THEMES COURS
 ANTI-OEDIPE ET AUTRES RÉFLEXIONS - MAI/JUIN 1980 - DERNIERS COURS À VINCENNES (4 HEURES)
 SPINOZA - DÉC.1980/MARS.1981 - COURS 1 À 13 - (30 HEURES)
 LA PEINTURE ET LA QUESTION DES CONCEPTS - MARS À JUIN 1981 - COURS 14 À 21 - (18 HEURES)
 CINEMA / IMAGE-MOUVEMENT - NOV.1981/JUIN 1982 - COURS 1 À 21 - (41 HEURES)
 CINEMA : UNE CLASSIFICATION DES SIGNES ET DU TEMPS NOV.1982/JUIN.1983 - COURS 22 À 44 - (56 HEURES)
 CINEMA / VÉRITÉ ET TEMPS - LA PUISSANCE DU FAUX NOV.1983/JUIN.1984 - COURS 45 À 66 - (55 HEURES)
 CINEMA / PENSÉE - OCTOBRE 1984/JUIN 1985 - COURS 67 À 89 (64 HEURES)
 - CINEMA / PENSÉE + COURS 90 À 92
 - FOUCAULT - LES FORMATIONS HISTORIQUES - OCTOBRE 1985 / DÉCEMBRE 1985 COURS 1 À 8
 - FOUCAULT - LE POUVOIR - JANVIER 1986 / JUIN 1986 - COURS 9 À 25

35- 15/03/83 - 3

image1
27.9 Mo MP3
 

Gilles Deleuze - Cinéma cours 35 du 15/03/83 - 3 transcription : Nadia OUIS

Comtesse parle :

...Une expérience du temps comme série ou succession d’instants séparés dans l’intervalle, donc ça implique un intervalle, chaque instant est séparé par un néant. Et donc l’intervalle entre deux instants est constitué par un néant qui ronge chaque instant et l’empêche de passer d’un instant à un autre et c’est simplement Dieu, par ses théories de fantasmes ou ce délire philosophique de la création continuée, qui abolit justement, résoud le problème du passage, résoud le problème de l’intervalle et fait passer dans la répétition des instants créateurs un instant à un autre et qui donc, qui donc, néantise le néant qui sépare un instant d’un autre. C’est pourquoi le cogito chez Descartes sera saisi en un instant. On ne peut saisir son être, l’être du "je", que dans un instant, c’est-à-dire l’instant qui néantise le néant qui ronge le temps. Donc il me semble là qu’il y a une ultime...Qu’on ne peut pas référer la théorie du temps chez Descartes, à l’équivalence du mouvement astronomique chez les grecs et que le délire philosophique suppose bien une expérience complètement folle sinon du temps, c’est-à-dire le problème du néant. Le seul problème du temps chez Descartes, c’est le problème du néant. Le problème de l’être, c’est le problème justement même de l’être divin au niveau même des "Méditations" ou du "Discours de la Méthode", c’est le problème d’un instant qui puisse échapper à l’intervalle.

GD : Oui, oui, oui ! Faut avoir pitié de moi ! je vais te dire tu me flanques et tu nous flanques à tous une interprétation de Descartes - c’est très difficile tout ça - une interprétion de Descartes qui semble aller assez contre la mienne. C’est possible, moi je veux bien. Je répondrais juste : je ne crois pas. Je ne crois pas que tu aies raison. Je crois que tout ce que tu viens de dire de très...Avec beaucoup de force et de puissance sur l’instant, vaut absolument chez Descartes au niveau de l’instant "créé" et que c’est pas par hasard que, en revanche, je maintiens, là aussi tu pourrais dire... - je sens que tout ça est difficile - je maintiens que Descartes établit une différence de nature entre l’instant créateur, qui renvoie aux actes de la création continuée, aux actes divins, et l’instant créé. Je dis que tout ce que tu viens de dire sur l’intervalle, convient à "l’instant créé". Je dis que ça ne convient pas à "l’instant créateur" dont le mystère est tout autre que celui que tu dis. Tu reconnais bien qu’il y a un mystère, mais toi tu estimes que le mystère c’est précisément que, l’intervalle introduit nécessairement l’idée d’un néant.

E : C’est Descartes qui dit ça.

G.D. : Oui oh écoute là... aie d’autant plus pitié que il ne suffit pas de dire : c’est Descartes qui le dit - soit là tu deviens un enfant pour faire croire que Descartes le dise. Si tu me dis la prochaine fois, j’apporte un texte la prochaine fois, tu sais bien que ça nous prendra une heure de voir le contexte du texte que c’est pas facile, de dégager ce que veulent dire des textes de cette nature. Alors, épargne-moi, moi je ne te ferai jamais l’insolence.. ;

Réaction d’une élève

Non ! Pardon ! Une seconde ! oh non là une seconde, une seconde. Je ne te ferai jamais l’insolence de... Madame ! Si vous continuez, je m’arrête moi.

Madame : Ecoutez, il s’agit d’approcher la vérité...

GD ; Bon, ben ça nous fait une récréation.

Rires, Souffle, plusieurs personnes parlent en même temps

Madame : ...Postulat qu’il y a un trou, un néant entre le présent et le futur. Alors on se pose la question comment si il y a une distance, un intervalle...

G.D. : Aïe aïe aïe,

M : entre le présent et le futur, le présent peut décider (incompris) alors vous avez abordé le problème de façon complètement insuffisante

Réactions

GD : Ah...

M : la causalité, la contradiction entre la distance entre présent et futur et la possibilité de nécessiter le futur de ( ?) à travers le présent ; alors il y a une totale différence (incompris) la causalité et la distance de tout entre les instants. Ça c’est le premier....

Remous dans la salle.

GD : Co ! euh pardon. Comme vous venez de le dire si bien, ayant abordé le problème de manière insufisante. Je vous conseille très vivement d’aller écouter d’autres cours. Déjà la vie est dure ! (Rires) Ah... ! vous êtes fatigants...

E2 : Je voudrais...

G.D. : alors je réponds plus sérieusement, oui ?

E2 : je sais pas si ça vient dans la discussion mais j’ai voudrais... J’ai entendu comme ça les choses que vous avez exposées de loi de trafic céleste. Il y a une continuité, une symétrie dans les planètes dans les huit sphères, est-ce qu’il n’y a pas de petit accident d’éclatement ?

G.D. : Si ! ah si si si !

E2 : et je voudrais aussi parce que ça m’intéresse je vois le temps social, le temps social que ça vient du dehors. Du dehors par rapport à l’acteur ( ?) à l’homme. Tandis que le temps de l’univers c’est un temps en soi. Qu’est-ce que vous pensez ?

G.D. : Je peux pas répondre. Je veux dire pas que la question soit mauvaise, la question est trop loin de ce dans quoi je suis là actuellement, donc je commence à me repentir sérieusement d’avoir abordé cette question. (Rires, réactions). C’est... je veux dire, c’est trop compliqué pour moi actuellement de pouvoir vous répondre. Je me résume... Oui ? pitié ! Oui ?

Rires déclenchés par le début de l’intervention de E3

GD : Je savais pas qu’il y avait autant d’astronomes là-bas, je devrais vraiment parler d’autre chose. Oui ?

E3 : Vous avez tout à fait expliquer que dans le projet métaphysique de Descartes, il explique, il arrive à faire de la métaphysique avec les métaphysiciens de son époque mais il quand il parle là de néant, il se trompe, il se trompe, il explique un néant...

Interruptions par des remarques

G.D. : Ecoutez ! Ecoutez moi bien ! Ce sera le jour de mes souffrances les plus... L’expression, pour moi - je vous force pas à avoir la même idée - l’expression que un penseur quelconque, j’ajoute un grand penseur se trompe est un non-sens bouffon. Alors si quelqu’un me dit : "Descartes se trompe. je ne comprends même pas ce qu’il peut bien avoir dans la tête, en revanche je comprends bien et là ça supprime toute question, ouf ! Je reviens à des rivages plus...Alors Comtesse il me dit autre chose, il me dit : tu te trompes dans l’interprétation que tu donnes de Descartes.

E3 essaye d’intervenir

G.D. : Non écoutez !

E4 : ... rien ce néant...

G.D. : Non ! Je souffre trop, je souffre ! Je souffre ! faut pas...Quand j’entends Descartes se trompe, ça y est ma souffrance est en marche, je peux pas, je peux pas. Car je comprendrai très bien que quelqu’un me dise : les problèmes que je pose n’ont rien de commun avec les problèmes que pose Descartes. A ce moment là quelqu’un ne dirait pas Descartes se trompe. Il dira je n’ai rien à faire avec Descartes puisque je pose des problèmes et à première vue je vois rien chez lui qui corresponde à ces problèmes. Mais oser dire que dans la perspective où Descartes se situe, et relativement au problème que Descarte pose, oser dire que Descartes se trompe ! écoutez, il y a de quoi, il y a de quoi...je ne sais pas moi, si j’osai dire...Je ne peux certes pas vous frapper...Mais il y a de quoi ! Je serai un maître du bouddhisme zen, je vous aurais foutu un de ces coups de bâtons sur la tête ! Mais vous vous rendez compte de ce que vous dites ? Ou bien, ou bien, ça ne veut rien dire...Pardonnez-moi d’être brutal, vous me pardonnez tout, je veux dire, ou bien c’est un non-sens ou bien c’est une stupidité. Vraiment ! Dire Hegel se trompe, dire Descartes se trompe, Platon se trompe, mais vous vous prenez pour qui ? Mais c’est effarant entendre des choses comme ça. Je vais vous raconter une histoire. On pourrait dire aussi, vous me l’avez épargné jusqu’à maintenant, même la dame. Vous pouvez me dire ; ah ben mais c’est pas MV qui se conserve c’est bien connu, c’est MV 2. Ah. Donc Descartes s’est trompé, Descartes s’est trompé. Je vais vous raconter une hstoire vous allez comprendre facilement la plupart d’entre vous si vous aviez besoin d’être convaincus. Il faut se demander à quelles conditions on pouvait dire, ce qui se conserve c’est MV2 ? Bon. Si on consent à se poser cette question, au lieu comme un benêt, de dire ce qui se conserve c’est MV2. On s’apercevra que l’élévation au carré de V, c’est-à-dire V2 ne peut pas se faire sans le calcul différentiel. Tout simple. Dans un système mathématique qui ne dispose pas du symbolisme du calcul différentiel, dire : ce qui se conserve c’est MV2, n’a strictement aucun sens.

Donc ça ne pouvait pas être vrai ! Dans un système défini par exemple par les coordonnées de géométrie analytique de Descartes, MV2 est une formule dénuée de tout sens. C’est pas compliqué à comprendre. Quand un problème est donné, ce problème c’est même ce que je viens d’ex...C’est ça que je veux dire, les données d’un problème, c’est qu’un problème renvoie toujours au système de concepts dont vous disposez pour le résoudre. Donc il ne faut jamais juger des réponses comme ça : est-ce vrai ? / est-ce pas vrai ? Il faut rapporter toujours les réponses au problème, aux données du problème, les données du problème étant le système symbolique dont vous disposez pour répondre. Donc lorsque Descartes dit ce qui se conserve c’est MV, cette formule est strictement et absolument vraie ! Elle est vraie, en quelle fonction elle est éternellement vraie ? Elle est vraie en fonction de ce qu’on appelle les coordonnées cartésiennes. Maintenant, évidemment elle perd tout sens du point de vue d’un calcul infinitésimal. C’est elle à son tour du point de vue si vous vous donnez une symbolique comportant les différentiels, les rapports différentiels, c’est évident que ce qui se conserve, c’est MV2.

J’essaye écoutez, j’essaye alors là je je je je peux même plus répondre à Comtesse, je signale juste alors, Comtesse se fait en effet de Descartes et propose de Descartes, une interprétation telle que : « ensemble du temps » chez Descartes n’aurait aucun sens. Peut-être, il m’a semblé d"après ce qu’il disait, il fallait concevoir plutôt une série du temps et Comtesse frappe juste puisque une série du temps, c’est complètement différent d’un ensemble du temps. Alors je vous dis : bon à ce niveau je préfère prendre Comtesse au plus haut, à ce niveau c’est possible qu’il aie raison. Moi je crois, je ne suis pas de son avis. Moi je crois de toute manière : ensemble du temps mais série du temps aussi, là on patauge un peu, peut-être que c’est encore une troisième interprétation qui est juste, parce que c’est évident que ça n’apparaît pas chez Descartes. Bon.

Moi je dis juste ceci - et là je voudrai clore cette première partie parce qu’il y a tellement à faire et alors qu’est-ce que ça va être la seconde partie ! - Je voudrai juste clore en disant ah ben voilà, ce que j’ai essayé de commenter avec les problèmes que ça soulève - même en tenant compte de ce que Comtesse vient de dire - je dis : j’ai saisi un premier aspect de la figure du temps et je le caractérise par trois choses :

-  Le temps est nombre du mouvement, premier caractère. Exemple : la grande année des grecs. Exemple complètement différent : l’invariant de Descartes.

Je ne dis pas que les deux soient le moins du monde analogues. Voilà. Je dis qu’il y a le temps qui est le nombre du mouvement dans les deux cas. Dans l’interprétation de Comtesse, je ne pourrai pas le dire ça.

-  Deuxième remarque : je dis : en tant que nombre du mouvement, le temps est saisi dans son ensemble et comme ensemble du temps. Ensemble du temps très bizarrement, c’est une expression que vous ne trouvez pas en effet chez Descartes mais c’est une expression que vous trouvez et chez les platoniciens et chez Kant - qui pourtant fait une conception du temps complètement différente - mais si je tiens au mot même "ensemble du temps". Exemple donc : l’ensemble du temps défini par la Grande année. L’ensemble du temps tel que je crois que Descartes le définit par "la répétition des instants créateurs dans l’éternité". Mais vous ajoutez trois grands points d’interrogation là, sur ce point.

-  Troisième caractère : je dis que sous ce double aspect : nombre du mouvement et ensemble du temps, ce qui se dégage, c’est l’idée du Grand avec un g, avec un grand G pardon. Avec un G majuscule, c’est l’idée du Grand, l’idée de grandeur, et à la limite l’idée de quelque chose de trop grand pour nous, soit sous la forme grecque de l’univers, soit sous la forme cartésienne, chrétienne, du Dieu infini. Si j’essaye de passer à l’autre aspect, alors là je vais aller très très vite parce que...Voilà l’autre aspect, ben vous comprenez l’autre aspect : qu’est-ce que ça veut dire grandeur ? Bon alors là on y revient ! Mais qu’est-ce que veut dire une grandeur si vous n’avez pas d’unité ? Mais de même que la grandeur c’était le temps, et c’était le temps qui donnait une grandeur au mouvement, l’unité c’est le temps aussi, simplement c’est plus le temps dans son ensemble, c’est le temps dans sa partie. Mais alors il y a des parties de temps, qu’est-ce que c’est des parties de temps ?

Vous sentez qu’on est tout à fait renvoyés à d’autres problèmes, il se peut que ces problèmes soient liés mais cette fois-ci c’est le problème du mouvement relatif. Il y a des mouvements dans l’univers, il y a plein de mouvements et qui ne cessent pas de changer. Comment est-ce qu’on va mesurer ces mouvements ? C’est pas avec ma Grande année, c’est pas avec ma grandeur trop grande, que je vais mesurer les mouvements relatifs actuels. Bref même pour ma Grande année même pour ma grandeur trop grande, il me faut une unité, il me faut des unités.

Moi j’ai dit : il me faut une unité ou il me faut des unités ? Et est-ce que tout ne va pas changer ? je pourrai dire oui il me faut...Essayons les deux. Est-ce que je dois dire il me faut une unité ? Ou est-ce que je dois dire il me faut des unités ? Pour mesurer les mouvements variés tels qu’ils changent dans l’univers à chaque instant. Essayons de dire il me faut une unité. Ce sera quoi cette unité ? Ce sera l’unité, l’unité arithmétique. Le 1. Bon, supposons que j’aie une unité arithmétique encore faudrait-il la définir, cette unité arithmétique. Qu’est-ce que c’est cette unité arithmétique du temps, puisque c’est l’unité de temps ? C’est une partie de temps - on a vu - eh bien on pourra l’appeler et c’est son sens ordinaire, on pourra l’appeler "l’instant". Je dirai, c’est à supposer j’en sais rien, est-ce que je pourrai dire il y a tant d’instants dans ce mouvement et par là fixer la partie de temps qui mesure le mouvement ?

Mais l’instant par rapport au temps c’est quoi ? L’instant, est-ce que c’est une partie de temps ? Là aussi tant, tant, tant, de discussions ont eu lieu. Le plus souvent on dit : non l’instant c’est pas une partie de temps. Pourquoi ? Si vous le considérez comme l’équivalent d’un point indivisible. Si vous le considérez comme l’équivalent d’un point indivisible, c’est-à-dire si vous en faites un point indivisible dans le temps, c’est pas une partie de temps. Pourquoi ? Parce qu’une partie de temps, c’est du temps. Tandis que l’instant comme point indivisible, c’est pas du temps, c’est une limite. C’est pas une partie c’est une limite.

Bon, alors qu’est-ce que ce serait la partie de temps ? Les grecs ont un mot : ce serait le « maintenant ». Ce serait le maintenant, le Nûn. Ils disent : n-û-n, avec un accent circonflexe. Le nûn. Ce qu’on traduit nous, par le maintenant ou parfois par le présent. Ça serait le présent, la partie de temps. Ce serait le présent l’unité de temps. Ah bon, bien. Car le nûn au présent, c’est pas une limite, c’est bien une partie de temps. Seulement voilà tout à l’heure j’avais des instants qui étaient tous homogènes les uns aux autres. Ça me faisait une unité. Une unité toujours la même pour tous les mouvements. Seulement c’était pas une vraie unité c’était une limite. Voyez : il y avait un avantage : je pouvais invoquer la même unité pour tous les mouvements qui se passent à chaque moment. Mais il y avait un grave inconvénient, c’est que ces unités étaient parfaitement abstraites, c’étaient des limites hors du temps. Que je pouvais même pas sommer.

Alors je passe à l’autre bout, on va dire la partie de temps attention, c’est pas l’instant puisque l’instant c’est une limite. La partie de temps c’est le nûn, le présent, le maintenant.

Ah bon oui d’accord ! voilà l’unité de mouvement ou la partie de temps, c’est le présent. Vous me direz c’est bien décevant, non. Parce que vous sentez bien que ce qui est en train de monter c’est alors une conversion du problème du temps, qui va devenir en plein le problème du présent. Et de : qu’est-ce que la présence du présent ?

Le problème du présent, pourquoi ? Comment allez vous définir le présent ? Le présent ? Vous allez le définir de la manière la meilleure possible, alors à mon avis la meilleure possible vous allez dire : le présent c’est ce qui remplit un intervalle. Or comme l’intervalle n’existe que comme rempli, à moins de tomber dans l’instant, vous pourrez dire facilement le présent, c’est l’intervalle. Et vous aurez dit : la partie du temps où l’unité de mouvement, c’est l’intervalle c’est-à-dire le présent. Le présent qui occupe un intervalle. Oh c’est embêtant ça pourquoi ? Parce qu’à ce moment-là, je n’ai plus d’unité homogène pour tous les mouvements relatifs. Je n’ai plus d’unité homogène pour tous les mouvements relatifs pourquoi ? Parce que c’est chaque mouvement qui exige son présent particulier ou son intervalle, qui va en être l’unité de mesure. Du vol d’un oiseau, je dirai quel est son présent ? Quel est le présent du vol d’un oiseau ? Et la réponse - je vous préviens que je ne supporte aucune objection sur cette réponse - je dirai le présent du vol d’un oiseau, c’est l’intervalle entre deux battements d’ailes. C’est ça son nûn. le nûn du vol de l’oiseau, le "maintenant" du vol de l’oiseau. Tiens tiens et déjà il est singulièrement capable de s’étirer si je pense à un oiseau de proie, quand l’oiseau de proie, n’est-ce pas, plane dans le ciel, il agrandit son intervalle, mais oui, il agrandit son nûn. C’est pas par hasard qu’à ce moment, s’il prend, comme disait Nietzsche pour une fois prend précisément l’allure circulaire de l’éternel retour et que l’aigle de Zarathoustra là fait ses cercles et ses spirales il atteint une espèce de présent démesuré qui est le nûn de l’oiseau qui plane. Il élargit son présent. Et puis quand il se tire de ce cercle, quand il - à la lettre - prend la tangente, et que vous le voyez battre ses ailes, ces battements admirables du rapace, vous comprenez tout de suite que le petit moineau, j’ai même pas besoin d’aller chercher autre chose, le petit moineau, il a un présent complètement différent. Regardez grotesques battements d’ailes d’un petit moineau, son nûn misérable, c’est son intervalle à lui.

Alors ce que je suggère une fois de plus, c’est que on se croit des personnes, on se croit tout ça, on est rien de tout ça, on est des tempos, tempos quoi, plus précisément encore on est des intervalles. On est des intervalles. Mon présent c’est mon intervalle et je suis mon présent. Sous un aspect. Vous me direz mais voyons tu as un passé, je dirai oh me fatiguez pas trop là c’est déjà assez d’avoir un présent. Bon alors c’est ça.

Mais comme disait Kant, mais pourquoi est-ce que Kant dit ça ? Pourquoi je les mélange tous ? Il disait : supposer la situation suivante : vous voulez mesurer un homme : vous le mesurez avec des pieds. C’est un admirable texte de Kant. Mais il commence pas par là, ça fait rien. Vous dites cet homme a tant de pieds, vous dites ça couramment : il a tant de pieds celui-là. Avec un homme donc là le pied est l’unité de mesure de l’homme.

-  Avec un homme vous allez mesurer un arbre et vous dites : cet homme, cet homme, non cet arbre, ah oui il fait six hommes, si vous me faites une d’objections j’ai dit que c’était comme ça au pays de Kant et au moment de Kant, ils disaient d’un arbre : ah ! Il fait six hommes.

-  Avec un arbre ajoute Kant - dans son pays - avec un arbre, on peut, il dit pas on doit, on peut mesurer une montagne. Une petite, une petite montagne. On dit : cette montagne elle fait quarante sapins. On dit ça tout le temps. Tiens voilà une montagne : quarante sapins !

-  Avec la montagne on peut mesurer, il en saute, on peut mesurer le diamètre terrestre. On dira le diamètre terrestre, eh ben il fait tant de fois l’Himalaya. Etc... avec le diamètre terrestre on a pas fini.

Et vous voyez que chaque fois l’unité de mesure change. C’est la même chose dans mon histoire de mouvement, c’est pour chaque mouvement que j’ai dû définir un intervalle propre à chaque mouvement.

Alors je suis dans deux situations, j’ai deux situations possibles, dans ma seconde, dans mon second problème :

-  Ou bien je procède par mesure arithmétique et j’ai une unité conventionnelle homogène. Remarquez que cette unité conventionelle homogène, à ce moment-là, je suis forcé de la subdiviser à l’infini. C’est-à-dire je me donne l’unité arithmétique un. Je peux composer avec le un toute la suite des nombres mais le un à son tour, je peux le décomposer. J’aurai bien une série homogène qui me permet de mesurer tout mouvement possible, comment quoi ? De manière abstraite. C’est-à-dire avec des limites et non pas avec des parties. Je me sers à ce moment là de limites du temps pour mesurer les mouvements déterminés. Ces limites du temps, c’est des instants.

-  Ou bien je me sers des parties du temps qui sont des présents mais j’ai autant d’unités de mesure que de mouvements. Cette fois-ci, j’aurai défini pour chaque mouvement ou chaque type de mouvement, un intervalle qui constitue son présent. Et je pourrai dire : le temps, plutôt le temps comme partie, c’est voyez là, c’est trois caractères. Premièrement le temps comme partie, premièrement c’est :

-  L’intervalle du mouvement. Non plutôt oui, c’est le temps comme partie par opposition à l’ensemble du temps, et c’est du côté du petit ou du plus petit relatif. C’est l’idée du petit.

Et pourtant, et pourtant j’en ai pas fini, parce qu’on sent assez à quel point on passe constamment d’une vision à l’autre. De « ensemble du temps » à intervalle. De l’idée de grand à l’idée de petit, pourquoi ? J’ai défini chaque corps à la limite, et chaque mobile par un présent. Ce présent c’est son intervalle. Et là les stoïciens sont géniaux. Ils définiront les corps par ce qu’il appelent l’intervalle, c’est-à-dire, les limites de leur puissance. C’est l’intervalle rempli. Bon. Et tous ces corps qui ont un présent, un intervalle et qui sont définis par cet intervalle, leur présent. Qu’est-ce qu’il sont ? Ils communiquent bien dans un même monde. Et ce même monde, qu’est-ce qu’il est ? Il est présent total.

Et comment vous allez définir cette présence totale d’un monde ? Ah vous allez voir, là ça devient, si vous faites attention, vous allez être saisis d’enthousiasme et on en aura fini. Car tous ces corps qui se définissent par un présent et qui communiquent dans un même monde, ce monde est donc "le présent total". Comment se définit-il ? Il va se définir par le temps mis, le temps mis par chaque corps pour revenir, pour passer par toute la transformation qualitative, par toutes les transformations corporelles qui le ramènent à la matrice du monde. En fait qui le ramènent jusqu’à un supposé feu originel. Feu d’où le monde est issu. Je dis pas que ce soit une doctrine universelle, certains penseurs disaient ça il y a longtemps. Alors qu’est-ce que c’est ça ?
-  Chaque corps appartient au présent total du monde dans la mesure où il passe par toutes les transformations qui le ramènent au feu originel.

C’est une nouvelle figure de l’éternel retour. Cette fois-ci ce n’est plus un éternel retour défini en fonction de la révolution des astres, c’est-à-dire un éternel retour astronomique. C’est un éternel retour physique au sens grec de la « phusis ». C’est un éternel retour de la nature, défini par les transformations qualitatives, la transformation des éléments les uns dans les autres, quand ils se résorbent dans le feu primitif et ressortent du feu primitif .

Voyez ça n’a rien à voir, les deux conceptions de l’éternel retour sont complètement différentes. Puisque dans la seconde conception de l’éternel retour, les planètes ne sont strictement que des corps comme les autres et qui elles aussi, sortent et rentrent dans le feu originel. Or ce qu’il y a de prodigieux dans la pensée grecque, c’est la manière dont le thème astronomique et le thème physique se rencontrent, se pénètrent, comment sont des conciliations, comment tout ça fait effet, des doctrines là qui fusent de tous les côtés.

Mais ce que je viens de montrer, c’est que par là, vous ne cessez de passer d’un aspect du temps à l’autre. Vous ne cessez de passer d’une figure du temps à l’autre. Vous passez de la figure : l’ensemble du temps à la figure : partie du temps ou présent, et inversement. Ou si vous préférez les deux notions deviennent complémentaires, les deux notions dont on était parti deviennent complémentaires.
-  Le temps c’est d’une part, c’est le nombre du mouvement, d’autre part c’est l’intervalle du mouvement. Et d’une formule à l’autre se fait une circulation qui est une circulation du grand au petit et du petit au grand.

Si vous avez compris ça tout le reste sera facile ensuite. Simplement on se trouve devant un truc qu’il ne faut pas oublier pour la prochaine fois, c’est que dans cette circulation on passe, en effet, il y a toujours une espèce de moment et qui se communique à tout : un trop grand ! qu’est-ce que c’est ce trop grand ? Ce trop grand du temps. Le temps est trop grand pour moi. Et c’est au commentaire du trop grand, c’est-à-dire d’une certaine manière faudra en faire trop. Par rapport au temps faudrait toujours en faire trop. Et pas parce que le temps coule. Pas du tout. Pour le moment je m’en tiens à ces deux figures :

-  La grande figure, je dirai, c’est le temps comme ensemble du temps et

-  La petite figure c’est le temps comme intervalle.

Surtout dès lors on ne fera plus le contresens de dire un intervalle entre deux présents puisque c’est le présent qu’on a défini par l’intervalle, par opposition à l’instant qu’on définissait comme une limite. Voilà. Si ça vous paraît pas trop dur, mais c’est fini ça c’est fini. La prochaine fois on...Ouais on verra. Bruits de papiers, de chaises. Qu’est-ce qu’ils ont été méchants aujourd’h...

 22- 02/11/82 - 1


 22- 02/11/82 - 2


 22- 02/11/82 - 3


 23- 23/11/82 - 2


  23- 23/11/82 - 1


 24- 30/11/82 - 2


 24- 30/11/82 - 1


 24- 30/11/82 - 3


 25- 07/12/82 - 1


 25- 07/12/82 - 2


 25- 07/12/82 - 3


 26- 14/12/82 - 1


 26- 14/12/82 - 2


 26- 14/12/82 - 3


 27- 21/12/82 - 3


 27- 21/12/82 - 1


 27- 21/12/82 - 2


 28- 11/01/83 - 2


 28- 11/01/83 - 1


 29- 18/01/83 - 1


 29- 18/01/83 - 2


 30- 25/01/83 - 1


 30- 25/01/83 - 2


 31- 01/02/83 - 1


 31- 01/02/83 - 2


 32- 22/02/83 - 1


 32- 22/02/83 - 2


 32- 22/02/83 - 3


 33- 01/03/83 - 1


 33- 01/03/83 - 2


 33- 01/03/83 - 3


 34- 08/03/83 - 1


 34- 08/03/83 - 2


 34- 08/03/83 - 3


 35- 15/03/83 - 1


 35- 15/03/83 - 2


 35- 15/03/83 - 3


 36- 22/03/83 - 1


 36- 22/03/83 - 2


 37- 12/04/83 - 1


 37- 12/04/83 - 2


 38- 19/04/83 - 1


 38- 19/04/83 - 2


 38- 19/04/83 - 3


 39- 26/04/83 - 1


 39- 26/04/83 - 2


 40- 03/05/83 - 1


 40- O3/05/83 - 2


 41- 17/05/83 - 1


 41- 17/05/83 - 2


 41- 17/05/83 - 3


 42- 24/05/83 - 1


 42- 24/05/83 - 2


 42- 24/05/83 - 3


 43- 31/05/83 - 2


 43-31/05/83 - 1


 44- 07/06/83 - 2


 44- 07/06/83 - 1


La voix de Gilles Deleuze en ligne
L’association Siècle Deleuzien