée, c’est... c’est Kandinsky, il me semble, pour moi... Mais le fait est qu’il ne l’a pas fait... C’est curieux qu’il ne l’ait pas fait... Il a fait... il a fait couleur-mouvement. Il n’a pas fait couleur-durée, alors que tout, tout, tout le poussait, aurait dû le pousser, tiens, oui... Je ne comprends pas, il y a peut-être, il y a peut-être des carnets posthumes... (rires)... où on apprendrait la vérité !

68’23 Et puis, dernière étape... dernière étape. Alors, les combinaisons entre complémentaires, vous pouvez faire toutes les combinaisons que vous voulez entre complémentaires... Vous voyez, là, c’est plus le domaine des mélanges, des mélanges avec leurs instants. Là, c’est les combinaisons avec leurs distances, avec leurs durées, avec leurs durées propres. C’est ce que Goethe appellera combinaisons harmonieuses. Vous voyez : l’harmonie du tout ! il dira... L’harmonie du tout... Ahhh... Et enfin, plus qu’un effort et ça y est : pour compléter votre joli cercle chronochromatique, il faut bien que vous fassiez encore quelque chose. Vous allez tendre... ça s’appelle comment, là, ce que vous tendez, là... vous allez tendre des cordes. Vous allez tendre des cordes... Et vous aurez trois cordes. Les cordes se définiront par ceci : les lignes que vous tendez à l’intérieur du cercle, allant d’une couleur à une autre en sautant, sur le cercle, la couleur intermédiaire.

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La voix de Gilles Deleuze en ligne
L’association Siècle Deleuzien