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38- 19/04/83 - 2

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cours 38 du 19/04/83 - 2 transcription : Antonin Pochan relecture : Clara Guislain

... Tout ça c’est... Mais enfin vous voyez... Et le moment de la scission de l’opposition infinie, c’est très intéressant. Enfin c’est très intéressant pour ceux qui le veulent bien.

Car encore une fois, la scission infinie consiste exactement en ceci. Dans le premier stade j’avais - il faut que vous, il faut ... enfin c’est une affaire de sympathie- vous aviez donc la lumière invisible et la volonté de manifestation, la volonté de révéler, de faire voir.

Là, voilà que maintenant je dis : on assiste à la scission ou à l’opposition infinie de deux forces, la volonté de faire voir n’était pas comme une force qui s’opposait à la lumière invisible. C’était comme "un plus que fondement" qui travaillait dans le fondement. Il y avait immanence. Maintenant il y a deux forces infinies qui s’opposent. Et l’une est comme la lumière de notre première étape, et l’autre c’est les ténèbres qui répondent à la volonté de manifestation. -C’est bizarre - bien que ça en soit le contraire.

-  (Dans la salle) : Pourquoi ?

Deleuze : Pourquoi ? Parce qu’ils fournissent ce qui va se révéler être la première condition de la manifestation. A savoir, la lumière ne se révèlera, mais encore elle n’est pas encore révélée, que dans son opposition aux ténèbres. Bon, c’est plus la distance infinie, c’est l’opposition absolue, (Deleuze se reprend) c’est l’opposition infinie. C’est un pas de plus, et cela correspond si vous voulez en donner une représentation graphique, que vous retrouverez et dans le romantisme, et que vous retrouverez alors - il faut en parler parce que là je trouve, il s’insère tellement dans tous ces courants, -et que vous retrouverez dans l’expressionnisme, aussi bien en peinture qu’au cinéma. C’est l’image divisée en deux. J’ai déjà là, il y a comme la naissance d’une image mais une image, une image de l’opposition infinie c’est une image vacillante hein, mais si il y a une approximation de l’opposition infinie c’est l’image, divisée en deux moitiés. Lumière/ ténèbres. Il y a des tableaux ainsi organisés, il y a des images de cinéma célèbres, au début de l’expressionnisme allemand, où la diagonale divise une partie supérieure toute en lumière, une partie inférieure toute en ténèbres.

-  Bon, Valéry pensera de toute évidence quand il dira, "rendre la lumière, suppose d’ombre une morne moitié". "Rendre la lumière" c’est à dire rendre la lumière visible, "suppose d’ombre une morne moitié", le mot ombre est mal, mais tous les mots sont mal, c’est pas l’ombre dont on verra qu’elle ne peut surgir que bien après, c’est l’abîme ou les ténèbres. Voilà, c’est la seconde étape. Voyez que la lumière est restée de son coté, la volonté de manifestation qui travaillait dans la lumière s’est effectuée dans les ténèbres. Pourquoi ? Parce que les ténèbres sont la première condition qui va rendre la manifestation de la lumière possible.

-  Troisième étape. Je dirais mais ça va pas si simple chez ces auteurs. C’est moi qui essaie d’y mettre de la clarté, et dès lors du faux, de, qui essaie d’y mettre... Il y a certains textes qui appellent des commentaires très clairs et, il y en a d’autres où il y a des textes de telle nature que si vous supprimez leur espèce d’incertitude, de halo lumineux qui les entourent, vous les brisez, mais c’est manière de parler tout ce que je dis. C’est que j’ai transformé la distance infinie en opposition infinie de la lumière et des ténèbres. Mais l’opposition des deux forces infinies, l’opposition infinie, marque un point zéro. Ce zéro c’est cela que nous pourrons appeler cette fois ci "Ungründ".

Et c’est par rapport à ce zéro, à ce point zéro, que la lumière nous propose sa première manifestation ou visibilité ou révélation. Pourquoi ? Ce point zéro c’est quoi ? Il exprime donc comme l’équilibre des deux forces infinies opposées, l’abîme des ténèbres, la distance infinie de la lumière. Comment l’appeler ? C’est seulement là que nous pourrons parler du noir. En s’opposant à la lumière, l’abîme a imposé un état d’équilibre qui est le point zéro de la nuit. Le noir. Et du coup, la lumière se révèle comme lumière blanche.
-  Et nous n’avons donc plus la lumière comme distance infinie, nous avons la lumière comme distance par rapport à zéro, par rapport à la nuit, par rapport au noir. Voyez pourquoi, bien que l’abîme et les ténèbres étaient déjà noires, on ne pouvait pas encore parler de noir à propos de l’abîme et des ténèbres. Au début de cette troisième étape nous n’avons donc plus la distance infinie ni l’opposition infinie, nous avons la distance finie, ou tout un jeu de distances finies par rapport à zéro.
-  Ou pourquoi dire que c’est le noir, le zéro, l’équilibre entre les deux forces ? Là aussi, on s’est un peu trop pressé, il aurait fallu dire en toute rigueur que la distance entre les deux forces, c’était l’opacité. La frontière des deux forces, c’était l’opacité. Cette diagonale qui séparait l’image en deux, c’était l’opacité pure. Mais l’opacité sur un de ses envers, sur un de ses endroits, sur une de ses faces, la face tendue vers l’abîme et les ténèbres c’était le noir, et sur sa face tendue vers la lumière c’était le blanc.

-  Car, et là je saute d’un auteur à l’autre mais encore une fois comme j’essaie de dégager un schéma qui est le schéma aussi bien du pré romantisme, que du romantisme je m’en donne le droit - car comme le rappellera Goethe, le blanc c’est la première opacité de la lumière, c’est l’opacité minima, le noir étant l’opacité maxima. L’opacité maximum, c’est donc le degré zéro, l’opacité minima c’est le degré qui marque la distance par rapport à l’état zéro. Voila que le blanc et le noir vont être les premières conditions de la manifestation. Ou la seconde, comme vous préférez, la seconde condition de la révélation ou de la visibilité. Voyez pourquoi - puisque la première condition on a vu, on peut en dire, c’était déjà une condition, on peut le dire - c’était l’opposition infinie avec la mise en abîme. Où la volonté de manifestation était passée comme dans son contraire, c’est à dire - aussi il y a un drôle de passage dans le contraire, la volonté de manifestation, la seconde étape passée dans son contraire c’est à dire, dans l’abîme, dans les ténèbres, qui s’opposaient à la lumière.

-  Mais là maintenant, c’est le blanc et le noir qui s’opposent. Ils s’opposent selon une distance finie, qui va de l’opacité minimum le blanc à l’opacité maximum le noir. Donc à ce troisième stade j’ai, et je tiens la notion de distance par rapport à zéro, voyez, qui était pas du tout contenue dans les deux stades précédents. Il faut que chacun de mes stades m’apportent quelque chose de nouveau. Ou si vous préférez les degrés d’opacité.
-  Et les degrés d’opacité vont former une échelle. Ils vont former une échelle, et vous sentez bien ce qui va se passer là, si j’essaie, avant de détailler l’échelle des degrés d’opacité. Si j’essaie de dire ce qui occupe cette troisième étape c’est quoi ? Et bien - c’est la naissance du visible. C’est le surgissement du visible ou ce que l’on pourrait appeler "l’apparaître". Et qu’est ce que ça implique l’apparaître ?

Commençons : qu’est ce que c’est que cette échelle ? Car elle peut emprunter elle même à cette troisième étape des formes différentes. Et quand on avait parlé des expressionnistes l’année dernière à propos du cinéma, on l’avait vu beaucoup plus en détail, et là je reprends juste un point. Car ça vaut aussi pour la philosophie, ça vaut aussi pour la pensée, ça vaut aussi pour la peinture, tout ça.

-  La première forme de cet échelonnage, de ces degrés d’opacité, ce sera les stries. Les stries, c’est à dire les degrés d’opacité entreront dans une série alternée. Une raie blanche, une raie noire, une raie blanche, une raie noire. Mettons une raie lumineuse, une raie sombre, une raie lumineuse, une raie sombre. C’est bien connu ça, c’est ce que l’on pourrait appeler la méthode persienne, ou la méthode sous bois. La lumière dans le sous bois - Dieu que ça a été analysé en peinture - et fait et inspiré des chefs d’œuvres, la lumière de sous bois avec ses stries de lumière et d’ombre alternées. Ou bien la persienne sur la dormeuse. Les raies de la persienne sur le visage et le corps de la dormeuse. Là aussi sans parler de la peinture, le cinéma expressionniste nous a livré des images - sentez ce que je suis en train de dire : il a beau ne pas pas bouger, c’est pleinement de l’image-mouvement. Pas besoin que ça bouge pour que ça, en tout cas pas besoin que ça bouge dans l’espace pour que ce soit de l’image-mouvement. Cela fait partie des grandes images intensives de l’expressionnisme allemand.

Et ce premier aspect des degrés d’opacité, c’est à dire ces séries alternées de lumière et d’ombre vous les trouvez, il me semble avant tout, avant tout c’est pas le seul, chez Lang. Chez Lang dans sa période expressionniste allemande. Où là vous avez des sous bois de toute beauté. Vous les trouvez aussi chez Stroheim, qui utilise alors les séries alternées avec persiennes, ou avec barreaux notamment dans je sais plus lequel des grands Stroheim, il y a une dormeuse dont tout le corps est strié, dont tout le corps et le lit est strié par les raies de la persienne, qui est une image d’une beauté, d’une très, très grande beauté. Bon voyez je dirais ça c’est une première manière d’organiser les degrés d’opacité en faisant alterner l’opacité maximum et l’opacité minimum. Le blanc lumineux et le noir, et le noir de l’abîme.

-  dans la salle : Excusez moi mais on pourrait parler des stries, des stries lumineuses blanc et noir qui est une scène striée, le générique de Psychose.

-  Deleuze : Ah ça c’est ça, ça c’est je veux dire, ça, ça me ferait problème, tu as raison d’invoquer ça. Euh en effet. C’est dans Psychose, t’es sûr, le générique à stries ?

-  dans la salle : Avant, avant le plan le déplacement du qui aboutira à la persienne....

Deleuze : Ah oui t ‘as raison ! Mais je ne passerais pas forcer les choses à te dire, si je me souviens bien il y a eu des rapports Hitchcock/expressionnisme. Il connaît bien l’expressionnisme, non, ça me dit quelque chose, je sais plus où j’ai vu ça, mais dans sa période du muet je ne sais pas mais en effet, en effet. Bon et puis vous devez penser, chacun de vous doit pouvoir penser à des, ça c’est de la grande lumière au cinéma, dans l’image-lumière c’est des grands moments ces espèces de...

-  Bon mais je dis deuxième moyen toujours dans ma troisième étape. Deuxième moyen c’est un tout autre moyen là il s’agit plus de séries alternées, du blanc lumineux et du noir d’abîme. Il s’agit plus des stries, il s’agit cette fois ci de tout à fait autre chose, un mélange qui passe lui même par tous les degrés. Mélange du blanc lumineux et du noir d’abîme, qui va passer par tous les degrés, avec deux flèches, vers le lumineux, vers - là on emploiera, on changera de mots, on ne dira plus blanc et noir - on dira vers le clair et vers l’obscur, et ce seront tous les degrés du clair obscur. Donc je dirais c’est pas une série alternée, puisque dans chaque degré vous avez un mélange, de clair et d’obscur. Et cette fois ci c’est comme une échelle mobile, alors que l’échelle des stries, c’est une échelle immobile, c’est une échelle qui ne cesse de varier les valeurs par lesquelles elle passe. C’est une tout autre technique, c’est la technique du "clair obscur". Et bien sûr, bien sûr, bien sûr, elles ne s’opposent pas, clair obscur, les stries ça se combine, tout dépend des situations aussi bien en peinture que dans l’image cinématographique, mais je dirais là aussi il y a des dons, il y a des attractions, il y a des attirances.

-  Le "grand" du clair obscur, c’est bien connu dans l’expressionnisme allemand, c’est plutôt Murnau, quoi qu’il y ait des très beaux clair obscur chez Lang, ça n’empêche pas. Celui qui est un génie du clair obscur c’est, et qui l’a poussé à un point, à ma connaissance, personne ne l’a poussé, c’est Murnau. Et il arrive bien plus et je vois au moins une image, mais il y en a sûrement d’autres, ou de Murnau, où par une espèce de coquetterie, je sais pas, il fait la transformation directe en un plan fixe, si j’ai le souvenir mais comme on se trompe toujours, alors, en un plan fixe de "Aurore". Au premier moment vous savez, on cherche le supposé cadavre de la jeune femme, hein dans le grand lac noir, et il y a les bateaux et il y a le fanal de chaque bateau. La lumière de chaque bateau qui strie l’eau. Et vous avez une série de stries et d’alternances, de séries alternées bande noir du lac, bande lumineuse du fanal d’un bateau, d’une barque. Et il y a une espèce de convergence à un moment et tout se transforme en un clair obscur, un clair obscur à l’état pur qui à son tour va gravir, tous les degrés mobiles de son échelle.

-  De même pensez en peinture, vous trouvez par exemple chez Caravage, des striages qui sont extraordinaires. J’ai pas besoin d’invoquer alors même, tout à fait autre chose, la peinture de sous bois, qui dans le paysagisme, est une peinture très très importante. Quand au clair obscur, c’est l’affaire de tout le XVIIème siècle.

Dans la salle : Oui mais est ce que ça apparaît comme un problème d’opposition, est ce que chez Rembrandt, c’est pas plutôt une thématique du dégradé.

Deleuze : Si tout a fait, tout à fait, tout à fait, et c’est bien pour ça que j’ai dit, "il ne s’agit plus d’opposition infinie entre deux forces, il s’agit des distances, des distances relatives à un point zéro". Tout à fait, on est entré dans le domaine d’un véritable dégradé. Mais quelque chose comme tout ça, sentez que je cherche des transitions, quand il s’agit de stries - qui vient de parler ? - quand il s’agit de stries quelque chose de l’opposition demeure encore, mais sous forme d’alternance, c’est déjà plus de l’opposition, c’est une alternance. On a glissé de l’opposition infinie, à l’alternance finie. Quand on atteint les degrés de clair obscur, il n’y a plus d’opposition sinon entre un maximum et un minimum. Et je dis, c’est là sans doute que, apparaît la naissance du visible. L’apparaître du visible. Et pourtant le clair obscur y cache, je dirais est ce que c’est pas le premier instant du visible ? Pourtant le clair obscurn Il cache autant qu’il fait apparaître, c’est à dire que c’est, c’est tellement l’instant le premier instant du visible, que c’est dans leur disparaître même que la chose, que les choses apparaissent.

-  dans la salle : Il y a quelque chose qui, il y a quelque chose qui me frappe dans ce modèle à propos de tout à l’heure. C’est que ça m’a l’air singulièrement arborescent non seulement singulièrement arborescent mais une arborescence qui en plus fonctionne avec des couples heu, et on se demande si celle ci chez toi ... un peu chez Badiou. Ca découle de contradictions, on a l’impression d’être dans une, dans quelque chose d’entièrement dialectique hors avec le passage de du clair obscur strié au clair obscur, comment dirais je, dispersé, dispersif, il me semble qu’on retourne alors de l’arborescent au rhizomatique et qu’en plus, il me semble, là je vais dire un mot que je ne trouve pas, je lâche avant d’avoir pensé, il me semble qu’on retourne dans du qualitatif...

Deleuze : Oui, écoute là je suis troublé et gêné parce que tu me force à parler de moi et à rappeler, là comme même ta remarque elle est, je sais pas, je comprends que tu la fasses toi, mais moi je peux pas la faire je ne suis pas du tout en train de dire ce que je pense moi. Je suis en train de vous raconter l’histoire qui est celle de Boehm et de Schelling et si tu me dis c’est arborescent ce truc la, évidemment, c’est même pour ça que je me sens ni Boehmien, ni Schellingien. Mais tout comme alors lorsque je vous raconte Kant c’est comme si je vous racontais, bah je vous raconte Kant. Et dieu merci je n’ai pas envie de faire la moindre objection devant des pensées aussi profondes et aussi belles et ce serait une honte de ma part d’en faire, alors mais ça si tu veux dire, mais tu t’y retrouves toi là dedans ? Si tu me dis ça t’intéresse toi tout ça, oui ça m’intéresse beaucoup, ça m’intéresse beaucoup.

-  Parce que comme tu dis finalement, c’est vrai que le schéma est arborescent mais que, ils s’y flanquent tout d’un coup de tel, je pense à ça. Prends un arbre peint par un peintre du XVIIème siècle, c’est arborescent, d’accord c’est arborescent. Mais c’est aussi autre chose qu’arborescent c’est, c’est, c’est, alors tu as raison c’est un schéma, c’est la dialectique ce que je te raconte c’est, vous le savez Hegel il a pas inventé la dialectique, ça vous le savez, il l’a énormément durcit, il l’a énormément durcit. Heu parce que la dialectique chez Schelling c’est quelque chose avec des transitions, des douceurs, des, c’est pas là, il a fait une dialectique de guerre. C’est pas que ça soit pas beau, elle est merveilleuse sa dialectique de guerre. Mais il y’ a plus, c’est très, ça marche vraiment, d’un pas très spécial. Tandis que chez Schelling c’est tout a fait autre chose, alors vous avez des arborescences, et puis vous avez comme une espèce de boule, de nébuleuse tout d’un coup, et puis ça reprend, et puis ça, c’est, c’est le diable pour s’y retrouver. Alors vous comprenez j’essaie de vous donnez un schéma où on s’y retrouve. Mais alors, faut pas me dire que je me renie, parce que, c’est pas moi, moi je pense rien de tout ça, c’est pas moi là, c’est pas ma faute, c’est la faute à Boehm. Enfin c’est beau, c’est rudement beau.

-  Alors moi ce qui m’intéresse, si tu me dis toi qu’est ce qui t’intéresse là dedans ? moi ce qui m’intéresse là dedans, c’est l’affaire des intensités. Hors je crois que, dès que les intensités apparaissent, précisément les oppositions, ils peuvent plus en mettre, ou ils peuvent en mettre que très, très idéalement, c’est devenu des oppositions idéales, plus du tout des oppositions réelles, mais, enfin peu importe. Alors voilà, ce clair obscur, ben oui, là alors ça lui donne raison à lui, c’est évidemment plus les alternances, les alternances des contraires. C’est devenu un mélange qui passe par tous ces degrés là dans une espèce... l’échelle à la lettre, je peux dire qu’une chose, l’échelle est devenue mobile. Mais on est toujours n’empêche, dans ce domaine de la distance par rapport à zéro, et on a fait un pas de plus, vous voyez à chaque fois on a fait un pas de plus, vers les conditions de l’apparaître.

Là on a un apparaître qui se confond avec le disparaître même des choses. Vous dites les choses, mais d’où ça vient, ça y est pas encore. Et non, et non, ça y est pas encore, elles n’ont qu’un disparaître, elles disparaissent avant d’avoir apparu, c’est ça la merveille. A la lettre, je dirais elles ne sont déjà plus là, mais elles étaient pas encore là. Et bah avant d’être là, elles sont déjà plus là. C’est quoi ça ? C’est que en effet le clair obscur, cache, cache et transcrit sur son échelle mobile, ce qui va définir les choses, à savoir le contour. Il le noie et pourtant il en est l’aurore, il est comme l’annonce du contour. Un vague contour apparaît et disparaît, à travers les degrés du clair obscur. Et le contour ce sera quoi, quand ça apparaîtra ? On verra est-ce que ça peut apparaître, à supposer que ça apparaisse, à supposer qu’il se détache de son "disparaître" dans le clair obscur. Le contour, il aura une autre allure, ce sera plus l’obscur ce sera vraiment, Goethe a une belle formule " le coté ombreux des choses", quand il définit - Là vous voyez, on pourrait essayer de fixer des concepts en même temps je veux pas trop fixer parce que faut que vous gardiez votre mobilité de vocabulaire - On parlerait plus du clair et de l’obscur comme tout à l’heure, on parlerait plus du blanc et du noir comme pour les stries, on parlerait plus du clair et de l’obscur, là on parlerait encore d’autre chose, on parlerait de l’ombre, le "côté ombreux des choses".

-  Bon, ce serait l’apparition du contour, mais comment, ça définit quoi le contour ? Les objets et ce contour évanescent qui disparaît dans le clair obscur, qui va apparaître dans, dans quoi ? De toute manière cet ensemble du contour apparaissant et disparaissant c’est quoi ? C’est la nature, ou plutôt l’esprit de la nature.
-  Et par le disparaître des contours, les choses, les objets se réunissent en une même nature.
-  Et par l’apparaître des contours, les choses se distinguent les unes des autres. Et comme dira Schelling, c’est le monde de l’égoïté, que se soit l’égoïté de la nature. C’est bizarre ça parce que quel renversement alors par rapport à l’ego. L’ego c’est le moi de la nature, l’égoïsme. C’est l’esprit de la nature, et tout ce troisième stade c’est l’esprit devenu esprit de la nature. Et ce n’est plus la volonté de se révéler, c’est quoi ? c’est déjà le premier stade de la révélation, et le premier stade de la révélation chez Jacob Boehm reçoit le nom de "désir". C’est le désir égoïste qui traverse et la nature et les objets, et les objets dans la nature. Et vous me direz, mais ça suppose le contour ça, hein, or il faut donc un troisième stade. Oui il fallait un troisième stade toujours dans ce troisième, non fallait,
-  j’avais les stries, comme première étape, - j’avais les degrés du clair obscur, - mais c’était pas encore le contour, c’était déjà le disparaître du contour.

-  Il faut à travers l’esprit de la nature, il me faut encore quelque chose, il me faut un troisième moment. Nommons le l’apparition de la couleur inséparable de l’intensité comme lumière.

Et ne nous dit-on pas que les degrés de clair obscur valaient déjà pour des couleurs ? Ouais, ils anticipaient sur la couleur, ils étaient aussi bien le disparaître des couleurs, que l’apparaître des couleurs. Quelle couleur ? Ah pas n’importe quelle couleur. Pour que la couleur apparaisse, il suffit d’obscurcir le blanc. Le blanc vous vous rappelez dans l’échelle des degrés, le degré d’opacité minimum. J’obscurcis le blanc. Le noir c’était le degré zéro, l’opacité maximum, j’atténue le noir. J’obscurcis le blanc et j’atténue le noir. Bon et surgissent deux couleurs.
-  Et ces deux couleurs sont "désir", et ces deux couleurs se nomment le jaune et le bleu. Les deux figures du désir.

Voilà que si je me réfère, vous voyez le chemin parcouru, si je me réfère à mon second stade
-  la lumière maintenant est devenue le jaune,
-  l’abîme des ténèbres est devenu le bleu.
-  Le jaune c’est le blanc rendu plus sombre,
-  le bleu c’est le noir rendu plus clair définition de Goethe.

Très important parce que y va de soi que ces définitions ne seraient pas valables, vous comprenez si vous les séparez de tout contexte précédent ou d’un contexte équivalent, je dis pas celui là particulièrement où la lumière entre en lutte avec les ténèbres dans une opposition infinie, ça c’est la condition. Si vous ne vous donnez pas cette condition, alors ce que je viens de dire est un strict non sens. Ce que je viens de dire à savoir, le jaune est un blanc obscurci, le bleu est un noir éclairci perd tout sens. Puisque cela n’a de sens que dans la mesure où, la lumière ne se divise pas par elle même en couleur, si la lumière se divise ainsi, vous posez un problème tel que la lumière se divise elle même en couleur, vous pouvez plus dire ça. Evidemment, vous pouvez dire ça que si vous considérez que la lumière ne se divise pas elle même en couleur et pourquoi elle ne se divise pas elle même en couleur ? Parce qu’elle est invisible. Donc elle ne peut pas se diviser elle même en couleur. Elle est invisible et non seulement invisible, étant invisible elle est indivisible. C’est le point de vue de Goethe. Donc la couleur ne pourra surgir qu’à la faveur de l’opposition infinie de la lumière et des ténèbres. Ou si vous préférez du blanc et du noir avec une transformation. Si au contraire, pour des raisons quelconques, vous penchez pour l’idée que, la lumière s’analyse elle même en couleur, se divise elle même en couleur, à ce moment là c’est pas pour vous tout ce qu’on est en train de dire. En d’autres termes, ce que je raconte d’un certain point de vue, c’est Boehm, d’un autre point de vue, de ce point de vue c’est, Boehm fait déjà allusion aux couleurs tout le temps c’est pour ça que je peux les grouper, c’est Goethe. Jamais Newton ne dirait des choses comme ça, parce que pour Newton la lumière se divise elle même en couleurs. Pour Goethe la lumière est invisible et indivisible et donc donne lieu à des couleurs que par l’opposition infinie de lumière avec les ténèbres.

Vous me direz qui a raison ? Je suppose c’est une question légitime. Essayez de comprendre ce que je veux dire. Même la science ne peut pas vous donner de réponse à cette question. Même la science ne peut pas vous donner de réponse à cette question. Parce que cette question est précisément de nature philosophique. Pourquoi ? Pas du tout parce qu’elle est anti scientifique, mais parce qu’elle concerne les conditions même sous lesquelles un problème scientifique peut être posé. Et que la science n’est pas juge des conditions sous lesquelles les problèmes de la science se posent. Alors je dirais le contour des choses.
-  Voilà c’est un troisième degré dans ma troisième étape.

Voyez l’échelle des opacités avec, en haut le blanc en bas le noir. Voilà que le noir s’est éclairci et a donné un degré, le bleu comme noir éclairci, le blanc est descendu d’un degré a donné le jaune comme blanc obscurci. C’est le jaune et le bleu qui font les contours. C’est le jaune et le bleu. Pas en fait, pas toujours en fait, mais en droit, c’est comme ça en droit. - C’est le jaune et le bleu qui font les contours. Pour obtenir un contour il faut opacifier, opacifier le clair, ou atténuer le noir. Les choses, ne sont pas jaunes ou bleues, mais les contours des choses sont jaunes ou bleus. Vous me direz jaunes ou bleues ? Les deux à la fois. Les deux à la fois. Vous me direz elles sont vertes ? Non elles ne sont pas vertes, non elles sont jaunes ou bleues. Dans une espèce de disjonction pourquoi je dis qu’elles ne sont pas vertes encore. Parce qu’on sait pas ce que c’est que le vert on sait ce que c’est que le jaune et le bleu c’est tout.

Alors bon pourquoi jaune ou bleu ? Parce que, -le jaune est le mouvement excentrique - ça c’est raconté de tout temps, dès la Renaissance. Ils ont de très belles pages que Kandinsky reprendra avec génie. Le jaune comme mouvement excentrique, d’expansion. Alors là il y a de l’intensité, c’est des mouvements d’intensité, bien que ils aient leurs expressions dans l’espace.
-  Et le bleu comme mouvement concentrique, de contraction. Et la preuve que c’est bien des mouvements intensifs, c’est que, ces mouvements dépendent de quoi ? De ceci que le jaune est dit la couleur chaude et le bleu est dit la couleur froide. Et le chaud et le froid forment précisément l’échelle intensive, quand le jaune et le bleu succèdent au clair obscur. C’est une succession toute logique hein.

D’accord ? et le désir il est né de - et vous voyez pourquoi c’est ça l’esprit de la nature, l’esprit de la nature qui ne cesse de réunir tout en jaune, qui ne cesse de distinguer tout en bleu, et qui est traversé par l’égoïté. L’égoïsme, son égoïsme à elle, Nature, l’égoïsme de chaque chose qui l’a compose. Les pages de Schelling - je cite chaque fois l’auteur qui a principalement insisté - les pages celles de Schelling sur l’égoïsme de la nature et dans la nature, font partie des plus beaux, les plus beaux poèmes philosophiques qui soient. Ca va vous avez pas... ? C’est le monde de l’individuation quoi, c’est ce que plus tard, là je mélange tout, c’est ce qui plus tard chez Schopenhauer, apparaîtra comme le monde de l’individuation, tient lequel Schopenhauer fit et commença son oeuvre presque, par une théorie des couleurs.

-  Bon, il est temps de passer à une quatrième étape, mais alors c’est la plus terrible. Pourquoi ... après cette quatrième étape, on arrêtera parce que. Qu’est ce qui fait que ça n’en reste pas là ? Là il y a un mystère. C’est que, l’intensité voyez, l’intensité a cessé, elle a quitté l’infini, l’infini de la distance de la première étape, l’infini de l’opposition de la seconde étape. L’intensité est passée dans les distances finies par rapport à zéro. Distance finie du jaune par rapport à zéro, distance finie du bleu par rapport à zéro ...

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La voix de Gilles Deleuze en ligne
L’association Siècle Deleuzien