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33- 01/03/83 - 3
Gilles Deleuze - Cinéma cours 33 du 01/03/81 - 3 transcription : Meropi MORFOULI Hitchcock élève le cinéma, l’air de rien, comme ça, avec sa manière, son humour à lui. Il fait comme tous les précédents quoi, comme tous les grands auteurs, il a inventé des types d’images. Mais je crois vraiment qu’avec Hitchcock se fait un dégagement de ce qu’on peut appeler “ l’image mentale pure ”, l’image de relations. L’action dès lors est complètement subordonnée aux tissus de relations. Je reviens toujours à des métaphores de tapisserie. Il y a un tissu dans un film de Hitchcock constitué par un tissu de relations que le spectateur va découvrir avant le personnage. L’action des personnages est là, qui passe dessous, dessus etc. et la relation par excellence pour Hitchcock ça peut être en effet, comme ils disent très bien là, Rohmer et Chabrol, c’est un truc du crime et de la faute. En effet, pensez que le christianisme, quand on parle du christianisme et du catholicisme de Hitchcock, ça était la première grande théorie des relations, en effet. Et ce n’est pas par hasard que la logique anglaise ait tellement bien connu la logique du moyen age. Et dans la logique du moyen age où il y a déjà là, la théorie de relations tout à fait merveilleuse, théorie de relations très très très belle, les meilleurs exemples qu’ils prennent, sont évidement théologiques, du type : quelle est la relation du père du fils et du saint esprit. La théologie, ça a servi à la philosophie pourquoi ? Parce que précisément il y a entre la théologie et la logique pure un rapport qui ne se détruira que très tardivement - je ne sais même pas quand on pourrait assigner la rupture du rapport, très tardivement - à mon avis ça continue jusqu XVIIIe, jusqu’au XVIIe siècle. Et la faute ? Pourquoi c’est la relation ? Pourquoi c’est presque la relation par excellence ? Avec toutes ces histoires du pêché originel, d’Adam, qui a fait une faute pour nous tous, qui dès lors, avons cessé d’être innocents. Peu importe qu’il soit coupable ou innocent, mais coupable ou innocent c’est un cas, c’est un exemple extraordinaire pour faire comprendre ce jeu de la relation.
Donc c’est l’image-relation qui triomphe. Alors je voudrais... Si c’est ça vous vous rappelez peut-être parce que ça on l’avait vu. Je disais ben philosophiquement la relation, elle en a deux figures. Il y a deux figures de relations et je n’en reviens pas là-dessus parce que l’on avait bien analysé.
Il y a deux sortes de relations et justement il y a un grand, grand philosophe qui s’appelle Hume, H, U, M, E, XVIIIe siècle, écossais, un grand philosophe qui distinguait deux sortes de relations. Et les unes il les appelait « relations naturelles » et les autres il les appelait « relations philosophiques » et nous pour des raisons de pudeur nous avions préféré les appeler « relations abstraites » et quelle différence y a t-il ?
Bon je reviens à Hitchcock, s’il est vrai que je n’avais pas parlé. C’est tout simple, je dis là dans ma case, vous voyez ? Ici je joins ma petite case. Suivant notre principe ma petite case, elle est divisée comme ceci : un titre général, elle vient donc après les transformations, après les deux images actions après les transformations qu’on a vues, les figures : là « image mentale », c’est la tiercéité.
Vous vous rappelez, pour ceux... Vous vous rappelez c’est la tiercéité de Peirce, à savoir la relation, c’est forcément en trois puisqu’elle est extérieure à ces termes, dont on a au moins deux termes et la relation n’est réductible à aucun de deux ni à la totalité de deux.
Celui qui vraiment me semble avoir introduit l’image mentale au cinéma c’est Hitchcock. Bon, tout comme j’aurais dit les mécanismes d’inversion, c’est ça c’est vraiment un truck de Hawks, mais comme on ferait aussi bien pour la littérature ou la philosophie. Si je dis cogito, qu’est-ce que vous voulez, on peut toujours trouver des précédents en cogito, il a quand même fallu attendre Descartes pour trouver cette manière de penser et constituer ce concept. Ben oui, c’est comme ça. Eh, ben, il faut donc trois signes pour que ça aille bien.
Eh, ben que-ce qui se passe chez Hitchcock ?
Pourquoi est-ce qu’il nous dit tout le temps : vous savez le suspense est la vraie émotion, elle ne peut venir que d’objets tout à fait ordinaires. Il déteste le truc :" films de terreur". Il faut surtout pas que les êtres ou les objets soient extraordinaires. Il le dit très bien à propos des (Les) oiseaux. Tout ratait, si j’avais cherché des oiseaux extraordinaires, il faut des oiseaux absolument ordinaires, mouettes et corbeaux sinon tout est foutu, pour lui. On dirait autre chose pour un fabricant de terreur, mais parce qu’il serait en train d’inventer une tout autre image, un tout autre type d’image. Et lui, il lui faut de l’ordinaire, pourquoi ? Parce qu’il opère par série naturelle.
Et comment ça va se traduire ? Je donne quelques exemples que tout le monde connaît. Une série de moulins dans un pays de moulins, c’est coutumier ça ! C’est des marques. Je regarde mieux et littéralement je saute en l’air. Voilà qu’il y a un moulin dont les ailes tourne en sens contraire du vent. Que-ce que c’est ça ? Bon, premier exemple : un objet de la série coutumière agit hors de sa série. C’est une image relation très forte. À ce moment-là, vous avez une prise de conscient de ce qu’est la relation naturelle, tout à fait intense. Moi, je vois pas de type qui est fabriqué un procédé comme ça. On pourrait peut-être trouver des exemples isolés, mais c’est nouveau, c’est du cinéma absolument nouveau.
Mais y a aussi autre chose chez Hitchcock, c’est aussi avec les objets. C’est aussi avec des objets parce que la relation c’est complexe. Y a des objets à la lettre qui sont comme polyvalents. Prenons deux exemples. Un objet comme la clé. Une clé. Je prends l’exemple d’un film : "Le crime était presque parfait". Y a une clé qui joue un grand rôle. Pourquoi une clé joue-t-elle un grand rôle ? c’est parce qu’une clé qui est retrouvée dans le sac d’une femme, qui est censée être coupable d’un crime, dans les conditions que... Une clé que l’on trouve dans le sac d’une femme devrait s’adapter à la serrure de son appartement. Bien plus, si elle avait fait vraiment le crime...non c’est pas tout à fait ça, je... ...ouais, s’il y a un échange... Ouais c’est complexe... Enfin, vous voyez ce que je veux dire. La clé devrait s’adapter dans la porte. Il se trouve quelle ne s’adapte pas, elle saute hors de sa série. Qu’est-ce que c’est que cette clé ? y a plus relation naturelle. La relation naturelle c’était cette clé dans le sac de cette femme avec cette serrure... Là c’est une clé qui vient d’où ? et alors ou est la clé qui s’adapte à la serrure ? je dirais le cas de la clé dans le film "Le crime était presque parfait", c’est une démarque. Elle saute hors de sa série. Passons à une autre clé, Hitchcockienne. Dans Notorius, l’héroïne dans des conditions très très émouvantes, a pris dans le trousseau de son mari, la clé de la cave. Car en effet vous vous rappelez la question urgente : si la bouteille de vin a sauté si violemment hors de sa série naturelle, pourquoi toutes les démarques, ah j’ai oublié une démarque célèbre, mais vous allez compléter de vous-même, l’avion a sulfaté quand il n’y a pas de champ à sulfater dans "La mort aux trousses". C’est une démarque fondamentale de Hitchcock bon. Mais là, donc, qu’est-ce qu’elle a cette bouteille ? qu’est-ce qu’elle a de spéciale qui fait qu’elle s’inscrit pas dans la série naturelle ? la seule réponse possible c’est qu’il faut aller dans la cave voir un peu. Et comparer cette bouteille aux autres, ou ce genre de bouteille puisqu’il a retenu la marque, l’année... Et ben voilà alors la clé, dans Notorius. La femme s’en empare, elle risque déjà beaucoup. Elle la prend dans le trousseau de son mari qui ne s’en sépare jamais. Elle l’a dans la main, elle l’a dans son petit poing fermé. Elle va la passer à quelqu’un. Ce quelqu’un est à la fois son amoureux, et son co-agent, puisqu’elle est agent secrète. Son mari est à la fois son mari et un dangereux espion allemand. Elle tient à la main la clé, elle va la passer au type, le mari n’est pas loin. Je dis : la clé porte un system de relations cette fois ci abstraites. Si je considère l’ensemble des personnages, je peux trouver bon de les comparer. En fonction de leur état affectif, en fonction de leur état actif, en fonction de tout à fait autre chose je suppose. Du point de vue des affections, la clé renvoie d’un côté au rapport de cette femme avec le mari, mais elle renvoie aussi au rapport de cette femme en tant qu’agent secret avec l’espion qu’est le mari. De l’autre côté, elle renvoie également au rapport avec l’amoureux, tellement que lui ayant donne la clé, elle sera forcée de l’embrasser pour montrer au mari qu’ils ont une histoire d’amour plutôt qu’elle lui ait confié la clé. Donc y a un rapport avec l’homme comme amant, y a un rapport avec l’homme comme co-agent secret, y a un rapport avec leur commune mission qui est découvrir en quoi la bouteille est étrange. Je dis que contrairement à la clé du "Le crime était presque parfait", la clé là, se définit comment ? C’est un objet porteur d’une multiplicité de relations abstraites. L’objet lui-même vaut comme un paquet de relations abstraites. Du même type je dis hâtivement les menottes, qui interviennent si souvent chez Hitchcock, et qui relit parfois deux amoureux, sont évidemment des objets porteurs de au moins deux relations abstraites. Leur situation d’être poursuivis et arrêtés, parce qu’un crime a été commis, mais aussi leur situation affective d’avant qui les unis. S’il est vrai que la première mouette qui frappe l’héroïne sur son petit bateau renvoie aux relations naturelles, est une démarque, l’ensemble des mouettes, l’ensemble infini des oiseaux ordinaires, qui vont préparer leur attaque collective, suspendre leur attaque collective, faire leur attaque collective, et enfin laisser une trêve qui ne présage rien de bon, l’ensemble des oiseaux, c’est l’ensemble des relations abstraites. Lesquels vous me direz, toutes espèces réunies cette fois, toutes espèces ordinaires réunies, corbeau mouettes, etc...Relations abstraites de quelle nature ? on peut dire n’importe quoi, à commencer par les rapports inverses de l’homme avec la nature. À notre égard, les rapports reflètent de l’homme avec l’homme. Dans la très belle scène des Oiseaux, il y a tout le village qui prend à partie une pauvre femme en disant : c’est ta faute, c’est ta faute, c’est-à-dire c’est tellement simple, l’histoire du juif, que Hitchcock y a forcément pensé.
Si bien que les trois signes de l’image mentale, ça serait à ce niveau
Je crois que ce sont des relations naturelles mais là, peu importe, dans des relations naturelles il y a toujours des relations abstraites plus profondes. Bon, mais alors ? voyez ce qu’on pourrait dire à l’issu de tout ça. C’est bien fatigant tout ça. On a quand même, on touche un bout depuis, on touche à la première étape depuis le début de l’année. Car là, j’en ai plein à ajouter. Mais, j’ai fini un grand ensemble. Et ce que je devrais ajouter maintenant ça ne tiendrait pas sur ce tableau, il faudrait un autre tableau. Pourquoi ? parce que d’une certaine manière je peux dire, est-ce qu’on pouvait aller plus loin que l’image mentale ? non. Je veux dire l’image mentale, elle parachève, elle accomplit, elle accomplit réellement le systeme des images-perceptions, des images-actions, des images-affections. Elle parachève, elle accomplit le systeme en quel sens ? c’est que sous les actions, derrière les affections, avec les perceptions, elle tend un tissu de relations.
Si j’appelle cinéma classique, c’est bien mon droit, le cinéma de l’image-mouvement, c’est à dire, le systeme des images-perceptions, images-affections, images-actions, je peux dire que l’image mentale pousse à la limite, c’est-à-dire qu’elle clôture le systeme. Si bien que d’une certaine manière je pourrais très bien dire :" ben oui Hitchcock c’est la fin du cinéma classique". C’est facile à dire, c’est des formules toujours un peu choquantes parce que c’est pas vrai mais d’une certaine manière il pousse les trois grands types d’images ou il pousse l’image-mouvement jusqu’à un cadre qui est celui de l’image mentale. Il l’encadre de relations, il soumet le mouvement à la relation. Par là, il découvre l’image mentale et il fait de l’image mentale le cadre de toutes les images. En faisant cela, apporte comme une espèce de perfection ultime du cinéma classique. Et ce serait bien comme ça, et c’est pour ça que Hitchcock n’a jamais prétendu remettre, quoi que se soit en question du cinéma. Il a toujours prétendu s’inscrire dans une espèce de tradition qui était pour lui la grande tradition. Hitchcock, c’est très intéressant, ne se voulait pas révolutionnaire. Il l’était pas, sûrement il l’était pas. Il inventait un type d’image prodigieux, c’était euh bon. Il prenait sa place dans cette longue histoire de l’image-mouvement. Et tout se serait passé ainsi si si si si... si y avait pas eu un petit quelque chose mais qui va faire notre malheur puisque ça va nous forcer à continuer et puis à recommencer alors qu’on croyait que tout ça s’était fini.
Alors évidemment c’est pas la gaîté. Tout ce qu’on sait pour le moment c’est qu’on a acquis notre classification de l’ensemble de - y en a sûrement d’autres - de l’ensemble des images-mouvements. La prochaine fois, on fera comme ça si vous le voulez bien, on fera, pas une récapitulation, on parlera de - j’aimerais que vous me donniez maintenant, que, qu’on remette au point certaines choses, et que l’on voit surtout ce que l’on n’a pas vu. À savoir, dans cette histoire des images-mouvements, il y a tout un problème qui est celui du montage. Alors voir ça, bon. Mais euh, parler autour de ce tableau et puis commencer, commencer la tache qui nous reste à faire, il faudra un tableau, autrement organise mais aussi long que l’autre pour ceux qui restent. |
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