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36- 22/03/83 - 1

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Deleuze - Cinéma cours 36 du 22/03/83 - 1 transcription : Elen Brandao Pimentel

Et bien c’est presque fini tout ça il faut qu’avant midi Aujourd’hui voilà :

... On était parti avec le premier aspect du temps : le temps intervalle. Le démesuré, c’est l’ensemble du temps, c’est l’immensité du passé et du futur. Ce n’est plus l’intervalle, présent variable, c’est l’immensité du passé et du futur, c’est l’ensemble du temps constitué come simultanéisme. Et sous la plume de Gance va surgir la formule du simultanéisme, formule qui fait écho à quoi ?

-  A la même époque, des peintres lancent le mot d’ordre du simultanéisme. En quoi est-ce que ces peintres se distinguent du cubisme ? Ne serait-ce que pratiquement, au niveau des formes qu’ils empruntent ? Ils ne se lassent pas d’explorer les circonférences, les demi-cercles, contrairement aux cubistes qui ont besoin de décomposition par surfaces angulaires, par arrêtés. Ces simultanéistes, ce sont les Delaunay, Léger qui va lancer dans la peinture les arcs de cercles les plus extraordinaires qui soient. Léger va se passionner pour le cinéma en fonction de ses possibilités de simultanéisme.

-  Le simultanéisme ça n’est pas du tout le présent, la saisie du présent, ça n’est pas du tout l’impressionnisme (l’art de l’intervalle). Le simultanéisme, c’est l’éternité du temps, ça n’est pas du tout l’éternité tout court, c’est l’éternité en tant qu’éternité du temps, le temps saisi comme ensemble du temps. L’immensité, la simultanéité du passé et du futur dans l’ensemble. Et quand est-ce que et où est-ce que le passé et le futur sont-ils simultanés ? Seulement et uniquement dans l’ensemble du temps. dès que vous les sortez de l’ensemble du temps, ils ne sont plus simultanés. La roue de Delaunay et la roue de Léger c’est l’ensemble du temps.

-  Pour ajouter un troisième grand nom, Messiaen. Il élabore une conception célèbre qu’il nommera les rythmes non rétrogradables. C’est par exemple lorsque vous avez deux rythmes, l’un à gauche et l’autre à droite, qui sont l’inverse l’un de l’autre, c’est à dire qui sont la rétrogradation l’un de l’autre, et au centre il y a un rythme constant. L’ensemble des trois définit, selon Messiaen, un rythme non rétrogradable. Inutile de dire que les couleurs de Delaunay sont typiquement non rétrogradables ; la modulation des couleurs... Il y a un peintre qui a employé l’expression "rythme non rétrogradable" à propos de la peinture et de la modulation des couleurs, c’est Klee, dans son journal. Messiaen donne lui-même comme exemple les couleurs d’un papillon. Il donne un exemple pictural. Le triple écran de Gance c’est pour faire du rythme non rétrogradable visuel. La preuve c’est qu’il dit lui-même que vous aurez à droite et à gauche deux figures symétriques inverses, et au centre une image principale. Vous avez deux rythmes qui sont la rétrogradation l’un de l’autre, à droite et à geuche, les deux mouvements sont la rétrogradation l’un de l’autre, et au centre vous avez l’image principale, c’est à dire principalement un rythme non rétrogradable.

-  Qu’est-ce que ça veut dire, tout ça ? C’est précisément la recherche et la capture d’un démesuré ou d’un sublime visuel. Ce sublime visuel c’est l’ensemble du temps. C’est le simultanéisme, c’est-à-dire l’immensité du futur et du passé en tant qu’ils sont simultanés, et qu’ils ne sont simultanés que dans l’ensemble du temps. Qu’est-ce que ça veut dire l’ensemble du temps ? Je vous parle de gens qui ont donné à cette notion une consistance, même si cette notion n’en a pas indépendamment d’eux. Un cercle de Delaunay est une réponse à "qu’est-ce que l’ensemble du temps ?".

-  Si je me résume, de l’image-mouvement conçue en extension, c’est à dire en quantité de mouvement, se dégagent deux figures du temps. Ces figures seront dites figures indirectes du temps puisqu’on les induit du mouvement. Ces deux figures du temps, je les appelle, la première nombre du mouvement, mouvement absolu, l’ensemble du temps, l’immensité du futur et du passé, le simultanéisme, la grandeur du mouvement, la roue, le sublime mathématique. L’autre figure indirecte du temps, je l’appelle l’unité de mesure du mouvement, l’intervalle du mouvement, le temps comme partie, le présent vivant. Voilà les deux figures du temps. Le mouvement ce n’est pas simplement le mouvement extensif, c’est à dire le déplacement d’un mobile. Il y a autre chose, il y a le mouvement intensif. L’intensité, c’est un mouvement et ce n’est évidemment pas un déplacement dans l’espace.

-  Mais pourquoi est-ce que l’intensité c’est un mouvement ? Ca nous arrangerait bien si c’était une lumière, mais pour l’instant on tâtonne. Pour que l’intensité soit lumière, ça peut aller. Mais la lumière, ça ne se déplace pas dans l’espace ? Peut-être ! Peut-être que même si ça se déplace dans l’espace, ça ne se déplace pas de la même manière qu’un corps qui change de position. Qu’est-ce que serait un mouvement intensif ? En quoi serait-il différent d’un déplacement de l’espace ? Je pense au problème de la causalité. Au niveau le plus général les philosophes, dès le christianisme (c’est très lié aux problèmes de l’hérésie et à la théologie) distinguaient trois grands types de causes : la cause transitive, la cause émanative, la cause immanente. Et ils se déchiraient pour savoir laquelle de ces causes était Dieu.

-  La cause transitive c’est une cause qui doit se définir ainsi : elle sort de soi pour produire, et ce qu’elle produit, c’est à dire son effet, est en dehors d’elle. Donc deux caractères : son effet lui est extérieur et elle sort de soi pour produire son effet. Dans le déplacement d’un mouvement dans l’espace, la position antérieure est la cause transitive de la position suivante. Il y a extériorité. Inutile de vous dire que si le christianisme a besoin d’une cause transitive c’est de toute urgence puisqu’il tient à l’idée qu’il y a une distinction réelle entre le monde et Dieu, c’est à dire que Dieu a créé le monde. Si le monde est créature de Dieu et Dieu créateur, il faut de toute urgence que Dieu sorte de soi pour produire le monde, et que le monde soit extérieur à Dieu. Il faut donc que Dieu soit la cause transitive.

-  La cause émanative c’est plus sournois ; c’est une cause telle que l’effet est extérieur à la cause, seulement la cause reste en soi pour produire bien que ce qu’elle produise sorte d’elle. La cause ne sort pas de soi pour produire, mais ce qu’elle produit sort d’elle. Si vous pensez à la lumière, ce n’est pas compliqué. La lumière c’est le type d’une cause émanative : le soleil reste en soi pour produire, mais ce qu’il produit sort de lui. C’est le rayon lumineux, la lumière diffusante. Et à la fin de la philosophie grecque, d’une manière presque contemporaine au christianisme, se fait toutes sortes de mouvements autour d’une conception émanative de la cause. Ce sera ce qu’on appellera le néo-platonisme, et le néo-platonisme dont Plotin ne cesse de développer les plus splendides métaphores lumineuses. C’est le plus grand luministe en philosophie.

-  Et ceux qui vont le plus loin invoquent la cause immanente. C’est une cause qui non seulement reste en soi pour produire, mais est telle que l’effet produit reste en elle. Un exemple pur de cause immanente est développé par la philosophie maudite de Spinoza. Tout le monde lui tombera dessus. Parlons de théologie. Dieu, le concept de Dieu, est-ce une cause transitive, une cause immanente ou bien une cause émanative ? Les théologiens seront bien forcés d’y mettre un peu des trois. Ils vont dire au Pape : cause transitive. Il n’y a plus de christianisme s’il n’y a plus de distinction réelle entre les hommes et Dieu. Mais comment Dieu a-t-il pu faire le monde ? Ca commence à devenir embêtant. Il n’a pu le faire que d’une manière. Il a bien fallu qu’il ait un modèle dans son entendement. C’est les Idées telles qu’elles sont contenues dans l’entendement de Dieu, et c’est par un acte de volonté que Dieu produit un monde conforme aux idées qu’il a dans son entendement. Alors d’accord il y a causalité transitive entre Dieu et le monde si vous considérez Dieu d’une part, et d’autre part le monde créé par la volonté de Dieu. MAis si vous considérez Dieu et le monde modèle qu’il a dans son entendement, là vous avez de la cause immanente. Ce monde modèle, ce sont les idées de l’entendement de Dieu. Elles ne peuvent pas sortir de l’entendement de Dieu. Elles restent dans l’entendement de Dieu et Dieu reste en soi pour les contempler. Nous sommes en pleine causalité immanente.

-  Bien plus, pour arranger le tout et pour concilier les deux mouvements précédents, il faudra bien qu’ils invoquent une espèce d’émanation qui vient du monde tel que Dieu le produit au monde modèle dans l’entendement de Dieu. Cette fois-ci, il y aura causalité émanative entre le monde des idées dans l’entendement de Dieu et le monde réel produit conformément à ses Idées. Si bien, qu’à ma connaissance, il n’y a aucun philosophe, aucun théologien qui ne doive faire appel aux trois causes à la fois. Si bien qu’ils se retrouvent une fois orthodoxes et deux fois hérétiques, sauf Spinoza qui se retrouve hérétique pour tout le monde et pour toutes les religions. Et ils discutent très ferme. Ils se dénoncent les uns les autres auprès du Pape. On assiste tout le temps à des mises au point qui ne sont pas du tout sur le sexe des anges, mais qui sont de très grandes discussions sur la théorie de la cause et ça engage toute une pratique. Quelqu’un qui insiste sur la cause émanative n’est pas loin de faire de la lumière Dieu lui-même. C’est pas mal mais ce n’est pas orthodoxe.

-  Cette cause émanative qui convient si bien avec la lumière, est-ce qu’on ne l’approche pas d’une compréhension de XXXX. En quoi c’est du mouvement ? L’intensité ou la lumière produit quelque chose. Elle reste en soi pour produire ce qu’elle produit, et ce qu’elle produit ne reste pas en elle. "La lumière tombe". Qu’est-ce que c’est que le mouvement de l’intensité ? Le mouvement de l’intensité c’est "la lumière tombe", c’est à dire que c’est la distance qui sépare l’intensité comme degré du zéro. La distance qui sépare de zéro une intensité comme degré. Du point de vue du mouvement en extension, on était parti de deux notions, grandeur et unité. Là on se trouve devant deux notions différentes : distance, zéro. Une grandeur c’est une quantité extensive et divisible. Une distance c’est une grandeur mais une grandeur indivisible qui sépare un degré quelconque de zéro. C’est la définition même d’une intensité. Est-ce qu’il y aura un temps de l’intensité ? Est-ce qu’il y aura des figures indirectes de l’extension ? Est-ce que nous aurons là de nouvelles figures du temps ? Peut-être peut-on prévoir ? On avait un ensemble du temps et on avait des parties du temps, et c’était tout du point de vue des deux figures correspondant à l’extension. Là, on aura un ordre du temps. C’est tout à fait différent. C’est cet ordre du temps qui correspondra au mouvement intensif.

-  Pratiquement il nous reste à découvrir toutes sortes de figures du temps. On a réglé l’ensemble du temps, c’est à dire l’immensité du passé et du futur, la partie du temps, c’est à dire le présent vivant. Et maintenant voilà qu’on bute sur un ordre du temps, et quoi ? Un zéro du temps ? Est-ce que ce serait un instant ? Un ordre du temps et une instantanéité du temps ? Un ordre du temps renvoie aux distances alors qu’un ensemble du temps renvoyait aux grandeurs divisibles. Là, comment va se définir le temps ? Suivant la cause émanative, si ça sort de la cause pour tomber hors de la cause, mais la cause reste en soi, qu’est-ce que vous voulez faire ? Ou bien vous tomberez et vous tomberez jusqu’au degré zéro, ou bien vous remonterez et vous vous convertirez, c’est-à-dire que vous vous retournerez vers la cause.

-  Les deux mouvements c’est : il y a la chute et la conversion ou le retournement. C’est les figures du temps ; c’est des abîmes du temps. Or, chez les Grecs, il y a toujours eu deux tendances. Ceux qui rapportent le temps au mouvement et ceux qui rapportent le mouvement à l’âme. Il va de soi que nous sommes dans une pensée qui rapporte le temps et qui comprend le temps en fonction de l’âme, dans le double mouvement de la chute et de la reconversion. Jacob Boehm, ce sera le maître des grands romantiques allemands. Au début de sa vie, il y aura Aurora, et à la fin de sa vie Mysterium Magnum. Il fait partie des grands penseurs allemands qui n’a été connu en France que très tardivement, grâce à Alexandre Koyré qui a écrit un gros livre sur lui. Voilà donc que Boehm nous propose une histoire qui est comme celle de cet ordre du temps, de cette chute et de cette montée. Il y aura la fureur de Dieu, le désir de Dieu, il y aura l’amour de Dieu, et tout cela entrera dans une série de concepts proprement insensés. Ce qu’il appelle la fureur de Dieu est une des plus belles choses du monde. Goethe sera dans un système de résonance (laïque) à Boehm. Ca va ensuite influencer Schelling ...

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